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De la condescendance à l’abaissement

Les implications de la liberté religieuse pour la diaconie ecclésiale de la vérité

Benoit Carniaux o praem
Dans la perspective de l’année de la diaconie proclamée par les Évêques de Belgique, l’article s’attache à montrer que le service que l’Église prétend rendre à la société est d’abord fondé sur la reconnaissance de la dignité humaine. Les droits à la vie et à la liberté religieuse manifestent, chacun à sa manière, l’enracinement spirituel de celle-ci. C’est pourquoi l’Église ne peut avoir d’autre manière de servir les hommes que celle de son Seigneur qui s’est fait leur esclave.

Peut-être sommes-nous d’autant plus assurés et plus rigoureux dans nos jugements que nous défendons une cause plus mêlée. Peut-être oublions-nous quelquefois en fait, quoique nous le sachions bien en principe, que l’intransigeance dans la foi n’est pas la raideur passionnée dans le désir d’imposer aux autres nos idées ou nos goûts personnels ; que les durcissements crispés trahissent la souple fermeté du vrai, bien plus qu’ils ne la protègent ; qu’un christianisme qui s’installerait délibérément tout entier sur la défensive, renonçant à toute ouverture et à toute assimilation, ne serait déjà plus le christianisme ; que l’attachement sincère à l’Église ne peut servir à canoniser nos préjugés, ni à faire participer nos partialités à l’absolu de la foi universelle. Il peut donc être utile de nous le redire : une certaine confiance et un certain détachement font partie de l’esprit catholique. Des temples des démons eux-mêmes, l’Église sait tirer, l’heure venue, des ornements pour sa propre demeure : le miracle est chaque fois inédit, chaque fois imprévu, mais nous savons qu’il se renouvellera.

(de Lubac H., Méditation sur l’Église, Paris, Aubier-Montaigne,1953,1p. 242-243)

L’Évangile du Christ est un don pour le monde. Telle est la conviction qui anime les évêques de Belgique lorsque, dans le sillage de la lettre papale Novo millennio ineunte, leur déclaration L’envoi des chrétiens dans le monde1 propose que, pendant l’année 2002-2003, une attention toute particulière soit portée à la diaconie en tant que service ecclésial de la société. Nous voudrions présenter ici une réflexion de fond sur ce sujet en replaçant la problématique de la diaconie ecclésiale dans la perspective de la dignité humaine qu’elle est appelée à servir. Pour cela, il convient de revisiter la vieille question du rapport entre liberté, vérité et religion. La problématique de la liberté religieuse constitue en effet un point nodal dans la détermination de ce qui fonde la dignité de l’homme. En témoignait encore il y a peu la polémique soulevée par le document Dominus Jesus. La question est tout autant à l’ordre du jour dans les aréopages politiques comme l’a montré la discussion autour du texte de la Charte européenne des droits fondamentaux adoptée à Nice en décembre 2000 par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union Européenne. Mais il est impossible de comprendre ces débats récents sans les resituer dans la longue suite d’ajustements et de ruptures qui ont jalonné depuis deux mille ans les relations entre l’Église et l’État. Un bref rappel historique s’impose donc dès l’abord.

I Entre reconnaissance et tolérance

En 313, l’édit de Milan reconnut la liberté de professer leur religion à tous les sujets de l’empire romain. Cette situation nouvelle, qui faisait suite à de nombreuses persécutions antichrétiennes, évolua très vite vers une osmose entre l’Église et l’État, pour le meilleur et pour le pire. Car peu à peu, le christianisme devenant la religion dominante, on fit d’une valeur — la vérité — un sujet de droit qui prit en quelque sorte la place de la personne. On en vint dès lors dans l’Église à tolérer seulement que personne ne puisse être contraint d’adhérer à la foi catholique et on refusa finalement aux non-chrétiens le droit de pratiquer publiquement leur propre religion.

À la fin du cinquième siècle, le pape Gélase I distingue l’autorité sacerdotale et le pouvoir impérial qu’il rapporte respectivement aux natures divine et humaine du Christ. Tout au long du Moyen Âge, cette théorie dite « des deux glaives » sera plus d’une fois malmenée et réinterprétée au gré des circonstances et des intérêts. Elle donnera lieu à de nombreux conflits entre l’empire et la papauté et aboutira à la naissance des états pontificaux.

À l’époque baroque et dans le cadre de la Réforme, Hobbes réfléchit sur le pouvoir politique à partir des nombreuses guerres civiles entre partis religieux qui ont ravagé l’Angleterre. Dans sa philosophie du « Léviathan », la société est unifiée spirituellement car le Souverain — monarque ou assemblée — dispose du droit de juger quelles opinions et quels enseignements seront propres à promouvoir et conserver l’unité de la nation. Dans cette perspective, ce qui trouble la paix ne peut, par définition, relever de la vérité. Malgré les importantes nuances apportées par Locke et le courant économique du libéralisme, soucieux de défendre la libre association, le radicalisme de Hobbes encouragera indirectement la floraison de nombreuses philosophies laïcistes2 sur le continent. Celles-ci fourniront une partie de l’humus sur lequel croîtra l’idéal inspirateur de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Au XIXe siècle, face au péril du libéralisme naturaliste, Grégoire XVI et Pie IX ont surtout rappelé les obligations liant la liberté envers Dieu. Dans la même ligne, Pie IX et Léon XIII ont condamné la liberté de choisir arbitrairement son culte, sans vraiment aborder la question de la liberté civile dans l’exercice du culte. Léon XIII contribuera à une nouvelle prise d’orientation magistérielle en commençant à distinguer avec son temps la société civile de l’État. Mais la montée en puissance en Italie et en France du libéralisme absolu — qui fait de l’État la norme suprême — ainsi que le danger de manipulation à l’égard des masses illettrées, l’empêcheront de concevoir la distinction de l’Église et de l’État dans toutes ses conséquences.

Les totalitarismes du XXe siècle ont ensuite attiré l’attention de Pie XI et Pie XII sur les dimensions horizontales — sociales et juridiques — de la liberté religieuse. Jean XXIII, ratifiant une prise de conscience de plus en plus profonde à l’égard de la dignité humaine, considérera la liberté personnelle comme une exigence fondamentale de cette dignité.

II La liberté religieuse, notion juridique ou théologique ?

C’est ainsi qu’au seuil du Concile, la problématique de la liberté religieuse pouvait se résumer dans une alternative : faut-il considérer la liberté religieuse d’un point de vue spécifiquement théologique et moral ayant certaines conséquences juridiques, ou bien d’un point de vue spécifiquement juridique non dépourvu cependant de fondements théologiques et moraux ?

Cette alternative se posera en dilemme entre des cultures politiques différentes : la France d’une part, les États-Unis et la Belgique d’autre part.

En France, la liberté religieuse n’est pas une institution politique du régime constitutionnel : elle fait tout simplement partie de la liberté d’opinion. Le « contrat social », tel qu’il a été originellement conçu, ne prend pas du tout en compte les corps intermédiaires. D’après l’article III de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. La religion devrait donc se cantonner dans le privé, l’Église n’ayant d’autre statut que celui d’une simple association de fait. Selon cette conception, l’Église n’a pas le droit de se prononcer sur les problèmes éthiques comme instance morale qualifiée et ne peut exercer son influence sur la vie politique, sociale, économique et culturelle. Par réaction à ce qui apparaît comme la non-reconnaissance de la spécificité religieuse, les milieux catholiques ne sont pas préparés à considérer la liberté religieuse d’un point de vue socio-civique et sont tentés d’en hyperthéologiser4 la notion.

La perspective américaine est différente. Ici, la société existe parce que, précisément, elle est constituée de corps dont l’autorité n’émane pas de l’État fédéral. De plus, les antagonismes entre confessions, présents dès le début de la nation américaine, appelaient une structure institutionnelle dialogale. Il fallait donc recourir à un consensus qui reconnaisse à l’homme des droits innés donnés par un Dieu qui en est leur garant. L’État n’est pas ici un commencement absolu : il y a des droits individuels qui précèdent sa fondation et sont inaliénables.

Mutatis mutandis, la Belgique se retrouve dans une situation similaire. Lors de l’indépendance, le régime de la liberté religieuse y a été choisi par le peuple en fonction des clivages qui le traversaient. Dans un pays en majorité catholique, c’est d’ailleurs un roi protestant qui est reçu comme souverain constitutionnel…

Au Concile, l’influence du jésuite américain John Courtney Murray et de l’évêque de Bruges, Emile De Smedt, sera déterminante pour faire comprendre et accepter la conception juridique de la liberté religieuse.

III Dignitatis Humanae

La déclaration conciliaire Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse demande pour chaque être humain l’immunité de toute contrainte extérieure dans la recherche de la vérité. Cette recherche n’en demeure pas moins un devoir intérieur pour la conscience qui se traduit par des conséquences sociales supposant la liberté civile.

Au plan socio-politique, la déclaration conciliaire ne distingue pas tant l’État de l’Église que l’État de la société civile dans laquelle l’Église s’insère. Ni considéré ni présupposé, le souhait d’un État chrétien idéal n’occupe plus l’horizon. Comment s’articulent alors les compétences de l’Église et de l’État ? La fin de la loi humaine et de la loi divine ne se confondent pas : l’une se limite à la viabilité de la société, l’autre à la conduite des âmes vers le salut. On comprend dès lors que le législateur civil ne puisse sanctionner que dans sa sphère stricte de compétence. Il lui revient de condamner ce qui trouble l’ordre public, mais certainement pas ce qui relève des consciences.

La déclaration Dignitatis Humanae marque un très grand progrès dans la compréhension que l’Église a de son rapport au monde. Cette intelligence n’est pourtant pas achevée dans la mesure où elle est limitée au cadre national. Le texte s’en tient au particulier et ne prétend pas concerner d’autres dimensions de l’Église, comme son statut en tant qu’entité « internationale » ou son caractère transcendant. Ces aspects seront systématiquement développés par Jean-Paul II.

IV La liberté religieuse comme fondement des droits de l’homme

Avec Jean-Paul II en effet, une nouvelle réflexion se fait jour, établissant peu à peu une hiérarchie des droits fondamentaux5.

La première rencontre des religions à Assise en 1986 fut l’occasion de rappeler que la nature, l’origine et la destinée commune des personnes font de la conscience et de l’obéissance qui lui est due un élément essentiel sur la route vers un monde meilleur. Les formes et contenus des prières prononcées à Assise sont très différents et ne peuvent être réduits à un commun dénominateur6. Mais le défi de la paix, présent à toutes les consciences, transcende les différences religieuses. Les religions doivent apporter leur aide et soutenir les efforts de dialogue entre les peuples. C’est pourquoi il faut qu’elles s’engagent à un examen de conscience purificateur. C’est l’homme qui mesure ici les figures de la religion. Il est l’acteur et le destinataire de la paix, comme l’exprime très bien la règle d’or : agissez envers les hommes comme vous voudriez qu’ils agissent envers vous (Lc 6,31).

Ce qu’il a esquissé à Assise, Jean-Paul II l’articulera ailleurs en une nouvelle hiérarchie des droits spécifiques. La liberté religieuse devient la mesure des autres droits fondamentaux, une pierre angulaire de l’édifice des droits de l’homme, un élément essentiel de la cohabitation pacifique des hommes7 et la raison d’être des autres libertés8, pour ne pas dire leur base9, avant même la liberté de pensée et de conscience.

Pour comprendre la logique de sa pensée, il faut ici bien voir que le pape ne considère pas les droits de l’homme comme un pouvoir de la personne en soi, mais comme un respect dû par autrui à toute personne singulière, au titre de sa dignité objective. Celle-ci précède toute loi humaine et est inaliénable. Elle est donc le terme d’un certain nombre de devoirs qui reconnaissent ses droits. Est ainsi non seulement supposé mais affirmé un ordre préexistant à tout pouvoir social et s’imposant à ce pouvoir comme à la personne elle-même.

Si le droit des personnes est un dû à leur égard, les personnes ont quant à elles un dû à la communauté : c’est le respect du bien commun. Mais les personnes comme le bien commun ne peuvent transcender la volonté du pouvoir que si on reconnaît à l’un et à l’autre un fondement divin. Car sinon, amputée de sa relation fondamentale à Dieu, la personne n’a plus de droit individuel supérieur à la loi, elle se réduit à ses relations sociales : elle a perdu sa transcendance10.

C’est pourquoi, aux yeux du pape, le droit à la vie occupe le premier rang tandis que le droit à la liberté religieuse, comme fondement des autres droits, lui sert en quelque sorte de « matrice ». Dès l’instant de sa conception, l’enfant se trouve dans un état de dépendance absolue vis-à-vis de sa mère. La première mesure de la dignité de l’homme, la première condition du respect des droits inviolables de la personne humaine, est l’honneur dû à la mère. C’est le culte de la maternité. Nous ne pouvons pas détacher l’homme de son commencement humain11. Le bien commun d’une société réside d’abord dans les enfants qui lui sont donnés et qui constituent son avenir.

Il y a là un renversement de perspective par rapport au texte de la Déclaration des droits de l’homme française de 1789. Ce n’est plus un individu abstrait et autosuffisant qui est sujet du droit, mais bien la femme et l’enfant dans leur condition la plus dépendante. L’être humain est le bien qui fonde tous les autres, il acquiert dès le premier instant de son existence une transcendance par sa relation au Créateur qui y reconnaît son image. C’est dans cette relation à Dieu — dont découle le droit à la liberté religieuse — que l’homme peut ressaisir toute sa vie et le sens des autres libertés fondamentales.

La pensée du pape, on le voit, suppose au principe que la Révélation peut donner un surcroît de dynamisme à la réflexion philosophique tout en préservant le caractère rationnel de celle-ci. Pour Jean-Paul II, l’homme tout entier se « retrouve » en plénitude dans le Christ comme Image de Dieu. Le Christ révèle non seulement Dieu, mais également l’Homme. Dans l’acte rédempteur transparaît toute la valeur de la dignité humaine qui est source des droits de l’homme. Aussi la vérité de l’homme se trouve-t-elle à l’intérieur de la vérité du Christ. Il n’y a pas d’ordre naturel qui ne s’ouvre d’une façon ou d’une autre au surnaturel et à un surnaturel chrétien. Dans cette perspective, le Catéchisme de l’Église Catholique pourra affirmer que l’obligation de chercher la vérité sur Dieu et son Église est d’ordre naturel12.

On touche ici la question du fondement des droits de l’homme : presque tout le monde s’accorde théoriquement à leur reconnaître un caractère universel reposant sur le respect de la dignité humaine13. Mais au plan civil, seule une ouverture à la simple hypothèse d’un fondement transcendant des Droits de l’homme est à même de préserver la démocratie. Elle demeure sinon une affirmation infondée. Pour preuve, la Déclaration des droits de l’homme de 1948, qui fut en très grande partie rédigée par un Juif, René Cassin, fait suite et réagit à l’horreur de la Shoah : on peut y voir comme en filigrane l’image du Juste Souffrant en son Peuple. Que le respect de l’identité juive — elle-même fondée sur une vocation divine — constitue la toile de fond de la Déclaration de 1948, semble donc confirmer dans les faits l’intuition du pape qui pose la liberté religieuse au fondement des droits de l’homme.

V Les devoirs de l’Église envers la société

La fondation théologique du droit à la liberté religieuse dans le Christ ne conduit nullement Jean-Paul II à renier les acquis de Dignitatis Humanae. Au contraire, elle ne fait que les renforcer : la dignité de l’homme pleinement manifestée dans le Christ doit conduire les chrétiens à respecter toujours plus l’homme et sa conscience. L’homme est la route de l’Église.

Pour ce faire, l’Église n’a besoin que de l’espace civil nécessaire pour se mettre au service de tous selon la mission et les enseignements du Christ. L’engagement des chrétiens pour la paix et la félicité commune passe en effet par l’engagement dans les corps intermédiaires de la société civile : famille, école, travail, culture, sport.

Certes, l’Évangile ne peut simplement conduire au bonheur terrestre, qui est destiné indifféremment à tous. Pour autant, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais d’incarnation parfaite du Royaume de Dieu sur terre. Car l’invisible frontière de ce Royaume passe par le cœur de l’homme : Elle ne peut donc être que le secret de Dieu. La religion la plus authentique court le risque d’une perversion et même d’une déchéance lorsqu’elle se mue en idéologie politique ou quand elle devient religion d’État14. C’est pourquoi le pouvoir politique fidèle à lui-même ne pourra que reconnaître son incompétence religieuse en laissant libre la religion. La religion, quant à elle, ne peut attendre du politique autre chose que sa liberté d’action et d’adoration.

Immergée dans la société, l’Église n’a donc pas à chercher quelque forme de pouvoir politique pour développer sa mission. Il lui revient plutôt d’être un germe fécond pour le bien commun en se rendant présente dans les structures sociales. Les aspects cultuels, prophétiques et caritatifs de la mission de l’Église peuvent trouver dans le droit à la liberté religieuse une garantie pour un espace de déploiement suffisant. Ni cadeau, ni concession, mais réalité inaliénable, ce droit est un facteur important pour la cohésion morale d’un peuple et le contrepoison des idéologies.

VI L’Église et la famille humaine universelle

Jusqu’à présent, nous n’avons pas dépassé en pratique le cadre d’une nation particulière où la société civile, qui comprend l’Église, se pose en vis-à-vis de l’État. Il nous faut maintenant réfléchir aux rapports de l’Église avec l’ensemble de l’humanité.

Dans sa configuration catholique, l’idéal évangélique de la fraternité ecclésiale pourrait constituer une référence au moins implicite pour un ordre de justice authentiquement international. Paradoxalement en effet, un ordre de justice ne peut exister réellement que si on veut bien dépasser la simple justice pour instaurer un ordre de l’amour qui renvoie peu ou prou à la charité du Christ se vidant de lui-même pour s’identifier au plus petit. Cette identification du plus fort au plus faible est constituante de la fraternité authentique, qui fait passer de l’état de fait (la domination du plus fort) à la reconnaissance de droit (où se révèle la dignité du plus faible).

En 1995, Jean-Paul II s’est rendu à l’ONU pour, selon sa propre expression, s’adresser à toute la famille des peuples qui vivent sur la terre. Le concept de « famille » évoque immédiatement quelque chose qui va au delà des simples rapports fonctionnels et de la seule convergence d’intérêts. Par sa nature, la famille est une communauté fondée sur la confiance réciproque, le soutien mutuel et le respect sincère. Il ne doit pas s’y trouver de domination par le plus fort, mais un accueil et un service redoublé du plus faible.

En recourant au symbole familial, Jean-Paul II, à la suite de Paul VI, semble être parvenu à dépasser l’aporie moderne d’une fraternité infondée. Issue d’une reconnaissance de droit s’appuyant sur une commune origine naturelle et historique, la relation fraternelle devra, selon la conception chrétienne, prévaloir de manière ultime entre les hommes. Elle est en effet une conséquence de la Paternité divine, de l’Incarnation du Fils et de la Maternité de l’Église, et non une structure analogique qui leur est référée15.

L’emploi de l’allégorie familiale et de la fraternité qui en découle n’est pas anodin. Il vient au contraire lier de manière excellente les deux droits fondamentaux mis en avant par Jean-Paul II : le droit à la liberté religieuse et le droit à la vie. Dans la pensée de l’Église, le droit à la liberté religieuse est la condition de possibilité pour que puisse s’établir librement une alliance entre Dieu et l’homme. Dans la Bible, cette alliance s’exprimera symboliquement sous la forme des Épousailles. Israël et l’Église se trouvent vis-à-vis de Dieu puis du Christ, en situation d’Épouse face à l’Époux.

Par ailleurs, si on peut affirmer que l’Église en ses membres est Épouse, il faut dire aussi qu’elle est Mère pour chacun d’eux en tant qu’elle les engendre à la foi et les constitue, par le baptême, frères dans le Christ et enfants du Père. En tant que Mère, dans le temps qui reste distendu entre les deux avènements du Christ, il revient à la communauté ecclésiale de garder sauf le lien entre la certitude subjective des croyants et la foi objective, qui toujours s’approfondit et remet en question sa propre formulation. Au même titre que tous les hommes en effet, les chrétiens demeurent tenus de continuer à chercher la vérité sur le Christ et son Église.

Le Concile Vatican II prend acte de ce fait lorsqu’il affirme, non sans finesse, que l’unique et véritable Église du Christ subsiste dans l’Église catholique romaine, sans que celle-ci, en ses déterminations historiques et visibles, ait le droit de s’identifier purement et simplement au Corps du Christ16 . La plénitude accordée dans l’Église catholique est un don toujours offert, de fait jamais complètement accueilli. Il n’autorise aucune revendication d’exclusivité du salut, mais incite au contraire les membres de cette Église — fidèles et hiérarchie — à l’humilité et à la repentance pour leur fermeture à la grâce qui déforme le visage du Christ et peut engendrer son rejet par les non-croyants.

Les demandes de pardon de Jean-Paul II sont à cet égard prophétiques et exemplaires. Lors de son voyage en Terre Sainte, en confiant la repentance de l’Église à la prière du Peuple Juif devant le Mur des lamentations, il glissait la supplication de sa communauté dans la grande intercession de ceux qu’elle a si souvent méprisés et rejetés au cours des âges. Par d’autres gestes semblables, les chrétiens devront (ré)apprendre à l’avenir que l’Église n’est pas seulement celle qui donne. Elle est aussi celle qui reçoit. Elle ne peut donner qu’en recevant, tout particulièrement de ceux et de celles qu’elle a fait souffrir par ses comportements anti-évangéliques. C’est vrai avec Israël. Ce l’est aussi, à la lumière de ce lien, du rapport de l’Église avec tous les hommes dans la diversité de leurs cultures et de leur histoire17.

VII Entre vérités et Vérité

Parce que Jésus est l’Image de Dieu, il y a entre son aspect sensible et l’idée qu’il suscite en nous une constante inadéquation qui engendre la tentation propre du croyant : laisser le solipsisme imaginaire et narcissique18 se substituer au symbole19 d’alliance. Pour éviter un tel piège, il y a une conversion paradoxale à effectuer : en affirmant son désir de la vérité, l’esprit doit se subordonner à elle. Ce qu’on veut gagner, il faut ainsi consentir à le perdre. Ce qu’on veut affirmer de soi, il faut le renier dans une adhésion à plus grand que soi. Par le Christ et avec lui, tout désir de plénitude doit s’exprimer en jouissance de dénuement, toute activité se muer en passivité ou, plus exactement encore, en passion. Au lieu de faire de Dieu son objet, c’est au sujet de reconnaître qu’il est l’objet de Dieu. Connaître Dieu, n’est-ce pas d’abord et avant tout être connu de lui ? Il s’agit dès lors bien moins de posséder la vérité que d’être possédé par elle.

Une piste de compréhension nous est ouverte ici par la conjonction de deux aspects complémentaires de l’Église déjà évoqués : sa maternité et sa sponsalité spirituelles. En tant que lieu, milieu et organe de l’engendrement de l’humanité à sa filiation divine, l’Église a une fonction maternelle de mémoire, de transmission et de préservation de la foi. En tant qu’Épouse du Christ toujours à l’écoute de sa Parole, il lui revient d’être prête à faire résonner celle-ci de nouvelles façons en se gardant ouverte et accueillante à la fécondité de l’Esprit. L’Église ne peut être fidèle à ces deux vocations complémentaires qu’en les conjoignant dans une attitude à la fois de fidélité aux dons du passé et de disponibilité patiente aux dons éventuels du futur. Nous touchons ici à un nœud constituant de l’existence chrétienne : la conciliation de la certitude que donne la foi avec la remise en question toujours possible de sa formulation et, par là, de sa représentation subjective et sociale. Il s’agit d’un véritable exercice ascétique qui réitère l’attitude mystique dans laquelle fut donné le consentement marial à l’Incarnation. Il exige une abnégation20 et une disposition au sacrifice qui voient le croyant se tenir prêt aux remises en cause et aux retournements intellectuels et spirituels les plus rudes (dans les instants de conversion) comme à la patience la plus aride et la plus nécessiteuse (dans les moments d’intégration).

Cette démarche prend le contre-pied de toute entreprise rationaliste qui prétendrait s’approprier le Vrai ou la Vie. À la raison humaine qui rêve de se clore pour égaler la Raison divine, est dénié le droit de s’achever. Pour le chrétien et potentiellement pour tout homme, la communion ecclésiale peut être considérée comme l’instance médiatrice qui protège la raison humaine de sa volonté de puissance. Elle permet de dépasser le témoignage des sens pour rester ouvert à une source d’information supérieure : la révélation divine manifestée dans son biotope ecclésial.

La maternité et la sponsalité spirituelles de l’Église constituent ainsi pour ses membres les deux axes, abscisse et ordonnée, de l’avers du droit à la liberté religieuse qu’est le devoir de rechercher la vérité sur Dieu, le Christ et son Église. On ne peut manquer de constater le jeu spéculaire qui se produit ici entre l’ordre surnaturel de la relation à Dieu et l’ordre naturel de la relation humaine telle qu’elle s’accomplit dans le mariage et la famille. L’insistance contemporaine de l’Église pour que soit préservé dans la relation conjugale le lien entre union et procréation — c’est-à-dire entre sponsalité et maternité — n’est pas toujours comprise. Elle semble ne pas donner droit à des difficultés bien réelles de la vie en couple et aller à contre-courant de ce qui s’appelle progrès aujourd’hui. Et certes des problèmes de tous ordres, souvent immédiatement insurmontables, se posent aujourd’hui à bien des couples et les empêchent de se conformer à l’appel de l’Église. Cette complexité structurelle des situations vécues autorise la plupart du temps à minorer largement l’imputabilité des comportements contraceptifs, sans doute même à les excuser pour raison d’impuissance physique21.

De façon typique pourtant, l’enseignement magistériel persiste à demander que tout acte conjugal reste ouvert à la vie22 en vue de préserver le lien indissoluble que Dieu a voulu mettre entre ses deux significations : union et procréation23. Ainsi la relation matrimoniale, expression paradigmatique de l’amour du prochain, se vit de la façon la plus authentique lorsqu’elle manifeste une disponibilité à la refonte éventuelle de ses modalités qu’imposerait la venue nouvelle d’un enfant. Garder cette ouverture envers le possible avènement d’un tiers au sein de la relation duelle la plus intime, laisse à chacun des vis-à-vis la possibilité de se révéler sur l’horizon de l’altérité la plus extrême. C’est là manifester que l’amour ne peut en fin de compte se laisser totalement conditionner par des impératifs d’ordre strictement matériels, psychologiques ou pulsionnels. Les représentations subjectives de l’amour peuvent alors se purifier plus efficacement dans l’incessant passage du désir narcissique d’être aimé vers l’obéissance dans la foi au commandement de l’amour, dont le caractère oblatif vérifie l’authenticité de toute vie spirituelle.

Le parallèle qui vient d’être esquissé montre la pertinence de l’intuition de Jean-Paul II lorsqu’il lie étroitement le droit à la liberté religieuse au droit à la vie : le discours religieux possède toujours des implications sociales et le comportement social induit toujours plus ou moins implicitement une figuration religieuse. Le droit de Dieu à se révéler, celui de l’homme à se voir reconnue la dignité de personne, sont finalement tributaires de la réponse de l’humanité au double commandement de l’amour de Dieu et du prochain. On voit ici combien la liberté religieuse va bien au delà d’une simple liberté dans l’exercice du culte. On constate également que la question de la loi naturelle, un moment délaissée par Dignitatis Humanae pour des raisons essentiellement œcuméniques, peut à nouveau être posée dans une perspective renouvelée, paradoxalement plus théologique que philosophique.

L’adhésion libre dans une alliance d’épousailles avec le Christ et l’acceptation de l’autorité maternelle de la communauté ecclésiale dans une disposition au sacrifice de l’imaginaire : tels sont donc les deux critères de l’authenticité chrétienne. Ils se lient dans le sacrifice du Christ, acte d’amour librement consenti dans la soumission au Père comme aux hommes. Dès lors, pour tout croyant, le sacrifice véritable sera précisément la réitération de cet acte d’amour, toujours eucharistiquement connoté, qui transforme l’arrogance en la soumission gratuite de l’humble service fraternel. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres : faites ceci en mémoire de moi24.

Pareil raisonnement conduit ainsi à vouloir la liberté d’autrui et à faire de son bon vouloir le présupposé de tout dialogue, en acceptant le risque « d’être réduit en esclavage » par sa malveillance éventuelle. Car rien ne garantit aux partenaires d’un dialogue que le vis-à-vis cherchera un commun accord dans la vérité sans vouloir imposer son propre point de vue par la force. C’est pourquoi, sans cette disposition au sacrifice total, à la kénose, sans cette offrande gratuite à qui peut se montrer absent, il n’y a pas d’unité durable dans la relation, humaine comme divine.

Cette disposition abnégatrice fait d’une certaine façon accéder la vérité à un statut surnaturel. Non pas en un sens fidéiste, bien sûr : c’est la cohérence présumée de la vérité, au delà de ses perceptions humaines historiquement éparpillées (ecclésiales y compris), qui peut être objet de foi, d’espérance et d’amour. Si le verbe, en tant qu’organe de la communication, a pour fonction de révéler l’être au delà de la manifestation d’une pensée singulière, alors que peut bien signifier cette parole : le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14) ? L’Incarnation n’est-elle pas le fondement historique du langage, qui lui assure eschatologiquement sens et cohérence ? Par la révélation, le Verbe divin s’est fait parole humaine. Par l’Incarnation, qui révèle sa personne divine en un visage humain, il divinise le langage en rendant celui-ci capable de dire Dieu. C’est ainsi son objet même qui valide la parole chrétienne. Or cet objet est lui-même acte de la parole, mort et résurrection. Mort à soi-même par l’engagement dans cette parole au risque de l’autre. Résurrection grâce à la reconnaissance par un Autre que cette parole est vraie parce qu’elle est un don authentique qui féconde et fructifie. L’essence même de la tradition chrétienne se dévoile à travers la redondance, dans l’extension de l’histoire, du don d’amour accompli intensivement une fois pour toutes par le Christ25. De cette redondance, chaque chrétien peut et doit être une expression personnelle et circonstanciée où se vérifie, s’expérimente et s’approfondit la connaissance du Verbe fait chair.

Pour qui se risque dans cette voie, l’engagement n’est pas des moindres. La foi en la Vérité aura à proclamer que celle-ci est lumière de vie et plénitude du sens. L’espérance de la Vérité attestera qu’elle est promesse de réconciliation pour toutes les scissions de notre humanité. L’amour de la Vérité, enfin, reconnaîtra qu’elle est elle-même amour premier offert, don d’une Bonté inépuisable, toujours en excès de Soi. Le témoignage chrétien manifesterait de la sorte que la Vérité est bien en son fondement une Personne Vivante qui a traversé et vaincu la mort par l’Amour. Parole de l’Origine, cette Personne imprègne de sa divinité le langage des hommes pour le rendre imperméable au mensonge et à la perversion en manifestant les contradictions de ceux qui veulent la nier de quelque manière. Cette Vérité-là, qui est le Christ, s’invite ou, mieux, s’engendre comme un tiers interprétant, immanent au langage et témoin de la véracité ou de la duplicité de tout dialogue humain. De celui-ci elle mesure, par sa simple présence, l’authenticité, la sincérité et la charité. Symétriquement, l’accueil respectueux du prochain dans un amour dénué de tout préjugé constituera le critère de vérification de l’expérience spirituelle qui se dit chrétienne26. On voit comment la doctrine d’Humanae Vitae évoquée plus haut, peut se trouver ici symboliquement suggestive.

VIII La diaconie aujourd’hui

Après ce très long détour, nous pouvons maintenant retrouver la question de la diaconie pour la considérer sous un angle nouveau. Une conviction de foi profonde dans la puissance authentifiante du Verbe rend capable de toutes les audaces pour le service de l’Évangile. Elle donne une empathie susceptible d’accueillir les situations en apparence les plus inextricables ou les plus insensées pour en exprimer la gloire insoupçonnée dans l’échange d’une compassion très humble et très discrète, où chacun reçoit de l’autre à la mesure de son indigence reconnue et acceptée. Comme l’a magnifiquement fait remarquer le Père Timothy Radcliffe, op, pour avoir une autorité convaincante, nous devons partager le chemin des gens, entrer dans leurs peurs, être touchés par leurs déceptions, leurs questions, leurs échecs et leurs doutes. Souvent, nous parlons de personnes : les femmes, les pauvres et les émigrés, les divorcés, celles qui ont eu recours à l’avortement, les détenus, ceux qui souffrent du sida, les homosexuels, les toxicomanes. Mais ce que nous leur disons du Christ n’aura pas d’autorité réelle tant que, d’une certaine manière, nous ne donnerons pas d’autorité à leur expérience, en entrant dans leur maison, en recevant leur hospitalité, en apprenant leur langage, en partageant leur pain, en acceptant ce qu’ils ont à offrir. C’est dangereux, ce sera mal compris, on nous accusera de nous compromettre avec des gens douteux. Mais il y a un bon précédent27. Il faudrait donc passer d’un modèle d’Église où les « marginaux » sont accueillis vers une Église qui se laisse accueillir par ceux-ci et dans laquelle ils pourront finalement participer eux aussi à l’accueil et être considérés comme porteurs d’une parole de vie en raison même de leur expérience de déréliction.

Ce qui vaut pour des situations réputées « marginales » au regard de l’imaginaire ecclésial, vaut pareillement pour toute réalité intellectuelle, existentielle ou spirituelle. L’existence chrétienne et la diaconie de l’Église ont ainsi à prendre pour modèle et pour norme la personne du Verbe Incarné et son abaissement dans l’Histoire. Pour cela, une prise de conscience est nécessaire : la condition même du croyant et son auto-représentation sont tributaires de leur contingence historique et des ambiguïtés qui s’y engendrent. Grâce à Dieu, il est enfin passé le temps où les chrétiens pouvaient prétendre s’arroger le statut d’observateurs omniscients des réalités mondaines. Cette illusion perdure peut-être encore dans certaines volontés de reconquête qui se veulent « évangélisatrices » et dans l’auto-satisfaction suffisante qui imprègne certains discours ecclésiastiques. Mais force est de constater que celle-ci y côtoie de plus en plus souvent un style apotropaïque qui dramatise à souhait le morcellement et la dispersion du sens. Il s’agit là sans doute d’ultimes tentatives pour tenter de préserver une certaine « vision chrétienne » du monde et de la société, certes cohérente, mais opératoirement obsolète28.

Le relativisme culturel contemporain, qui se veut une défense du pluralisme éthique, ne rend plus la société civile spontanément ouverte à des principes clefs de la perception chrétienne tels que la loi morale naturelle, l’ordre public, le bien commun ou la personne humaine. Ce fait massif semble rendre inopérants — indépendamment de leur justesse dans l’absolu — Dignitatis Humanae et les textes magistériels subséquents concernant notre sujet.

Il faut donc s’en convaincre : le déclin et la perte de crédibilité de cette représentation totalisante sont irrémédiables et, ajouterons-nous, justifiés. Puisqu’il vient comme son Maître non pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon (Mt 20,28), ne reviendrait-il pas plutôt au chrétien de se perdre volontairement, sans aucune garantie sensible, ni humaine ni divine, dans les complexités du monde et de l’humanité pour se faire leur esclave ? Il ne lui faudra alors pas craindre, en obéissant à leurs exigences, d’avoir à mourir aux prétentions illusoires d’un savoir absolu pour se laisser justifier par la foi. La rédemption tout entière se trouve en germe dans cette renonciation à soi en attente de se recevoir d’un Autre. Sur le chemin de la vie, cet Autre pourra prendre souvent le visage du frère et de la sœur, amis, indifférents ou même ennemis. Dans cette rencontre, la prise en compte de la différence et du manque ne peut être que radicale, et c’est par là seulement, dans la nuit et l’absence où on accepte d’entrer, que pourra surgir autre chose, la vérité même d’un désir mutuel et d’un amour inimaginables avant, passés par la mort29.

Au terme de ce parcours, nous pouvons mesurer un peu mieux le prix exorbitant des (dés)investissements intellectuels, spirituels et affectifs auxquels il faudra consentir demain pour rendre témoignage à la Vérité. Il faudra quitter les sécurités d’une optique pastorale fondée sur l’efficacité et la planification pour entrer dans une dynamique relationnelle qui ne pourra trouver sa fécondité qu’au risque de la vulnérabilité et de la pure gratuité. Le martyre du troisième millénaire sera peut-être plus spirituel que charnel, il n’en sera pas moins sanglant. Il restera un abaissement, une kénose reposant sur cette seule conviction : l’amour ne trahit pas la vérité, il la sert, car Celui qui est la suprême Vérité ne l’a pas proposée autrement qu’en lavant les pieds de ceux qu’il a créés30.

Notes de bas de page

  • 1 Bruxelles, Licap, 2002.

  • 2 Ce terme désigne ici une doctrine voulant repousser la religion hors de la vie publique et lui déniant toute qualification pour intervenir dans les débats de société. Cette « laïcité » ne se confond évidemment pas avec la neutralité de l’État envers les religions que l’on désigne parfois par l’expression « État laïque ».

  • 3 Celui-ci demandait l’obéissance aux commandements connus par la raison naturelle, mais déclarait inepte toute injonction référée à une autorité divine ou ecclésiastique.

  • 4 Selon l’expression d’Émile Poulat, dans Le Supplément 175 (1990) : « Le grand absent de Dignitatis humanae : l’État », p. 18.

  • 5 Évêque auxiliaire puis archevêque de Cracovie, Jean-Paul II participera activement aux débats sur Dignitatis Humanae, affirmant par ailleurs que cette déclaration… constitue… un texte de référence pour beaucoup d’autres documents (cf. WojtyŁA K., En Esprit et en Vérité, Paris, Centurion, 1980, p. 234, cité par Pottier B., S.J., « Vatican II et Jean-Paul II », dans NRT 107 [1985] 364).

  • 6 Ainsi bien des textes sont communs entre Juifs et Chrétiens : les psaumes par exemple. Mais les médiations par lesquelles s’exerce la prière ne coïncident pas. Ces médiations sont : le Peuple pour le Juif, le Christ (et secondement l’Église) pour le Chrétien.

  • 7 « Message pour la journée de la paix » (1er janvier 1988), dans Doc. Cath. 1953 (85, 1988) 2.

  • 8 « Discours au corps diplomatique » (9 janvier 1988), dans Doc. Cath. 1955 (85, 1988) 142.

  • 9 Cf. « Message aux Nations Unies pour le trentième anniversaire de la déclaration des droits de l’homme », dans Doc. Cath. 1755 (76, 1979) 2.

  • 10 André-Vincent Ph.-I., O.P., Les droits de l’homme dans l’enseignement de Jean-Paul II, Paris, Libr. générale de droit et de jurisprudence, 1983, p. 27.

  • 11 Jean-Paul II, « Homélie à la basilique de Saint-Denis » (31 mai 1980), dans Doc. Cath. 1788 (77, 1980) 571.

  • 12 Catéchisme de l’Église Catholique (CEC), Paris, Mame-Plon, 1992, n° 2104. Ce numéro relie de manière originale les § 1 et 2 de Dignitatis Humanae, dans Concile Vatican II. Constitutions, décrets, déclarations, messages, Paris, Centurion, 1967.

  • 13 C’est pourquoi le droit à la liberté religieuse persiste même en ceux-là qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer (DH 2).

  • 14 Elle tombe alors dans une subtile aliénation dont le courant maurrassien est la parfaite épiphanie : la religion y est révérée comme instrument utile pour maintenir la cohérence d’un ordre social déterminé. Cette subordination du spirituel à une représentation déterminée de la société rejoint étrangement la pensée hobbesienne.

  • 15 Contrairement à la paternité et la maternité charnelles qui, en tant que structure d’autorité, visent leur propre fin.

  • 16 Ce retour à une vision plus mystique de l’Église, après une longue période marquée par un juridisme institutionnel tout compte fait fort mondain, a permis d’ouvrir la porte à l’œcuménisme et de renouer avec la conception patristique d’un salut possible hors des frontières visibles de l’Église.

  • 17 Gervais P., S.J., « La demande de pardon de Jean-Paul II et ses implications théologiques », dans NRT 123 (2001) 10. Ceci, bien sûr, ne légitime en rien l’utilisation de la Shoah comme justification d’une politique d’intolérance ou comme outil de culpabilisation et d’intimidation.

  • 18 Cette forme de l’amour de soi, présente en chacun, peut se traduire par la projection d’un idéal égotiste sur autrui, le monde et / ou Dieu. L’autre n’est alors plus considéré comme un don et une fin en soi mais comme un moyen de s’aimer soi-même : le sujet aime en autrui ce qui — croit-il — lui ressemble ou ce qui lui renvoie — pense-t-il — une image favorable de lui-même. De façon symétrique, il hait inconsciemment tout ce qui est susceptible de dénoncer sa pauvreté spirituelle à ses propres yeux.

  • 19 Que nous entendons ici dans son sens fort d’image ou signe qui introduit ceux qui l’instaurent dans une règle d’échange et de reconnaissance mutuelle d’un ordre supérieur à la simple juxtaposition de leur individualité respective. Le symbole est, en fin de compte, l’unité englobante du langage et du geste, du réel et de l’imaginaire, que suppose implicitement toute rationalité.

  • 20 Entendue comme renoncement à être soi par soi-même, afin de se recevoir d’un autre et être soi autrement.

  • 21 Ces « structures de péchés » (cf. CEC, n° 1869), qui ont pour origine un péché personnel, induisent leurs victimes à commettre un mal à leur tour. Elles sont, analogiquement parlant, un « péché social ».

  • 22 Voir Paul VI, « Encyclique Humanae Vitae sur la régulation des naissances », dans Doc. Cath. 1523 (65, 1968), n° 11.

  • 23 Voir ibid., n° 12.

  • 24 La conjonction de ces deux paroles de Jésus à la Cène, selon le double témoignage johannique (Jn 13,34) et synoptique (Lc 22,19), permet une compréhension cohérente de l’eucharistie comme abaissement du Christ dans le geste (le lavement des pieds) et la chose offerte, livrée (le pain devenu son corps). C’est l’abaissement qui constitue la référence de la comparaison (« comme je vous ai aimés ») d’un côté, et de la désignation (« ceci ») de l’autre.

  • 25 Sur ce sujet, voir Blondel M., Histoire et dogme (1904), dans Œuvres complètes, II, Paris, PUF, 1997, p. 450.

  • 26 On est ainsi amené à reconnaître la pertinence effective des relations familiales comme analogue existentiel de la quête spirituelle de la vérité. Fondamentalement constituées, elles aussi, par un dialogue d’amour entre les conjoints au moyen du langage des corps — dont l’entière véracité est entre autre mesurée par l’ouverture au tiers représenté par l’enfant —, elles peuvent servir véritablement de matrice pour l’avènement d’une société respectueuse de la dignité humaine, tant au niveau local que national et mondial.

  • 27 Intervention lors de l’assemblée spéciale pour l’Europe du synode des Évêques (1999), reprise dans Radcliffe T., Je vous appelle amis, Paris, Cerf, 2000, p. 317-318.

  • 28 De ce point de vue, il est nécessaire de soumettre à révision la qualification « chrétienne » ou « catholique » d’un certain nombre d’institutions éducatives, sociales, médicales ou politiques. Le statut symbolisant de la foi chrétienne permet en effet difficilement de la réduire à un accident des réalités mondaines qui qualifierait celles-ci en les érigeant comme « signes de salut ». La légitime autonomie de ces dernières exige bien plutôt, et d’urgence, l’appropriation et/ou la production de philosophies médiatrices qui soient pleinement rationnelles tout en demeurant ouvertes à une fécondation de surcroît tant par le surnaturel chrétien que par l’altérité mondaine rencontrée. Une voie d’accomplissement parmi d’autres de cette tâche pourrait être le passage de l’institution ou de l’association chrétienne au réseau de chrétiens. Étant bien sûr entendu que la notion de « réseau » se veut ici décidément transversale et privée : il ne reviendrait donc plus tellement à l’Église de s’incarner publiquement de jure en des associations, institutions ou organisations au sein de la société civile, même si des nécessités pratiques et tactiques (mais certainement pas stratégiques) peuvent occasionnellement conduire au noyautage de facto de certaines d’entre elles. Le rejet libéral de la religion dans le domaine privé, si souvent décrié par les chrétiens, n’est, après tout, peut-être pas totalement impertinent…

  • 29 Beirnaert L., S.J., « L’indissolubilité du couple », dans Études (mai 2000) 700.

  • 30 Matura Th., O.F.M., « Pour une spiritualité œcuménique : un dialogue d’amour », dans Vie Consacrée 72/6 (2000) 408.

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