Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

La gratitud, respuesta gratuita a un don gratuito

Pascal Ide

Aunque todo el mundo está de acuerdo en la definición de gratitud – es la respuesta a un beneficio –, dos cuestiones siguen en suspenso, respecto a su acto y a su fundamento. La primera parte resume las diferentes opiniones sobre el acto de la gratitud – toma de conciencia del beneficio, emoción resentida al recibirlo, acto de agradecimiento al que invita este beneficio – sin poder pronunicarse. La segunda parte confronta dos tesis– el reconocimiento es desinteresado (por lo tanto libre), es la satisfacción de una deuda (por tanto obligatorio) – y se pronuncia a favor de la primera tesis, probada por numerosos estudios. La conclusión subraya entonces que, de los tres actos constitutivos de la gratitud, corresponder es el primero ; la esencia de la gratitud se precisa entonces : es la respuesta grauita a un don recibido gratuitamente.

« … la gratitude – mot admirable dont il me semble qu’on a rarement pénétré le sens profond1. »

La scène se déroule dans un restaurant de Philadelphie. Deux amis viennent de déjeuner. Au moment de payer l’addition, la serveuse leur annonce qu’un couple qui vient juste de sortir l’a déjà réglée. Stupéfaction des amis qui, touchés par ce témoignage de générosité, décident de faire de même pour d’autres clients d’une autre table. Lynn Willard, l’une des serveuses, témoigne de cette épidémie de générosité, les larmes aux yeux : « Cela a continué » pendant les cinq heures qui ont suivi. D’ailleurs, non seulement les personnes payaient pour d’autres, mais elles ne s’inquiétaient pas du prix et ajoutaient souvent un généreux pourboire2 !

La gratitude est la réponse à un bienfait. Telle est la définition spontanée, celle qu’évoque l’étymologie du préfixe de re-connaissance, celle que l’on trouve dans les différents dictionnaires et chez les rares philosophes qui se soient intéressés à elle3. Toutefois, cette définition laisse pendantes deux questions concernant son essence4. Tout d’abord, à quoi s’identifie la gratitude : à la prise de conscience du bienfait, à l’émotion éprouvée en le recevant ou à l’acte de remerciement qu’appelle ce bienfait ? Ensuite, la reconnaissance est-elle gratuite ou obligatoire ? Par exemple, si quelqu’un me rend gratuitement service, suis-je en dette à son égard5 ?

I La gratitude, un acte simple ou complexe ?

1 Topique

La gratitude fut successivement considérée dans l’histoire de l’Occident comme un acte (plus précisément une vertu), une émotion et une connaissance6.

Pour faire simple (mais pas simpliste), les auteurs de l’Antiquité et du Moyen-âge en ont fait une vertu, c’est-à-dire une disposition à l’acte. Sénèque écrit que « la bienfaisance relève de la vertu7 » et Cicéron va jusqu’à affirmer que, « de toutes les vertus, la gratitude est la plus grande, la mère de toutes les autres8 ». De même, Saint Thomas – qui « est pratiquement le seul auteur [médiéval] qui ait laissé sur la gratitude un développement un peu abondant9 » – l’identifie à une vertu spéciale, celle par laquelle nous « répondons à la générosité des bienfaiteurs10 ».

Les auteurs modernes introduisent un autre aspect qui, s’il n’était pas absent chez les Anciens11, va devenir de plus en plus prédominant : l’émotion ou le sentiment. « La reconnaissance – écrit Descartes – est (…) une espèce d’amour excitée en nous par quelque action de celui » qui « nous a fait quelque bien12 ». Spinoza renchérit : « La reconnaissance ou gratitude est le désir ou l’élan d’amour par lequel nous nous efforçons de faire du bien à celui qui nous en a fait par un même sentiment d’amour envers nous13 ». Toutefois, les philosophes ne cessent pas d’en faire une vertu ou plutôt un acte. C’est ainsi que Kant allie le double aspect, vertueux et émotionnel, distinguant « la reconnaissance active et la reconnaissance purement affective14 », celle que l’on retrouve dans la sympathie15. Voire, il insiste davantage sur le premier aspect en faisant de la reconnaissance un « devoir ». Quant à l’ingratitude, elle est, chez tous ces auteurs, non pas une émotion, mais un vice, donc le contraire d’une vertu16.

Les auteurs contemporains n’oublient pas les acquis du passé. Par exemple, André Comte-Sponville voit dans la gratitude « la plus agréable des vertus, et le plus vertueux des plaisirs17 », joignant ainsi dimensions active et affective (passive). Mais les philosophes actuels introduisent une troisième dimension en insistant sur la connaissance ou plutôt sur la reconnaissance. Celle-ci est d’abord interprétée comme capacité à découvrir la vérité par soi-même18 avant de désigner une relation, voire le cœur de la relation : l’homme agit pour reconnaître autrui ou être reconnu par lui19. C’est ainsi que, dans son ultime ouvrage, Parcours de la reconnaissance, Paul Ricœur souligne d’abord cette signification cognitive – reconnaître la vérité (premier parcours), me reconnaître (deuxième parcours) et reconnaître l’autre (troisième parcours) –, avant d’en venir, à la toute fin, à la reconnaissance-gratitude20.

2 Détermination

La gratitude apparaît donc, selon les auteurs et les époques, comme une action (voire une vertu), une passion ou une cognition. Comment trancher ? Mais, au fait, pourquoi trancher ?

Lucile a un an et demi. « Elle était assise à table et venait de faire tomber son doudou. Au moment de le lui redonner, elle s’exclama : “Merciiii !”, avec des yeux pétillants de joie et de bienveillance à l’égard du bienfaiteur qui avait ramassé son lapin. Par contraste, dans d’autres situations dans lesquelles elle éprouvait de la joie, elle ne disait pas merci ; par exemple, lorsqu’elle voyait arriver son frère ou l’une de ses sœurs, elle arborait un grand sourire, mais ne remerciait pas pour autant. Elle semblait donc avoir intégré le fait que “merci” exprimait la joie éprouvée lorsqu’on bénéficie d’un geste bienveillant21. »

Lucile pose un acte complet de gratitude : connaissance du bienfait (elle a « intégré le fait que “merci” exprimait la joie éprouvée lorsqu’on bénéficie d’un geste bienveillant ») ; émotion (« yeux pétillants de joie ») ; réponse active (« elle s’exclama : “Merciiii !” »). Repartons de notre définition de la reconnaissance comme réponse de l’homme à un don gratuit. Cette réponse est un acte, parole ou geste : en effet, elle implique une décision (le bénéficiaire peut ne rien dire ni ne rien faire en retour du don reçu). Or, cette réponse suppose que le bénéficiaire sache qu’il a reçu un don. Enfin, recevoir un don ne suffit pas ; il faut encore être touché par ce don. Rébecca Shankland commence ainsi son livre sur la reconnaissance : « La gratitude est une émotion agréable que l’on éprouve lorsqu’on reçoit une aide ou un don d’autrui et qu’il s’agit d’un geste intentionnel et désintéressé22 ». De fait, les études de psychologie non seulement soulignent cette dimension émotionnelle, retrouvant l’intuition des modernes qui identifiaient la gratitude à une passion, mais en font sa définition23. Toutefois, elles la corrèlent toujours, en amont, à la connaissance et, en aval, à l’action24, au point de parler de la gratitude comme d’une « émotion morale »25. « La gratitude – écrit le psychiatre Christophe André – consiste à reconnaître le bien que l’on doit aux autres. Et plus encore à se réjouir de ce que l’on doit, au lieu de chercher à l’oublier26. » Ailleurs, il distingue même adéquatement les trois actes constitutifs :

Au fond, il y a trois démarches dans la gratitude : reconnaître son importance ; s’arrêter un moment pour faire davantage qu’y penser, la laisser se répandre dans son corps, comme une émotion et pas seulement comme une pensée ; puis l’exprimer, bien sûr, à celles et à ceux qui nous ont aimés et aidés. Pensée, émotion, comportement27.

Enfin, si l’acte devient habituel, il engendre une disposition stable qui incline à poser aisément cet acte, ce que la morale appelle une vertu28 : la vertu de gratitude.

La gratitude présente donc trois aspects : cognitif, affectif et actif – voire un quatrième, vertueux. Le troisième aspect peut aussi être qualifié de volitif (car il est un acte de la volonté) ou de conatif (car, provenant du latin conatus, « effort, élan », il souligne l’initiative de la réponse). On peut rapporter les trois premiers aspects aux puissances de l’homme (facultés de connaissance, sens et intelligence ; facultés affectives sensibles, concupiscible et irascible ; faculté affective et active spirituelle, volonté et liberté) ou leur symbole corporel (tête, cœur, mains). Ils peuvent aussi donner lieu à trois définitions de la gratitude selon qu’on la centre sur l’un des trois aspects. Ils sont enfin corrélés de manière particulière à l’une des trois extases du temps : touché maintenant, je re-connais, c’est-à-dire je connais que le don est déjà là, donc est passé (d’où le préfixe de redoublement) et je me dispose à y répondre dans un futur acte de remerciement29.

Enfin, ces trois aspects sont ordonnés et se succèdent. D’abord, tout sentiment se fonde sur une connaissance préalable. Nous ne nous mettrions pas en colère si nous n’étions témoin d’une injustice ; Roméo n’aimerait pas Juliette s’il ne la connaissait pas, au moins très vaguement. Ensuite, notre action se fonde souvent sur une émotion qui la porte. En colère, nous décidons d’intenter un procès ; amoureux, Roméo met tout en œuvre pour revoir sa bien-aimée. Il en est de même pour la gratitude : apprenant par la serveuse l’acte de générosité dont ils sont bénéficiaires, les amis du restaurant de Philadelphie sont touchés et, touchés, agissent en donnant à leur tour, c’est-à-dire en retour. Gageons d’ailleurs qu’ils n’en sont pas restés là et en ont témoigné…

Résumons nos analyses sur la nature de la gratitude dans le tableau suivant :

Aspect cognitif Aspect émotif Aspect actif (voire vertueux) Définition La gratitude est la conscience (re-connaissance) du bienfait La gratitude est le sentiment éprouvé en recevant le bienfait La gratitude est la réponse au bienfait Prévalence selon les époques Époque contemporaine Époque moderne Époque antique et médiévale Les facultés de l’homme Les sens et l’intelligence L’affectivité sensible La volonté libre Le symbole corporel La tête (Head) Le cœur (Heart) La main (Hand) La relation au temps Le passé Le présent L’avenir

Mais comment choisir ? C’est trop de trois définitions de la gratitude. Pour pouvoir répondre à cette question, il faut d’abord en affronter une autre : la reconnaissance est-elle un dû ou un don ?

II La gratitude, un acte gratuit ou obligatoire ?

1 Topique

Là de même, nous rencontrons deux opinions opposées30.

Certains lient la gratitude à une dette. C’est ainsi que Kant fait de la reconnaissance « un devoir » et « pas seulement une maxime de prudence ». En effet, « je suis leur obligé [aux bienfaiteurs] à cause de la bienfaisance dont j’ai été l’objet31 ». Simone Weil dit que « la reconnaissance est d’abord le fait de celui qui secourt, si le secours est pur. Elle n’est due par l’obligé qu’à titre de réciprocité32 ». Si saint Thomas introduit une certaine souplesse dans la reddition de dette, il fait tout de même de la gratitude une vertu annexe à la justice qui consiste à « rendre à chacun selon ce qui lui est dû33 ». Et saint François de Sales s’inscrit dans son sillage : « La gratitude est une vertu par laquelle nous rendons à ceux qui nous ont fait du bien quelque sorte de contre-échange, ou par honneurs, ou par services, ou par des autres réciproques bienfaits34. » Plus proche de nous, Gabriel Marcel lie la gratitude à la dette, cela par le biais de l’honneur :

L’honneur est vraiment lié (…) à la gratitude (…). D’où vient qu’en quelque manière l’ingrat pèche contre l’honneur ? Ne serait-ce pas qu’en quelque façon il trahit, il rompt un certain lien, profitant bassement de ce que son bienfaiteur (…) s’est bien gardé de lui demander rien qui ressemble à une reconnaissance de dette ? Mais justement l’homme d’honneur se sentira d’autant plus obligé que cette reconnaissance de dette n’existe pas ; il considérerait comme une simple vilenie de déclarer n’être tenu par rien, parce qu’on ne lui a rien demandé. Il lui semble que c’est exactement l’inverse qui est vrai. On pourrait donc dire, je crois, qu’une éthique de l’honneur n’est pas seulement une éthique de la fidélité, mais encore une éthique de la gratitude et qu’à la limite cette gratitude affecte un caractère ontologique, car elle porte sur le fait même d’avoir été admis à être, c’est-à-dire au fond d’avoir été créé35.

D’autres auteurs, tout à l’opposé, fondent la gratitude sur la gratuité. Pour Vladimir Jankélévitch, « ma gratitude suit gratuitement et gracieusement (c’est-à-dire librement) votre offrande36 ». Il est d’ailleurs significatif que, dans le même passage, Gabriel Marcel, souligne que la « gratitude affecte un caractère ontologique, car elle porte sur le fait même d’avoir été admis à être, c’est-à-dire au fond d’avoir été créé » ; or, la création est un don : nul ne peut exiger d’exister37.

Qu’en est-il ? La reconnaissance est-elle un acte libre ou nécessaire, un don ou un contre-don ? Ici, contrairement au paragraphe précédent, il faut choisir.

2 Détermination

Affirmons haut et clair que le don du bienfaiteur ne rend pas débiteur38. Il ne peut donc en rien exiger le « merci » de la part du bénéficiaire. D’abord, jusque dans sa sonorité, le terme gratitude évoque la gratuité ; gratitudo vient du latin gratia, qui désigne notamment un don désintéressé : le Président de la République accorde sa grâce. Ensuite, tout le monde s’accorde pour affirmer que le bienfait qui suscite la gratitude n’est pas un dû ; comment la réponse le serait-elle ? Enfin, le sentiment de gratitude est d’autant plus grand et l’élan du remerciement d’autant plus puissant que le bienfait est perçu comme désintéressé. Si quelqu’un vous offre spontanément son aide pour remplacer une roue de secours, vous êtes reconnaissant ; mais, si après son service, vous découvrez que votre sauveur attend que vous lui rendiez la pareille, subitement, votre gratitude s’affaisse, voire s’efface. De nombreuses expériences le confirment. Par exemple, Philip Watkins et son équipe ont proposé à une centaine d’étudiants de mesurer leur degré de gratitude après s’être représenté la situation suivante. Tous s’imaginent demander de l’aide à un ami pour déménager, aide qui, de plus, s’avère être efficace et leur fait économiser beaucoup de temps. Puis, les étudiants sont répartis en trois groupes qui reçoivent une phrase.

1. Le premier reçoit : « En repensant à l’aide apportée par votre ami, vous le connaissez suffisamment bien pour savoir qu’il n’attend rien en retour ».

2. Le deuxième reçoit : « En repensant à l’aide apportée par votre ami, vous vous souvenez que d’autres ont précisé que lorsqu’il aide quelqu’un, il s’attend à ce qu’on le remercie explicitement en général verbalement et à l’écrit sous la forme d’un acte ou d’un petit mot ».

3. Le dernier reçoit : « En repensant à l’aide apportée par votre ami, vous vous souvenez que d’autres ont précisé que lorsqu’il aide quelqu’un, il s’attend à ce qu’on le remercie explicitement en général verbalement et à l’écrit sous la forme d’un acte ou d’un petit mot, et il s’attend aussi à ce qu’on lui rende la pareille. Vous savez d’ailleurs que votre ami déménage samedi prochain ».

Les résultats ont clairement montré que le sentiment de reconnaissance est inversement proportionnel à l’attente de retour39

Toutefois, si le don offert est gratuit, pourquoi le bénéficiaire se sent-il obligé à rendre quelque chose ? Cette obligation de reconnaissance est telle que les philosophes, prêtant leur voix au sens commun, font de l’ingratitude un « vice hautement détestable40 » qui éveille l’indignation. En effet, celui qui a reçu un don se sent fortement poussé à répondre au bienfaiteur, au minimum à le remercier, au maximum à poser un geste comme un cadeau ou une invitation en retour. Mais, une nouvelle fois, comment une telle réponse ne se transformera-t-elle pas en dette ?

Nous répondrons en deux temps qui inviteront chacun à poser une distinction.

L’objection affirme : si la gratitude est nécessaire, elle provient d’un dû ; si je me sens obligé de dire merci ou de rendre l’invitation, c’est que j’ai contracté une dette en acceptant le don. Autrement dit, la difficulté bloque ensemble obligation (à agir) et devoir (imposé par une loi).

C’est confondre deux nécessités ou obligations : extérieure et intérieure. La dette est une obligation extérieure qui m’est imposée, ici par la nature du lien : si le prix affiché de la baguette est d’1,20 €, je dois avancer cette somme pour en acheter une. Mais il y a des obligations intérieures que je m’impose. Or, dans la gratitude, nulle loi ni contrat ne me prescrit de dire « merci » à celui qui ramasse le portefeuille que j’ai étourdiment laissé tomber et nulle contravention ne sanctionnera mon éventuel (et impoli) mutisme. En revanche, c’est du dedans et même du plus intime que le bénéficiaire aspire à remercier. Nous ne nous sentons nullement contraints à répondre au sourire d’un inconnu qui passe par un autre sourire, et pourtant nous sommes appelés, inclinés à le faire. Si quelqu’un nous tient la porte, nous sommes spontanément incités à la tenir à notre tour à celui qui nous suit. Là encore, rien d’obligé, mais nous sommes animés par une énergie bien plus puissante qu’une loi qui nous enjoindrait à rendre la pareille.

Ce que l’expérience commune atteste, des expérimentations le montrent. En voici une parmi beaucoup, qui présente l’intérêt d’être quantifiée. Des chercheurs ont testé un groupe de 57 étudiants. Les épreuves de gratitude sont en général conduites en deux temps, le premier où les candidats reçoivent ou non un don pour lequel ils éprouvent ou non de la gratitude ; le second, dont ils ne soupçonnent pas le lien avec le premier, où l’on mesure leur capacité prosociale. Le premier temps consiste à évaluer, moyennant rémunération (10 dollars), une lettre (fictive) de motivation, prétendument pour étudier les compétences rédactionnelles de l’étudiant qui l’a écrite. Au terme de cette évaluation, un premier groupe est remercié chaleureusement : « J’ai bien reçu vos commentaires, un grand merci ! Je suis vraiment reconnaissant pour ce travail », et un second ne l’est pas. Dans le deuxième temps, le lendemain, les participants des deux groupes reçoivent un message d’un autre étudiant (toujours fictif) demandant lui aussi de l’aide pour sa lettre de motivation, mais de manière désintéressée. Or, 55 % des personnes appartenant au premier groupe (celui qui a été remercié), offrent gratuitement leur aide, contre seulement 25 % des personnes appartenant au second groupe (celui qui n’a pas bénéficié de la reconnaissance). L’article conclut : « Un petit merci peut mener loin41. » Surtout, il montre, chiffres en mains, que la gratitude fait plus que doubler l’altruisme : elle n’en est donc pas un renforcement latéral, mais un moteur central.

L’objecteur ne demeurera pas en reste. Concédons qu’il y ait non pas dette, mais don gratuit. Toutefois, celui qui a reçu, même gratuitement, ne peut pas, sans fauter par ingratitude, ne pas faire retour ; il n’a pas le choix entre répondre et ne pas répondre. Or, est libre celui qui peut choisir une autre voie et contraint celui qui n’a qu’une seule issue. À un carrefour, je peux emprunter telle ou telle sortie ; sur une autoroute, je ne peux que rouler devant moi. Donc, une nouvelle fois, il y a asymétrie : si le don est gratuit, la gratitude ne l’est point.

Implicitement, l’objection oppose deux formes d’action et, au-delà deux espèces d’êtres. Dans la nature, les événements sont déterminés ad unum, à une seule chose : la pomme ne peut pas ne pas tomber sur la Terre, l’électron (qui est une particule négative) ne pas être attiré par le proton (qui est une particule positive) et l’abeille ne pas fabriquer des alvéoles hexagonales42. En revanche, chez l’homme, les actes sont ouverts à une pluralité de possibilités et donc indéterminés : je peux acheter la baguette, mais aussi un pain de campagne et même ne rien acheter. Voilà pourquoi l’on affirme que l’homme est libre.

En fait, cette définition de la liberté comme indétermination, par opposition à la nature comme détermination n’est qu’une première approche, la plus superficielle, de la liberté. On l’appelle liberté d’indifférence ou d’indétermination. Mais existe une autre forme de liberté, beaucoup plus décisive : la liberté d’autodétermination43. Partons d’une expérience. J’ai un appartement où je vis seul ; je suis libre ou non d’y fumer. C’est la liberté d’indétermination. Mais suis-je vraiment libre de fumer ou de ne pas fumer ? Est-ce que je puis décider ou non d’allumer cette cigarette ? Ici gît la liberté d’autodétermination. Laquelle des deux libertés est la plus profonde ? La liberté d’indétermination est tout extérieure. Elle est aussi négative : c’est une absence de lien (immunitas a vinculo) et de contrainte, autrement dit de détermination. C’est la liberté de l’oiseau sur la branche ou du loup de la fable qui préfère courir où il veut et ne pas manger qu’avoir le cou « pelé44 ». La liberté d’autodétermination est intérieure et positive : elle consiste à être source, c’est-à-dire cause, de ses actes45. Dire « l’homme est libre – écrit Karol Wojtyla –, cela signifie que, dans la dynamisation de son propre sujet, il dépend de lui-même46 ». Voilà pourquoi la personne mariée est plus profondément (et, aujourd’hui, paradoxalement) libre que la personne (qui veut rester) célibataire : celle-ci est libre de choisir qui elle veut (liberté d’indétermination), mais ne s’étant décidée pour personne, elle ne peut se donner du fond d’elle-même à personne ; inversement, celle-là est déterminée à son conjoint (donc n’exerce pas la liberté d’indétermination), mais a choisi du dedans de se déterminer à lui (donc exerce la liberté d’autodétermination) ; autrement dit, elle est libre non pas du dehors, mais au plus intime d’elle-même.

Des études en psychologie sociale ont confirmé de manière inattendue cette conclusion philosophique. Dans un passionnant ouvrage, Barry Schwartz montre que les personnes qui laissent ouvertes plusieurs possibilités sont en fait celles qui s’engagent le moins et investissent le moins dans leur choix. Par exemple, « les individus pour qui le mariage est un engagement irréversible seront plus enclins à effectuer le travail psychologique qui les rendra heureux de leur décision que ceux dont la conception conjugale est plus libérale ». Résultat, là encore expérimentalement vérifié : les premiers sont plus heureux que les seconds47.

L’on peut donc être libre tout en étant déterminé à un choix, si cette détermination est une auto-détermination. C’est ce que découvre Mgr François-Xavier Nguyên Van Thuân, évêque auxiliaire de Saïgon incarcéré par les communistes dans des conditions effroyables :

Tandis que je me trouve dans la prison de Phu-Khanh, dans une cellule sans fenêtre, il fait très chaud, je suffoque. Je sens que je perds ma lucidité peu à peu, jusqu’à l’inconscience. (…) Dans le noir j’ai vu un trou au bas du mur : je passe ainsi plus de cent jours par terre, en glissant le nez dans ce trou pour respirer. Quand il pleut, le niveau de l’eau monte et de petits insectes, des grenouilles, des vers de terre et des mille-pattes montent dans ma cellule ; je les laisse entrer, je n’ai plus la force de les faire partir.

Choisir Dieu et non les œuvres de Dieu : Dieu me veut ici et pas ailleurs.

Quand les communistes m’embarquent au fond du navire Hai-Phong avec mille cinq cents autres prisonniers, et que nous sommes déportés vers le nord, en voyant le désespoir, la haine, le désir de vengeance sur les visages des détenus, je partage leur souffrance, mais tout de suite la même voix m’appelle : « Choisir Dieu et non les œuvres de Dieu », et je me dis : « C’est vraiment ici, Seigneur, qu’est ma cathédrale, c’est ici qu’est le peuple de Dieu que tu m’as donné afin que j’en prenne soin. Je dois assurer la présence de Dieu au milieu de mes frères désespérés et malheureux. C’est ta volonté, c’est donc mon choix48 ».

Le futur Cardinal Van Thuân dont le procès de béatification est en cours a découvert qu’il peut être libre dans sa prison, en consentant en profondeur à ce lieu (« Choisir Dieu et non les œuvres de Dieu »), parce qu’il y reconnaît la volonté de Dieu : « Dieu me veut ici et pas ailleurs ».

Ainsi la profondeur de la liberté ne dépend pas de l’extension, c’est-à-dire de l’amplitude des possibilités, mais de l’intension, c’est-à-dire de l’intensité de l’engagement, de la profondeur avec laquelle la personne consent. D’ailleurs, celui qui exerce la liberté d’autodétermination éprouve une joie beaucoup plus grande et durable que celui qui en reste à la seule liberté d’indétermination.

Appliquons ces distinctions à la gratitude. Lorsque nous prenons conscience du bienfait reçu, nous ressentons un élan puissant à donner à notre tour. Mais, pour être puissant, cet élan nous laisse doublement libre. Nous sommes d’abord libre de le suivre (liberté d’indétermination) ; autrement dit, jamais la reconnaissance ne sera un acte nécessaire comme l’est l’expiration qui suit l’inspiration. Elle requiert notre adhésion et notre décision. Ensuite et plus encore, la profondeur de notre initiative, donc de l’engagement de notre cœur dépend de nous (liberté d’autodétermination) : soit nous remercions de manière automatique, superficielle, sans ressentir ni la joie de recevoir ni celle de répondre ; soit nous rendons grâces de tout notre cœur, dans un « oui » reconnaissant à l’image du « oui » par lequel le bienfaiteur nous a béni.

Par conséquent, l’acte de retour qu’est la gratitude, pour être ressenti avec la force d’une nécessité, demeure profondément libre. L’on peut s’aider d’un suggestif doublet de notre riche langue. En français, obligé renvoie à deux mots différents : obligeance et obligation. L’obligation est contraignante, alors que l’obligeance est libre. La première est imposée du dehors et la seconde se propose du dedans. Ainsi, la gratitude nous oblige au sens de l’expression « noblesse oblige », mais non au sens où « la loi oblige » tout citoyen. De même que le bienfaiteur digne de ce nom se doit de ne pas faire peser le don, de même, le bénéficiaire se doit de l’en remercier. Sénèque formulait admirablement ce qu’il appelait le « devoir réciproque » de bienfaisance : « L’un doit oublier à l’instant ce qu’il a donné, l’autre n’oublier jamais ce qu’il a reçu49. »

Ces distinctions ne font pas qu’éclairer l’intelligence, elles guident concrètement l’action : plus je reçois en profondeur le don, plus je ressens la joie d’avoir été gratifié ; plus je suis rempli de gratitude, et moins le don de moi m’épuise, moins il est volontariste ; plus je dirai « oui » à la gratuité du don reçu, plus ma gratitude sera à son tour un « oui » gratuit, plein d’allant et d’élan ; etc.

Ces analyses invitent à interroger le modèle développé par Marcel Mauss. Dans un article fameux paru en 1923-1924, l’anthropologue français montre que les échanges au sein d’un certain nombre de peuples premiers sont structurés à partir d’une triple obligation de donner, de recevoir et de rendre50. Dans son prolongement, un certain nombre de chercheurs actualisent ce modèle alternatif au modèle économique du donnant-donnant, voire de la captation51. Si l’on peut se réjouir de la revalorisation du don, on doit s’inquiéter de son association à la nécessité et à l’intérêt. Or, pour le dire trop brièvement, de multiples études52, dont certaines furent présentées ici, montrent tout au contraire que ces trois moments peuvent s’articuler de manière libre et gratuite : parce qu’un bienfaiteur (qui est ultimement une personne aimante) me donne gratuitement et que je le reçois gratuitement (comme un don gratuit), je le rends (c’est-à-dire je fais retour) dans une gratuite gratitude. Loin d’être un contre-don obligatoire, cette redamatio est un libre don désintéressé du bénéficiaire (qui est ultimement la personne aimée devenue aimante)53.

III La gratitude, un acte intégrateur

Nous sommes désormais à même de conclure en répondant à la question relative à la nature de la gratitude : est-elle cognition, émotion ou action ?

Nous venons de voir que la gratitude réside en son essence dans le retour du don qui surgit du cœur de l’homme ; or, ce retour est une action librement consentie ; donc, la gratitude est un acte, autrement dit relève de la dimension active, conative ou volitive. Certes, cette décision est adossée à la conscience du bienfait reçu (dimension cognitive) et à son retentissement affectif (dimension affective). En ce sens, notre analyse de la reconnaissance se rapproche plus des conceptions antico-médiévales que des conceptions moderne et contemporaine. Pourtant, elle retient une leçon essentielle de ces dernières : si la psychologie insiste tant sur le sentiment de gratitude, c’est sans doute parce qu’elle décrit plus les mécanismes (involontaires) que les dynamismes (les actes de liberté)54 ; c’est aussi parce qu’elle a compris que le sentiment (affectus) se transforme en quelque sorte en action (effectus). Concrètement, c’est parce que je suis touché par le don gratuit que je suis à mon tour poussé à répondre par un don gratuit. Il se dit ici une loi profonde, la pulsation même du don qui est celle de la vie : recevoir pour donner.

La gratitude – qui est la raison fon(damen)tale du passage de la réception vers la donation – enrichit cette loi de manière décisive en montrant que son moteur intime est la gratuité : gratuité reconnue par la mémoire, contemplée par l’intelligence, goûtée par la sensibilité et exercée par la libre volonté, le tout vécu de manière unifiée et harmonieuse dans le cœur.

Une parole du Christ condense cette dynamique de la reconnaissance de manière particulièrement suggestive : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8). Prononcée au centre du discours sur la mission (cf. Mt 10), elle exprime le centre brûlant de la gratitude qu’est cette pulsation d’humble réception et de généreuse donation : plus le cœur reçoit l’amour immérité et bouleversant de Dieu, plus il se sent appelé à le redonner à ses frères dans l’évangélisation et le service (cf. aussi 1 Jn 4,10).

Dès lors, les trois dimensions de la gratitude ne se répartissent pas également comme les trois sommets d’un triangle, mais se distribuent asymétriquement en deux pôles : le pôle de la réception, avec les dimensions cognitive et affective ; le pôle de la donation, avec la dimension active – qui constitue le cœur de la gratitude.

Notes de bas de page

  • 1 G. Marcel, Les hommes contre l’humain, Paris, La Colombe, 1951, p. 191.

  • 2 Cf. D. Johnson, « Mystery Couple Starts “Magical” Chain Reaction », NBC Philadelphia, 14 déc. 2009, <www.nbcphiladelphia.com/new/local>, consulté le 7 sept. 2017.

  • 3 La philosophie – qui est si centrée sur le logos – peine toutefois encore à en faire un terme philosophique à part entière. Les dictionnaires classiques n’ont pas d’entrée à « Gratitude », mais à « Reconnaissance » – non sans résistance (un tiers de colonne dans le Vocabulaire de Lalande ; seulement au sein de l’article « Connaissance » dans le Dictionnaire de la langue philosophique de Foulquié). Le Vocabulaire européen des philosophes (B. Cassin, éd., Dictionnaire des intraduisibles, Paris, Seuil, Dictionnaires Le Robert, 2004) ignore l’occurrence, alors que l’amphibologie du terme aurait largement légitimé sa présence. Si Axel Honneth consacre un article à la « Reconnaissance », dans le Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale (M. Canto-Sperber éd., Paris, P.U.F., 1996, p. 1272-1278), il n’y parle à aucun moment de la gratitude.

  • 4 Je n’explorerai pas le sens du terme réponse : bénéficiant de fines analyses phénoménologiques (cf., entre autres, J.-L. Chrétien, L’appel et la réponse, coll. Philosophie, Paris, Minuit, 1992 ; Répondre. Figures de la réponse et de la responsabilité, coll. Chaire Étienne Gilson, Paris, P.U.F., 2007), il sera pris en son sens courant, plus large que l’acte de parole.

  • 5 Ces différentes réflexions déploient le chapitre 2 de P. Ide, Puissance de la gratitude. Vers la vraie joie, Paris, Emmanuel, 2017.

  • 6 Dans une perspective différente, cf. E.J. Harpham, « Gratitude in the history of ideas », M.E. McCullough, R.A. Emmons (éd.), The Psychology of Gratitude, New York, Oxford University, 2004, p. 19-36 ; Id., « Adam Smith’s lost world of gratitude », B. Ginsberg, G. Mink (éd.), Political Science as Public Philosophy. Essays in honor of Theodore J. Lowi, New York, W.W. Norton & Company, 2010, p. 345-363.

  • 7 Sénèque, Les bienfaits, L. IV, iii, 1, trad. François Préchac, dans Entretiens. Lettres à Lucilius, coll. Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1993, p. 473.

  • 8 Cité par Christopher Peterson et Martin Seligman, Character Strengths and Virtues. A Handbook and Classification, New York, Oxford University Press, 2004, p. 555.

  • 9 R. Saint-Jean, entrée « Gratitude », Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. 6, fascicule 41, 1966, col. 776-781, ici col. 777.

  • 10 Saint Thomas dAquin, ST IIa-IIæ, q. 106, a. 1.

  • 11 Par exemple, saint Thomas distingue, dans la gratitude, l’« affectus » et le « donum », c’est-à-dire l’action (cf. Ibid., a. 4, c.).

  • 12 R. Descartes, Les passions de l’âme, art. 193, Œuvres et lettres, éd. A. Bridoux, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1953, p. 786.

  • 13 Baruch de Spinoza, Éthique, L. III. Définition des sentiments, 34, éd. et trad. R. Caillois et al., coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1954, p. 481.

  • 14 E. Kant, Métaphysique des mœurs. Deuxième partie. Premiers principes métaphysiques de la doctrine de la vertu, § 32, trad. J. et O. Masson, Œuvres philosophiques. III. Les derniers écrits, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1986, p. 749. Souligné dans le texte.

  • 15 Cf. Ibid., § 34, p. 751-752.

  • 16 Cf. R. Descartes, Les passions de l’âme, art. 194, p. 786-787 ; Spinoza, Éthique, L. IV, Prop. 71, scolie, p. 551 ; E. Kant, Doctrine de la vertu, § 36, p. 753-755.

  • 17 A. Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, coll. Perspectives critiques, Paris, P.U.F., 1995, chap. 10, p. 176.

  • 18 René Descartes parle de « recevoir en ma créance » (cf. l’analyse qu’en donne P. Ricœur, Parcours de la reconnaissance, p. 51-62. Cf., plus généralement, toute la première partie de l’ouvrage).

  • 19 Cette approche, partiellement cognitive, s’enracine dans la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave ou, plus précisément, de maîtrise et de servitude (cf. l’étude de G. Fessard, De l’actualité historique, Paris, DDB, 1960, 2 vol., t. 1, p. 121-209).

  • 20 Cf. P. Ricœur, Parcours de la reconnaissance. Trois parcours, coll. Les essais, Paris, Stock, 2004, p. 319-355. Précisément, il ne dédie à la gratitude que 4 pages sur 387 (p. 351-354 et une allusion finale p. 377), soit un peu plus de 1 % !

  • 21 R. Shankland, Les pouvoirs de la gratitude, coll. Les carnets de vie, Paris, Odile Jacob, 2016, p. 58.

  • 22 Ibid., p. 21.

  • 23 Bien qu’il y ait des points communs entre la gratitude et les autres sentiments « positifs » (que je préfère qualifier d’agréables, afin de ne pas les connoter moralement), elle présente des traits propres, notamment vis-à-vis du bonheur (cf. B. Weiner, « An attributional theory of achievement motivation and emotion », Psychological Review 92, 1985/4, p. 548-573).

  • 24 Cf., par exemple, M. McCullough, R.A. Emmons, J.-A. Tsang, « The grateful disposition: A conceptual and empirical topography », Journal of Personality and Social Psychology 82/1 (2002), p. 112-127, ici p. 112-113.

  • 25 Cf. l’article-clé de M. McCullough, S.D. Kilpatrick, R.A. Emmons, D.B. Larson, « Is gratitude a moral affect? », Psychological Bulletin 12 (2001/2), p. 249-266.

  • 26 C. André, Imparfaits, libres et heureux. Pratiques de l’estime de soi, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 309.

  • 27 Id., Méditer, jour après jour. 25 leçons pour vivre en pleine conscience, Paris, L’Iconoclaste, 2011, p. 272-273.

  • 28 Cf. P. Ide, Construire sa personnalité, Paris, Le Sarment-Fayard, 1991, chap. 1 ; « L’éducation aux vertus », Éducation et nouvelle évangélisation, colloque de Rome, 31 jan. au 2 fév. 2014, Paris, Emmanuel, 2015, p. 65-118.

  • 29 D’ailleurs, la nuance entre les mots (qui ne sont jamais absolument synonymes, donc interchangeables) de reconnaissance et de gratitude confirme la répartition entre un pôle plus cognitif et un pôle plus affectif-actif (la volonté étant un affectus spiritualis) : « La gratitude est une disposition morale ou affective. Elle est le souvenir du cœur, tandis que la reconnaissance est le souvenir de l’action, c’est-à-dire qu’elle s’exprime dans la conduite. La gratitude se manifeste dans des sentiments qui sont par nature toujours subjectifs. La reconnaissance s’épanouit dans des témoignages qui se veulent objectifs » (R. Saint-Jean, entrée « Gratitude », col. 776-777).

  • 30 Les psychologues sont aussi partagés sur ce point, entre ceux qui parlent d’une dette de gratitude – cf., par exemple, M.A. Mathews, N.J Shook, « Promoting or preventing thanks: Regulatory focus and its effect on gratitude and indebtedness », Journal of Research in Personality 47 (2013/3), p. 191-195 ; l’article de P.C. Watkins cité plus bas – et ceux qui soulignent son désintéressement – cf., par exemple, J-A. Tsang, « Gratitude and prosocial behaviour: An experimental test of gratitude », Cognition & Emotion 20 (2006/1), p. 138-148.

  • 31 E. Kant, Doctrine de la vertu, § 32, p. 749.

  • 32 La pesanteur et la grâce, coll. Agora, Paris, Plon, 1988, p. 81. Souligné par moi. On sait que l’ouvrage fut composé par Gustave Thibon et non par Simone Weil.

  • 33 Thomas dAquin, ST IIa-IIae, q. 58, a. 1. Renvoie notamment à Justinien, Digeste, L. I, tit. 1, leg. 10 : « Iustitia est » (Krueger, I, 29b) ; Instit., L. I, tit. 1, leg. 1, « Iustitia est » (Krueger, I, 1a).

  • 34 S. François de Sales, Œuvres complètes, Visitation d’Annecy éd., Annecy - Lyon - Paris, Niérat - Vitte, 27 volumes, t. 26, 1932, p. 70.

  • 35 G. Marcel, Les hommes contre l’humain, p. 191-192.

  • 36 V. Jankélévitch, Traité des vertus. 2. Les vertus et l’amour, chap. 12, VII : « De la Gratitude à la gratuité », coll. Études supérieures 12, Paris, Bordas, 1970, p. 914.

  • 37 Cf. la méditation de M. Steffens, Petit traité de la joie. Consentir à la vie, coll. Forum, Paris, Salvator, 2011.

  • 38 Je redis, sous un autre point de vue, mon désaccord avec la trop grande place accordée à la dette par N. Sarthou-Lajus dans L’Éthique de la dette, Paris, P.U.F. 1997) : cf. P. Ide, « Une éthique de l’homme comme être-de-don », Liberté politique. Sortir de l’école unique, 5 (1998), p. 29-48 ; « Une anthropologie de la dette », Liberté politique. Le retour du travail, 7 (hiver 1998-1999), p. 145-148.

  • 39 Cf. P.C. Watkins, J. Scheer, M. Ovnicek, R. Kolts, « The debt of gratitude. Dissociating gratitude and indebtedness », Cognition and Emotion 20 (2006/2), p. 217-241.

  • 40 E. Kant, Doctrine de la vertu, § 36, p. 754.

  • 41 A.M. Grant, F. Gino, « A little thanks goes a long way. Explaining why gratitude expressions motivate prosocial behaviour », Journal of Personality and Social Psychology 98 (2010/6), p. 946-955.

  • 42 Il faudrait introduire des nuances, puisque les phénomènes naturels sont aussi contingents. Mais même les phénomènes dit chaotiques sont soumis aux lois du chaos justement qualifié de déterministe (cf., par exemple, C. Letellier, Le chaos dans la nature, Paris, Vuibert, 2006).

  • 43 Cette distinction recouvre pour une part (seulement) la distinction entre liberté d’indifférence et liberté de qualité opérée par Thomas-Servais Pinckaers, Les sources de la morale chrétienne. Sa méthode, son contenu, son histoire, coll. Études d’éthique chrétienne, Paris - Fribourg, Cerf - éd. universitaires, 19902, chap. 14 et 15 ; cf. La morale catholique, coll. Bref, Paris, Cerf, 1991, p. 74-80. Cf. les tableaux récapitulatifs : Les sources de la morale chrétienne, p. 380 ; La morale catholique, p. 81.

  • 44 J. de La Fontaine, « Le chien et le loup », Fables, Livre I, 5.

  • 45 « Est libre, ce qui est cause pour soi », dit Aristote (Métaphysique, A 2, 982 b 26). Bénéficiant des rapprochements entre liberté et « causa sui » opérés par Némésius et Jean Damascène, s. Albert le Grand et s. Thomas d’Aquin à sa suite définissent la liberté comme « causa sui, cause de soi ». Pour les différentes références, cf. Jean-Marc Goglin, « Une définition “positive” de la liberté humaine chez Thomas d’Aquin. Remise en cause des lectures d’Odon Lottin et de Bernard Lonergan », 2013. Disponible sur <https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00839302/document>, consulté le 12 mai 2017.

  • 46 K. Wojtyla, Personne et acte, texte définitif établi par A.-T. Tymieniecka, trad. G. Jarczyk, Paris, Le Centurion, 1983, p. 142. Cf. p. 137-142.

  • 47 B. Schwartz, Le paradoxe du choix. Et si la culture de l’abondance nous éloignait du bonheur ?, trad. I.-S. Lecorné, Paris, Michel Lafon, 2006, rééd. poche, Paris, Marabout Société, 2009, p. 157. Cf. p. 155-157.

  • 48 F. -X. Nguyên Van Thuân, J’ai suivi Jésus. Un évêque témoigne, Paris, Médiaspaul, 1997, p. 22-23.

  • 49 Sénèque, Les bienfaits, L. II, x, 4, p. 426. Cf. Id., Lettres à Lucilius, L. X, Lettre 81, p. 835-842.

  • 50 Cf. M. Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », dans Sociologie et anthropologie, Paris, P.U.F., 1950, rééd. en coll. « Quadrige », p. 145-279, réédité isolément avec un sous-titre qui substitue « primitives » à « archaïques », introd. F. Weber, Paris, P.U.F., 2007.

  • 51 Tel est le cas du M.A.U.S.S. (Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales) qui, depuis 1981, édite la revue interdisciplinaire éponyme. Cf. leur site <http://www.revuedumauss.com.fr/>, consulté le 7 sept. 2017.

  • 52 Cf. la bibliographie dans G.B. Valero, Psicología de la Gratitud. Integración de la Psicología Positiva y Humanista, La Laguna (Tenerife), Sociedad Latina de Comunicación Social, 2014, p. 135-168 : <http://www.cuadernosartesanos.org/Psicologia/2015/cdp01.pdf>, consulté le 7 sept. 2017.

  • 53 À cette première critique, l’on peut joindre une autre portant sur le nombre des moments constitutifs de la dynamique du don (cf. P. Ide et al., Recevoir pour donner, Paris, Nouvelle Cité, 2021).

  • 54 Sur la différence entre mécanisme et dynamisme, cf. P. Ide, Mieux se connaître pour mieux s’aimer, Paris, Fayard, 1998, 1re et 2e parties. Par ailleurs, la différence entre l’approche psychologique et l’approche plus éthique qui est la nôtre recouvre en partie la distinction thomiste entre « acte de l’homme (actus hominis) » et « acte humain (actus humanus) » (cf. ST Ia-IIæ, q. 1, a. 1).

newsletter


the review


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80