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La révélation chrétienne suscite la philosophie: l'ontodologie de Claude Bruaire

Paul Favraux s.j.
La révélation chrétienne a toujours suscité la philosophie: en leur temps, la philosophie de l'acte d'être selon saint Thomas, celle de la créature inachevée et parfaite par Dieu selon Blondel; plus récemment celle de Claude Bruaire. La méditation du Dieu-Trinité suscite chez cet auteur une métaphysique spéculative qui renouvelle la conception de la vie intime de Dieu et remodèle ses attributs d'infini, de créateur, d'éternel, ainsi qu'une ontologie de l'être humain comme être d'esprit et de don. Nouveau perfectionnement de la philosophia perennis.

Claude Bruaire, mort en 1986 à l’âge de 54 ans, nous a quittés trop tôt. Philosophe chrétien, spéculatif puissant, il a cependant laissé une œuvre achevée : son dernier ouvrage, L’être et l’esprit1, est comme son testament philosophique. Partie de la logique de l’existence humaine, sa pensée s’achève par une métaphysique qui, pour s’inscrire dans la ligne de la philosophia perennis, renouvelle profondément celle-ci en une ontodologie ou ontologie du don, promise selon nous à un bel avenir. Nous voulons dans cet article tracer les lignes de force de cette philosophie, en nous concentrant sur Le droit de Dieu2 et L’être et l’esprit. Signalons au passage les influences reconnues par Bruaire : celles de M. Blondel et de G. Fessard, la méditation de l’idéalisme allemand : Hegel et Schelling.

I Le droit du concept : réfutation de Kant

Telle est la première ligne de force de sa philosophie. Si Louis Lavelle a pu caractériser le véritable philosophe comme celui qui croit à la réalité d’une idée, Bruaire vérifie au plus haut point cette définition : comme nul autre, il a mis en valeur la force du concept.

Ouvrons Le droit de Dieu au chapitre III de la Deuxième Partie (DD 78-86). Bruaire, après avoir montré la dérive de la philosophie moderne — du Dieu interdit (de parole) à son exclusion (athéisme) jusqu’à la mort de l’homme —, nous invite à rouvrir le procès de Dieu. Notre auteur affronte ici la pensée de Kant et sa fameuse réfutation de la preuve ontologique3. « Qu’on le veuille ou non, Kant inaugure la manière habituelle de juger aujourd’hui… Il est vrai que cette preuve se veut la preuve des autres preuves, que tout ce qu’on peut dire sur le Dieu nécessaire est suspendu à la capacité de dire quelque chose de réel, de vrai, à partir d’idées fragiles, à distance de la physique, de la biologie, de la psychologie, de la sociologie » (DD 81). Mais Bruaire poursuit : « Nous avons toujours les mêmes manières de penser, des ‘catégories’ de notre entendement. Certes. Qui, par exemple, peut penser sans la catégorie de cause ?… Incontestablement, la physique en use, à sa manière. Le propos de Kant, c’est d’affirmer que cet usage est le seul légitime. Accordons-lui que, par exemple, le sien, ‘cause’ signifie, en physique newtonienne pour un emploi opératoire déterminé, ce qui précède, dans le cours du temps. Qui ne voit que ce sens réduit, acclimaté à des tâches expérimentales… n’est qu’un sens détourné, adapté ? Car le sens n’est pas libre… Ainsi, ‘cause’, qu’on le veuille ou non, signifie la puissance qui fait venir à l’être et explique son effet. Sens dont on ne se détourne qu’en récusant, comme disait Hegel, la ‘nécessité du concept’ » (DD 81). Toute la réfutation de Bruaire prendra ici son point de départ : « Ce n’est donc pas le fait de la science qui stérilise le discours sur Dieu, mais la révocation du sens… En réalité, c’est en niant la capacité de vérité de la pensée, le pouvoir ontologique du langage conceptuel… que Kant et tous ses épigones ont nié le droit de la philosophie, l’ont privée de toute certitude possible… Si bien que la ‘réfutation’ de la preuve ontologique est la véritable clé d’interprétation de toute la Critique » (DD 82).

Mais pourquoi cette « révocation du sens » et cette philosophie « récusant ‘la nécessité du concept’ » ? — Par présupposé d’adhésion à « une métaphysique précise. Celle-ci consiste simplement à révoquer toute pensée, tout langage invérifiable expérimentalement, ou irréductible à ses propres abstractions formelles. Ce qui veut dire qu’on refuse au langage d’avoir un contenu, un sens, et une capacité de vérité, à moins qu’il ne soit conditionné, relatif à l’expérience, mesuré par les choses. Pourquoi ces interdits, ces refus, sinon parce qu’on présuppose que l’absolu, l’inconditionné, est inaccessible au discours rationnel ? » (DD 81-82). « Métaphysique précise », qui est finalement métaphysique du refus que l’absolu soit intelligible : « Toute philosophie importante se décide là, dans ce qu’elle met au principe, dans ce qu’elle admet de l’absolu » (DD 82).

Même réfutation de Kant dans L’être et l’esprit. « Si, en effet, on ne peut conclure de l’Absolu, en son concept, à l’être, c’est qu’il n’est pas d’intelligibilité de l’intelligence, ou que de l’absolu aucune conception positive n’est possible. C’est pourquoi il n’est pas, sinon par illusion, par confusion des règles transcendantales et de concept du transcendant, de connaissance nouménologique… Pour Kant, il ne saurait y avoir connaissance du noumène, sinon négative comme évocation de l’inconnaissable. La raison qui en est inlassablement répétée est que nous ne pouvons en avoir d’intuition puisqu’il n’y a qu’intuition sensible. Ce qui est pure pétition de principe. En effet, qu’il n’y ait pas d’intuition intellectuelle possible signifie très exactement que l’idée de ce qui est irrélatif à la nature, à notre sensibilité, à notre corps, n’offre pas de sens intelligible à l’intelligence, et donc qu’il n’y a pas de concept pur de l’esprit, pas l’idée de l’absolu de l’esprit » (EE 92-93).

Même réfutation de Kant… sinon que notre auteur précise ici la négation de l’absolu comme négation de sa réalité d’esprit : « Cependant, si la philosophie kantienne devait être évoquée, c’est seulement parce qu’elle illustre à merveille l’impossibilité d’une médiation spéculative pour qui refuse que l’absolu soit esprit. L’absolu n’est intelligible que s’il est exprimable, que s’il se donne à penser. Mais il n’est pas donné à penser si, en soi, on le déclare sans expression de lui-même. L’absolu impensable est tel faute de pouvoir être sa propre expression, sa propre manifestation. Pur négatif, privé d’expression, d’expansion, de positivité effusive, l’absolu est privé de vie, exempt de rythme spirituel… Pas d’être d’esprit, pas d’être intelligible, pas de concept de l’absolu, du divin » (EE 93-94). L’exclusion de la métaphysique, sur l’exemple de l’impossibilité déclarée de la preuve de Dieu, de façon paradigmatique dans le refus de la preuve ontologique… s’appuie en fait sur la présupposition indue d’une métaphysique négative, c’est-à-dire négatrice que Dieu soit esprit.

II La preuve ontologique de l’existence de Dieu

Nous le savons maintenant, « la médiation spéculative ne s’appuie pas ici sur une intuition intellectuelle sans concept, mais sur l’intuition intellectuelle du concept pur de l’esprit… » (EE 94). Accomplissons-la avec Bruaire, dans Le droit de Dieu d’abord, dans L’être et l’esprit ensuite.

La mise de Dieu hors discours, prononcée par « le jugement du monde » (DD, Première Partie, 7-56), s’appuyait finalement sur deux propositions : « toute connaissance… suppose nécessairement un être déterminé en quelque manière… ; l’absolu est, par nécessité de sa claire définition, privé de toute détermination » (DD 62). La première proposition ne valait qu’appliquée aux choses, où détermination signifie particularité ; l’absolu serait-il déclaré sujet, que cela ne changerait rien, car « il faut, de nouveau, que le sujet se distingue d’autres sujets, d’autres choses » (DD 63). Mais une autre acception de « détermination » se présente, empruntée à un autre registre que la connaissance : la liberté comme autodétermination (autre forme de « détermination ») : « si l’absolu est liberté, faut-il toujours conclure qu’il n’est rien, aucun être déterminé, exprimable, connaissable ? » (DD 64). Certes, la liberté humaine est incapable, en première instance, d’une telle « autodétermination » absolue : elle ne peut préserver son indépendance qu’au prix d’un isolement insulaire — et suicidaire ; voulût-elle se déterminer effectivement, elle devrait se commettre avec, dans le monde —, où elle se perdrait nécessairement. Mais « rien n’empêche de concevoir une détermination de soi par soi, sans un donné, sans préalable, sans appui, sans condition. Sans doute nous ne pouvons pas nous la représenter… Mais que prétendait défendre le tribunal du sens ? Une représentation ou le plein droit de l’idée de Dieu ? Le possible certes, mais tout le possible… voilà ce qu’il nous faut. Pas le possible selon nous, mesuré à notre aune, enfermé dans nos images » (DD 65). Et ici « le travail de conception » (DD 71) lève l’obstacle. On peut penser une autodétermination absolue, « à condition de faire rigoureusement correspondre l’effet d’un acte avec son principe, son commencement, de comprendre… que ce qui est posé est, identiquement, ce qui est présupposé… Nous sommes ainsi conduits à penser l’absolue liberté comme une parfaite Réflexion constitutive d’elle-même, n’empruntant rien au dehors, se donnant sa propre nature qu’elle suppose pour s’exercer… Il lui faudrait, pour y parvenir, créer son propre donné dans le même acte qui en part. Alors, certes, elle serait divine, affranchie de tout, créatrice de son propre contenu, selon un échange vivant de soi à soi où serait absolue la Liberté » (DD 73).

Une difficulté demeure sans doute : « Penser que Dieu existe, et qu’il existe en fait, en réalité, en vérité, sont deux choses bien différentes » (DD 83). Bruaire enchaîne immédiatement : « Certes, mais n’oublions pas ce que penser veut dire ici » (DD 83). S’agissant de la condition de l’homme, « si nous nions la liberté, son existence, c’est parce que nous la réduisons soit à son aspect négatif, bien isolé, soit à son aspect positif, bien isolé lui aussi » (DD 84). « Mais… nous pouvons clairement penser l’unité des deux, si nous nous astreignons à penser la liberté absolue… Mais la liberté, absolument parlant, identité réussie de la toute indépendance, de l’inconditionné, et de l’acte d’auto-affirmation, qui convertit le négatif de l’indépendance en détermination positive de soi, transgresse la simple idée, de tout son droit illimité d’exister » (DD 84). Bruaire poursuit : « Il est formellement certain qu’on ne peut penser l’absolue liberté et son impuissance d’exister… Il faut ici penser ensemble l’idée et la réalité, ou ne rien penser. Mais il y a autre chose : pour tout homme qui se décide ici à concevoir sans préjugé, affirmer l’être de Dieu, l’existence de la Liberté absolue, est une exigence qui transit notre langage, notre parole. Quelle exigence ? Celle de faire droit sans réserve, sans les réserves de notre condition, à ce que nous désirons pour nous, et que nous ne pouvons pas, à ce que nous demandons de l’Autre » (DD 84-85). C’est que le travail de conception entrepris n’était pas tout gratuit ou futile, mais animé par le désir ou l’exigence de sauver notre liberté contre son asservissement (selon la dérive de la pensée moderne : Première Partie, DD 7-56). « C’est donc une même chose de récuser notre désir et de nier l’existence de Dieu… Car nous attendons libération d’un Libérateur. C’est-à-dire de l’absolue liberté » (DD 85)4.

Nous trouvons un raisonnement semblable dans L’être et l’esprit, dans le passage de l’idée à l’être, s’agissant de l’esprit absolu. « La toute différence entre le passage du concept à l’être de l’esprit humain et la médiation spéculative de la preuve ontologique est dès lors irréductible à une voie d’éminence. Car si la médiation phénoménologique — l’archipel des manifestations — est indispensable dans le premier cas, elle est interdite dans le second où la pensée spéculative n’a pas l’appui d’une expérience de l’être spirituel et accomplit sa demande dans le passage du possible au nécessaire. Mais le possible, ici, dans le cas unique, exclusif, de l’absolu de l’esprit, irréductible à la vie naturelle… est l’esprit qui n’est qu’esprit en la plénitude de son sens nécessaire. C’est pourquoi il ne recèle ni contingence… ni problématique de présence ou d’existence de fait » (EE 94). Et de la même façon, nous retrouvons ici le désir humain, plus précisément, l’alliance de la pensée et du désir : « … c’est de l’alliance de la pensée et du désir, de l’irrécusable exigence du savoir absolu de l’esprit, de sa perfection idéale, que la pensée spéculative, en réflexion sur elle-même, conclut à l’être de l’absolu, être au fondement nécessaire du désir insatiable de lumière, quand il s’avère que nous ne sommes pas et ne pouvons être au principe de cette alliance en notre esprit » (EE 95).

III Suscitations chrétiennes de la philosophie : la Liberté absolue et l’Esprit absolu

Nous tirons la première partie de ce titre d’un autre ouvrage de Bruaire, Pour la métaphysique5. L’auteur y note à propos de l’argument ontologique : celui-ci a pris naissance dans le voisinage de la pensée du christianisme. Et pour cause : le christianisme est la religion d’un Dieu qui adresse sa Parole à l’homme, et qui d’abord se dit lui-même en son Verbe. Religion prétendant en même temps à l’universel, il ne faut pas s’étonner qu’elle rencontre en même temps cette autre instance de la pensée qui se veut universelle : la philosophie. Voilà peut-être pourquoi la théologie a pris très tôt parti pour la philosophie grecque6. De plus, Bruaire s’inspire volontiers de Hegel et Schelling, qui n’ont pas hésité à philosopher à partir de certains thèmes de la dogmatique chrétienne. La révélation chrétienne peut être source d’inspiration, mieux : de spéculation philosophique. En ce sens, une philosophie chrétienne est possible. Distinguons immédiatement deux « moments » de celle-ci.

Il est une première philosophie chrétienne, celle de l’Avant — avant l’acte de foi et préparatoire de cet acte : exemplairement la philosophie de L’Action (1893) de Blondel. Mais il est aussi une philosophie de l’Après : étant donné la vérité du christianisme, celle-ci n’est-elle pas source d’authentique et autonome philosophie ? Ainsi, selon Bruaire, dans L’être et l’esprit, « le labeur théologique n’est fructueux que s’il est ouvert à l’élaboration purement philosophique sans laquelle aucune proposition dogmatique ne saurait être reconnue, éprouvée, pensée » (EE 111). Plus encore, il est une part de la théologie qui recouvre très exactement la philosophie : il y a « une exigence suscitée par la fidélité théologique créatrice, qui libère et illimite l’interrogation purement philosophique » (EE 110) et, « en cette exigence spéculative, philosophe pur est le théologien » (EE 110). C’est ce qui est pratiqué aussi bien dans Le droit de Dieu que dans L’être et l’esprit. Particulièrement dans la méditation de l’Absolu : de la Liberté absolue, comme de l’Esprit absolu. La philosophie ne perd rien, et gagne beaucoup, à intégrer à sa manière propre le donné de la révélation chrétienne, en particulier le dogme trinitaire. Non pas à la manière, possiblement suspecte, de ce que nous nommerions sans doute « philosophie de la religion », toujours en danger de subordonner la philosophie à la théologie ou l’inverse (cf. PM 140), mais en donnant à penser, ou même de penser à la philosophie, selon sa méthode et ses voies propres. Ainsi la révélation du Dieu-Père, principe sans principe, comme celle du Verbe divin et du Verbe comme engendré ; ainsi encore celle de la procession de l’Esprit Saint.

L’argument ontologique était solidaire de l’affirmation de l’absolu comme intelligible. L’affirmation chrétienne dit plus encore : Dieu intelligible se pense et se dit en son Verbe ; et ce Verbe se restitue tout entier à son Origine. La Liberté absolue, conçue puis affirmée, doit encore être explicitée philosophiquement. Bruaire a évoqué, dans Le droit de Dieu, l’autodétermination de cette Liberté absolue. Ainsi poursuit-il : « Dire qu’on fait ce qu’on est, qu’on se donne, absolument, sa propre nature, qu’on invente son essence, c’est dire deux autres implications du même propos. D’une part, un tel acte auto-créateur ne peut être à demi, en partie. Il ne peut y avoir une retenue de soi, un reste, une puissance qui ne passerait pas à l’acte, une réserve inemployée… Il en résulte que ce qui est posé, institué, créé7, à l’Origine absolue, par l’immémoriale Décision dont jaillit l’être-à-soi de la Liberté, doit contenir, présenter, exposer, tout son Principe, toute sa Cause… Mais, d’autre part, la toute liberté se perdrait, s’aliénerait dans son Fruit, qui serait alors une Nature étrangère, extérieure, athée, si celle-ci n’était aussitôt restituée, ralliée, réfléchie au sein de l’acte qui la pose, la donne… C’est pourquoi la conception rigoureuse doit penser, comme un même acte, le retour à soi, le retour à l’Origine, à la source de l’être, du Fruit de la toute liberté. Retour qui boucle la Réflexion, constitue au sein de Dieu l’Êtreà-soi, l’Être propre, le Soi-même. Restitution que Hegel appelait le ‘contre-coup de l’Esprit’ » (DD 73-74).

L’être et l’esprit poursuivra cette explicitation. Le droit de Dieu s’assignait pour tâche de réintroduire dans la problématique philosophique, contre les interdits de la dérive moderne, l’affirmation de Dieu, et plus précisément celle du Dieu chrétien (un Dieu doué de Parole, capable de se révéler, d’entrer dans l’histoire et de sauver l’homme en accomplissant et restaurant sa liberté). L’être et l’esprit veut aussi sauver l’homme, mais en rendant raison, cette fois, de la consistance — de l’être — de l’esprit. L’enquête commence par une analyse sémantique du vocable « esprit », avant de chercher sa réalité — dans l’être d’esprit humain d’abord, dans l’Esprit absolu ensuite. « Esprit », dès son origine dans la philosophie grecque, est porteur d’une double signification : « celle du nous (mens), signe de l’intelligible et de son intelligence… Celle du pneuma (spiritus) retenant l’animation de la vie dans le vivant » (EE 22). C’est dire que l’esprit signifie la vie rythmée d’un double mouvement : d’inspiration et d’expiration, d’intériorisation et d’expression, de réflexion et de profusion de soi. Après avoir quêté les manifestations de l’esprit humain (chapitre II de la Première Partie, EE 29-49), il convient de chercher l’absolu de l’esprit dans l’Esprit absolu. La désignation de Dieu comme Esprit absolu se fait plus précise encore que celle de Liberté absolue, en manifestant précisément le rythme de sa vie spirituelle. Nous avons déjà évoqué la nécessaire affirmation de Dieu à travers la reprise par Bruaire de l’argument ontologique. Mais sa désignation comme esprit gagne de renouveler les attributs traditionnels de Dieu : infini, créateur, éternel.

  1. Infini. L’infinité de Dieu signifie d’abord « la toute-puissance ontogénique dont il est l’accomplissement parfait » (EE 116), « l’être qui n’est qu’être… s’avère… absolue initiative de soi, signifiant exactement l’absolu de l’esprit… être de liberté en acte » (EE 117). Ensuite, l’infinité est habituellement comprise, selon notre langage représentatif, comme la transgression de toute limite : au-delà de tout. Mais il convient de marquer tout autant, et c’est là l’originalité de Bruaire, sa transgression de toute limite en deçà : « l’infini se dit aussi bien de l’au-delà inexplorable que l’en deçà insaisissable » (EE 119) ; « l’illimitation qui ‘infinitise’ se pense dans le sens du recueillement qui intériorise, tout autant que dans celui qui dépasse, du centre vers l’au-delà » (EE 120-121). Mieux encore, il faut penser « la simultanéité, exactement l’identité » (EE 121) des deux mouvements, vers l’au-delà et l’en-deçà. « Si bien que nous retrouvons… l’inspiration spirituelle transgressant la limite intérieure de la conversion à soi, et qui inverse l’expiration effusive outrepassant la limite extérieure de l’expression de nous-mêmes » (EE 121). D’où une triple affirmation, ou trois « moments » à affirmer, que Bruaire formule ainsi :

    • L’expiration effusive infinitise, s’affirmant dans l’autre que soi… L’Esprit absolu est ainsi toute affirmation de soi en son acte qui l’actualise sans réserve, sans limite d’indétermination.

    • L’inspiration infusive infinitise, se confirmant dans la détermination de son acte, s’identifiant à l’origine absolue de soi… L’Esprit absolu est ainsi restitution de soi, en sa toute puissance exercée, identifiée à son acte, sans limite de passivité originelle.

    • Ainsi la négation formellement accolée dans le mot, in-fini, n’est que par lecture à l’envers, lecture d’acte en termes d’effet, de puissance en termes d’indétermination. L’infinité de l’esprit dit la puissance dans l’acte pur… Ou bien, la limitation niée qui exprime l’infinité spirituelle se conçoit comme différence qualitative au sein de l’acte qui la nie doublement dès lors qu’il s’y affirme.

    (EE 122)

    L’infinité de Dieu comme Esprit, on le voit, dit ainsi davantage que la simple désignation traditionnelle d’Acte pur. Mais Bruaire affirme davantage encore, fidèle ici à la suggestion de « la pensée du christianisme en son affirmation du Verbe divin » (EE 125). La médiation philosophique peut affirmer : « Introduire l’absolu de l’esprit dans le bilan de notre manifestation, c’est penser la puissance infinie d’être l’expression de soi. De l’être dans l’unité de l’expressivité et du langage, dans l’identité de l’infini et du verbe… Ainsi le verbe divin est conçu nécessairement… comme l’infinie puissance en acte, identiquement manifeste et recueilli en son Origine, absolument exprimé et parfaitement réfléchi au Principe » (EE 127). Ce n’est pas tout : « Un dernier pas est donné à franchir si, au même lieu théologique, nous pouvons conceptuellement reprendre l’énoncé de la ‘génération’ du Verbe : ‘Engendré, non créé’ : la création donnant ce que n’est pas le créateur, la génération est don de tout l’être de son Principe, infiniment. Infiniment, sans limitation de lui-même… La puissance infinie se fait acte en son verbe qui, absolument, l’exprime. Donc qui exprime, comme la graine emporte au sein du fruit la puissance qui génère le fruit, le Principe ontogénique lui-même. L’Expression infinie est ainsi don de la toute-puissance du don. C’est pourquoi, et seulement par là, elle est divine elle-même… Et l’Autre n’est le même, que dans l’effacement de la pure passivité du don-donné dans l’acte de donner en échange dans la reddition de soi… Échange absolu qui est rythme de la divinité de la Vie de l’esprit. Si bien que l’identité à soi de l’absolu… est par la différence du donner au donné en lequel le donner se donne, différence qui s’efface dans la restitution réciproque absolue, indiscernable de la réflexion qui est immanente à l’expression pure » (EE 127-128).

  2. Créateur. Si, en l’infini de lui-même, l’Esprit absolu est « principe sans principe » mais aussi « principe du principe » et « principe du don réciproque », s’éclaire alors la différence de la création. En différence de la génération, « ‘création’ est concept univoque » (EE 133). Univoque, malgré l’homologie, apparemment suggérée par la Révélation chrétienne, lorsqu’elle parle de notre création dans le Verbe. Il faut dès lors préciser : dans l’Esprit infini, « l’échange absolu est identité dans l’absolue différence… Par contre, création signifie la différence dans l’identité de l’être-donné » (EE 138). Et en conséquence, « force est donc de penser pour le même acte d’être du divin une double ‘formalité’ d’acte : quand la puissance infinie s’y donne, quand elle ne s’y donne pas » (EE 138). Comment penser cela ? « Nous le pouvons à condition de distraire les ‘moments’ du concept qui n’ont pourtant leur sens que par leur unité. Distraction, écart maintenu un instant, qui oblige à l’exposé successif. Soit la triplicité que figure l’échange absolu qu’est l’unité de l’infini positif : Don originaire, Reddition, Confirmation (qui redonne à qui rend, selon l’artifice représentatif). C’est entre le second et le troisième moment qu’il faut introduire l’écart… Écart fictif dans un temps fictif, certes, mais qui signifie réellement l’être pur et simple, disponible pour être l’être de l’autre, pour l’être donné à lui-même comme esprit fini » (EE 138-139). Au terme de cette analyse se comprend mieux la toute différence de la création (ad extra) d’avec la génération du Verbe (ad intra), en même temps que la possibilité de la première. Bruaire donne raison, nous semble-t-il, mais meilleure raison, à saint Thomas, selon lequel les anciens n’étaient pas parvenus à l’affirmation de la création, par ignorance de la Révélation du Dieu Trinité… La conception de Dieu propre à notre auteur, suscitée par la suggestion chrétienne et authentiquement philosophique, procure de l’acte créateur une meilleure intelligence.

  3. Éternel. L’éternité est généralement identifiée, confondue avec l’absence de temps. D’où son assimilation à une morne — et morte — identité, pareille à celle d’une platitude tautologique. Bruaire, ici, empruntera à Schelling, en sa méditation des Weltalter, mais en corrigeant les éléments de représentation qui la défigurent. L’Esprit absolu comporte comme un Passé, un Présent, un Futur éternels. « Penser l’absolu commencement…, c’est penser la défaite d’une force négative qui l’interdit… Cette implication du négatif dans la positivité de l’acte du commencement éternel se confirme dans la négativité de la liberté — sa toute indépendance — qui donne sens, effectivité et vérité à la positivité de l’acte… » (EE 152). « La toute liberté de l’absolu commencement se structure donc, pour notre conception nécessaire, selon trois temps ou instances d’elle-même… Dans la logique de leur circumincession, ces trois instances nécessaires… se comprennent comme Passé éternel, Présent éternel, Futur éternel » (EE 153). Il en résulte que « l’éternel n’a pas l’historique comme son contradictoire, mais comme son inaccomplissement, accomplissement détourné et ajourné dans notre existence »8 (EE 153). C’est dire tout à la fois la Victoire ou la Vie interne de l’Esprit absolu en son jaillissement et comme en son surcroît perpétuel, et notre déficience de cette perfection ; mais aussi l’intériorité de l’Absolu éternel au créé dans l’histoire comme notre possible espérance de destinée en Lui.

Du chapitre III de la Deuxième Partie de L’être et l’esprit (EE 159-193), « L’esprit en Dieu », nous retiendrons essentiellement trois affirmations. Les deux premières concernent l’Esprit absolu en lui-même et la troisième exprime une conséquence pour l’esprit créé : Dieu, personnel dans son unité comme dans sa triplicité ; Dieu, esprit dans son unité et esprit comme personne en Dieu ; l’être de l’esprit créé et la « différence ontologique ».

  1. Que Dieu soit personnel dans sa triplicité, telle est la première ou plus immédiate donnée, semble-t-il, de la Révélation chrétienne de la Trinité. Mais que Dieu soit aussi personne dans son unité, voilà qui paraît moins évident. Et d’abord, « personne » n’est-il pas un concept proprement anthropologique — comment l’attribuer à Dieu ? Le concept de « personne » n’implique-t-il pas de façon incurable, la connotation de « caché, inépuisable en son expression même » (EE 161) ? Surtout, « personne est un concept de relation qui enferme le particulier, et donc le multiple » (EE 161). Qu’on se détrompe : Bruaire affirme le caractère personnel de Dieu en son unité comme en sa triplicité. En son unité : l’enjeu est important. Il y va de l’affirmation du monothéisme, que ruinerait une sorte de trithéisme (teinté ou non de sabellianisme). Au contraire, pour Bruaire, l’affirmation de Dieu personnel en son unité va de pair avec l’affirmation des trois personnes. Dieu est plus personnel dans sa trinité et son unicité est plus assurée par la trinité que s’il s’agissait d’un Dieu solitaire. C’est qu’« un être n’est une personne que s’il est, en et par lui-même, relation constitutive de son être » (EE 162). Voilà qui nous éloigne de la conception insulaire — avaricieuse et orgueilleuse — de la personne. L’Esprit absolu, « infini échange d’être, absolue expression de soi à soi, don infini de soi en soi » (EE 163) est personnel par excellence, là où l’esprit fini ne l’est que par déficience.

  2. Dieu est esprit dans son unité et Esprit comme personne en Dieu. Telle est aussi la donnée du dogme trinitaire. Certes, le dogme semble d’abord laisser place à une difficulté : « Si… l’origine processive appartient au Père et au Fils, selon la commune spiratio… alors il semble bien que l’Esprit ‘troisième’ Personne ne joue aucun rôle d’origine par une sorte d’infécondité constitutive… Quel est, en définitive, le rôle propre de l’Esprit en Dieu, dans la vie circumincessive ? » (EE 168). Qu’en peut dire la philosophie ? Une fois encore Bruaire recourt à Hegel, tout en le corrigeant. Hegel accordait certes un rôle réel à l’Esprit Saint en Dieu : celui d’accomplir, en son abnégation, la réalité du Dieu Trinité et Esprit. Mais dans une sorte d’exténuation ou de vide de la puissance paternelle, en même temps que Dieu semblait soumis à la contrainte de la nécessité. « Que l’Esprit absolu ne puisse être l’identité de l’Un, l’indétermination absolue, mais s’avère absolue présence à soi, absolu savoir de soi par l’acte souverain du don de soi, tel le disait la logique ontologique de l’infini. Du même coup, l’absolue nécessité de l’infini spirituel… était connue dans sa vérité comme absolue Liberté, libre d’elle-même dans le don de soi et libre pour elle-même par et dans la reddition restitutive de l’Autre à soi » (EE 180). « Cependant, la Liberté génératrice… est ainsi indistincte de la nécessité d’une identité stérile… L’être donné, l’être rendu, donné sans partage et rendu sans réserve, n’est-il pas le don pour rien, le rien du don ? » (EE 181). Bruaire corrige ainsi : « La nécessité force à une même et unique réponse, dans le temps où elle est elle-même, d’elle-même, transgressée par sa vérité d’absolue liberté : le don spirituel absolu de soi n’est tel, en son affirmation accomplie, que par confirmation de lui-même. Confirmation qui est sur-effusion de l’effusion originaire, sur-abondance de la positivité du don » (EE 183). En conclusion, il faut affirmer que « l’Esprit qui n’est qu’Esprit, en sa différence propre, n’est pas l’essence divine qui s’exprime en le Verbe, il est son acte d’être qui, gratuitement, le fait être, lui donne d’être… Ainsi l’être qui n’est qu’esprit, c’est l’être qui n’est qu’être, mais l’être de ce que lui-même n’est pas » (EE 185-187).

  3. Du même coup s’éclaire le rôle de cet esprit en toute création : « Confirmant l’être donné par son énergie ontogénique qu’il est, l’être qui n’est qu’esprit fait être tout être-de-don » (EE 188). « Peut alors retrouver un sens la fameuse ‘différence ontologique’… ; la différence ontologique a sa vérité dans la différence de l’Esprit qui n’est qu’Esprit, qui n’est qu’être, et qui seul confirme l’être de tout ce qui est. Être de ce qui est, présence de ce qui est présent » (EE 189-190). Dieu Père est créateur dans son Verbe par leur Esprit. Vraiment Dieu est intimior intimo meo. Éminemment personnel dans son unité comme dans sa triplicité, c’est lui qui rend raison de l’être-de-don créé, fini mais doté d’être propre, en participation de Celui qui est et en attente d’assomption glorieuse en Lui.

IV L’être de l’esprit humain : ontodologie

Nous venons d’évoquer certaines conséquences de la conception de Dieu comme Esprit absolu pour celle de l’esprit humain créé (différence et possibilité de la création dans le Verbe, par l’Esprit saint). Il nous faut finalement revenir sur cette dernière, même si, dans la démarche progressive et ascendante de L’être et l’esprit, Bruaire découvre l’esprit humain avant l’Esprit absolu. À l’image du Don absolu qui est la vie spirituelle de l’Esprit absolu en son acte, l’esprit humain est être-de-don.

Le chapitre III de la Première Partie de L’être et l’esprit s’ouvre par l’« ontodologie » (EE 51-83), néologisme par lequel Bruaire veut signifier l’essentiel caractère de don — don à lui-même de l’être d’esprit de l’homme. « Le don n’est ni une catégorie ontologique à côté d’autres, ni la surdétermination de leur ensemble… Il est, en synonymie parfaite, l’être dans sa manière spirituelle d’être » (EE 53). Conséquence importante : « C’est pourquoi la fameuse différence ontologique entre un être et l’être de cet être, entre l’étant et l’être… semble ici nulle, vide de sens… Car le fait d’être et l’être qui est en fait, l’être comme verbe et l’être comme substantif, sont indiscernables » (EE 53-54). Ou encore : « Si le recueil de ses phénomènes oblige à le désigner par le mot don, c’est qu’il est son essence, à son propre commencement. Exactement, la distinction essence-existence est ici nominale et seconde au regard de l’être, quelque inévitable qu’elle soit pour les énoncés ontologiques communs. Le propre d’un être-de-don est en effet, rigoureusement, d’être tout ce qu’il est et que ce qu’il est soit » (EE 53). Certes, il incombera à cet être-de-don de s’assumer, comme de se rendre à son origine, de « donner l’autre… [de] donner ce qu’on n’est pas » (EE 61), et cela en donnant aussi aux autres, à autrui. Mais la reprise et la transformation des catégories ontologiques forgées par Aristote, afin d’exprimer en ontodologie cette ontologie nouvelle, diront l’inséité, l’adséité et l’ipséité de l’être d’esprit humain : « L’adséité de l’inséité est l’intime mouvement, indiscernable du mobile, en lequel peut advenir, s’articuler, se greffer l’ipséité de la réflexion personnelle » (EE 59). Comment Bruaire définit-il ces nouvelles catégories ?

Il faut donc mettre en continuité trois moments de la détermination spirituelle :

  • l’inséité : l’être d’esprit repose sur lui-même, immanent en lui-même, donné sans réserve ;

  • l’adséité : l’être-en-soi d’esprit est pour lui-même, selon la conversion assomptive, exactement parce que le don n’est pas tel s’il n’est donné à lui-même ;

  • l’ipséité : l’assomption de l’être, indépendant en soi, recueilli en lui-même, est telle dans la réflexion singulière, le même est à soi, pour être soi-même ».

(EE 67)

Il restera certes à articuler cet être-de-don à la logique de l’existence, dès lors que celui-ci est en même temps une tâche pour lui-même, en puissance d’actes de liberté qui le feront ou non advenir à lui-même, en ipséité, selon que la liberté sera fidèle à son élan, jusqu’à « donner l’Autre » — ou démissionnera d’elle-même. Il demeure que cette ontodologie exprime à merveille l’intimité substantielle de l’être-de-don. Elle poursuit et perfectionne l’intuition de l’acte d’être, dégagée par l’ontologie thomiste, qui marque la consistance de la créature : être participant au privilège de Celui qui est, Ipsum esse subsistens : mieux que l’ontologie blondélienne, résumée par la formule des êtres désignés comme initium aliquod creaturae… quod ipse Deus perficiet, elle indique la capacité de générosité foncière — capacité de don de soi — de l’être d’esprit, dont le rythme d’inspiration et d’expression, d’intériorisation et d’effusion imite, mieux : participe, à la vie de Celui que nous allons découvrir bientôt comme Esprit absolu. Là où Blondel indique davantage, nous semble-t-il, les dépassements auxquels l’être créé doit consentir pour se réaliser, Bruaire désigne la source de ce dépassement : l’intimité, d’emblée gagée d’elle-même, de l’être-de-don. L’être d’esprit ne sera jamais destiné qu’à devenir ce qu’il est dès l’origine, dès son Origine.

V Conclusion

L’ontologie de Bruaire nous semble poursuivre et perfectionner les acquis de la philosophia perennis. Faisant meilleur droit au concept, dans la ligne de Hegel, elle revalorise la preuve ontologique de Dieu. Ne repoussant pas les suscitations philosophiques qu’elle peut recevoir de la révélation chrétienne, elle les intègre à sa méditation propre et autonome. Elle aboutit à une « monstration » de la splendeur de Dieu en sa Vie de Liberté absolue et d’Esprit absolu. L’esprit humain y gagne son meilleur site. Si Hegel définissait sa philosophie comme Vendredi-Saint spéculatif, serait-il interdit à Bruaire de déployer une philosophie de la Résurrection ? Toute grande philosophie a son propre site spirituel. Tel est celui de Bruaire. Revigorant, et tout aussi valable, à tout prendre, que le pessimisme existentialiste ou le nihilisme flamboyant de Nietzsche. Et même plus défendable, par les seules ressources de la philosophie.

Notes de bas de page

  • 1 Bruaire Cl., L’être et l’esprit, coll. Épiméthée, Paris, PUF, 1983 (cité désormais dans le texte EE).

  • 2 Bruaire Cl., Le droit de Dieu, Paris, Aubier-Montaigne, 1974 (cité désormais dans le texte DD).

  • 3 On désigne par preuve ontologique de l’existence de Dieu, et en référence à saint Anselme (1033-1109) qui, le premier dans la tradition philosophique, en propose un développement, la démarche qui prétend conclure à l’existence de Dieu à partir du contenu de son « concept », (nécessairement) présent à l’esprit humain.

  • 4 La démarche de Bruaire, en ce point du désir, est comparable à celle de Blondel dans L’Action (1893). Il est bien vrai que l’argument ontologique, loin d’être ad libitum, est la preuve des preuves. Il achève la démonstration de l’existence de Dieu ou plutôt l’« accomplit », au double sens d’opérer et de parfaire. Il est l’opérateur de transcendance qui seul conclut à Dieu, distingué d’une simple « cause première ». Mais il ne vaut qu’inséré dans la trame du désir humain — la volonté voulante chez Blondel — et s’achève nécessairement dans une action : l’option devant l’Unique Nécessaire, pour s’aimer soi-même jusqu’au mépris de Dieu — ou pour aimer Dieu jusqu’à l’oubli de soi…

  • 5 Bruaire Cl., Pour la métaphysique, coll. Communio, Paris, Fayard, 1980 (cité désormais dans le texte PM) : « Troisième Partie. Suscitations chrétiennes de la philosophie », p. 127-177.

  • 6 Cf. Ratzinger J., Foi chrétienne hier et aujourd’hui, Paris, Mame, 1969, p. 80.

  • 7 « Créé » : sans doute vaudrait-il mieux dire « engendré ». Dans L’être et l’esprit, Bruaire précisera l’engendrement du Verbe, réservant pour le fini le terme — déclaré univoque — de création.

  • 8 Est ainsi rendue possible l’insertion de l’Éternel dans le temps, ainsi que l’affirme la Révélation chrétienne. Ce qui était déjà montré dans Le droit de Dieu.

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