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La vida humana, fecunda de Dios, y la profecía del celibato por el Reino

Marie-Laetitia Calmeyn o.v.

En su libro Humanae vitae. Une prophétie, Monseñor Aupetit, arzobispo de París pero también médico de cabecera habiendo practicado durante mucho tiempo, abre a una comprensión más profunda de lo que es la paternidad y la maternidad responsables: se trata de la vocación del hombre y de la mujer a la fecundidad. (…)

M. Aupetit, Humanae vitae. Une prophétie, Paris, Salvator, 2020, 15x21, 112 p., 10,00 €. ISBN 978-2-7067-1928-8

Dans son livre Humanae vitae. Une prophétie, Monseigneur Aupetit, archevêque de Paris mais aussi médecin de famille ayant longtemps pratiqué, ouvre à une compréhension plus profonde de ce qu’est la paternité et la maternité responsables : il s’agit de la vocation de l’homme et de la femme à la fécondité. La dimension prophétique de son approche apparaît particulièrement dans la dernière partie du livre qui traite de la question du célibat pour le Royaume. Je voudrais réfléchir à partir de ce point précis de l’ouvrage. L’auteur introduit le sujet en ces termes : « Pour être complet dans notre réflexion, il nous faut aborder la question délicate du vœu de chasteté que font les religieux, les consacrés et les prêtres » (p. 87). Mon approche ne consistera pas donc tant à reprendre le contenu du livre qu’à mettre en lumière la façon dont l’auteur renouvelle notre compréhension de l’encyclique Humanae vitae à la lumière du célibat pour le Royaume et de la communion des vocations dans l’Église. Comment portons-nous ensemble ce don si grand qu’est la vie de chaque être humain ?

Michel Aupetit rappelle que c’est dans le cadre d’un enseignement qui concerne le mariage que le Seigneur parle à ses disciples du célibat pour le Royaume (cf. Mt 19), rejoignant ainsi tout homme dans sa vocation la plus profonde, cette vocation qui consiste à recevoir et à donner la Vie. L’apôtre Paul le redira, « toute paternité vient de Dieu » (Ep 3,5). Le célibat pour le royaume exprime l’appartenance première et totale au Christ de laquelle découle ce don de vie éternelle. Ce don de la Vie rejaillit à travers celui ou celle qui vit cette offrande en termes d’intercession et d’action de grâce pour l’humanité. C’est ainsi que l’on participe au mystère de l’incarnation : le Verbe de Dieu ressuscité ne cesse de prendre chair de notre humanité. Il s’agit de découvrir toujours davantage à quel point le célibat, l’offrande faite, a besoin d’être sauvé : « À l’homme c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible. » C’est une relation vivante au Ressuscité qui permet à nos sentiments et nos sens, nos représentations et notre imaginaire, nos désirs et notre affectivité d’être repris et intégrés dans l’action de grâce, celle du Seigneur et la nôtre. Car il y va de l’engagement de deux libertés, d’une vie de communion intime qui devient source de salut.

Vivre ainsi le célibat pour le Royaume comme un lieu de confession du salut permet non seulement de garder un cœur de chair mais aussi d’habiter de plus en plus la chair de notre humanité, la chair de l’humanité pour « discerner, accompagner et intégrer » (cf. Amoris laetitia 291-312). Si le célibat pour le Royaume n’est pas vécu dans une dynamique d’intégration, il semble alors difficile de rejoindre les hommes et les femmes qui nous sont confiés. Les relations risquent d’être des relations de défiance simplement parce que l’on se méfie de son propre cœur et de sa propre chair. Cette défiance se traduit à travers diverses idolâtries identitaires liées non plus à la mission mais à la fonction. Le danger est en effet de s’approprier la mission au lieu de la recevoir toujours et encore. Au lieu de s’exprimer comme un service, la responsabilité exercée peut devenir un jeu de pouvoir. Le célibat pour le Royaume vécu en esprit et en vérité c’est-à-dire dans un cheminement à la lumière du salut rend possible l’accompagnement des personnes engagées dans différents états de vie : les personnes mariées, les personnes consacrées, celles qui sont confrontées à un célibat non choisi. La pastorale trouve sa racine et son sens dans la communion, une communion qui n’est possible que parce que chaque état de vie réfère, par la grâce baptismale, au Christ, et par Lui au Père de qui découle toute fécondité. Contempler la vocation du mariage à travers ses joies et ses souffrances demeure pour celui qui vit un célibat pour le Royaume, qu’il soit évêque, prêtre, religieux, ou consacré, un lieu où il accède de façon nouvelle à sa vocation. C’est aussi ce dont le livre témoigne. L’expérience humaine, médicale et plus profondément pastorale se présente pour Michel Aupetit comme une action de grâce pour toute vie humaine.

On a, à la suite de Vatican ii, beaucoup insisté sur la façon dont le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel référaient l’un et l’autre et de façon complémentaire à l’unique sacerdoce du Christ. Cette manière d’articuler la relation prêtre-laïc est précieuse car elle laisse apparaître un unique enracinement : la Personne du Ressuscité. Néanmoins, il semble que pour entrer dans une complémentarité effective il y faut, non pas seulement se situer par rapport à la vocation sacerdotale, mais aussi par rapport à la vocation prophétique et royale du Christ. La question n’est pas seulement : comment les baptisés vivent-ils de leur sacerdoce face aux prêtres ?, mais aussi : comment les prêtres et les consacrés vivent-ils leur vocation royale (signifiée par les laïcs) et comment les laïcs et prêtres vivent-ils dans la relation aux consacrés leur vocation prophétique ? Le célibat pour le Royaume est une grâce prophétique puisqu’elle réfère au Royaume, le faisant advenir au plus intime de l’existence.

Tous appelés à la fécondité

Il est important que les personnes mariées puissent se ressourcer dans cette communion qui nourrit et leur indique le sens de leur vocation. Comme le rappelle l’auteur, il faut que les consacrés et célibataires se laissent bousculer par la vie de famille et osent la gratuité de l’amitié. Ce qui nous éduque au fond, c’est cette communion de l’Église. Les consacrés rappellent aux prêtres et aux laïcs que, plus profondément que la solitude, Dieu donne la vie éternelle. Les prêtres signifient que ce don de la Vie vient du Père et nous conduit vers le Père. En faisant fructifier cette vie éternelle à travers toutes les dimensions de leur existence, les fidèles évangélisent le monde. Pour tout baptisé, la vie éternelle précède, enveloppe, donne sens à la vie terrestre. C’est pourquoi la question de la fécondité que porte un couple ne doit pas être resituée à un niveau strictement biologique, mais il convient de reconnaître à quel point elle engage toutes les dimensions de notre humanité (corps, âme et esprit). Ce questionnement est ce qui relie la vie terrestre à la vie éternelle, la paternité et la maternité à la Paternité divine, notre humanité à la divinité. C’est pourquoi cette fécondité est centrale dans la vie et pour la mission de l’Église. Elle jaillit de la communion de l’homme et de la femme en tant qu’elle exprime aussi et plus profondément la communion des vocations dans l’Église.

L’appel à la fécondité est la première Parole que Dieu adresse à l’homme et à la femme après les avoir créés :

Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-là ».

(Gn 1,27-28)

Concernant les animaux, la Genèse relate que « Dieu les bénit et dit : “Soyez féconds, multipliez”. » En revanche, l’expression qui concerne l’homme, « Dieu leur dit », témoigne d’une responsabilité, d’un appel à la liberté. Le Seigneur confie sa parole à un véritable interlocuteur : la seule créature terrestre douée d’une âme spirituelle. Michel Aupetit précise :

Il ne s’agit pas d’une fécondité qui serait simplement inscrite dans la créature, mais il s’agit d’une parole de Vie que Dieu confie à l’homme qui, parce qu’il a une âme spirituelle, est doué de liberté. L’homme et la femme sont appelés à participer à l’œuvre de la création, de façon responsable, en exerçant un discernement c’est-à-dire en répondant librement à l’appel de Dieu. C’est pourquoi la fécondité dont il s’agit est d’abord d’ordre spirituel.

(p. 18-20)

La procréation se discerne souvent en considérant la santé, la situation économique, sociale, culturelle du couple. Ce que la Genèse nous rappelle c’est que ce discernement est aussi et peut être d’abord appelé à être vécu en dialogue avec le Créateur et Seigneur. Ce qui unit au fond les époux dans un couple c’est leur prière commune qui devient alors comme le cœur de leur vie conjugale. La question n’est pas d’abord le fait d’avoir ou non un autre enfant, la question est plutôt d’apprendre à discerner la volonté de Dieu : « Qu’est-ce qui permet à l’unité, à la vie, au bien du couple et de la famille de croître ? » C’est ainsi que même si l’homme et la femme décident de ne pas avoir d’autres enfants, le couple qui vit sa relation en respectant l’autre jusque dans ses rythmes de fécondité, demeure ouvert à la vie, car il s’en remet à la providence divine qui conduit toute chose.

La dernière parole : donnez la vie !

Si l’appel à la fécondité est la première parole que Dieu dit à l’homme et à la femme, elle est peut-être aussi la dernière parole, voire même la seule et l’unique. Le livre de l’Apocalypse ne témoigne-t-il pas de cette vocation chrétienne à donner la vie. La figure de la femme qui enfante traverse l’Écriture sainte en tant qu’elle correspond à l’histoire des générations. Jésus ne cesse de nous le rappeler : « Si vous demeurez en moi, vous porterez beaucoup de fruit » (cf. Jn 15,7-8). Chacune des paroles de Dieu ne vise au fond qu’à nous resituer par rapport à cette vocation à donner la vie, « car la Vie s’est manifestée, nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous l’annonçons » (1 Jn 1,1-2).

Nous comprenons dès lors mieux pourquoi, dans l’épître aux Éphésiens, la morale familiale, qu’elle concerne la relation homme-femme ou la relation parents-enfants, s’enracine dans l’action de grâce :

Récitez entre vous des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés ; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur. En tout temps et à tout propos, rendez grâce à Dieu le Père, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ. Que les femmes le soient à leurs maris, comme au Seigneur (…). Maris, aimez vos femmes, comme le Christ a aimé l’Église.

(Ep 5,19-25)

Cette soumission parfois difficile à saisir et qui devient dans la suite du texte une soumission réciproque dans le Seigneur ne se comprend qu’à la lumière de l’action de grâce, de l’offrande du Christ. Le livre de la Genèse nous resitue par rapport à la conséquence du péché qui touche de façon particulière le rapport à la vie. Dieu dit à la femme : « Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils » (Gn 3,16). Dans la série des malédictions qui touchent l’être humain, le Seigneur s’exprime une seule fois en « je », se faisant comme le « sujet » de la malédiction, de la multiplication des peines. Les autres malédictions se présentent comme une révélation des conséquences du péché, par exemple : « Maudit soit le sol à cause de toi. À force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie » (Gn 3,17). L’ouvrage nous aide à mieux accueillir cette parole difficile :

Une étude lexicale permet de comprendre que la multiplication des douleurs dont il est question ne se limite pas au moment de l’accouchement, elle touche toute la fécondité de la femme, corporelle et spirituelle. Si les douleurs se multiplient, c’est parce que la vie se multiplie. Au cœur des douleurs, Dieu se rend présent comme celui qui donne la vie, il est le sujet du verbe « multiplier ». La seule manière pour la femme de porter cette conséquence du péché qui l’atteint au plus intime de son être, dans son rapport à l’enfantement, est de s’unir à Dieu qui est et demeure au principe de la vie. Et n’est-ce pas ce consentement qui donne à l’homme de s’associer à la paternité divine, d’être père et de travailler, de tirer subsistance malgré la peine, de rendre grâce malgré cette malédiction qui a atteint le sol et son être même ?

(p. 60-62)

Et l’auteur de citer le théologien orthodoxe Paul Evdokimov :

Conquérant, aventurier, constructeur, l’homme n’est pas paternel dans son essence. Ce fait a une portée immense : il explique pourquoi le principe religieux de dépendance, de réceptivité, de communion, s’exprime plus immédiatement par la femme (…). À la paternité divine comme qualificatif de l’être de Dieu, répond directement la maternité féminine comme spécificité religieuse de la nature humaine, sa capacité réceptive du divin. La vie chrétienne est de faire de tout être humain une mère, prédestinée au mystère de la naissance : « afin que le Christ soit formé en vous »… Il est symptomatique que saint Paul, lorsqu’il désire exprimer sa paternité spirituelle use de l’image de la maternité : je passe par les douleurs de l’enfantement. (…) Le salut de la civilisation dépend de « l’éternel maternel ».

(cité p. 62)

Ce salut vécu très concrètement par la femme et l’homme dans leur rapport à la fécondité, quel que soit leur état de vie, sera d’une manière ou d’une autre source de vie pour le couple, la famille, la société, l’Église.

Au fond, tout l’ouvrage vise à rappeler, paisiblement, que le don de la vie est le premier bien qui nous est commun. De là découle notre rapport à la création. Nous comprenons dès lors un peu mieux pourquoi l’appel à la fécondité, première parole de Dieu adressée à l’homme au chapitre initial de la Genèse, est suivi par l’appel à dominer sur la création, ou, mieux, à la garder, à en prendre soin (le verbe est de la même racine que la question de Caïn : « Suis-je le gardien de mon frère ? », Gn 4,9). La façon dont nous nous ordonnons à la vie retentira sur toute nos relations interpersonnelles et sur la création. C’est ainsi que le pape François dit si souvent que « tout est lié ». Ce lien est celui de la charité, de la communion qui nous éduque à la vie.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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