Ce qui nous fait tenir en temps d’incertitude. L’espérance vive

Paul Valadier
Espiritualidad - reviewer : Marie-Jeanne Coutagne

Le p. Paul Valadier s.j. est bien connu surtout des lecteurs des Archives de Philosophie et de ceux de la revue Études, qu’il a d’ailleurs dirigée de 1981 à 1989. Théologien, mais surtout philosophe, c’est un spécialiste de philosophie politique. Il a écrit sur Machiavel, mais surtout sur Nietzsche, son auteur de prédilection. Depuis de longues années, il défend une écoute et un dialogue sur les sujets de morale personnelle, mais dégage aussi avec acuité des analyses critiques de nos sociétés aux prises avec les bouleversements radicaux que l’on connaît. Et c’est à l’écoute justement de nos détresses au cœur de la crise sanitaire qu’il entend se mettre dans ce dernier ouvrage. Au départ c’est moins Nietzsche que Kant qui est ici évoqué quoiqu’indirectement. La dernière des trois questions que posait Kant dans sa troisième critique était : « Que m’est-il permis d’espérer ? » Il y est donc question d’espérance, non d’espoirs toujours limités et décevants, mais de ce dépassement qui nous permet en effet de « tenir » en temps de catastrophe, c’est-à-dire d’agir. Tenir non pas « pour tenir », mais pour lutter et traverser la tourmente.

Quatre chapitres lui permettent d’analyser les impasses de notre histoire récente. Pour lui l’épreuve, dans une « société affaissée » (p. 33), permet de détecter de toujours fragiles espoirs sans naïveté ni compromissions. Pandémie, avenir du climat, début et fin de vie, statut de la famille, intelligence artificielle… sur ces questions et bien d’autres, notre société pluraliste ne cesse d’être plongée dans un « débat permanent ». Aussi nous faut-il aller plus loin et dépasser toutes nos peurs, nos « petites peurs » (l’expression est reprise d’Emmanuel Mounier) qui nous sidèrent et nous freinent, mettant en péril la démocratie, travaillée en particulier par les mensonges, les vérités dites « alternatives ». Pas moins nocive est la tentation connexe du manichéisme et du stoïcisme (p. 57-60) qui conduisent souvent à un fatalisme, alors que face à tout mal, seule une attitude combattante est nécessaire et décisive. Traquant le déclin des grandes idéologies du xxe siècle, comme le font les désespérances « révolutionnaires » qui nous ont souvent attirés – autant d’espérances contrariées – et la fascination parfois teintée de paganisme pour la décadence, il refuse de dénoncer en bloc ce que certains ont nommé « culture de mort » ou « barbarie ». Il en profite pour esquisser une fine analyse des fondamentalismes actuels (p. 90-96) qui conduisent parfois à nous enfermer dans le conflit permanent (p. 100-102). Il nous faut donc retrouver le sens d’une histoire ouverte, traversée de ruptures, et surtout « sensée » (p. 103) qui révèle en effet le sens de la liberté, celui aussi du passage vers la vie. Celle que racontent le Premier et le second Testament dans la Bible (p. 114). Tel est en effet le paradoxe chrétien qui nous met devant une réalisation de l’espérance ferme mais toujours inachevée (p. 119), qui appelle à une conversion et qui doit traverser la mort. Ce livre finalement très personnel qui, dans ses dernières pages prend à témoin le grand Dante (p. 133) ose dessiner une espérance qui doit être non conquise, mais reçue comme un don au sein d’une communauté de croyants, en Église.

Un livre dont la clairvoyance et le dynamisme sont à souligner et qui peut (qui doit ?) nous accompagner aujourd’hui dans nos traversées difficiles. — M.-J. Coutagne

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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