Dieu, à la limite de l'infini. Une légitimation du discours théologique, préf. J. Ladrière

Alain Houziaux
Teología - reviewer : Ariane Monteil
Le pasteur Alain Houziaux avoue s'être passionné pour l'épistémologie des mathématiques. On s'en persuadera par la lecture de cet imposant ouvrage, qui témoigne d'une dette importante vis-à-vis de l'entreprise de formalisation qui a bouleversé les mathématiques au siècle dernier, et mis en évidence la notion de «structure» ou «système formel» comme une réalité autonome, porteuse d'intelligibilité en elle-même, indépendamment des supports auxquels elle peut s'appliquer. La riche préface de Jean Ladrière est très utile pour guider ceux qui seraient peu familiers de ces questions et apporte les éléments suffisants pour permettre de suivre la réflexion de l'auteur. Il n'est pas non plus nécessaire de posséder des connaissances mathématiques particulières pour aborder l'essentiel de l'ouvrage, les développement les plus pointus (au niveau purement scientifique!) étant reportés dans les excursus de la fin. L'apport des mathématiques ne vise d'ailleurs pas le contenu de la pensée théologique exposée ici, mais est utilisé simplement comme un outil «heuristique», dont la logique vient appuyer une démarche résolument apologétique. Celle-ci ne vise pas à justifier la foi ou les énoncés de la foi, mais elle veut légitimer par des voies purement philosophiques la «démarche» du discours théologique, c'est-à-dire le fait «qu'il puisse prétendre dresser une herméneutique du monde (et plus précisément du monde accessible à la connaissance) par référence à des 'référentiels' (les concepts de Royaume de Dieu et de Dieu) qui, eux, sont inaccessibles à la connaissance». Cette apologétique «dans les limites de la simple raison», qui doit beaucoup à la philosophie de Kant, et un refus «typiquement protestant» de l'analogia entis incitent Alain Houziaux à radicaliser l'écart entre ce qu'il définit comme le «niveau 1», celui du monde réel et historique sur lequel porte la connaissance naturelle, ainsi que ses représentations, et le «niveau 2», idéel, le «métamonde» ou royaume de Dieu dont parle la théologie, ainsi que les discours par lesquels elle l'exprime.
La légitimation proprement dite du discours théologique s'effectue en deux temps: premièrement, définir et justifier les deux concepts de «niveau 2» qui relèvent purement de «l'intuition intellectuelle» au sens kantien et constituent les «reférentiels» extérieurs et inaccessibles à partir desquels se déploient le discours théologique; l'auteur recourt ici à une «analogie de relation» avec le processus de construction de la série exponentielle, qui converge vers le nombre transcendant e, alors qu'elle n'est composée au départ que de termes rationnels; après avoir ainsi fondé philosophiquement et rationnellement le concept de «Royaume de Dieu» et son corollaire «Dieu», il en vient dans une deuxième partie à justifier la démarche théologique qui consiste à recourir à ces concepts de niveau 2 «pour définir certaines vérités relatives au monde de niveau 1». La rationalité de cette méthode est établie d'un point de vue strictement formel, par «analogie» avec la situation décrite par le théorème d'incomplétude de Gödel et son corollaire démontré par Tarski., sur l'impossibilité de donner une définition de la vérité à l'intérieur d'une structure formelle sans avoir recours à un langage de niveau supérieur.Mais le pasteur Houziaux a tenu à déployer aussi toutes les conséquences de son travail à la fois critique et apologétique, en développant dans la troisième partie de l'ouvrage cinq énoncés théologiques, qui «sont une définition de l'histoire du monde par référence à la mesure première du Royaume de Dieu». Cette histoire reste sous l'emprise du péché, et nous offre de lire ici-bas seulement sur le mode de la «faille», de la contradiction, de l'absurde, la trace du Royaume ou la trace de Dieu. L'auteur se réaffirme ici dans la fidélité à sa tradition spirituelle, invoquant Luther, Kierkegaard ou Barth. Mais ces rapprochements peuvent laisser rêveurs. Imagine-t-on vraiment ces trois géants de la foi, entrer dans l'esprit de cette méthode «d'un rationalisme conquérant mais contrarié», qui ne voit en Jésus-Christ qu'un épiphénomène du Logos, et dans sa mort sur la croix la manifestation de l'impossibilité du royaume à s'accomplir, même en lui ? On peut s'interroger: si la «crucifixion du système de connaissance» chère au protestantisme n'ouvre pas l'accès à la résurrection de la foi en la personne vivante du Christ, de quoi se nourrit l'espérance chrétienne? - A. Monteil.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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