Du Christ à la Trinité. Penser les Mystères du Christ après Thomas d'Aquin et Balthasar

Étienne Vetö ccn
Teología - reviewer : Emmanuel Tourpe
Avec ses qualités formelles de totale clarté et de rigueur sans défaut, qui confinent à celles d'une architecture gothique flamboyante, cet ouvrage est superbe. Il est également insolite en raison du caractère archi-fondamental de son thème: comment penser l'unité, mais aussi la spécificité opératives des Personnes divines qui agissent dans l'économie? Il est difficile de trouver un sujet plus central en théologie que celui traité dans ce volume, difficile également de le faire à partir d'auteurs plus importants que Thomas et Balthasar. Enfin, et par-dessus tout, la thèse que développe ce grand livre est d'une force dialectique, et d'une puissance de solution par-delà les limites réciproques des auteurs traités, d'un véritable intérêt spéculatif.
On éprouve avec respect la profonde formation philosophique de l'A. dans la manière même dont il développe sa thèse théologique si racée, et qui l'aide à éclairer «le jeu entre les mystères et leur précompréhension» (p. 362, n. 1). Les questions qui le préoccupent, chez Thomas et Balthasar, ont en effet rapport à des philosophèmes d'envergure, dont on pourrait dégager le libellé de la manière suivante: le problème posé est de savoir comment relier l'action manifestatrice singulière de Dieu dans les Mystères du Christ à l'opération intradivine elle-même révélée comme Trinité. En d'autres termes, comment passer par l'action, du singulier à l'essentiel?
Chez Thomas, ce problème ne trouve pas de solution définitive car malgré ses nombreux efforts en ce sens, il laisse une solution de continuité. En effet l'uni-versalité (la Trinité comme horizon donné d'avance, l'unité ad extra) tend à occuper chez lui tout le champ, sans respect suffisant de la pluralité opérative, de sorte qu'il n'y a pas assez d'espace pour les Personnes. «La théologia est le lieu propre d'une réflexion trinitaire qui peine à retrouver ses marques dans l'oikonomia» (p. 215). Il convient donc d'entrer davantage de plain-pied dans une véritable théologie de l'agent, ou de la singularité des opérations divines, à partir des Mystères et non pas vers eux, vers une compréhension de la vie trinitaire et non à partir d'elle. Cette possibilité est ouverte chez Balthasar, au risque cette fois d'exagérer la distinction, voire la distance entre les Personnes. «En fin de compte, Balthasar a réussi la théologie du singulier et du contingent qu'avait pressentie Thomas. En un sens, il a trop bien réussi […] Le théologien assume pleinement la distinction des acteurs et demeure pour ainsi dire avant tout dans la distinction» (p. 334).
C'est pourquoi V. s'est attelé à la tâche, difficile entre toutes, de proposer une voie qui prolonge Thomas et Balthasar, tout en évitant leurs unilatéralités respectives. C'est l'objet de la stimulante deuxième partie du livre, intitulée «La Trinité révélée dans les Mystères» (p. 217s). Une réflexion de haut niveau spéculatif s'y engage, qui cherche à proposer un modèle quasi systématique, reliant universellement la singularité des actes révélés à la singularité des actes trinitaires. On pressent la dimension hors norme d'un tel projet qui est bien sûr seulement esquissé dans ce livre. Ce projet vise à faire respecter le principe de l'unité de l'opération tout en tenant la spécificité des actes. C'est donc à une forme de polarité ou de paradoxe positif que nous introduit l'auteur, entre, d'une part l'opération proprement dite, qui exprime l'unité substantielle et, d'autre part les activités plurielles (p. 427). La vie divine consiste en «une opération» en «trois activités» (p. 425), «l'opération « unique » est « opérée » ou « agie » de trois manières distinctes par les Trois» (p. 431).
Cette solution est-elle le dernier mot possible sur cette question? L'A. ne le prétend pas, se montrant d'ailleurs très conscient des limites du langage. La solution elle-même est d'ailleurs encore abstraite, et prête en partie le flanc à ce que V. dénonce chez Thomas quand il regrette chez le scolastique une prédétermination trinitaire surimposée à l'induction scripturaire. On peut aussi se demander si V. ne choisit pas trop exclusivement le plan de l'action pour éclairer une ques-tion qui domine tous les champs transcendantaux possibles. Mais l'impression que laisse ce livre n'est pas prête d'être oubliée: il laisse une trace brûlante, avec de graves questions, et une voie de solution qui a l'avantage d'être posée avec un sérieux indéniable. - E. Tourpe

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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