« Nous avons tous, déjà, poussé la porte de l’émerveillement. Cet instant inattendu où, d’un seul coup, il nous envahit, semble nous remplir tout entier » (p. 15). Blanche Streb nous convie à entrer dans cette vie où « l’émerveillement, c’est au fond assez simple. On peut le résumer en quatre mots : ne pas être indifférent » (p. 17). Au commencement, il y a l’émerveillement ! Et pour l’enfant qui vit dans l’instant, « l’émerveillement est l’enfance de l’art » (p. 20). Mais toute la vie est tissée de cette grâce et nous pouvons en vivre à chaque instant à travers les réalités qui se présentent à nous. Ainsi faut-il passer de la science à la Science et de la beauté à la Beauté (chap. 2). Cette longue méditation anthropologique ouverte au surnaturel tourne le regard, la conscience et la pensée sur une composante décisive de la vie de tous. Il convient de transformer nos « temps morts » en « temps de vie » sans les remplir de tout et de n’importe quoi !
Il faut d’abord « veiller » et que le cœur regarde (chap. 3) et écoute (chap. 4) : la vie est pleine de surprises et il nous appartient de les observer. « L’enjeu est de laisser grandir, dans un cœur docile et à l’écoute, ce petit espace où se révèle doucement notre mission, comme l’image dans le bain du photographe » (p. 98). Quelle est l’orientation de la vie ? Qu’est-ce qui nous habite ? Comment développer un cœur qui veille et qui exerce un flair spirituel ? L’éveil entre dans le champ du travail, de la traversée des fausses espérances et des fausses promesses (chap. 5). La vie est souvent entre « ombre et lumière » : il faut rester éveillé à la joie, à l’étonnement, à l’admiration. Par ce travail, un regard nouveau (chap. 6) fait sa demeure en nous, traverse les écueils, perdure dans le temps d’une vie. Il nous faut planter l’ancre de notre barque dans les cieux car s’il faut redevenir comme un enfant (« l’enfant est le chrétien qui se fait. Lentement », p. 139) et retrouver « la plus belle part de notre âme », le regard doit pouvoir s’appuyer sur des relais d’espérance et dépasser maints échecs. Il convient d’entrer dans une « non-maîtrise » : « on veut tout contrôler, planifier et on s’imagine qu’on le peut. On n’aime plus l’inattendu. On ne le supporte plus » (p. 114). Vivons autrement !
Nos parcelles du réel peuvent en effet se remplir de cet émerveillement qui donne la vie et témoigne de la Splendeur de la Grâce. « Une âme forte est une âme souple. C’est souvent au cœur même d’une profonde humilité, d’une grande discrétion, d’une immense fragilité que certaines personnes font profondément l’expérience de la force » (p. 124). Dieu n’est pas absent de ce travail, de ce goût qui dure, de cette force en nous qui structure l’être unique et merveilleux que nous sommes tous. Le dernier chapitre (chap. 7) nous décrit le mode d’agir du saint de la joie, saint Philippe Néri. Des annexes intéressantes sont offertes et nous rappellent cette tradition méditative depuis Irénée de Lyon jusqu’à la description d’une œuvre d’art (Angelus i d’Augustin Frison-Roche).
Ce livre se lit lentement en prêtant attention aux images et aux intuitions méditatives. Il convient aussi d’entrer dans le temps de cette belle écriture qui, sans avoir la forme explicite d’une poésie, nous plonge dans l’univers poétique : d’un réel qui est beau et qui se laisse admirer sans idéalisme. Comme la matière du livre, il convient de ne pas vouloir tout maîtriser mais de laisser certaines réflexions rencontrer notre structure personnelle d’émerveillement. C’est un défi, mais il est possible à relever et porte beaucoup de fruits dans l’imagination et la vie du lecteur. — A.Mt.