Qu'on l'aime ou non, Balthasar (1905-1988) reste l'un des théologiens catholiques les plus marquants du XXe s., avec une oeuvre gigantesque et multiforme, trop complexe pour être maîtrisée. Son idée centrale est que la voie de l'amour est la meilleure démonstration du christianisme qui affirme que Dieu se communique à l'homme en la personne de Jésus-Christ. Né en 1905 à Lucerne (Suisse), dans une famille bourgeoise, il se passionne dès 5 ans pour la musique. Il fait ses études secondaires chez les bénédictins puis chez les jésuites autrichiens de Feldkirch. Il étudie ensuite à Vienne la littérature germanique et est conquis par le docteur et psychologue converti, R. Allers, pour lequel l'amour mène l'homme à son plein développement et à Dieu. En 1928, à Zurich, il devient docteur en lettres germaniques avec une thèse sur « l'eschatologie en littérature allemande ». Il part ensuite à Berlin pour approfondir la littérature allemande et subit l'influence de Guardini qui dans ses cours voulait toucher les hommes à travers les grands écrivains. Il étudie ainsi les grands idéalistes allemands et leurs adversaires, Kierkegaard et Nietzsche, partisans, l'un d'une vérité subjective, l'autre de la volonté de puissance du surhomme. Entre 1937 et 1939, il publiera l'Apocalypse de l'âme allemande en trois volumes.
Entre-temps, après une retraite ignatienne, il entre en 1927 chez les jésuites. Il est déçu par les cours de philosophie et de théologie, mais il a le bonheur de rencontrer à Pullach (Munich) le philosophe Przywara et, à Lyon, le Père de Lubac et les compagnons de théologie Daniélou, Bouillard, Lyonnet, Mollat, Varillon qui veulent revenir aux Pères de l'Église et aux philosophes contemporains, Bergson, Maritain, Gilson. Parmi les Pères de l'Église, il fut surtout marqué par Origène et la liturgie cosmique de Maxime le Confesseur. Ordonné prêtre en 1936, il est attaché à la prestigieuse revue Stimmen der Zeit où il collabore avec les frères Rahner, mais doit rentrer en Suisse dès 1939 à cause de la guerre. Il refuse une chaire à la Grégorienne et devient aumônier des étudiants à Bâle. Il fait connaître les grands écrivains catholiques français: Claudel, Péguy, Bernanos, Mauriac et met en scène le théâtre de Claudel.
En 1940, il fait la rencontre de sa vie en la personne d'Adrienne von Speyr (1902-1967), alors médecin et malade, que Balthasar visite à l'hôpital dont il était aumônier. Elle était mariée et avait deux enfants de son premier mari. Protestante, elle parle avec Balthasar et se convertit. Elle fut aussitôt comblée de grâces extraordinaires (visions, guérisons, stigmates, participation à la Passion du Christ). Convaincu de la réalité de ces grâces et d'une mission spéciale d'Adrienne, Balthasar se laissa influencer par elle dans l'orientation de sa théologie. Il l'a admis sans ambages et était convaincu que tous deux avaient une mission ecclésiale. Ils fondent l'Institut séculier Saint Jean, pour les deux sexes, et chaque jour, B. note pendant une demi-heure les pensées que lui dicte Adrienne parce qu'elle « les voit ». Sa pensée est profondément trinitaire. Elle est convaincue que le Samedi-Saint, Jésus est littéralement « descendu aux enfers », c.-à-d. chez les damnés, pour les sauver, en sorte que l'enfer existe encore, mais est vide. Balthasar fait sienne cette théorie et la défendra jusqu'à la fin de sa vie.
Après avoir fait étudier le cas par le Père Rondet, la Compagnie de Jésus ne croit pas à la mission divine d'Adrienne et met le Père en demeure de choisir entre elle et la Compagnie. Il quitte la Compagnie à regret. Mais alors, l'évêque de Bâle, qui se posait aussi des questions à leur sujet, prie Balthasar de quitter son diocèse. Il part donc à Zurich et est incardiné dans le diocèse de Coire. Avec un ami, B. fonde sa propre maison d'édition, la Johannes Verlag et publie les oeuvres d'Adrienne ainsi que les siennes, les grands auteurs français souvent traduits par lui-même, et bien d'autres oeuvres.
Sa fermeté doctrinale le fait taxer de « conservateur » et il n'est pas invité au concile en 1962. Il est vrai qu'il n'a pas encore publié sa grande oeuvre. Il écrit beaucoup de petits volumes de spiritualité et des anthologies de grands auteurs ou de grands sujets. Avec le concile, il demande alors une Église moins liée à la tradition, plus présente au monde, plus exposée et plus vulnérable. Ceci le fit passer chez les « progressistes », car il demandait une vérité toujours repensée pour demeurer vitale. Il souhaitait continuer le mouvement d'incarnation du Christ dans le monde et invitait les chrétiens à s'exposer comme le Christ dans leur faiblesse.
Sa grande oeuvre, la trilogie en treize volumes, fut composée entre 1961 et 1987 (un an avant sa mort). Elle comprend La Gloire et la Croix (5 vol.), La Dramatique divine (5 vol.) et la Théologique (3 vol.), et se base sur l'amour divin incarné dans le Christ. Dieu se révèle dans la beauté du monde et la liberté humaine. Il est don jusqu'à la kénose, dans la Trinité et la création. Il permet à la créature humaine de refuser son don. Le grand drame de la création, est celui de l'incarnation-passion-mort et résurrection du Christ par lequel Dieu sauve toute l'humanité, passée, présente et future.
Contrairement à son ami bâlois, K. Barth, Balthasar n'a pas voulu composer une construction théologique bien ordonnée et monolithique. Sa méthode lui laisse beaucoup plus de liberté dans le traitement du sujet, mais avec nombre de répétitions et de développements parallèles; donnant libre cours à son intuition, mélangeant littérature, théologie, philosophie pour témoigner de l'amour qui se révèle de façons multiples. En 1972, avec le P. de Lubac, il contribua à la fondation de la revue
internationale Communio pour s'opposer au « progressisme » de la revue Concilium et, précise Balthasar, pour garder la vérité catholique intacte, sans accommodements. Après avoir refusé le cardinalat, il l'accepta finalement en 1988 et mourut deux jours avant de recevoir la barrette cardinalice.
Balthasar ne fut guère apprécié de son temps, considéré comme « progressiste » sous Pie XII et comme « conservateur » après le concile. De Lubac l'estimait comme « un homme d'Église et de communion ». Après avoir écrit une biographie de Balthasar, E. Guerriero, théologien et éditeur des oeuvres de B. en italien, présente ici un bon condensé de son oeuvre théologique. Il met de la clarté dans cette oeuvre touffue, mais reconnaît que Balthasar a aidé lui-même ses commentateurs en expliquant le lien qui unit toute son oeuvre. - B. Clarot sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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