Henri de Lubac t. II. Les années de formation (1919-1929), préf. E.Tourpe

Georges Chantraine
Teología - reviewer : Simon Decloux s.j.
Ce volume s'inscrit dans la collection «études lubaciennes». Comme septième volume de cette collection, il fait suite au début de la biographie d'Henri de Lubac (t. I. De la naissance à la démobilisation [1896-1919] paru en 2007).
Le Père Chantraine a voulu rassembler en les ordonnant, dans ce second tome, tous les documents de première main datant de l'époque 1919-1929. Cette période couvre les «années de formation» d'Henri de Lubac, à savoir - dans son cas - la fin du temps du noviciat (celui-ci ayant été interrompu par la guerre et la mobilisation), la période appelée «juvénat», consacrée aux langues et à l'histoire (à Cantorbéry, de janv. à sept. 1920). Viennent ensuite trois années de philosophie (sept. 1920-sept.1923) à Jersey, une année de «régence» au collège de Mongré (sept. 1923-sept.1924) comme aide à ses aînés en collaborant aux activités du collège; l'étude de la théologie se fera à Ore Place, près de Hastings, pendant deux ans (1924-1926) et se prolongera à Lyon-Fourvière de 1926 à 1928. Finalement, il clôturera sa formation jésuite à Paray-le Monial, en faisant le «troisième an», reprenant dans la lumière de l'engagement religieux l'ensemble du chemin de formation (sept. 1928-juin 1929).
L'auteur de cette biographie, qui a rassemblé tous les documents d'archives concernant ces années de formation, entraîne le lecteur dans les étapes successives de celle-ci en relevant les différents aspects de l'expérience vécu par Lubac: rapports familiaux, état de santé, relations d'amitié et de travail avec un groupe de compagnons engagés dans le même cheminement religieux, cadre de travail et de l'enseignement reçu, premiers fruits d'une réflexion, à la fois philosophique et théologique qui s'affronte, dans la lumière de la tradition et de la nouveauté chrétienne, aux débats modernes, et qui n'hésite pas à s'exprimer déjà, dans des écrits - non publiés, bien sûr, si ce n'est dans les Quodlibeta du scolasticat - prenant position rationnellement dans certains débats de l'heure, tout en annonçant des écrits qui seront rédigés et publiés plus tard.
Il serait difficile de faire le résumé d'un livre aussi chargé d'information et d'enseignement. Qu'on me permette donc de me limiter! Je reproduirai ici quelques textes, parmi tant d'autres, particulièrement significatifs de ce qu'on été pour Lubac ces (relativement) longues années de formation. S'y sont forgées, en même temps que des relations d'amitié profonde entre compagnons partageant le même idéal, les premières certitudes d'une réflexion, à la fois philosophique et théologique, qui ne tardera pas à s'exprimer avec force, au moins dans les débuts de l'oeuvre future.Le choix de l'auteur étant de mettre généralement le lecteur en contact avec la correspondance de Lubac, c'est en citant quelques passages de l'une ou l'autre de ces lettres que j'évoquerai l'un ou l'autre aspect particulièrement significatif des 20 années qui nous sont globalement décrites.
Tout d'abord en ce qui concerne sa santé, Lubac en transmet lui-même le diagnostic à un de ses compagnons, Robert Hamel, qui est sans doute l'ami auquel il est le plus affectivement lié: «Et à la suite d'un mal d'oreille, un foyer infectieux s'est produit dans la région de l'oreille interne, foyer qu'il est pratiquement impossible de repérer avec précision comme de combattre directement et qui a peut-être déterminé la formation de deux autres foyers, avec deux endroits où le mal est habituellement plus localisé, en tout cas il entraîne des troubles vaso-moteurs qui expliqueraient bien les fatigues et l'affaiblissement» (p. 516).
Les vertiges et les états d'épuisement qui en résultent réduisent drastiquement le temps à consacrer au travail - ce qui rend d'autant plus étonnante l'activité intellectuelle de Lubac. Plus tard celui-ci écrira au même Robert Hamel, en exprimant plus explicitement la résonance spirituelle qu'éveille en lui son état: «Sans chercher de vraies souffrances, ce n'est pas une petite affaire que d'accepter le dénuement de la croix, comme il s'offre. Cela ne se peut sans un grand souffle d'amour» (p. 722). Cela pourrait suffire à qualifier les liens spirituels qui unissent Lubac à ses compagnons de formation; tant d'autres textes confirmeraient qu'on a affaire à de jeunes hommes qui ensemble cherchent Dieu et sont désireux de Le servir au mieux de leurs possibilités.
L'amitié vécue par Lubac est une amitié ouverte, même si, au vu de sa correspondance, quelques personnes lui sont particulièrement proches; à côté de Hamel, déjà rencontré, on peut citer tout au moins Fessard et de Montcheuil. C'est à Fessard que, peu avant de quitter Fourvière, Lubac écrit ces mots: «Il faut bien aussi (quoique je vous entende vous récrier) que je vous demande un peu pardon, et même beaucoup, car j'ai conscience que, si j'avais eu plus de prudence, et de sagesse, et de vertu, notre collaboration eût été meilleure, et nous aurions évité quelques uns des inconvénients auxquels nous nous sommes heurtés. En particulier, ces derniers temps, le centre d'attraction charitable que constituait ma chambre a sans doute contribué à nous recroqueviller un peu et à nous donner des allures ésotériques, chose toujours regrettable, même lorsqu'il ne s'agit que d'apparences. À ce point de vue je ne suis pas mécontent de quitter la maison» (p. 652).
Pourrait-on voir dans une réaction à la situation ici décrite, en même temps que dans l'orientation intellectuelle de ces compagnons - par ailleurs prometteurs - une sorte de point d'appui, à côté d'autres s'appuyant davantage sur l'orientation intellectuelle de ce groupe, peu conforme aux orientations de certains aînés, une des sources du soupçon, jeté lors d'une visite en France en 1929 de l'Assistant du Supérieur Général de la Compagnie de Jésus, le Père de Boynes (un français), sur Lubac et ses compagnons? Le Père Chantraine, qui relate dans le détail les épisodes qui ont suivi la visite, démontre de manière convaincante que ces événements, et ceux qui entourèrent le fonctionnement de groupe «La Pensée», n'ont aucun lien avec l'intervention du Saint-Siège, 20 ans plus tard, en 1950 (Humani Generis).- S. Decloux sj

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