Il renverse les puissants. Portraits de chrétiens contestataires

Jean-Baptiste Ghins Timothée de Rauglaudre Matthias Petel
Moral y derecho - reviewer : Xavier Dijon s.j.

Deux doctorants, Jean-Baptiste Ghins (philosophie) et Matthias Petel (droit), cofondateurs du Collectif Bâtir le bien commun, se sont adjoint le journaliste Timothée de Rauglaudre pour brosser le portrait de douze chrétiens (dont cinq chrétiennes) qui ont fait le choix de combattre les structures qui opprimaient leur peuple, que ce soit en Afrique (Alioune Diop et Desmond Tutu), en Amérique latine (Gustavo Gutierrez et Ivan Illich), aux États-Unis (Dorothy Day, Fanny Lou Hammer et Vida Dutton Scudder) ou en Europe (Emmanuel Mounier, Charles Plisnier, Dorothee Sölle, Simone Weil et Joseph Wresinski). Le thème de cet ouvrage stimulant peut se trouver résumé dans l’illustration de la couverture : comment mettre ensemble le poing fermé en signe de contestation avec le chapelet qui l’entoure ?

Alors que la mentalité courante range le christianisme du côté de la droite – voire de l’extrême-droite – de l’échiquier politique, les auteurs ont voulu montrer que la foi au Christ peut nourrir le combat pour l’émancipation et fortifier le courage de ceux qui le mènent contre les maux sociaux de notre temps : la misère, le colonialisme, le racisme, l’apartheid, la surconsommation, le scientisme, le capitalisme… Il existe donc une tradition chrétienne de lutte sociale qui ne peut se satisfaire du seul appel à la conversion personnelle, et qui méritait d’être illustrée par ces douze petites biographies d’hommes et de femmes qui ne sont sans doute pas, disent les auteurs, des modèles absolus, mais qui nous émeuvent par leur recherche de justice inspirée par la foi.

À plusieurs endroits des parcours évoqués se rencontre la confrontation de ces chrétiens avec le socialisme. La question n’est pas neuve, au moins depuis l’apparition, il y a un demi-siècle, des Chrétiens pour le socialisme en Europe et de la théologie de la libération en Amérique latine. Il est vrai que les outils d’analyse venus du socialisme (marxiste ou non) mobilisent la réflexion et l’action de bon nombre de militants, mais jusqu’où, p. ex., la lutte des classes peut-elle servir d’arrière-fond à la pratique chrétienne ? Les A. espèrent en tout cas que, contre la diabolisation de l’ennemi politique, « l’ancrage dans la compassion saura tracer le sillon d’une gauche miséricordieuse » (p. 25).

Les douze portraits, bien documentés, se lisent aisément et encouragent le chrétien timide (que nous sommes parfois) à oser dénoncer les situations oppressives qui obèrent la vie de beaucoup de nos contemporains. Sur ce point, les chrétiens ont d’ailleurs le redoutable avantage de pouvoir dénoncer la racine de ces maux sociaux : elle se trouve dans le lien à Dieu. En ce sens-là la lecture de l’ouvrage pourrait s’enrichir d’un approfondissement de la notion de structures de péché déterminée par Jean-Paul ii dans son encyclique Sollicitudo rei socialis (1987). Ces structures « ont pour origine le péché personnel et, par conséquent, sont toujours reliées à des actes concrets des personnes, qui les font naître, les consolident et les rendent difficiles à abolir ». Le pape reconnaît que « “Péché” et “structures de péché” sont des catégories que l’on n’applique pas souvent à la situation du monde contemporain », mais il ajoute aussitôt « Cependant, on n’arrive pas facilement à comprendre en profondeur la réalité telle qu’elle apparaît à nos yeux sans désigner la racine des maux qui nous affectent » (SRS 36).

Une question que l’on pourra se poser au-delà de l’ouvrage : si le chrétien assigné dans le camp politique de la droite peut très légitimement, au nom de sa foi, passer du côté gauche pour faire siennes les légitimes revendications des populations opprimées, pourra-t-il endosser toutes les émancipations que la gauche promeut dans le champ public, en particulier dans le domaine si bouleversé aujourd’hui, de l’éthique relative au corps et à la vie ? Ou bien devra-t-il plutôt poser le choix de ne pas mettre tous les œufs de la foi dans le même panier politique ? — X. Dijon s.j.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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