L’intention de cet ouvrage se veut théologique en déterminant la responsabilité de l’Église par rapport à sa mission reçue du Christ et à la liberté qui fonde la dignité de la personne humaine. Dans quelle mesure cette faculté a-t-elle été respectée ou ignorée ? Elle est inséparable de la personne, reconnue par l’Écriture, même si l’usage du terme est plus tardif. Son statut est de s’intégrer dans une société. La liberté engage sa responsabilité morale face au choix entre le bien et le mal. Tentée par le choix du mal, la liberté a besoin d’en être libérée par le Christ pour s’ouvrir à l’amour de Dieu et des frères humains. Tels sont les éléments de base à partir desquels se développent trois parties : la révélation de la liberté dans la Bible et son développement dans l’histoire de l’Église ; le comportement effectif de l’Église dans sa mission d’éducation de la liberté ; enfin, les failles de l’Église affrontée à l’esclavage et à l’hérésie.

Dans l’AT, la liberté se traduit concrètement par la libération de l’esclavage du peuple juif en Égypte, ce qui équivaut à son élévation à la dignité de fils premier-né, partenaire de l’Alliance de Dieu et invité à son obéissance. Cette libération fut menée à terme par Jésus, modèle de liberté face au destin douloureux de sa passion, dans une totale docilité envers son Père. Libre envers la Loi, il revendique son autorité, révélatrice de son identité, et sa prétention par rapport à l’enseignement de Moïse, au pardon des péchés, à l’invitation à le suivre et à sa filiation divine.

Deux noms émergent de la période patristique : Irénée et Augustin. Adversaire des gnostiques, Irénée professe la vocation de l’homme à la liberté, sa faculté de décision. Si Dieu n’a pas créé les anges et les hommes dans un état d’impeccabilité, c’était pour maintenir le bien dans le domaine du désir, à l’écart de la nécessité. Une perfection originelle élèverait d’entrée de jeu la créature au rang du Créateur. Un processus de développement fait devenir l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu en lui obéissant pour la vie, la désobéissance le menant à la mort. Augustin sera évidemment le champion du libre arbitre, entendu comme pouvoir de choix entre le bien et le mal, tandis que la liberté se réalise dans l’amour du bien. Son conflit avec l’hérésie donatiste tombée dans la violence le poussera à consentir à l’usage de la force, dont useront les empereurs pour assurer la sécurité, sans refuser le « compelle intrare ».

Durant la période médiévale, St Thomas privilégiera la notion de personne (surtout divine) par rapport au libre arbitre. À l’aube des temps modernes, l’Église vit un triste état de simonie et de corruption, tandis que deux découvertes transforment la culture : celle de l’imprimerie et du Nouveau Monde. La réforme, dont l’Église s’est avérée incapable, fut lancée par Luther, héraut de la justification par la foi et non par les œuvres, une thèse que reprendra le concile de Trente en 1545.

La seconde partie entend aborder avec grande prudence et humilité le rôle de l’Église sur le terrain de la liberté et du développement de la personne. Durant l’Antiquité, la communauté chrétienne minoritaire et menacée revendique la liberté religieuse comme un droit naturel avec Tertullien. Elle est accordée par l’édit de Milan, mais laissée au gré des empereurs subséquents. L’expansion du christianisme s’est cependant accompagnée de schismes et d’hérésies. L’argument de bonne foi fut écarté par l’idée d’une persécution juste dans un état d’emmêlement des pouvoirs civil et religieux.

L’époque médiévale se caractérise par le modèle de chrétienté avec l’Église comme dominante, le développement des universités et le prestige de la papauté qui marqueront la civilisation occidentale. Suivent les temps modernes qui substituent la preuve de la vérité à l’argument d’autorité, l’autorité du peuple à celle du prince, et inaugurent la méthode scientifique et l’industrialisation. Ces transformations ont leur incidence sur le discours religieux affronté à la division entre la Réforme et la Contre-Réforme. Que devient la liberté ? Les ordres religieux nouveaux auront soin de l’éducation du peuple chrétien et contribueront à l’expansion missionnaire. Mais R. Simon est victime d’une réaction au détriment d’une légitime liberté dans le domaine exégétique. La révolution préparera la sécularisation par étapes allant du concile de Vatican i, à la crise moderniste, et à l’Action française pour aboutir au dernier concile.

Ce survol historique débouche sur la dernière partie, cœur du sujet critique, l’atteinte à la liberté sous deux formes : l’esclavage et l’Inquisition. L’esclavage est une pratique accusatrice de la tolérance dont il a bénéficié de la part de l’Église. Deux moments sont à distinguer. Durant l’Antiquité, l’Église s’est trouvée devant un fait social qu’elle s’est efforcée de moraliser à la suite de Paul sans songer à l’abolir mais plutôt à le tarir à sa source. Les Pères suivront cette ligne. Il sera même compris comme un châtiment pour une faute ancienne.

Une nouvelle forme d’esclavage devra être affrontée avec la traite des Noirs, imputable au Portugal, avant la découverte de l’Amérique, puis à l’Espagne. Leur entreprise de colonisation s’accorde tous les droits, les Indiens se trouvant remplacés par les Noirs, réputés plus résistants, avec l’aval de Las Casas, défenseur des Indiens, une pratique qui se poursuivra jusqu’au milieu de xixe s. Le commerce des Noirs entre dans les mœurs. Des mesures juridiques sont prises pour prévenir les abus, sans échapper à l’ambiguïté, y compris du côté des théologiens en quête de justification biblique. Quant à la papauté, elle s’est repliée dans le silence et la complaisance envers le pouvoir colonisateur. Le xvie s. sera marqué par un tournant, le Saint Siège se ralliant au mouvement antiesclavagiste. Malgré la difficulté à porter, à des siècles de distance, un jugement sur ce genre de pratique, l’Église apparaît pécheresse et en besoin de conversion.

Plus grave apparaît la responsabilité de l’Église avec l’Inquisition, admise grâce à un état de chrétienté unifiant les pouvoirs spirituel et temporel. Est en cause son comportement envers ses propres hérétiques, tels que les cathares dans le midi de la France et en Italie ou les Vaudois. Ce tribunal, chargé de poursuive les personnes suspectes d’hérésie, n’excluait pas le recours à la torture, à charge pour elles d’établir leur innocence. Dans une première étape, jusqu’à la fin du xiie s., il était placé sous l’autorité épiscopale. Dans un second temps, il fut confié à des religieux, agissant en tant que légats du pape, la peine la plus grave étant le bûcher. À partir du xve s., en Espagne, elle fut confiée aux princes, pour disparaître sous le coup de la Réforme.

La question cruciale est celle des peines. Qu’elles soient spirituelles se comprend. Mais comment en est-on passé à des peines physiques ? La raison demeure l’alliance du spirituel et du temporel qui assimile l’hérétique à un délinquant, au détriment de la liberté de la foi. Les excès et les dérives ne causèrent qu’une molle réaction de la part des papes. St Thomas lui-même s’est laissé prendre au piège en légitimant les peines temporelles, au moins dans une intention prophylactique, laissant au pouvoir temporel l’exécution finale. Cette pratique semblait aller de soi pour prévenir une dissidence inséparablement religieuse et politique. Telle se présente la face sombre de l’Église médiévale, engageant gravement sa responsabilité.

La complaisance de l’Église envers l’esclavage et sa compromission avec l’Inquisition s’inscrivent dans un devenir de la foi conditionnée par son contexte historique, vers l’eschatologie qui réserve à son infaillibilité sa pleine réalisation. L’époque moderne s’est-elle libérée de l’esclavagisme ? Il revêt une forme migratoire, nouvelle occasion d’exploitation au péril de la vie des migrants. Les remèdes sollicitent bien des initiatives.

L’intérêt de cet ouvrage est d’offrir une vue d’ensemble sur une dramatique incohérence de l’Église prise entre la place éminente de la liberté et des droits de la personne surtout dans le domaine de la foi, et le consentement à la contrainte consécutive à l’union du sabre et du goupillon. Si l’A. évoque, mais en peu de mots, la crise des années 1950, la réaction antimoderniste (p. 132) aurait pu rappeler la « Sapinière », un organisme de délation, qui fait écho à l’Inquisition (les peines physiques en moins). Passons sur l’une ou l’autre redite dans la deuxième partie (Augustin, la découverte de l’imprimerie et du Nouveau Monde) pour relever la clarté d’un exposé dont la foi ne sort pas indemne en découvrant une Église défigurée par les actions et surtout les omissions de ses responsables. — G. Remy

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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