C'est à une étonnante et stimulante expérience d'«exégèse» que
s'expose le lecteur de cette «clef céleste» fournie par le
philosophe polonais Leszek Kołakowski (né en 1927). Contraint à
l'exil (1968) sous Gomułka pour sa critique du marxisme et du parti
communiste (dont il fut d'ailleurs membre) il s'intéressa dès 1965
de plus en plus positivement aux questions religieuses et plus
précisément au christianisme. Vis-à-vis duquel notre philosophe
adopte une position souvent provocatrice lui reprochant de «marcher
avec le siècle». On ne s'étonnera pas donc d'être quelque peu
désarçonné en manipulant cette «clef» pour ouvrir ces récits
édifiants où les grandes scènes de la Bible (Dieu, Le peuple
d'Israël, Caïn, Noé, Sarah, Abraham, Ésaü, … et encore onze autres
«lieux» scripturaires). L'A. les convoque et les glose avec humour
pour qu'elles présentent un espace de questionnement et de
réflexion de nature éthique. D'ailleurs, chaque récit se termine
par une ou plusieurs «morales» comme nos fables d'antan. Mais cela
va très loin car, paradoxe, c'est le prétendu irrationnel de la
conduite souveraine de Dieu relatée dans le «conte» qui en vient à
mettre à la question nos raisons définitivement trop courtes. On le
comprendra, à propos de l'ânesse de Balaam, «ne dédaignons pas la
voix de qui fait la bête, car il arrive que cette voix soit mieux
informée» et «qu'il est contraire au bon sens de recourir au bon
sens dans une querelle avec le sens absolu». Subtiles, parfois
énigmatiques ces «morales», analysent l'agir humain soit qu'il
relève d'un choix et d'un discernement individuel, soit qu'il
touche à la conduite politique des affaires publiques. Pour
celles-ci, on perçoit en arrière fond la critique des régimes
totalitaires ou celle de toute légitimation d'un pouvoir abusif.
C'est que Kołakowski, depuis 1965, s'est de plus en plus interrogé
«sur les valeurs et le langage qui transcendent l'ordre du savoir
et du pouvoir, toujours marqués d'une tentation totalitaire (dans
Piwowarczyk B., Lire Kołakowski. La question de l'homme, de la
religion et de l'Église, Cerf, 1986, p. 111). La «clef céleste»
serait-elle ce «sens absolu» dont le tranchant vient lever
l'indéfini de nos délibérations? Est-ce à la Foi de critiquer la
Raison? On serait bien tenté de le penser quand on se souvient de
ce texte de notre A. (publié en 1983 dans la revue Le Genre humain,
éd. Complexe, p. 75-80) dont le titre était: «Comment une vérité
sans Dieu est-elle possible? Réponse: en aucune manière»! Il reste
que pour nos «affaires» et leur morale, c'est une autre histoire.
L'ancien professeur de logique ne manque pas d'en éclairer les
incohérences ou d'en maintenir l'ambiguïté indécidable. - J. Burton
sj