Un des premiers livres de M. Bellet (1968) porte le titre:
«Construire un langage». On peut dire que, depuis lors, l'A. s'est
résolument mis à l'oeuvre. Quant au fond, l'intention fondamentale
est une sorte de «refondation» de l'enjeu chrétien: qu'en est-il du
Christ aujourd'hui, que peut-on en dire là où nous sommes parvenus?
Après l'effondrement des grandes instances, dont le religieux,
peut-on encore croire à un avenir du christianisme? Et quel type de
langage tenir sur tout cela? Sera-ce théologie, «psychanalyse
appliquée au christianisme», «poétique de la foi», etc.? Là encore,
quant à la forme, invention: M.B. invente une manière de dire,
comme un explorateur. Sous un style abstrait, de l'incandescent,
des éclairs de chaleur, des élans de tendresse, dans la nuit
obscure de notre monde.Dans son oeuvre, M.B. a déjà largement
labouré, en multiples allées et venues, la question chrétienne. Ce
livre-ci apparaît comme un récapitulatif sous l'enseigne d'une
quatrième hypothèse sur l'avenir du christianisme. Au point où nous
sommes, nous ne pouvons plus répéter, prolonger, restaurer. Ce
qu'il faut, c'est se porter au point inaugural, au lieu même où
agit le Christ. Revenir au commencement, à la parole inaugurale
toujours inouïe. Écouter d'une oreille neuve ce qui se dit là, pour
inventer. Car, pour l'A. ce qui s'est perdu ce n'est pas tant Dieu
(«Dieu est mort»), mais, plus profondément, le Christ et toute la
dimension christique.
Ce chemin peut séduire, il procure en effet une grande liberté,
stimule la critique. Mais ce n'est point du tout dans le style «du
passé faisons table rase»; c'est, si l'on peut dire, recommencer
l'humanité en passant de la mort à la vie par la voie de l'amour.
On comprendra que cette «refondation» ne relève pas que du
discours. S'agissant de chacun et de chacun avec tous, la démarche
est une traversée en acte et en vérité qui peut prendre la forme
d'une rude épreuve, dans les douleurs d'enfantement. Penser et agir
selon la quatrième hypothèse, c'est, dans le lieu du Christ, passer
par l'écoute et l'éveil, la pensée originante et la pensée
explorante, le souci du monde pour qu'advienne, non pas un nouveau
christianisme revu et corrigé, mais le Christ même comme voie,
vérité et vie pour tout homme.
Voilà qui paraîtra à plus d'un, obscur peut-être ou prétentieux.
Mais si «l'issue» était par là? Pourtant, ici, point de recettes…
des paroles semées pour donner de quoi penser et agir. Un livre n'y
suffit certes pas. Aussi M.B. propose, à la fin de son ouvrage,
d'«y aller voir» par soi-même ou en groupe: un exercice, un
itinéraire qui peut, selon les besoins, comporter des entrées
diverses. - H. Thomas, O.S.B.