Lacordaire et Lamennais (1822-1832). La route de la Chênaie

Anne Philibert
Historia - reviewer : Bernard Joassart s.j.
D'entrée de jeu, je dois bien avouer que la lecture d'un tel ouvrage, issu d'une dissertation doctorale, suscite en moi des sentiments partagés.
Rien qu'au vu des noms des deux personnages cités dans le titre, on devine que le sujet est d'importance: l'un et l'autre furent des personnages de premier plan du catholicisme du 19e siècle. Encore faut-il préciser que l'A. voulait étudier principalement le cheminement du premier des deux protagonistes, en partant d'ailleurs du début de sa vie. Mais par la force des choses, l'auteur de l'Essai sur l'indifférence en matière de religion a pris une place importante, presque égale, dans le cours du récit, puisque, après bien des hésitations, Lacordaire finit par rejoindre le maître de la Chênaie et faire une partie de son propre chemin avec lui. Et tout aussi inévitablement, l'A. fut conduite à rencontrer toute une constellation de personnages: les uns proches et partisans de Lamennais, tels Charles de Montalembert, qui demeura d'ailleurs l'ami fidèle du futur restaurateur de l'Ordre dominicain en France, ou encore Gerbet et Salinis; les autres, adversaires plus ou moins farouches. À ce titre, l'insertion d'une abondante galerie de portraits au coeur de l'ouvrage mérite d'être mentionnée: sans vouloir céder à la mode actuelle du visuel à tout prix, il est toujours de bonne aide de disposer d'un tel support qui permet de mettre des visages sous des noms. Revenons au contenu, ou plus exactement sur la facture du livre. Nul doute que l'A. a fait preuve de beaucoup de talent et de persévérance pour tenter de cerner la personnalité tant des personnages de l'avant-scène que de leurs partisans et de leurs contradicteurs, de même que l'évolution de leurs positions respectives, évolution qui, dans le cas de Lacordaire, l'amena à se séparer de Lamennais (lequel, on le sait, finit par rompre avec l'Église), et à suivre une voie différente tout en demeurant à jamais marqué par son expérience de compagnonnage avec l'abbé. On perçoit, tout au long du livre, une fréquentation minutieuse des sources, dont bon nombre d'extraits sont cités; et à ce titre également, l'ouvrage est de qualité.
Mais… Je suis certes, par principe, ennemi résolu des versions «light» de travaux de recherches pour la publication desquels les éditeurs forcent souvent les auteurs à comprimer leur texte tout simplement pour des raisons de coûts financiers. Et dans le cas des travaux historiques, il est toujours périlleux de vouloir abréger: la complexité du réel risque d'être gommée. Cependant, même en tenant compte que l'A. ne s'est pas intéressée qu'aux seules dix années indiquées dans le titre, mais bien, comme on l'a dit, à toute l'existence de Lacordaire jusqu'à sa rupture avec Lamennais, et presque tout autant à toute la carrière de celui-ci jusqu'à cette rupture, même en prenant en considération que rares parmi les lecteurs sont ceux qui auront lu les ouvrages et autres écrits (articles de journaux, brochures, correspondances) dans lesquels les acteurs ont exprimé leur pensée, le lecteur est emmené dans un véritable pas à pas à travers plus de 1000 pages de texte principal. Et si l'on est heureux de découvrir les quelques trente pages de conclusion, ce n'est pas uniquement parce qu'on arrive au bout d'un long exercice, mais parce que l'A. y fait - enfin, est-on tenté de dire - oeuvre de synthèse. À voir ces ultimes pages, on est d'autant plus porté à regretter qu'elle n'ait pas réalisé un semblable effort tout au long de son ouvrage, et qu'elle ait rédigé un ouvrage qui risque parfois de lasser. Le «à lire» par lequel un recenseur est toujours heureux de pouvoir conclure son appréciation doit, et je le regrette, être assorti, dans le cas concret, d'une invitation à la patience.
Je me permettrai enfin d'ajouter qu'en matière d'histoire religieuse, il n'est jamais inutile de faire parfois vérifier certaines données positives qui peuvent échapper aux plus jeunes générations de chercheurs. Ainsi, dans l'«Index des noms de personnages mythologiques et bibliques et des noms de personnes de l'Antiquité», on est étonné de voir que les saints Luc et Marc soient présentés chacun comme l'«un des douze apôtres des Évangiles»! Et il est de ces formules qui mériteraient une tournure plus exacte, ou à tout le moins demanderaient une explication. C'est le cas de celle qui évoque l'ordination au sous-diaconat de Lamennais; l'A. écrit qu'elle était «la plus solennelle des ordinations en raison de son caractère irrévocable». Voilà qui n'est pas faux, mais n'est peut-être pas tout à fait précis, car on souhaiterait savoir en quoi consistait ce caractère irrévocable, réalité sans doute ignorée de beaucoup de nos contemporains. Cette ordination était telle parce qu'elle était la réception du premier des ordres majeurs et qu'elle comportait l'engagement de l'ordinand au célibat perpétuel. - B. Joassart sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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