Le buisson ardent et les lumières de la raison. L'invention de la philosophie et de la religion. T. II. Les approches phénoménologiques et analytiques

Jean Greisch
Filosofía - reviewer : Hubert Jacobs
Voici les deuxième et troisième tomes de cette étude monumentale. La NRT a rendu compte du premier (t. 126 [2004] 493) où, après une Introduction générale, l'A. abordait les approches spéculatives et critiques de la philosophie de la religion. Dans le deuxième, en même temps qu'il passe à l'époque contemporaine, il en étudie les paradigmes phénoménologique et analytique. Une perspective guide J.G. dans l'ensemble de sa recherche. Les lumières qui émanent du buisson ardent et celles de la rationalité philosophique, pour si manifestement distinctes qu'elles soient, ne sont pas condamnées à la dramatique opposition que Pascal indiquait. Il doit être possible de surmonter l'alternative pascalienne au nom d'une «raison ardente» qui n'est pas fatalement réduction aux affirmations minimales de la religion naturelle.
De nombreux penseurs sont passés en revue dans le paradigme phénoménologique, depuis E. Husserl jusqu'aux «nouveaux horizons» de la phénoménologie, qu'illustrent les pensées d'E. Lévinas, J.-L. Chrétien, J.-Y. Lacoste, J.-L. Marion et M. Henry. Les derniers philosophes évoqués ont conduit à ne pas pouvoir esquiver D. Janicaud et ses critiques du «tournant théologique» de la phénoménologie. Un tel parcours a évidemment exigé que l'on souligne la diversité des acceptions que peut recouvrir le terme de phénoménologie qui désigne, selon le mot de P. Ricoeur, «moins une doctrine qu'une méthode capable d'incarnations multiples». Les critiques de D. Janicaud semblent fondamentalement justes à J.G. qui voit dans ce tournant théologique, non la perspective de tous les travaux d'aujourd'hui, mais, à n'en pas douter, une «tendance significative». Il était donc légitime de mettre en garde contre les méprises résultant d'une confusion entre le plan d'immanence propre aux recherches phénoménologiques, et les concepts et catégories qui appartiennent au discours théologique. Mais ce tournant n'est peut-être pas propre aux penseurs incriminés. Ne le perçoit-on pas déjà chez M. Scheler en 1925? Et n'est-il pas une «possibilité inscrite dès le départ dans l'idée même de la phénoménologie», comme «science transcendantale de l'expérience»? Les premiers indices de ce tournant ne remonteraient-ils pas à Husserl lui-même? Les critiques de D. Janicaud pourraient relever d'une idée trop étroite de la théologie. En tout cas, c'est chaque auteur du «tournant» qu'il faut étudier pour lui-même afin d'en déceler la perspective particulière en matière de théologie. Aussi, pour J.G., ce débat gagne en lumière si on le rapatrie sur le terrain même de la phénoménologie de la religion, et si l'on n'oublie pas la plurivocité du concept de théologie.
Le paradigme analytique apparaît, pour sa part, dominer largement la scène anglo-saxonne. Ici aussi il faut garder présent à l'esprit la diversité des positions que recouvre l'acception générique de la philosophie analytique. Sont étudiés L. Wittgenstein, W. James, A. Ayer, I. T. Ramsey, D. Evans, D. Z. Philips. Sur la religion, les pensées sont extrêmement différentes et conduisent à la question que n'esquive pas J.G.: quelles sont les limites internes de la philosophie de la religion du type analytique?
Le troisième tome s'attache au paradigme herméneutique qui, à lui seul, occupe tout le volume. Il achève l'enquête sur l'orientation de la philosophie de la religion et de ses principales expressions aux 19e et 20e siècles. Une double tâche y est entreprise par l'A.: mieux comprendre pour quoi la philosophie de l'histoire, la philosophie herméneutique et la philosophie de la religion se sont constituées à la même époque comme disciplines philosophiques et ont inventé un modèle opératoire de l'herméneutique qui puisse affronter le problème du religieux aujourd'hui. L'A. plaide pour «une phénoménologie herméneutique» de la religion, qui demeure terre promise, car ce travail reste encore à accomplir. Ainsi, dans le présent volume, l'analyse des pensées y apparaît inséparable d'une réflexion sur les conditions de possibilité du paradigme herméneutique de la philosophie de la religion. Il définit l'herméneutique, au moins provisoirement, comme «la théorie des opérations de compréhension impliquées dans l'interprétation des textes, des oeuvres et des actions». Ici encore les démarches sont diverses, tantôt arrachant la notion de compréhension à l'emprise de l'épistémologie pour en faire une manière d'être, tantôt en refusant de dissocier explication et compréhension autant que compréhension et interprétation. Les penseurs étudiés dans ces pages sont encore nombreux; qu'il suffise de nommer W. Dilthey, H.-G. Gadamer, H. Bergson, J. Nabert, K. Jaspers, M. Heidegger et P. Ricoeur. L'érudition, la richesse et la finesse des analyses éblouiront le lecteur. Mais il sera encore plus interpellé par l'immense modestie de l'A. qui, devant l'infinie complexité des expériences et des pensées, applique au philosophe de la religion le mot de Ricoeur: «il reste un débutant; son discours demeure un discours préparatoire». - H. Jacobs sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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