Le Dieu qui ne compte pas. À l’écoute des humiliés et des boiteux
Étienne GrieuEspiritualidad - reviewer : François Odinet
Ce très bel ouvrage, qui reprend plusieurs textes publiés au fil des années et les complète de chap. inédits, est bâti sur une double intuition. D’abord, la situation spirituelle de notre temps appelle une rencontre du « Dieu qui ne compte pas », celui qui ne convient à aucun de nos calculs et défie nos rationalités. Ensuite, la contemplation d’un tel visage de Dieu est impossible sans le compagnonnage avec les personnes qui, dans nos sociétés, ne comptent pas ou plus.
La richesse de chaque chapitre est grande mais, parce qu’elle est servie par un style clair et pédagogique, elle ouvre à une première découverte autant qu’à de réels approfondissements, selon la perspective du lecteur. Faute de pouvoir présenter tous les chapitres, retenons-en trois.
Le premier est constitué par le commentaire du quatrième chant du serviteur (Is 52-53). La question du salut s’y présente sous des aspects particulièrement fragiles et incertains, qui donnent tout son prix à la réflexion. Le chapitre offre de belles pages sur le refus de la violence comme engrenage, et sur l’appel silencieux lancé par le serviteur. Celui-ci permet la naissance d’un « nous ». À partir de là, l’A. propose une conception relationnelle du salut qui en appelle à la liberté de chacun.
Le chap. 3, pour sa part, s’attelle à qualifier « l’indéracinable espérance » des plus pauvres à partir de paroles qui attestent leur souffrance. Il offre une réflexion sur la promesse qui, malgré tout, demeure à l’arrière-fond des conversations analysées et s’avère digne de qualifier toute existence humaine. Donnée dans un jeu d’appels, cette promesse demande à être confirmée dans une bénédiction. Ici encore, la liberté du lecteur est sollicitée avec autant de délicatesse que de clarté.
Quant au chap. 6, il déploie une théologie de la croix à partir de la parole et de l’expérience des plus pauvres. Les conceptions classiques de la sotériologie s’en trouvent revisitées, si bien que l’aspect salvifique de la croix est caractérisé de manière inhabituelle : le Christ reste acteur au cœur de la violence, et son action consiste à maintenir une relation ; ainsi se révèle le Dieu qui tient davantage à sa création qu’à lui-même. — F. Odinet