Ce livre est le premier qui soit traduit en français des quatre
ouvrages écrits par ce dominicain théologien, directeur de
l'Institut thomiste de l'Univ. Angélique à Rome. Il livre le centre
d'intérêt de ses recherches : la relation entre la
métaphysique et la christologie thomiste. Double est l'objectif de
l'ouvrage : exposer un certain nombre de thèses centrales de
cette christologie « pérenne » (p. 19) et montrer
que les apories posées par les différentes grandes christologies
contemporaines, catholiques et protestantes, peuvent être résolues
par le recours à la christologie développée par St Thomas et la
métaphysique qu'elle convoque. Bien qu'il soit la collation d'une
série d'articles parus dans des revues ou des collectifs, la
désunité ne se ressent pas dans la lecture (les articulations ont
été soigneusement ménagées), mais seulement dans le caractère
parfois très spécialisé de leur propos (p. ex., la centration
sur la vision béatifique ou sur l'abandon du Christ en Croix), de
sorte que le sous-titre demeure trompeur : seuls quelques
thèmes de la christologie thomasienne sont abordés.La première
partie, consacrée au mystère de l'Incarnation, parcourt la doctrine
thomiste de l'union hypostatique, s'opposant à la christologie
jugée de tendance nestorienne élaborée par Karl Rahner
(chap. 1), sa métaphysique sous-jacente, s'opposant aux
ontologies dites historicistes de Rahner et Chenu (chap. 2),
notamment l'analogie de l'être, et s'opposant ici à Barth et Jüngel
(chap. 3), ainsi que la théologie naturelle, en contrepoint
avec Söhngen et Balthasar (chap. 4), et enfin la doctrine de
la vision béatifique (chap. 5). Suivant l'ordre d'exposé de
la IIIa pars de la Somme de
théologie, la deuxième partie est consacrée à la doctrine
thomasienne du mystère de la Rédemption. Elle en envisage
différents aspects qu'elle compare à des théologies
actuelles : l'obéissance du Christ, les vis-à-vis étant
notamment Barth et Balthasar (chap. 6), l'interprétation du
cri de déréliction de Jésus sur la Croix (chap. 7), la kénose
du Christ, les vis-à-vis étant Pannenberg, Jüngel et Balthasar
(chap. 8), la descente du Christ aux enfers, le vis-à-vis
étant Balthasar (chap. 9) et la résurrection, les vis-à-vis étant
Bultmann et Rahner (chap. 10).Le grand mérite du livre réside
dans cette confrontation au sommet avec les plus grandes figures de
la théologie contemporaine. L'A. les expose avec clarté et
pédagogie ; il pointe souvent les apories des théologies
exposées. En donnant systématiquement raison à Thomas, en faisant
de sa théologie l'unique réponse à ces difficultés, il nous offre
un ouvrage de conviction et d'argumentation. Mais il pose aussi
deux problèmes. Le premier concerne la méthode : la
« conversation » (4e de couverture) ou le
dialogue promis ne s'achève-t-il pas en monologue lorsque l'un des
deux protagonistes n'apprend de l'autre que son erreur et, de
surcroît, donne la lumière sans jamais en recevoir en retour ?
Le second concerne le fond. Tout le long de son gros ouvrage, l'A.
parle à juste titre de la métaphysique (ou l'ontologie, les deux
termes ne sont pas distingués) sous-jacente à la christologie
- affirmation fondamentale et trop oubliée. Mais ce qui est
autant oublié, cette fois par l'A., c'est qu'il n'y a pas une seule
métaphysique réaliste de l'être, ainsi que Ravaisson, Blondel,
Lubac, Siewerth, Hemmerlé, Gondos-Grünhut, Zubiri, etc., nous l'ont
montré. Sortant totalement intouchée de la confrontation avec
Barth, Balthasar, etc., la christologie thomiste moderne que l'A.
prétend élaborer n'a de moderne que la nomination de l'autre et non
son contenu. Thomas lui-même contredit cette superbe anhistorique,
lui qui ne cessait non seulement d'interroger, mais de se laisser
interroger par ses contemporains. - P. Ide