Les deux visages de Dieu. Une lecture agnostique du Credo

M. Théron
Teología - reviewer : Paul Lebeau s.j.
Le point de vue qui détermine (au sens précis du verbe) l'ensemble de ce livre est clairement formulé dans le texte figurant à la 4e page de couverture: «À l'heure où les arguments de tradition et d'autorité ont perdu toute crédibilité dans le domaine religieux, où le chercheur spirituel est amené à marcher seul vers sa propre vérité, de façon adulte, sans normes posées a priori, que peuvent bien signifier pour lui les paroles antiques du Credo?» La quête du sens est donc, pour l'A., incontestablement relativiste et solipsiste. Affirmation certaine et résolue, dont, apparemment, il ne semble pas s'être avisé qu'elle est contredite, dès la première page, par l'épigraphe qu'il emprunte à Montaigne: «Il n'y a que les fols certains et résolus». Nous voici loin, nonobstant le sous-titre, de cette lecture «a-gnostique», c'est-à-dire ouverte au doute, dont l'A. se réclame. Outre la constatation de cette anomalie herméneutique, que nous apporte cet ouvrage? Passons sur un certain nombre de médiocres calembours que ce «professeur agrégé de lettres» qualifie avec solennité de «blasphèmes modernes» et de «provocation» (p. 37). Saluons plutôt ses vastes et éclectiques lectures. Il cite abondamment la Bible, mais aussi, pèle-mêle, Virgile, Sénèque, Molière, Baudelaire, Musset, Kafka, Rilke, Cocteau, Rabelais, Flaubert… (la place nous manque pour continuer cette énumération - tant il est vrai qu'aucune lecture ne saurait faire l'économie de références à une «tradition»). Ce que ces citations ont en commun, dans leur diversité, c'est qu'elle sont choisies en fonction du parti pris de l'A., tandis que les références à la tradition théologique chrétienne et aux auteurs qui s'en réclament sont pratiquement absentes. Cette constatation soulève une question que le lecteur se pose quasiment à chaque page: l'A. est-il à ce point enfermé dans sa propre perspective au point d'ignorer que les problèmes qu'il aborde ont été, pour la plupart, loyalement rencontrés depuis des siècles par de nombreux théologiens et philosophes de toutes tendances, et qu'ils ont été intériorisés dans le vécu religieux d'hommes et de femmes soucieux de cohérence? Une cohérence qui, il est vrai, n'est pas immédiatement évidente, et qui n'exclut pas certaines formes de paradoxe. Ainsi saint Hilaire de Poitiers écrivant, dans son admirable de Trinitate: «Dieu est unique, mais il n'est pas seul». Opposer au dogme et à la théologie trinitaire «le génie du paganisme polythéiste», n'est-ce pas un peu court? Le paradoxe - et il en est bien d'autres exemples, dans les Évangiles, la théologie et le vécu chrétien, voire simplement humain - n'appelle-t-il pas l'intelligence à s'ouvrir à des profondeurs du réel que méconnaît l'évidence immédiate? Soyons néanmoins sensibles à cette concession de l'A.: «Sans doute est-ce moins le nombre des contradictions logiques accumulées qui compte, que la richesse symbolique de chaque élément, même si leur union est problématique» (p. 81). Mais cette union n'est-elle pas elle-même révélatrice d'une richesse méconnue par la raison logique?
Il est vrai que l'A. poursuit - et ici, nous pouvons le rejoindre: «En général, plus il y a de symboles dans nos vies, plus profondément nous vivons. Ce n'est pas le ricanement qui fait battre le coeur. Il faut vivre par le symbole, ou mourir par la chair». Au fond, la coexistence liturgique des deux Credos, celui des Apôtres et celui de Nicée-Constantinople, qui fait l'objet de ce livre, n'est-elle pas significative du fait qu'aucune formule ne saurait, à elle seule, rendre compte de la plénitude du Mystère, qui interpelle à la fois la raison et le vécu du croyant? Ceci dit, la lecture de ce livre n'est pas dépourvue d'intérêt. L'érudition de l'A. attire parfois l'attention sur des particularités textuelles, bibliques ou liturgiques, qui méritent d'être prises en compte. Du point de vue idéologique, l'ensemble reflète assez typiquement une forme de laïcisme polémique, teinté de dérision, qui caractérise aujourd'hui une certaine intelligentsia hexagonale. Ajoutons qu'il y a en France assez de laïques ouverts pour qu'un dialogue à la fois exigeant et respectueux demeure possible, même en ce qui concerne une «lecture agnostique du Credo». - P. Lebeau, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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