Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques
(éd.) Conseil Pontifical pour la familleTextos de consulta - reviewer : Xavier Dijon s.j.
Au fil des quelque 90 verbos qui se partagent le millier de pages du livre, les 70 auteurs illustrent, en la soutenant par des considérations philosophiques, psychologiques, sociologiques ou historiques, la pensée du Magistère à propos des questions les plus actuelles de l'éthique familiale et sexuelle. Le mariage en tant que communauté naturelle de vie et d'amour sert ici de repère fondamental pour écarter les pratiques qui portent atteinte soit à la dualité sexuelle, soit à l'indissolubilité matrimoniale, soit à l'accueil et à la protection de la vie. Face à ce roc solide de l'ordre de la nature mis en valeur par l'ordre de la grâce, plusieurs discours d'aujourd'hui apparaissent fondés sur le sable. Que peut-on en effet construire de solide sur l'individualisme, l'instrumentalisme, l'émotionnel, le nominalisme, le constructivisme qui ont envahi notre culture et que le Lexique dénonce à chaque détour des exposés?
Il fallait, pensent les auteurs, faire oeuvre de salubrité en mettant le public en garde contre les glissements de langage - pour ne pas dire les manipulations - qui font parler par exemple d'«interruption de grossesse» ou de «droits de santé reproductive» pour ne pas avouer la suppression du foetus par l'avortement ou d'«homophobies» pour neutraliser les objections faites aux revendications sociales des personnes homosexuelles. On trouve effectivement dans l'ouvrage des clarifications intéressantes sur les concepts utilisés dans ces matières délicates dites de bioéthique: le genre, la santé, la procréation, etc. On rencontre aussi des développement suggestifs sur la condition corporelle des humains, l'apport du charnel à la dimension symbolique de l'humanité, le couple identité-différence (à contre-distinguer du couple égalité-diversité), l'importance de l'assignation de limites dans la tâche éducative, la difficulté que représente l'affirmation de la loi naturelle aux yeux des auteurs qui tiennent pour absolu le caractère socialement construit de l'argumentation, etc. Des points de repère sont donnés également pour faire percevoir les enjeux sociaux des questions ici soulevées: la famille atomisée fait place à des individus livrés à leur désirs et donc aux attraits de la drogue ou encore aux dérives totalitaires (y compris du libéralisme). On parle aussi de «culture de mort» et même du «césaropapisme» exercé par la pensée laïque aujourd'hui.Certes, les contributions sont inégales dans leur contenu, leur longueur et leur style. Vu la superposition des verbos, elles se répètent parfois mais grâce au précieux index thématique qui clôt l'ouvrage, le lecteur trouvera aisément les clarifications qui lui permettront de saisir, sur un thème précis, les enjeux actuels de la position du Magistère.
Sur le projet général de l'ouvrage, on indiquera une seule réticence: s'il est vrai que la morale catholique se présente souvent comme un corpus qui doit se défendre contre des courants du monde moderne qui la contredisent puissamment, y compris dans le champ du langage, il faut aussi que l'Église puisse accueillir les pensées et les désirs qui se cherchent en ce monde-là. Dans les diverses contributions du Lexique, on entend moins cette préoccupation mais parfois, au contraire, des dérapages.
Fallait-il, par exemple, citer nommément les «agents de la culture de mort» (en note 101 de la p. 468: «Avec Simone de Beauvoir, Judith Butler, Cristina Grela, Elizabeth Schüssler ou Jacques Lacan, on trouve l'ONU et les ONG qui en dépendent…) ou affirmer à propos du «nouvel attentat contre l'Humanité» que «Blondel, Lacroix, Mounier, Berdiaev ont eu leur rôle à jouer dans cette 'dynamique' perverse et dégradante» (p. 469)? On pourra regretter que la phénoménologie soit dévalorisée par rapport à l'ontologie (cf. p. 522) surtout si, ailleurs dans le Lexique, on rappelle à juste titre que la différence sexuelle «se révèle comme une dimension essentielle de l'expérience humaine élémentaire» (p. 643). On jugera aussi indiscrète, à propos des positions de Simone de Beauvoir, la suggestion suivante: «on peut se demander si la lutte contre la domination masculine, ainsi entendue, ne cacherait pas en définitive un rejet et une haine de sa propre féminité, et une sorte de dualisme inconscient et de refus de son corps» (p. 318).
En contraste avec les tâtonnements humains, la foi apparaît parfois bien peu cheminante: «Le chemin de la Vérité révélée est privilégié: en un instant, avec la plus grande certitude et la plus grande facilité pour tous les hommes, on peut arriver par la foi à la vérité définitive sur l'homme et le fondement de sa paternité» (p. 401).Du même coup, les pages du Lexique ne comportent guère de mises en question de l'Église elle-même. Sauf erreur, on n'y mentionne pas les douloureuses affaires de pédophilie qui ont portant secoué nombre de diocèses et de congrégations de par le monde, alors même qu'une contribution dénonce très justement l'hypocrisie qui, d'un côté, expose l'enfant à des expériences sexuelles et, de l'autre côté, le met en garde contre les témoignages d'affection de ses proches (p. 361).
Les remarques ici faites n'annulent en rien les mérites de ce Lexique qui a réuni tant d'auteurs dans la défense et illustration de la pensée magistérielle. Il s'agit, sur tous les fronts de l'éthique familiale et sexuelle, d'un ouvrage de confrontation avec la culture ambiante, mais n'est-ce pas souvent ainsi que se présente la situation du chrétien dans le monde d'aujourd'hui? - X. Dijon sj