Les Pères de l'Église ont été souvent soupçonnés d'antijudaïsme. À
l'heure où les chrétiens réfléchissent sur la destinée du peuple
juif, A. Massie a cherché à établir le statut du peuple juif dans
la théologie de saint Augustin en analysant le Contra Faustum, son
dernier ouvrage antimanichéen. «Contre le 'néomarcionnisme' des
manichéens, Augustin revendique l'origine juive de l'Église, tout
en reconnaissant le mystère de l'endurcissement qui a conduit à
l'extension d'une Ecclesia ex gentibus» (p. 540).L'ouvrage comporte
trois études préalables. La première présente l'ouvrage d'Augustin,
volumineux et complexe: trente-trois disputationes sur les capitula
de Faustus de Milève. Elle en fixe le contexte, la datation (au
plus tard avant 402), les thèmes, la méthode argumentative.La
deuxième étude examine la prophétologie manichéenne, non seulement
d'après les capitula de Faustus, mais aussi en citant les Acta
Archelai et le Codex manichéen de Cologne. Elle met en lumière dans
le manichéisme divers points: une conception anhistorique de la
révélation, de la prophétie, du salut, fondée sur le mythe des deux
principes et des trois temps; la condamnation du judaïsme, de la
Loi mosaïque et des prophètes, en vertu des deux principes et des
antithèses scripturaires; la réfutation de l'argumentation
prophétique des chrétiens; l'utilisation de saint Paul par les
manichéens à propos de la Loi.La troisième étude s'attache à
définir le peuple juif chez Augustin avant la rédaction du
Contra Faustum, du De moribus ecclesiae
catholicae et de moribus manichaeorum (387-389) au
De doctrina christiana (396) et aux Confessions (397-401)
en tenant compte de l'exégèse paulinienne des années 394-395. Elle
montre d'abord le développement de l'exégèse augustinienne et d'une
théologie de l'histoire selon les âges du monde, puis,
l'approfondissement, dans les épîtres pauliniennes, de la question
du salut et du libre arbitre, enfin, une herméneutique du signe.Les
deux derniers chapitres proposent l'interprétation qu'Augustin
donne du peuple d'Israël dans le Contra Faustum: l'un fait
connaître le passé du «peuple prophétique» dans l'AT et l'autre, le
présent de la «nation témoin» dans le temps de l'Église. Ces deux
notions constituent le coeur de la théologie augustinienne du
peuple juif.L'exégèse de l'AT appliquée au peuple juif est d'abord
explorée. Une recherche minutieuse justifie l'argument prophétique
des chrétiens. Elle s'appuie sur une explication allégorique des
Écritures, basée sur l'accord de l'Ancien et du Nouveau Testament
ainsi que sur leur accomplissement dans l'histoire par le Christ
(Mt 5,17), dans la suite des âges du monde. En interprétant le
bipartisme de la Loi, préceptes moraux et préceptes cultuels, elle
définit le peuple juif comme «nation prophétique» annonçant le
Christ et l'Église. L'autre chapitre présente le peuple juif,
témoin de la vérité des Écritures et signe d'espérance dans le
temps de l'Église. Les formules paulinienne (1 Co 10,6 et 11) et
johannique (Io 1,17) expriment pour Augustin le rapport de
différence des deux Testaments dans leur continuité. Il faut
souligner ici l'importance de la dialectique paulinienne de la loi
et de la grâce ainsi que ses quatre étapes: avant la loi, sous la
loi, sous la grâce, dans la paix. La réflexion augustinienne fait
apparaître la singularité du peuple juif dans son endurcissement
même et sa destinée dans l'histoire: il n'est pas seulement témoin
passif de la vérité des Écritures mais signe de l'espérance dont
l'objet est la vie éternelle inaugurée par la résurrection du
Christ.Les qualités de ce bel ouvrage sont nombreuses. Le sujet
revêt un intérêt actuel. Chapitre après chapitre, la recherche est
menée avec rigueur. L'exposé est clair et agréable à lire. La
documentation est ample et riche mais le propos de l'auteur reste
précis et ferme. Loin de se contenter d'analyser les textes, il
prend position en les interprétant. L'apport de cet ouvrage est
remarquable. Tout qui voudra étudier le Contra Faustum,
son herméneutique scripturaire, et la controverse d'Augustin avec
les manichéens, devra en tenir compte. - D. Dideberg sj