Voici l'ouvrage que l'on attendait depuis longtemps, sur l'une de
ces difficiles questions que le Concile Vatican II pouvait
s'honorer d'avoir résolues en principe, mais qui ont, depuis,
largement fait retour dans la tradition magistérielle et canonique
récente. S'il n'y manquait l'un ou l'autre index, l'étude serait
parfaite, avec la préface de P. Valdrini («la mise en valeur
récente de la catégorie canonique d'office… empêche de délier les
pouvoirs reçus dans l'ordination et la communauté pour laquelle ils
sont donnés»), la postface d'H. Legrand («la distinction entre le
pouvoir d'ordre et de juridiction, élaborée dans ses formes
initiales au XIIe siècle… est solidaire d'une ecclésiologie
désormais révolue»), les annexes, l'abondante bibliographie, mais
surtout, dans le corps de l'ouvrage, les fréquentes reprises
(«bilan provisoire») et, fait plus rare encore, les notices
infrapaginales sur la plupart des canonistes cités. Née d'un
doctorat, la recherche demeure lisible, dès lors qu'elle opte aussi
pour une traduction systématique de textes latins incontournables,
souvent rendus accessibles pour la première fois. Que recouvre
exactement la distinction entre potestas ordinis et potestas
iuridictionis? D'emblée, une «histoire théologique», dans le seul
cadre de la tradition catholique occidentale, en est proposée,
depuis son apparition (dans la Summa Lipsiensis, donc chez les
Décrétistes, et non dans le Décret de Gratien ou chez les
Décrétalistes), jusqu'au sort que parut lui faire Vatican II et à
la période de sa résurgence postconciliaire; on notera, au passage,
quelques annotations précises concernant l'exercice d'une
juridiction quasi épiscopale par certaines abbesses (159, 167…).
Déjà chez saint Thomas, se lit, «derrière la distinction entre
pouvoir d'ordre et pouvoir de juridiction, la distinction entre
pouvoir sacramentel et pouvoir non sacramentel» (173). Le Concile
de Trente représente «une amplification non acceptée de la
distinction»: la systématisation de Lainez assimile potestas
ordinis et potestas sacramentalis, en même temps qu'elle introduit
toutes les activités magistérielles dans la potestas iuridictionis
(222); malgré la réserve des Pères (et des Décrets) de Trente, la
distinction s'insinue dans le Catéchisme romain, favorisant
l'identification subséquente entre la pensée du jésuite et celle du
Concile (avec des exceptions, comme celle du canoniste belge van
Espen, 278). G. Devoti le premier fera de la distinction en cause
l'axe principal et structurant de sa présentation de l'Église (285;
cf. 307); F.Walter finira par promouvoir une tripartition du
pouvoir de l'Église: l'ordre, l'enseignement et la juridiction
(295) - la théorie duelle s'en trouvera ébranlée, au XXe siècle.
Même le Code de 1917 ne permet pas d'affirmer purement et
simplement que le pouvoir de juridiction trouve sa source dans la
seule mission canonique, d'où le débat des interprétations,
toujours plus marquées par la théologie de l'épiscopat qui se
renouvelle et s'affirme dans l'affirmation doctrinale de Vatican
II: la distinction serait dépassée par l'unité de la potestas sacra
(G. Philips). Une position que le Code de 1983 ne pourra clarifier,
puisqu'il avalise la distinction combattue par les tenants de la
sacramentalité de l'épiscopat…L'excellente «évalutation
ecclésiologique» propose enfin un changement de paradigme: s'il est
vrai que la doctrine de la sacramentalité de l'épiscopat est grevée
par une ecclésiologie universaliste, c'est la théologie de l'église
locale (où la collégialité des évêques est inséparable de la
communion des Églises) qui pourrait seule asseoir une conception
pertinente, par retour au droit sacramentaire des ordinations. La
conclusion revient sur la quadruple impasse du binôme qu'il faut
abandonner, par égard pour la tradition, l'herméneutique,
l'oecuménisme et la pastorale. Le droit sacramentaire qui découle
de l'ordination ne peut supplanter l'ordre, comme cela a pu se
produire. Une saine articulation entre théologie et droit canonique
reste à cet égard largement devant nous. - N. Hausman, S.C.M.