Prêter voix. Un chemin de création à l’école d’Edith Stein

Eric de Rus
Espiritualidad - reviewer : Marie-Jeanne Coutagne

L’éducation, définie par Edith Stein comme un art de donner forme à sa vie, peut apparaître comme la mise en œuvre exemplaire d’un geste anthropologique intégral par lequel un être humain devient authentiquement lui-même, dans la plénitude de son être. Aussi chez E. Stein, se rencontrent et s’unifient vision anthropologique, option éducative et expérience spirituelle. Telle est la ligne directrice adoptée par Éric de Rus dans ce petit livre précieux – et à vrai dire indispensable – pour tout lecteur attentif à l’exercice de la lecture d’un texte, d’un poème, à l’interprétation d’une œuvre artistique. En effet, É. de Rus, poète et professeur de philosophie, familier de l’œuvre d’E. Stein depuis longtemps, et spécialiste reconnu depuis la soutenance de sa thèse (Anthropologie phénoménologique et théorie de l’éducation dans l’œuvre d’Edith Stein, coll. Patrimoines, Paris, Cerf, 2019) a choisi ici de suivre la voie steinienne dans un domaine original, l’esthétique, étroitement relié à la question éducative, spirituelle et mystique. L’A. sait de quoi il parle : attentif au travail chorégraphique et musical, il a déjà abordé dans différents ouvrages plusieurs des questions reprises ici. S’appuyant sur un concept steinien central, « l’empathie » avec une œuvre, laquelle permet à un lecteur et mieux encore à un interprète, d’appréhender ce « quelque chose » qui en est la vie et qu’il aspire à exprimer (p. 112), É. de Rus tente d’approcher, au plus intérieur, ce que signifie « interpréter », ce « geste qui consiste à s’établir au cœur du silence et à accorder son écoute à (son) diapason » (p. 41). Ainsi l’interprète rejoint la ligne la plus vraie et la plus intime d’un texte, poétique ou musical. Lire, interpréter, – grâce et combat ! –, c’est « prêter voix » pour tenter, au prix d’un travail incessant, de révéler la musique de la vie. Ainsi ont fait, comme le souligne l’A., Yehudi Menuhin, Dinu Lipatti, Dietrich Fischer-Dieskau, Kathleen Ferrier, Kathleen Battle, Maïa Plissetskaïa ou le pianiste Thierry de Brunhoff (fr. Thierry-Jean) interprète inoubliable, mais méconnu de Chopin auquel est dédié le livre. Tout art authentique est révélation : c’est vrai de tout créateur, donc aussi de l’interprète qui, au terme d’une exigeante ascèse intérieure, fruit d’un combat spirituel, en s’établissant au centre de son être, s’offre à la pure vibration de la parole de Vie (p. 115). L’esthétique d’É. de Rus est autant philosophique que théologique et mystique. La vocation de l’interprète, finalement assez peu interrogée, tant en philosophie qu’en théologie, est pourtant « inscrite au cœur de la vocation épiphanique de toute existence humaine qui consiste à transférer dans la chair la réalité intangible de l’Esprit divin » (p. 64-65). Aussi témoigne-t-elle, même parfois sans le savoir, de la grandeur de l’Incarnation. Un « petit » livre, certes, mais absolument nécessaire ! — M.-J.C.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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