Religion, Culture et Histoire. Ligne de vie et de recherche

Étienne Fouilloux M. Fourcade
Historia - reviewer : Bernard Joassart s.j.
L'épreuve d'habilitation impose aux universitaires français de présenter dans leur dossier une « autobiographie » qui retrace avant tout leur parcours intellectuel, mais dans laquelle apparaissent inévitablement des éléments plus personnels. L'exercice est ardu pour l'impétrant ; il n'est pas plus aisé d'apprécier le produit fini.
Dans le cas concret, il y a toutefois une différence majeure entre les deux textes : celui de Michel Fourcade est bien tel que prescrit par les exigences académiques ; celui d'Étienne Fouilloux - émérite depuis plus de 10 ans - n'était évidemment plus une épreuve obligatoire et permit à l'A. d'être peut-être plus libre dans ses propos.
Tous deux, qu'un quart de siècle sépare en âge, appartiennent à cette catégorie d'historiens français qui ont pour centre d'intérêt majeur l'histoire religieuse contemporaine, et plus spécifiquement celle des xixe et xxe siècles. Mais leurs parcours sont pour le moins différents. Dans le cas de l'aîné : un milieu d'origine modeste, pratiquement sans aucune référence religieuse ; une réussite universitaire acquise un peu - beaucoup - à la force du poignet ; une conversion au catholicisme au début de l'âge adulte, vécue en un temps de grands bouleversements, celui de Vatican ii et de ses multiples rebondissements, avec un fort souci de combler l'ignorance du religieux généralement acquis durant l'enfance ; la fréquentation, souvent très étroite, de personnalités aussi marquées que différentes dans leurs engagements, tels René Rémond, Giuseppe Alberigo, Roger Aubert, ou encore, dans un autre registre, Bernard Besret. Le cadet fut sans conteste plus « privilégié », puisqu'appartenant à un milieu nettement plus cultivé et religieux ; et Maritain est pour lui une référence intellectuelle majeure.
Parcours différents ; approche de l'histoire différente également. On pourrait condenser leurs positions respectives comme suit : É. F. pratique une histoire « à distance », qui veut démêler les écheveaux des réalités ; M. F. est engagé dans une histoire « confessante » qui ne néglige certes pas la technique proprement historique, mais se veut « engagée ».
Il y aurait beaucoup à dire sur ces deux contributions. Ajoutons toutefois qu'à leur manière, par le prisme de la discipline historique, ces deux écrits sont des contributions à l'histoire intellectuelle du catholicisme contemporain et plus largement du vivier intellectuel français.
Qu'il me soit enfin permis d'exprimer ma propre opinion. Me situant par l'âge entre les deux auteurs - j'aurais pu être l'étudiant d'É. F. et le professeur de M. F. -, je le ferai en citant un assez long passage du texte d'É. F. où, en recourant d'ailleurs à quelques lignes de l'introd. générale à la Nouvelle histoire de l'Égliseparue à partir de 1963, il évoque sa rencontre avec le maître incomparable que fut Roger Aubert : « En sa personne, je rencontrais ce qu'on peut appeler le positivisme de l'école louvaniste, « cette érudition allemande qui parlerait français », selon la jolie expression de Fabrice Bouthillon. À savoir une méthode selon laquelle les faits dûment construits à partir des sources doivent avoir le pas sur les a priori d'ordre doctrinal qui ont cours dans les Églises, la catholique notamment. Dans une telle conception, l'histoire n'est pas une servante de la théologie, mais une discipline autonome qui peut rendre compte aussi des évolutions théologiques. De même qu'« il n'y a pas deux vérités, une vérité scientifique et une vérité religieuse, il ne peut pas non plus y avoir deux sortes d'histoire de l'Église, l'une inspirée par la théologie et l'autre pas : il n'y a qu'une histoire de l'Église, la vraie, la même pour tous, chargée de montrer et d'expliquer, selon la formule de Ranke, was geschehen ist, ce qui s'est passé » » (p. 131-132). R. Aubert fut l'un de mes maîtres en histoire et je me reconnais dans cette manière de voir les choses. Encore que je serais porté à dire que l'histoire de l'Église est bien une « servante de la théologie », non qu'elle serait « soumise » à la théologie, mais parce qu'un peu plus de considération pour cette discipline de la part des théologiens simplifierait et enrichirait sans aucun doute fortement le travail de ceux-ci. - B. Joassart s.j.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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