Sur quelles bases bibliques peut-on fonder la réflexion sur le temps ? C’est à cette question que tente de répondre le Cahier Évangile 187. Sous la direction de Sophie Ramond et avec d’autres auteurs (T. Römer, O. Arthus, C. Lanoir, C. Pichon, C. Raimbault), il nous donne l’essentiel des communications d’un Colloque qui s’est tenu à l’Inst. cath. de Paris les 27-28 fév. 2017.

T. Römer se réfère aux analyses du sociologue Thomas Luckmann qui distingue : 1. le temps intérieur ou intersubjectif ; 2. le temps biographique ; 3. le temps historique. On pourrait peut-être plus simplement parler du temps vécu, du temps mémorisé et du temps fixé en récit. Il tente de mesurer, à partir de ces critères, « l’organisation du temps dans la Bible hébraïque » principalement à travers la construction des récits de la création dans la Genèse, mais également à travers la structuration de l’Ennéateuque (Gn-R : les 9 premiers livres de la Bible) considéré comme une unité rédactionnelle dans la construction de ce qui deviendra la Bible hébraïque. Il constate que le temps commence avec la « lumière ». Celle-ci n’est pas créée de rien mais elle vient repousser les ténèbres pré-existantes. Et la présentation d’une création en 7 jours aboutissant au repos sabbatique témoignerait d’une volonté de contrer positivement les jours néfastes du calendrier babylonien. Quant à la perspective eschatologique, elle semble tardive dans la Bible hébraïque. Elle ne deviendra significative qu’à l’époque des textes de Qumrân et dans le christianisme naissant.

Olivier Artus étudie le calendrier de la création en Gn 1,1-2,3. L’unité littéraire significative serait celle qui court jusqu’à Ex 40 avec « la construction de la demeure » qui « serait ainsi présentée comme le terme d’un cheminement historique conduisant l’humanité du déluge à la délimitation d’une communauté sacerdotale rétablissant dans le temple l’équilibre créationnel perdu » (p. 23). Cette référence semble plus pertinente que celle qui aboutit au « sabbat » en Gn 1,1-2,3, car cette mention du sabbat est aujourd’hui considérée comme un ajout à un texte antérieur. L’ordonnancement hebdomadaire du temps veut exprimer « que les célébrations cultuelles prennent le pas sur les vicissitudes de l’histoire. La sanctification du temps passe par la mise en œuvre d’un rythme liturgique immuable qui prime sur le temps historique » (p. 26). Lv 25 montre comment cette vision structure également les relations sociales à travers les règles de remises de dettes septennales. Les aléas de l’histoire ne sauraient mettre en échec l’immuabilité du cosmos et le projet créateur de Dieu (p. 27). Quant au récit d’Aggée présenté par Sophie Ramond, il représente un récit de re-création, de refondation du monde après l’anéantissement de l’exil. Pour Corinne Lenoir, selon Qo « la catégorie temporelle de l’éphémère, du précaire, est la seule option pour structurer et vivre la tension entre l’angoisse de l’existence et la fragilité d’un instant de beauté qui suscite la poésie » (p. 43). « L’existence est construite sur le doute, mais c’est le doute qui la rend palpable, réelle, car c’est là que se vivent les expériences des corps et le partage des émotions et de la beauté » (p. 44). Et, selon Sophie Ramond encore, dans les Psaumes, l’évocation de la temporalité souligne la plupart du temps la fragilité humaine et engage la supplication à Dieu pour qu’il change cette situation ou se ravise (p. 53).

Quant à l’« aujourd’hui » qui rythme l’évangile de Luc, il appelle, selon Christophe Pichon, l’« aujourd’hui » du lecteur. Ce qui correspondrait bien au kairos (le temps favorable, l’occasion) mis en avant dans tout le discours de Paul : le temps décisif de la croix et de la résurrection « qui bouscule les représentations linéaires du temps. Urgence d’une bonne nouvelle qui peut se vivre au quotidien comme un appel, comme un projet » (p. 74), conclut Christophe Raimbault.

Devant l’intérêt et l’inquiétude contemporains qui expriment un éveil des consciences sur ces sujets dans toutes leurs dimensions planétaires, cosmiques et humaines (biologiques, psychologiques et philosophiques), une analyse biblique telle que propose ce Cahier Évangile peut certes nous laisser sur notre faim. Reconnaissons que les intuitions des auteurs bibliques vont bien au-delà des subtilités exégétiques, et cela depuis le récit de la création (Gn) selon lequel tout l’univers qui nous entoure ne peut avoir été fait en un seul jour, jusqu’aux visions lumineuses de Paul de Tarse (la création est dans un processus d’accouchement qui attend sa pleine réalisation grâce à l’humanité) et de l’évangéliste Jean (la Parole créatrice de Dieu s’est faite chair humaine pour diviniser cette humanité et transfigurer le Temps lui-même). — R.-F. Poswick o.s.b.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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