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Antijudaïsme : se déterminer en conscience. À propos de : Conférence des Évêques de France, Service national pour les relations avec le judaïsme, Déconstruire l'antijudaïsme chrétien (2023)

Véronique Weil
Lorsqu’en 1965, dans la Déclaration Nostra Ætate sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, au § 4, l’Église écrit : « Scrutant le mystère de l’Église, le saint Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du nouveau Testament à la lignée d’Abraham », elle opère (elle amorce) une vraie révolution.

À propos de

Conférence des Évêques de France, Service national pour les relations avec le judaïsme, Déconstruire l’antijudaïsme chrétien, préf. Grand Rabbin de France H. Korsia, avant-propos Mgr É. de Moulins-Beaufort, Paris, Cerf, 2023, 18,00 €. ISBN 978-2-204-14981-5.

Lorsqu’en 1965, dans la Déclaration Nostra Ætate sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, au § 4, l’Église écrit : « Scrutant le mystère de l’Église, le saint Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du nouveau Testament à la lignée d’Abraham », elle opère une vraie révolution. En quelques lignes, elle affirme que l’Alliance de Dieu avec son peuple Israël n’est pas caduque, que les juifs « restent très chers à Dieu », que la mort du Christ ne « peut être imputée ni indistinctement à tous les juifs vivant alors, ni aux juifs de notre temps » et que les chrétiens vivent, greffés et nourris de la racine de l’olivier franc qu’est Israël. Enfin elle « réprouve en tant que contraire à l’esprit du Christ toute discrimination ».

Depuis lors, les différentes instances du monde catholique en France ou à Rome, se référant inlassablement à ce texte fondateur, encouragent un dialogue entre juifs et chrétiens, « au-delà de tout syncrétisme et de toute appropriation équivoque1 », dénoncent toute forme d’antisémitisme et poursuivent la réflexion théologique sur le rôle de nos deux religions dans le dessein de salut de Dieu. Tous les papes, depuis Pie xi en 1938 jusqu’au pape François aujourd’hui tiennent le même langage2. St Jean-Paul ii ouvrira grand les portes de la réconciliation avec sa visite – la première officielle d’un pape – en 1986 à la synagogue de Rome, son voyage à Jérusalem en 2000 ainsi qu’avec ses visites pastorales aux différentes communautés juives de par le monde3.

Pourtant, force est de constater que l’antisémitisme n’est pas mort. Le 1er février 2021, les évêques de France ont donc remis aux autorités juives françaises une déclaration s’engageant à lutter contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme4. Encore fallait-il mettre en évidence ce que l’on entend par antijudaïsme chrétien, ces « préjugés anciens, ces mythes incroyables de malveillance [qui] réapparaissent au détour d’une conversation, d’un échange, comme une évidence qui remonte des remugles de l’histoire5 ». C’est donc pour permettre à chaque chrétien de se déterminer en conscience face à ces clichés, que l’équipe du Service national pour les relations avec le judaïsme (SNRJ) a sélectionné 20 thèmes et les a développés en s’appuyant sur les textes officiels de l’Église catholique afin de donner à chacun des outils et repères clairs et de nourrir une réflexion profonde sur ce qui abime encore bien souvent notre relation au peuple juif. Quelques exemples vous sont proposés ci-dessous.

1. Dieu est violent dans l’Ancien Testament, amour dans le Nouveau Testament

Que se cache-t-il derrière cette affirmation ? L’idée que ces deux religions n’ont pas le même Dieu ? Un sentiment de supériorité du Nouveau Testament sur l’Ancien Testament ? En poussant le raisonnement, qu’il est donc normal que l’Église ait remplacé la Synagogue ? Autant d’oppositions qui alimentent l’idée fausse que ces deux religions n’ont rien en commun. Or dès 19736, puis en 19977, les évêques de France affirment qu’il est « faux d’opposer judaïsme et christianisme comme religion de crainte et religion d’amour », qu’il n’y pas de rupture dans l’unique dessein de Dieu et que « dans l’un et l’autre testament, c’est le même Dieu qui entre en relation avec des hommes et les invite à vivre en communion avec lui8 ». Le Dieu des juifs et des chrétiens est le même Dieu d’amour qui fait alliance avec les hommes. Il en va de la fidélité de Dieu à l’alliance, à l’élection, aux promesses.

2. Jésus est-il venu abolir, dépasser, vivre, accomplir la Loi ?

Nombreux sont les passages dans les évangiles et épîtres qui font mention de ce thème et alimentent l’idée que Jésus était au-dessus de la Loi. Le développement du chapitre veut permettre au lecteur de savoir ce qu’est la Loi, de comprendre que Jésus a été fidèle à la Loi jusqu’au bout, situant « sa vie et sa mort dans le dessein de Dieu, tel qu’il s’exprime dans la prière liturgique de la Pâque9 » et que si l’Église parle volontiers d’accomplissement de la Loi, elle signifie que Jésus l’approfondit dans la voie de l’amour, jusqu’à livrer sa vie. Elle rappelle enfin qu’accomplissement n’est pas synonyme d’achèvement.

3. La Nouvelle Alliance remplace-t-elle l’Ancienne Alliance ? L’Église est-elle le nouveau peuple de Dieu ?

Pour aborder sereinement ce thème, il est important de s’arrêter sur le terme « nouveau » qui, dans la Bible, se réfère à la notion de renouvellement et non destruction de ce qui était avant : il serait plus juste de parler de l’Alliance renouvelée en Jésus-Christ pour éviter de s’imaginer que cette dernière a remplacé l’Alliance avec Israël. C’est ce que la théorie de la substitution, qui s’est développée dès les premiers siècles, avec le thème de l’Église comme « verus Israel » et celui de la caducité de l’Alliance de Dieu avec Israël, a réussi à inculquer à nos mentalités chrétiennes pendant des siècles. Or, dès 1965, la Déclaration Nostra Ætate affirme au sujet de l’Ancienne Alliance qu’elle est irrévocable ; la déclaration de 1973 ajoutera qu’« elle (…) est la racine et la source, le fondement et la promesse » [de la Nouvelle] et qu’elle est permanente et éternelle10.

S’agissant de la Nouvelle Alliance, on rappelle que « Ce serait une erreur de comprendre le caractère éternel de la Nouvelle Alliance, manifesté par l’acte de Jésus, comme si tout ce qui le précède perdait son sens11 », intégrant des notions comme la judéité de Jésus, la célébration de la Pâque avant sa mort… Son plein sens est développé dans le document romain de 2015 « les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » : « La Nouvelle Alliance ne remplace jamais l’Ancienne, mais la présuppose et lui donne une nouvelle dimension de sens… en s’ouvrant aux hommes de toutes les nations qui répondent fidèlement à son appel (Za 8,20-23 ; Ps 87) ».

4. Les juifs sont-ils responsables de la mort du Christ ?

« Bien sûr ! C’est ce que nous redisons tous les vendredis saints !» : réponse encore si souvent entendue. « Les juifs sont le peuple déicide », terminologie retenue jusqu’au xxe siècle, cliché le plus tenace de l’histoire du christianisme, source d’un antijudaïsme qui a conduit à de nombreuses persécutions, jusqu’à la tragédie de la Shoah. Tous les textes de l’Église, de Vatican ii à nos jours sont unanimes : « C’est une erreur théologique, historique et juridique de tenir le peuple juif pour indistinctement coupable de la passion et de la mort de Jésus Christ12 », « la mort violente de Jésus appartient au mystère du dessein de Dieu13 ».

Cette accusation ne trouve aucune justification dans l’Écriture et ne saurait, a fortiori, s’appliquer aux juifs d’aujourd’hui. Elle a hélas entraîné d’autres clichés aussi tenaces comme le fait que les juifs ont été dépouillés de leur élection, que leur dispersion dans le monde est la conséquence de leur crime… et surtout alimenté un antijudaïsme féroce qui a été un terreau propice au développement de l’antisémitisme. Les évêques de France dans leur Déclaration de repentance en 1997 furent clairs : « Quelle fut l’influence de l’antijudaïsme séculaire ? (…) Force est d’admettre en premier lieu le rôle, sinon direct du moins indirect, joué par des lieux communs antijuifs coupablement entretenus dans le peuple chrétien, dans le processus historique qui a conduit à la Shoah ».

5. Le dialogue avec le judaïsme

Dernier exemple, qui est au cœur de la mission du SNRJ. Le dialogue a une place tout à fait singulière dans les relations de l’Église avec les autres religions : « des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion14 », « un dialogue “intrareligieux” ou “intrafamilial” sui generis15 ». Un dialogue, qui compte tenu du fait que « En tant que chrétiens, nous ne pouvons pas considérer le judaïsme comme une religion étrangère, ni classer les juifs parmi ceux qui sont appelés à laisser les idoles pour se convertir au vrai Dieu16 », n’a pas pour but de convertir les juifs (position largement développée dans le document romain de 2015, chap. 6).

***

Ce manuel ne vise pas à asséner des vérités, ni à donner notre propre sentiment en tant que SNRJ, encore moins à soupçonner quiconque de terrible antisémitisme ! Il veut plutôt inviter les chrétiens à retrouver la fraternité originelle, celle du Christ avec les juifs de son temps, celle de tout homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et continuer à la bâtir, à la tisser plutôt que de contribuer à la détruire. La fraternité naît du dialogue et « c’est précisément parce que nous confessons que Dieu a choisi ce mode dialogal pour se faire connaître, que nous comprenons que la mission de l’Église, devant s’ajuster au geste de Dieu, devra, elle aussi, revêtir le mode dialogal17 ».

Notes de bas de page

  • 1 « Discours de Jean-Paul ii à la synagogue de Rome », Doc. cath. (1986), p. 426-443.

  • 2 Voir le compendium de la Conférence des Évêques de France, Les Relations entre Juifs et Chrétiens, Paris, Bayard - Cerf - Mame, 2019.

  • 3 Jean-Paul ii, Une fraternité renouvelée, Paris, Bayard - Cerf - Mame, 2022.

  • 4 « Lutter ensemble contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme sera la pierre de touche de toute fraternité réelle. »

  • 5 Grand Rabbin Haim Korsia, préface du manuel Déconstruire l’antijudaïsme chrétien.

  • 6 Documents Épiscopat, « Orientations pastorales du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme ».

  • 7 Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme, Lire l’Ancien Testament, Paris, Centurion - Cerf, 1997.

  • 8 Commission Biblique Pontificale, Le peuple juif et ses saintes Écritures, Paris, Cerf, 2001, n° 85.

  • 9 Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme, Lire l’Ancien Testament (cité n. 7).

  • 10 Ibid.

  • 11 Ibid.

  • 12 Documents Épiscopat, « Orientations pastorales du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme », 1973, chap. iv, b.

  • 13 CÉC 599 ; 1992. « Discours de Jean-Paul ii à la synagogue de Rome » (cité n. 1).

  • 14 Ibid.

  • 15 Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, Commission pour les relations avec le judaïsme, Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables, 2015, n° 20.

  • 16 Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, 2013, chap. iv.

  • 17 J.-M. Aveline, Dieu a tant aimé le monde. Petite théologie de la mission, Paris, Cerf, 2023, p. 63.

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