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Communion et eucharistie chez saint Hilaire de Poitiers

Denis Dupont-Fauville
Saint Hilaire de Poitiers, premier docteur de l’Église, est surtout connu pour sa doctrine trinitaire et ses traités exégétiques. L’étude attentive de son œuvre permet d’y repérer toute une réflexion théologique sur la notion de communion. Il l’applique en particulier à l’eucharistie, en détaillant la compréhension avec une richesse étonnante. Par l’eucharistie, le Christ unit à lui ses disciples et les prépare à la vie éternelle. Le « sacrement de la chair et du sang » donne à la communion, fondée en Dieu, de déployer ses effets tant dans l’inhabitation sacramentelle du Christ en nous que dans la consommation de l’unité ecclésiale.

I Introduction

Personnalité fondamentale pour la théologie et l’histoire de l’Église au IVe siècle, saint Hilaire de Poitiers est un auteur souvent peu ou mal connu. Premier docteur de l’Église, (Athanase est mort trois ans après lui), il surgit dans l’histoire en 356 au concile de Béziers où, évêque de Poitiers et chef de file des opposants à l’arianisme promu par l’empereur Constance, il est condamné à l’exil en Phrygie. Pendant les quatre ans qu’il passera en Orient, il se familiarisera avec la pensée grecque, se nourrissant des ouvrages d’Origène et découvrant dans le détail la polémique autour de l’homoousios nicéen. Présent au concile de Séleucie en 359 et, dans la foulée, à Constantinople, il anime les rangs des homéousiens tant et si bien qu’il est finalement rapatrié en Gaule. À la faveur de l’arrivée au pouvoir de Julien, il y prend la tête de la réaction antiarienne qui culminera au concile de Paris de 361, prémunissant l’Occident contre l’hérésie pour les décennies à venir. Après une vaine tentative pour chasser de Milan l’évêque arien Auxence1, il meurt vraisemblablement en 367.

Au-delà de son action historique, saint Hilaire est l’auteur d’ouvrages relativement nombreux que nous pouvons classer en trois catégories. D’abord des chroniques très minutieuses où il rend compte des débats théologiques de son époque2. Ensuite des œuvres plus de circonstance, regroupant des lettres écrites lors de son exil, des libelles contre des adversaires de la foi, des hymnes composés pour les fidèles3… Enfin et surtout, ses livres de commentaires d’Écriture et de réflexion sur la foi4. Outre son célèbre traité sur la Trinité, citons notamment son commentaire sur l’Évangile selon saint Matthieu, écrit avant son départ en exil et premier commentaire intégral d’un Évangile qui nous soit parvenu en latin.

À l’égard de la communion saint Hilaire de Poitiers fut donc à la fois un bâtisseur, dans une Église bouleversée par l’hérésie arienne, un témoin, par les dossiers historiques qu’il nous a transmis et qui constituent une part essentielle de notre information sur la pratique ecclésiale au IVe siècle, et un théologien : nourrie par sa vie et par son action pastorale, sa réflexion, profondément personnelle, se montre en même temps pleinement catholique.

L’étude de cette réflexion constitue le sujet de la thèse que nous lui avons consacrée5. Pour le dire en quelques mots, celle-ci établit que saint Hilaire est le premier théologien latin à utiliser abondamment le concept de communio ; ce faisant, l’évêque de Poitiers reprend une notion déjà porteuse d’une histoire complexe, mais il la renouvelle profondément et ouvre ainsi de nouvelles perspectives dogmatiques.

Dans le présent article, nous voudrions montrer comment cette étude concerne notamment la conception de l’eucharistie, appliquant à celle-ci un vocabulaire nouveau qui permet d’en déployer la compréhension avec une richesse étonnante. Pour ce faire, nous indiquerons d’abord de façon très sommaire l’histoire de la notion de communion telle que saint Hilaire l’hérite, avant de nous pencher plus en détail sur son utilisation dans ses textes. Ce thème ne faisant chez lui l’objet d’aucun développement systématique mais apparaissant au fil de ses écrits, nous aurons à réfléchir sur des passages qui ne livrent leur contenu réel qu’au prix d’une relecture attentive. Lorsque, au début de la notice qu’il consacre au saint évêque de Poitiers dans sa Légende dorée, Jacques de Voragine remarque que son nom, Hilarius, viendrait peut-être de « ylé, synonyme de “matière primordiale”, les origines de cette dernière étant aussi obscures qu’il manifeste d’obscurité et de profondeur dans ses propos »6, il cerne avec finesse, sous une forme apparemment naïve, aussi bien l’importance que la difficulté de l’étude de saint Hilaire : à chaque page la densité du sens rencontre la concision de la pensée.

II Évolution de la notion de communion jusqu’à saint Hilaire

Avant d’être transposé en latin, le concept de communion a déjà bénéficié d’une évolution dans le monde grec, fruit à la fois d’une élaboration conceptuelle et d’une pratique ecclésiale7.

Le substantif ϰοινωνία, en grec classique, désigne couramment ce qui est possédé en commun, ce qui est octroyé en partage, ou encore la communauté qui résulte de cette participation8. Progressivement, il se charge de connotations philosophiques et religieuses pour spécifier les différentes communautés humaines ou encore pour expliquer la cohésion du cosmos ou l’intimité, essentiellement cultuelle, que les hommes peuvent entretenir avec les dieux.

Écarté avec soin du vocabulaire de la Septante en raison du risque qu’il fait courir à l’expression de la transcendance divine, le concept de communion n’est pourtant pas absent de la réflexion juive et, surtout, est utilisé abondamment dans le Nouveau Testament, tout particulièrement par saint Paul et saint Jean. La communion avec le Christ, en effet, permet désormais la communion de l’homme avec Dieu. Les harmoniques de la notion sont assumées pour exprimer une relation d’un type nouveau, centrée sur le Christ, mais qui s’étend aussi aux rapports ecclésiaux.

Dès lors, l’utilisation chrétienne de la ϰοινωνία va déterminer toute une série d’usages concrets9. La communion des chrétiens avec le Christ et donc avec Dieu en appelle à une communion avec leurs frères, créant entre eux une communauté qui devra être régulée par les normes d’un type particulier de société. Le mot acquiert alors une signification aussi bien sacramentelle — l’eucharistie elle-même étant désignée par son entremise10 — que juridique, les pratiques institutionnelles renvoyant sans cesse à une triple unité de foi, de sacrements et de discipline ecclésiale, unité dont les évêques apparaissent comme les garants principaux. Curieusement, donc, la révolution conceptuelle opérée par le Nouveau Testament débouche sur la sphère pratique, le vocable grec étant désormais couramment employé par les chrétiens dans le domaine de la vie institutionnelle et fraternelle, mais sans que cela suscite de façon visible un approfondissement dogmatique11 ou, en tout cas, une évolution du vocabulaire doctrinal. Dans le langage ecclésial, l’ancienne notion philosophique, aux harmoniques si diverses, est utilisée comme concept de régulation ; il y a certes un lien entre son acception scripturaire chrétienne et ce nouvel usage, mais ce dernier témoigne en même temps d’un glissement, qui ne permet pas de profiter des perspectives théologiques que les écrits apostoliques faisaient entrevoir.

Le passage au monde latin donne d’assister à un début de systématisation. Bien que la traduction ne soit pas univoque et que ϰοινωνία soit rendu par une dizaine d’équivalents différents dans la littérature latine12, les premiers Pères qui abordent cette thématique13 insistent sur l’union des chrétiens à Dieu et entre eux, avec des mentions particulières pour l’eucharistie. Pour autant, l’usage de la notion ne témoigne pas d’une élaboration dogmatique spécifique.

Hilaire de Poitiers sera le premier Latin à utiliser ce concept dans la spéculation théologique, en employant essentiellement le vocable communio14. Non seulement il introduit ce nouvel usage dans la littérature latine, mais il lui confère aussi un poids qui fait que les acceptions traditionnelles du mot n’apparaissent plus que comme des ébauches imparfaites de ce que la Révélation nous donne à contempler. La notion est ainsi chargée, de nouveau, des harmoniques théologiques qui lui confèrent une originalité chrétienne. La réflexion autour de l’eucharistie nous en fournit une illustration particulièrement nette.

III Communion et participation à l’eucharistie selon saint Hilaire

Saint Hilaire est en effet le premier auteur à lier le mot communio à la célébration de la messe. Partant d’une exégèse du récit évangélique, il va en déployer progressivement les implications jusqu’à contempler le déploiement de la communion sacramentelle dans l’économie du salut.

Dès l’In Matthaeum, les deux réalités se retrouvent associées dans le récit de l’institution. Curieusement, le commentaire du repas pascal se centre sur les différentes attitudes des disciples, qu’il s’agisse de la préparation, du repas en soi ou de la sortie vers le mont des Oliviers, plus que sur les faits et gestes de Jésus. En un surprenant paradoxe, la communion est alors évoquée, comme en passant, par contraste avec la figure de Judas qui lui reste complètement extérieure :

Après quoi Judas est présenté comme un traître (cf. Mt 26,21-24), sans lequel la Pâque s’accomplit par la réception du calice et la fraction du pain (cf. Mt 26,26-29), car il n’était pas digne de la communion aux mystères éternels. Le montrer comme revenant avec une foule de gens (cf. Mt 26,47) fait en effet comprendre qu’il s’était esquivé aussitôt15.

Sans s’arrêter aux paroles du Christ pourtant rapportées par Matthieu16, Hilaire évoque le repas à l’aide d’une formule stylisée, « la réception du calice et la fraction du pain », que sa concision permet de rapporter à toute liturgie eucharistique. De plus, ces actions qui accomplissent la Pâque sont aussitôt caractérisées comme « communion aux mystères éternels ». Le sacrement, ici, n’est donc pas décrit comme une porte d’entrée sur une communion, ou comme un quelconque moyen de communiquer celle-ci, mais plutôt comme cette communion elle-même. Les « mystères éternels » dont elle assure la jouissance se rapportent évidemment aux réalités célestes17 : c’est assez dire que la communion en question n’équivaut pas à une simple commensalité, mais comprend la dimension verticale de participation aux réalités divines. Enfin, l’exigence d’une certaine dignité morale pour prétendre à cette communion est soulignée, puisque le traître n’y a pas accès. Même si saint Hilaire prend soin de fonder sur les détails textuels son affirmation que Judas n’a pas pris part à la Pâque ainsi célébrée par le Christ, il s’agit clairement d’un argument théologique à portée disciplinaire18, sans doute destiné aux fidèles poitevins destinataires des commentaires19. La communion eucharistique est par conséquent présentée, de façon allusive mais précise, dans sa forme liturgique, dans sa réalité théologique et dans les exigences morales qu’elle instaure.

Toute cette réalité sacramentelle que nous pouvons distinguer dans le discours de saint Hilaire a été voulue par le Christ pour accompagner son Église ici-bas. Vue par les disciples, elle est « communion aux mystères éternels » ; vue du côté du Christ, elle est symétriquement communion aux souffrances et aux épreuves de ceux qu’il s’unit dans l’offrande de lui-même. Une occurrence du Tractatus LXVIII va dans ce sens20, au moment où Hilaire expose la façon dont les paroles du psaume s’appliquent à la volonté du Christ de sauver les hommes :

Parce qu’il a dû supporter ces [épreuves] à cause de ses ennemis pour donner aux hommes le salut éternel, il traduit ainsi son désir du moment favorable : « Mon cœur a attendu l’opprobre et la misère » (Ps 68,21). Il veut dire qu’il désire les souffrances de ce moment, comme cela se produit dans le mystère de la divine communion : « J’ai désiré d’un grand désir manger cela » (Lc 22,15), car la réalité du moment favorable consistait dans les désirs de sa Passion21.

Malgré le caractère allusif de la citation, le contexte fait ici clairement référence au repas pascal22 ; en même temps, ce repas est vu comme l’anticipation des souffrances de la Passion qui l’ont suivi. En instituant « la divine communion », le Christ a donc pris sur lui nos souffrances. Cette mention de la communion eucharistique est intéressante en ce qu’elle permet un rapprochement à la fois avec la « communion » octroyée sur la croix et avec la participation des fidèles aux souffrances du Christ : l’événement du Calvaire et les vicissitudes supportées par les croyants trouvent leur unité dans le sacrement ici désigné par notre vocable. C’est en effet dans l’eucharistie que le Christ prend sur lui nos tourments et accomplit l’échange qui sera manifesté au Golgotha lors de l’absorption du vinaigre23 ; c’est en elle que les croyants sont sanctifiés par celui qui, ayant souffert pour eux, les rend capables d’affronter l’opprobre en tant que membres de son corps24. Le mystère pascal continue de déployer ses effets divins dans la communion désirée par celui qui s’est livré pour nous.

Par conséquent, le mystère du Cénacle ne cesse de nourrir l’Église dans le temps présent. Cette thématique est développée plus directement dans le Tractatus LXIV. Hilaire y montre comment les signes de la miséricorde de Dieu environnent les hommes qui habitent encore sur la terre25. Ces signes, qui témoignent que Dieu nous a visités, sont présentés en une paraphrase du verset psalmique26 qui semble s’ordonner suivant une certaine progression : il y a les progrès de l’Église qui fait monter matin et soir sa louange vers le Seigneur27, puis la multiplication des dons de la grâce issus de l’incarnation de Dieu sur la terre28, puis la surabondance des présents de l’Esprit Saint se déversant sur nous tel un fleuve29, enfin la nourriture que Dieu nous a apprêtée :

Nous avons aussi une nourriture apprêtée. Quelle est cette nourriture ? Celle qui nous prépare à la communauté avec Dieu, au moyen de la communion au corps sacré afin de nous établir ensuite dans la communion de ce corps sacré. C’est ce que signifie le présent psaume lorsqu’il dit : « Tu leur as apprêté une nourriture, car c’est ainsi que tu prépares » (Ps 64,10d-e) : tout en nous sauvant aujourd’hui, cette nourriture nous prépare pour l’avenir30.

Par la « communion au corps sacré » qui, préparée par Dieu lui-même, nous sert de nourriture sur cette terre, Hilaire désigne manifestement l’eucharistie. S’inscrivant dans l’énumération des « signes » par lesquels la présence du Seigneur sur la terre est attestée, elle en constitue aussi le point culminant, qui couronne l’œuvre proclamée par l’Église, inaugurée par l’incarnation et transmise sous la motion de l’Esprit Saint. Mieux, elle apparaît comme ce à quoi conduit la grâce reçue au baptême, si tant est que « le fleuve de vie » mentionné auparavant se réfère à ce dernier sacrement31.

Le redoublement, manifestement intentionnel, de l’expression communio sancti corporis, « communion au corps sacré/de ce corps sacré », marque cependant que le mystère eucharistique est porteur d’un sens plus riche qu’une lecture rapide ne pourrait le laisser croire. À l’examen, en effet, il apparaît que, dans chacune de ces deux occurrences, ni le « corps » ni la « communion » ne désignent une réalité univoque. Plus précisément, l’un et l’autre terme se réfèrent à des notions synthétiques dont les harmoniques évoluent avec le fil du discours32.

Pour ce qui concerne « le corps », il s’agit de celui qui est manifesté et réalisé dans l’eucharistie. Dire cela n’épuise pourtant pas la question. Car, en première analyse, le corps auquel l’eucharistie donne part est celui du Christ sous les espèces sacramentelles, tandis que la réception de ces dernières nous établit dans la communauté de l’Église, laquelle est également corps du Christ. Le corps sacré se donne donc à recevoir à la fois dans la réalité du sacrement et dans celle de l’Église, qui en est à la fois l’agent et le terme. En appelant l’Église « corps sacré » du Christ, saint Hilaire souligne donc que la communion au corps eucharistique est identiquement communion à l’Église, ou participation à la communion de l’Église33.

Quant au redoublement de la mention de « la communion » à ce corps sacré, il souligne que le mystère, tout en nous étant remis, nous dépasse. Nous avons à être « établis » dans ce que déjà nous recevons, à nous préparer à participer à la vie divine grâce à la nourriture par laquelle le Seigneur aujourd’hui nous sauve34. Notre communion est certes déjà effective, elle n’est pourtant qu’un moyen. Nous sommes en effet, par son entremise, préparés pour une plénitude à venir, celle de la communion eschatologique35. La reprise du mot communio fait comprendre qu’il ne s’agit pas d’une réalité autre que celle dont nous goûtons déjà le fruit ; la variation des cas grammaticaux marque que nous avons encore à être pleinement établis dans cette réalité divine. Signe suprême de la présence du Seigneur en son Église, l’eucharistie ne marque cependant pas la fin du processus d’accroissement de la communion ; plus exactement encore, la sur-abondance dont elle est porteuse n’a pas fini de déployer ses effets.

Au terme, notre participation à l’eucharistie nous fait entrer dans une double dynamique. D’une part, en recevant comme sa propre nourriture le corps du Christ, chacun est inséré toujours plus étroitement dans la communauté de l’Église : cette dernière est située à la fois comme celle qui nous procure cette nourriture sacrée et comme le lieu où nous devons trouver notre place définitive. D’autre part, la réception toujours renouvelée du corps de celui qui s’est incarné à un moment du temps permet à l’homme de parcourir le temps qui s’écoule entre la source du baptême et la plénitude à venir de la vie éternelle36. Cette double dimension communautaire et historique peut sans doute se comprendre comme le moyen d’inscription des « mystères éternels », desquels l’eucharistie nous fait participants, dans les réalités terrestres. Elle est synthétisée par saint Hilaire dans le glissement qu’il fait subir à la signification du mot « préparation »37 : en nous apprêtant une nourriture, c’est nous en réalité que le Seigneur dispose, l’Église qu’il achemine vers l’éternité38. La préparation du corps se confond avec la nôtre, si bien que recevant ce corps nous nous en découvrons partie prenante.

IV Administration pastorale et réalité mystique du sacrement : dimensions de la communion eucharistique

Si les textes que nous venons d’examiner nous permettent de tracer un cadre d’ensemble quant à la communion eucharistique dans l’économie du salut, d’autres passages évoquent ou approfondissent tel ou tel point plus particulier. Deux extraits d’importance inégale peuvent ici être cités, l’un qui touche à l’administration pastorale du sacrement, l’autre à la réalité mystique de la communion.

Dans le préambule de l’Ad Constantium, saint Hilaire met en avant son statut épiscopal et déclare :

Moi, évêque, je reste en communion, malgré mon exil, avec les églises et les évêques de toutes les Gaules et je continue à distribuer la communion de l’Église par l’intermédiaire de mes prêtres. Je suis en exil, non par suite d’une juste accusation, mais par le fait d’une faction : au moyen de fausses nouvelles du synode [de Béziers], des hommes impies m’ont dénoncé devant toi, pieux empereur, sans que ma conscience ait à se reprocher quoi que ce soit39.

Clairement, la communion dont il traite n’est pas une quelconque harmonie de type social qui règnerait dans l’Église, puisque précisément cette dernière est décrite comme divisée entre factions. Il s’agit bien plutôt de la communion proprement chrétienne dont il est le garant comme évêque. Malgré les affrontements, il la certifie intacte. Parlant en conscience, il met en lumière deux éléments qui, chacun à sa manière, témoignent de cette réalité. D’abord le lien conservé avec ses frères dans l’épiscopat, qui assure l’unité avec les différentes églises dont ceux-ci sont les pasteurs ; puis le fait qu’il n’a cessé de « distribuer la communion de l’Église » par l’entremise de ses prêtres.

La première occurrence de communio, ici, répond à une problématique répandue à l’époque de saint Hilaire, celle de la communion établie entre les divers évêques, tout en en soulignant un paradoxe : celui qui se trouve inséré dans la communion de l’Église doit désormais la maintenir ou plutôt se maintenir en elle. Sans pouvoir en modifier la nature, il est pourtant responsable de son existence, qui ne pourra être effective que s’il se conforme aux exigences qui procèdent d’elle. Par conséquent, s’il est légitime pour des évêques de s’exprimer en déclarant « avoir la communion »40 ecclésiale, ce bien ne doit jamais être compris au sens d’une possession, mais d’une participation. À cet égard, la formulation d’Hilaire lui-même, quand il affirme : « Moi, évêque, je reste en communion, malgré mon exil, avec les églises et les évêques de toutes les Gaules »41, apparaît théologiquement plus exacte, plus respectueuse du continuel travail d’ajustement personnel que l’établissement de la communion présuppose.

Dans la deuxième occurrence, la communion n’est plus définie par l’accord existant entre les différentes communautés ecclésiales, mais en fonction d’un bien commun à l’ensemble de l’Église. Sous cette appellation, il nous semble reconnaître une désignation de l’eucharistie. Celle-ci ne peut être « distribuée »42 que par des prêtres, unis à leur évêque. De plus, une telle distribution est communication dans le peuple du trésor de l’intimité divine et de l’union avec le reste de l’Église, ce qui consonne avec la mention d’une conscience intègre et avec celle de la communauté maintenue entre évêques. Si, malgré l’exil de l’évêque, l’eucharistie continue d’être célébrée et la communion distribuée dans son diocèse, la preuve est faite que saint Hilaire a préservé l’intégrité de ses pouvoirs.

Par conséquent le mot communio, dans cette adresse, indique d’abord l’unité garantie par le consensus épiscopal, puis la communion eucharistique au sens le plus matériel43. La deuxième acception est à la fois la manifestation de la première, comme le montre sa position dans la phrase, et, en un sens, son fondement, en tant qu’elle se réfère à l’Église une, de laquelle les Églises sont issues.

De façon très différente, notre mot va intervenir dans le livre VIII du De Trinitate44 pour qualifier l’union avec Dieu qui résulte de la participation à l’eucharistie. La problématique est ici plus dogmatique et nous permet de mieux cerner notre concept de communion. Au cours d’un ample développement, Hilaire s’en prend en effet à l’opinion arienne selon laquelle l’unité du Christ avec le Père serait de volonté et non de nature. Après avoir invoqué plusieurs passages d’Écriture à l’encontre de cette thèse45, l’évêque de Poitiers utilise un argument fondé sur l’eucharistie. Puisque l’union entre le Christ et nous, que nous expérimentons dans le sacrement, est réelle et pas uniquement morale, a fortiori l’unité du Christ avec son Père, établie en vertu de l’éternelle naissance, sera de nature et pas simplement de volonté46.

Au centre de sa réflexion se situe la façon dont l’eucharistie peut nous unir réellement au Christ. Hilaire ne prend pas appui sur une démonstration abstraite, mais sur l’affirmation du Christ : « Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment une boisson (Jn 6,55) »47. Tous admettent cette proposition, qui relève de la foi48. Mais cette affirmation s’accompagne d’une promesse qu’il importe de comprendre jusque dans ses ultimes conséquences : « Qui mangera ma chair et boira mon sang demeure en moi et moi en lui (Jn 6,56) »49.

Ainsi, dans l’eucharistie, la chair du Christ est absorbée par notre chair. Cette union très concrète est « naturelle » en ce qu’elle unit totalement deux réalités homogènes50. Cependant, elle produit un effet surprenant, qui va au-delà de ce que nous désignerions aujourd’hui par le mot « nature » : car la chair absorbée par les fidèles « demeure » en eux51. Elle ne leur donne pas la vie le temps d’un repas, comme le font les autres chairs, mais ne fait plus qu’un avec eux pour devenir en eux la source de la vie52.

Comment expliquer ce pouvoir ? Par le fait que la chair humaine du Christ, offerte dans l’eucharistie, est porteuse de plus qu’elle-même, ou plus exactement reste totalement unie à la nature divine. « Il mêla sa nature de chair à la nature éternelle dans le sacrement de la chair à laquelle nous devons communier »53. L’aliment charnel, que nous recevons et par lequel le Christ trouve un point de contact parfaitement adapté à notre condition humaine, nous le transmet donc tout entier : nous accueillons une chair matérielle, mais cette chair est la chair du Verbe54. La vie qui nous nourrit est celle dont le corps humain du Christ est porteur, mais dure pour l’éternité.

Par conséquent « l’absorption »55 du corps sacré ne débouche pas sur une fusion mais sur un nouvel état dans lequel le Christ et celui qui le reçoit restent étroitement unis et présents l’un à l’autre. Pour autant que nous puissions détailler analytiquement la description que nous en donne Hilaire, trois éléments semblent caractériser cette communauté d’un genre nouveau. L’union obtenue de la sorte unit ceux qu’elle assemble en une réalité indivisible, même si chacun des participants reste distinct des autres ; cette nouvelle réalité ne fait pas nombre avec ceux qu’elle unit, ni ne les altère en quoi que ce soit, mais donne à chacun sa pleine dimension dans la mesure où elle l’associe organiquement aux autres membres de la communion56. De plus, l’inhabitation mutuelle soulignée à plusieurs reprises établit une égalité entre le Christ et ceux en qui il demeure57. Enfin, malgré cette égalité, l’origine de la vie ainsi communiquée se trouve dans le Christ, en vertu des prérogatives divines de celui-ci58.

Déterminée de cette façon, « l’unité réelle » que le Christ instaure avec nous se révèle comme une « unité parfaite »59. De par la puissance divine, une « communion » au sens fort est établie entre nous et le Christ. Ainsi, explique Hilaire, les hérétiques sous-estiment le mystère de l’eucharistie :

comme si nous n’étions unis au Fils, et par le Fils au Père, que par l’obéissance et la volonté de dévotion, sans bénéficier en quoi que ce soit du caractère particulier de la communion selon la nature que nous apporte le sacrement de la chair et du sang ! Alors que le mystère d’une unité véritable et selon la nature doit être proclamé à la fois par le don qui nous est fait de l’honneur du Fils de Dieu, par l’habitation charnelle du Fils en nous et par notre union corporelle et indissoluble en lui60.

En récapitulant de telle manière tout son raisonnement61, saint Hilaire souligne la dimension singulière de cette unité qui est réellement une communion et en rappelle à la fois l’origine, la réalité centrale et les effets. Nous venons d’en détailler le centre, c’est-à-dire la façon dont le Christ demeure en nous par sa chair eucharistique. Pour la clarté de l’exposé, précisons brièvement ce qui la prépare et ce qui en découle. « L’honneur » dont il est question est lié au caractère « naturel » de la communion. En effet, avait déjà expliqué Hilaire, « il revient aux seuls Père et Fils d’être un de par la nature »62 ; mais puisque le Fils nous communique cette unité de telle sorte que nous soyons un comme le Père et le Fils sont un, il nous donne cet honneur « qui est une beauté ou une dignité de la nature »63. L’honneur peut ainsi se définir comme la grâce par laquelle l’unité, que nous n’avons pas de nature, nous devient naturelle, enracinée au plus profond de nous64. Enfin, notre « union corporelle et indissoluble », dernier élément à proclamer « le mystère d’une unité véritable et selon la nature », sous-entend que notre lien avec le Christ nous unit aussi les uns aux autres et, en grandissant, nous consommera dans l’unité divine65. La communion eucharistique se donne ici à voir comme le fondement de l’unité ecclésiale. En d’autres termes, non seulement l’Église est celle par l’entremise de laquelle le Seigneur vient demeurer charnellement en l’homme, mais cette « habitation » a pour effet de construire et de renforcer l’unité de cette Église qui est son corps et que nos corps constituent66.

De façon générale, nous pouvons donc caractériser l’emploi du mot communio dans cette réfutation comme s’appliquant aux effets de la participation à l’eucharistie de l’Église, c’est-à-dire à l’union personnelle des fidèles avec le Christ ; pour mystérieuse qu’elle puisse sembler, celle-ci n’en est pas moins fort réelle, beaucoup plus qu’une « simple union de volonté »67.

Plus encore : à l’intérieur de la longue démonstration effectuée par Hilaire, la communion que réalise l’eucharistie ici-bas semble bien refléter celle qui existe éternellement entre le Père et le Fils. À strictement parler, en effet, elle n’est pas créée mais communiquée par le sacrement. L’unité si particulière qu’elle instaure nous permet alors d’approcher la contemplation de la communion qui se dévoile dans l’unicité divine :

il avait déjà enseigné : « De même que le Père qui est vivant m’a envoyé et que moi je vis par le Père, ainsi celui qui aura mangé ma chair vivra lui aussi par moi » (Jn 6,57). Il vit donc par le Père ; et la façon dont il vit par le Père est la façon même dont nous vivrons par sa chair. Toute comparaison, en effet, est utilisée pour se représenter ce qui est à comprendre, afin que l’exemple proposé nous fasse saisir ce dont il s’agit. Telle est donc la cause de notre vie : nous avons en nous, êtres de chair, le Christ à demeure par la chair ; aussi vivrons-nous par lui dans la condition où il vit par le Père68.

Même si la communion dont nous jouissons avec le Christ n’est pas due à notre naissance mais à la réception de sa chair dans l’eucharistie, même si nous ne pouvons vivre de manière totalement spirituelle cette unité que Dieu nous donne en partage69, il apparaît qu’existe une stricte analogie entre l’état nouveau dans lequel nous sommes insérés70 et celui qui, de toute éternité, unit le Fils et le Père. Dit autrement, la communion nous introduit dans une réalité divine, non seulement parce qu’elle constitue un don du Seigneur, mais parce qu’elle est une réalité qui existe en Dieu. Le mystère dont l’Église est appelée à se nourrir trouve sa source dans l’intimité des personnes divines.

V Conclusion

Finalement, la communion eucharistique telle que saint Hilaire de Poitiers nous la présente ne peut se comprendre en-dehors de la théologie trinitaire et du rôle joué par l’incarnation dans l’économie du salut. L’eucharistie, en nous donnant le corps du Christ totalement uni à la nature divine, nous établit avec lui (et entre nous) dans un état analogue à celui qui, de toute éternité, unit le Fils au Père ; d’où, entre nous et lui, une inhabitation mutuelle « corporelle et indissoluble »71. Ainsi se comprend davantage l’extraordinaire réalisme donné à la présence eucharistique du Christ par la page justement célèbre du livre VIII du De Trinitate72 : c’est précisément la communion avec le Christ que nous expérimentons par la chair dans le sacrement qui nous permet de comprendre celle que le Fils vit avec le Père et de nous en découvrir participants.

Dès lors, la vision dynamique évoquée ci-dessus découle logiquement de ce fondement théologique, la communion apparaissant désormais comme une réalité surnaturelle communiquée à l’Église. Ceci vaut du redoublement de l’expression communio sancti corporis73, qui manifeste comment la préparation à la vie éternelle s’actualise toujours à nouveau dans la réception du sacrement74 ; mais la même vision sous-tend déjà la double mention de la communio dans le préambule de l’Ad Constantium75, laquelle, tout en montrant comment l’unité entre évêques découle de la fidélité à l’unique Église gardienne de l’eucharistie, nous vaut la première désignation directe de l’eucharistie comme communio dans la littérature latine. Au centre, le mystère du Christ, attirant tous les hommes dans le don de lui-même accompli dans sa Pâque, ne cesse de féconder la vie de l’Église et d’en renouveler notre intelligence76.

Étudier les rapports entre communion et eucharistie chez un Père de l’envergure de saint Hilaire provoque donc à la fois surprise et émerveillement. Surprise, en revenant à l’apparition d’un vocabulaire aujourd’hui si banalisé, de pressentir les richesses qu’il recèle et tente de mettre en valeur. Émerveillement qu’une réflexion si fidèle à ce qui fut donné dès le commencement se montre capable de telles innovations et déploie sous nos yeux un monde de correspondances où nous n’avons pas fini de puiser77.

Notes de bas de page

  • 1 Celui-là même auquel succédera saint Ambroise.

  • 2 Essentiellement les Collectanea antiariana Parisina (ou Fragmenta historica) et l’Oratio Synodi Sardicensis et Textus narratiuus (ou Liber I ad Constantium), auxquels peut être joint le dossier établi dans le De Synodis 9-65.

  • 3 Au nombre desquels l’essentiel du De Synodis, l’Ad Constantium imperatorem liber (ou Liber II ad Constantium), le Contra Constantium, le Contra Auxentium et les Hymni. Ces derniers constituent le premier essai de constitution d’un hymnaire en Occident, avant Ambroise.

  • 4 Figurent dans cette catégorie l’In Matthaeum, le De Trinitate, les Tractatus super Psalmos et le Tractatus Mysteriorum.

  • 5 Cf. Dupont-Fauville D., Saint Hilaire de Poitiers, théologien de la communion, Analecta Gregoriana, vol. 305, Series Facultatis Theologiae : Sectio B, n. 113, Roma, Editrice Pontificia Università Gregoriana, 2008. Ce volume a été publié grâce à l’obtention du prix Robert Bellarmin, décerné par l’université Grégorienne à la meilleure thèse en théologie soutenue chaque année en son sein.

  • 6 Nous reprenons la traduction de A. BoureauM. GoulletL. Moulinier dans J. de Voragine, La Légende dorée, coll. La Pléiade, Paris, Gallimard, 2004, p. 120.

  • 7 Les présents paragraphes nécessiteraient de très nombreuses références et illustrations. Nous nous permettons de renvoyer à notre étude, Dupont-Fauville D., Saint Hilaire de Poitiers… (cité supra n. 5), p. 21-57. Il ne s’agit ici que de rappeler quelques généralités utiles pour comprendre la façon dont saint Hilaire va réfléchir sur la notion quand il sera question de l’eucharistie.

  • 8 Cf. surtout Seesemann H., Der Begriff KOINΩNIA im Neuen Testament, Gießen, Töpelmann Verlag, 1933.

  • 9 À ce sujet, cf. par exemple Bori P.C., KOINΩNIA, Brescia, Paideia, 1972, ou Hertling L., Communio. Chiesa e papato nell’antichità cristiana, Roma, Università Gregoriana, 1961.

  • 10 Nous en trouvons déjà trace chez saint Irénée, qui s’appuie pour ce faire sur 1 Co 10,16 : « S’il n’y a pas de salut pour la chair, alors le Seigneur ne nous a pas non plus rachetés par son sang, la coupe de l’eucharistie n’est pas une communion à son sang et le pain que nous rompons n’est pas une communion à son corps » (Adversus Haereses V 2, 2). La première désignation explicite de l’eucharistie comme ϰοινωνία figurerait dans l’apocryphe des Acta Iohannis 86 : « ϰοινωνήσας τοῖς ἀδελφοῖς πασιν τῆς τοῦ ϰυρίου εὐχαριστίας ».

  • 11 En dehors du cas, isolé, de l’œuvre de saint Irénée.

  • 12 Trente ans après saint Hilaire, la Vulgate, par exemple, ne donnera pas moins de cinq traductions distinctes du mot grec ϰοινωνία : collatio, communicatio, communio (une seule fois, en He 13,16), participatio et societas.

  • 13 Au premier rang desquels les Pères africains.

  • 14 Dans la suite de notre article, toutes les occurrences de communio, et elles seules, seront traduites par « communion » dans les citations de passages de saint Hilaire.

  • 15 In Matth. 30,2 : « Post quae Iudas proditor indicatur, sine quo pascha accepto calice et fracto pane conficitur ; dignus enim aeternorum sacramentorum communione non fuerat. Nam discessisse statim hinc intelligitur, quod cum turbis reuersus ostenditur ».

  • 16 Cf. Mt 26,26-29.

  • 17 Cf. dans ce sens Małunowicz L., De voce « sacramenti » apud S. Hilarium Pictaviensem, Lublin, Katolickiego Uniwersytetu Lubelskiego, 1956, p. 185.

  • 18 Hilaire lui-même souligne que cette absence découle d’une interprétation. Si chez Mt le récit de l’institution suit la discussion du Christ avec Judas annonciatrice de la trahison (cf. Mt 26,20-29), l’ordre inverse existe pourtant chez Lc 22,14-23, tandis que Jn 13,26 montre Jésus donnant une bouchée au traître. L’hypothèse ne peut donc se prévaloir d’une concordance scripturaire, mais s’appuie plutôt sur une lecture théologique accordée à la pratique ecclésiale.

  • 19 Selon la conjecture formulée d’abord par P. Coustant, Vita sancti Hilarii Pictaviensis episcopi III, 24 (dans PL 9), pour qui l’œuvre écrite reprendrait un enseignement d’abord oral, même si M. Simonetti, « Note sul commento a Matteo di Ilario di Poitiers », Vetera Christianorum 1 (1964), p. 36, conteste qu’il puisse rester des traces d’homélies ; état de la question chez C. Kannengiesser, « Hilaire de Poitiers (saint) », dans Dictionnaire de Spiritualité VII, p. 470-471.

  • 20 Les Tractatus super Psalmos ont été écrits après le retour d’exil de saint Hilaire.

  • 21 Tr. Ps. LXVIII, 17 : « Et quia propter inimicos suos haec perpetienda sibi fuerant, per quae humanae saluti atque aeternitati consulebat, huius beneplaciti temporis testatur adfectum dicens : “Improperium expectauit cor meum et miseriam”, desideratas sibi esse huius temporis significans passiones secundum illud diuinae communionis sacramentum : “Desiderio cupiui hoc manducare”, quia in his passionis suae desideriis beneplaciti temporis consistebat effectus ».

  • 22 Lc 22,15, dans le récit évangélique, introduit les paroles de l’institution.

  • 23 Cf. In Matth. 33,6 : sur la Croix, « [le vinaigre] lui est en effet présenté sur une éponge au bout d’un roseau pour qu’il le boive, ce qui signifie qu’il a reçu des corps des païens les vices qui y avaient corrompu l’éternité et qu’il a transvasé en lui, dans une communion d’immortalité, les vices qui étaient en nous ».

  • 24 Cf. Tr. Ps. CXVIII, Heth(8),16 : le psalmiste « est participant de ceux qui craignent Dieu alors même qu’il souffre avec ceux qui souffrent, pleure avec ceux qui pleurent, est en butte, en tant que membre d’un même corps, à la douleur d’un autre membre. Donc, par cette communion dans les souffrances, il devient participant de ceux qui craignent Dieu ».

  • 25 Cf. Tr. Ps. LXIV, 10-14.

  • 26 Cf. Ps 64,10.

  • 27 Cf. Tr. Ps. LXIV, 12.

  • 28 Cf. Tr. Ps. LXIV, 13.

  • 29 Cf. Tr. Ps. LXIV, 14.

  • 30 Tr. Ps. LXIV, 14 : « Habemus etiam et cibum paratum. Et quis hic cibus est ? Ille scilicet in quo ad Dei consortium praeparamur per communionem sancti corporis in communione deinceps sancti corporis conlocandi. Id enim praesens psalmus significat dicens : “Parasti cibum illorum, quoniam ita est praeparatio tua”, quia cibo illo quamuis in praesens saluamur, tamen in posterum praeparamur ».

  • 31 « Nous avons aussi une nourriture préparée » fait directement suite à « et le fleuve de Dieu, regorgeant d’eau, vient se déverser en nous à partir de cette source de vie » : depuis la source qu’est le baptême, la vie divine se déverse en nous et l’eucharistie permet, comme une nourriture, de croître dans la réception de cette vie.

  • 32 La traduction littérale est ici difficile. D’un côté, les deux occurrences pourraient être rendues par une expression identique : « communion au corps sacré », ou encore « communion du corps saint ». De l’autre, la densité de la phrase appelle une explicitation, comme le tente par exemple G. Pelland, L’expérience de Dieu avec Hilaire de Poitiers, Québec, Fides, 2003, p. 66 : « par la communion au corps sacré de Jésus […] dans la communion au corps du Christ qu’est l’Église ». Nous avons essayé d’emprunter une voie moyenne, en ayant conscience de rester en deçà du sens exprimé.

  • 33 Un rapprochement peut être fait avec Origène, Homélies sur les psaumes 37 II, 6 : « Ne crains pas de communier au corps du Christ, en accédant à l’eucharistie comme net et pur… Ils ne comprennent pas ce que c’est que communier à l’Église, ou qu’accéder à des mystères si importants et éminents ». De Lubac H., Corpus mysticum, Paris, Aubier Montaigne, 19492, p. 32, commente : « Par le pain unique du sacrifice, il est donc clair que chaque fidèle, communiant au corps du Christ, communie par le fait même à l’Église ».

  • 34 Remarquons que, si la communion présente peut se rapporter principalement à l’eucharistie sacramentelle et la communion future à l’Église éternellement présente auprès de Dieu, une lecture dynamique de la communio peut pourtant s’appliquer à chacune des deux acceptions du « corps sacré ». De fait, tout en recevant dès aujourd’hui les espèces sacramentelles, nous devons les recevoir toujours à nouveau ; de même, la communion de l’Église, promise pour l’éternité, est déjà ce par quoi nous avons accès à l’eucharistie.

  • 35 Cet aspect à venir de l’accomplissement est souligné tant par la double mention de praeparamur, « qui nous prépare », au début et à la fin de notre citation, que par la double insistance sur l’aspect à venir de la réalisation plénière de la communio : « ensuite […] pour l’avenir ». La communion eschatologique sera le partage en plénitude de l’intimité divine : « la communauté avec Dieu ».

  • 36 Cf. dans ce sens Orazzo A., La salvezza in Ilario di Poitiers, Napoli, M. d’Auria Editore, 1986, p. 137 et Wild P.T., The Divinization of Man according to Saint Hilary of Poitiers, Mundelein (Illinois), Saint Mary of the Lake Seminary, 1950, p. 112.

  • 37 La praeparatio, qui dans le psaume se réfère à « tu leur as apprêté une nourriture », est appliquée par Hilaire à nous dans la mesure où elle « nous prépare à la communauté avec Dieu […] pour l’avenir ».

  • 38 Dans le même sens, cf. Lécuyer J., « Le sacerdoce royal des chrétiens selon saint Hilaire de Poitiers », dans L’année théologique 10 (1949), p. 325 : « Dès maintenant, donc, l’Eucharistie nous unit à Dieu, mais en nous préparant à une union plus étroite qui se réalisera par notre union définitive au Corps du Christ ressuscité ».

  • 39 Ad Const. 2 2. « Episcopus ego sum in omnium Gallicarum ecclesiarum atque episcoporum communione, licet in exsilio, permanens, et Ecclesiae adhuc per presbyteros meos communionem distribuens. Exsulo autem non crimine, sed factione ; et falsis nuntiis synodi ad te imperatorem pium, non ob aliquam criminum meorum conscientiam, per impios homines delatus ». L’Ad Constantium est rédigé en 359 à Constantinople.

  • 40 « Communionem habere. » Cf. Coll. antiar. Par. Series B II 1,8. II 2,3. II 8. VII 10,2.

  • 41 Contrairement aux auteurs (i.e. Libère, Ursace et Valens, ou encore le concile de Sardique) dont il nous transmet les écrits, Hilaire n’emploie pas l’expression habere communionem ; il « est » dans la communion et il y « demeure » : « in communione… permanens ».

  • 42 En latin classique, distribuere peut certes s’appliquer à des entités abstraites, mais toujours avec le sens d’une répartition, non d’un maintien ou d’une construction, ce qui favorise là encore une acception principale de communion eucharistique plutôt que sociale.

  • 43 Si nous suivons M.A. Sainio, Semasiologische Untersuchungen über die Entstehung der christlichen Latinität, Annales Academiae Scientiarum Fennicae B LXVII,1, Helsinki 1940, p. 94, cette occurrence du mot chez saint Hilaire constitue « la première attestation dans la littérature [latine] de l’appellation communio [pour désigner] la sainte Cène ». Doignon J., « Les plebes de la Narbonnaise et la “communion” d’Hilaire de Poitiers durant la crise arienne au milieu du IVe siècle en Gaule », Revue des études anciennes 80 (1978), p. 105, conteste, mais sans donner d’arguments.

  • 44 Écrit durant l’exil de saint Hilaire en Orient.

  • 45 Cf. Trin. VIII, 3-12.

  • 46 Cf. Trin. VIII, 13-18. La réponse aux ariens sera donnée sous sa forme la plus synthétique en Trin. VIII, 16. « Si nous vivons naturellement par lui selon la chair, c’est-à-dire si nous avons acquis la nature de sa chair, comment n’aurait-il pas naturellement le Père en lui selon l’Esprit, alors qu’il vit lui-même par le Père ? »

  • 47 Cf. Trin. VIII, 14.

  • 48 Cf. Trin. VIII, 14. Doignon J., « “Vere sub mysterio”. Un nœud de notions relatif à la communion eucharistique chez Hilaire de Poitiers », dans Mens concordet voci pour Mgr A.G. Martimort, Paris 1983, p. 467-468, développe le fait que, dans la conception hilarienne de l’eucharistie, mystère et vérité renvoient l’un à l’autre.

  • 49 Trin. VIII, 14.

  • 50 Le mot natura, très présent dans ce texte, est à recevoir avec précaution. Chez Hilaire lui-même, il peut en effet revêtir des acceptions diverses. Pour reprendre l’analyse de P. Smulders, La doctrine trinitaire de S. Hilaire de Poitiers, Analecta Gregoriana, vol. 32, Series Theologica : Sectio B, n. 14, Roma, Typis pontificiae universitatis Gregorianae, 1944, p. 283-285, « le sens premier de ce mot est ce qui convient à une chose en vertu de sa naissance. […] La nature signifie ensuite ce qui constitue la chose dans son être intime ; elle équivaut donc à l’essence. […] Mais tout comme l’essence, la nature elle aussi peut avoir un sens plus concret et signifier la chose même qui est. […] De cet usage concret du terme nature, il résulte qu’Hilaire a pu parler parfois, dans la doctrine trinitaire, comme s’il y avait deux natures, et, en doctrine christologique, comme s’il n’y en avait qu’une seule ». Dire que deux êtres sont unis naturaliter revient au moins, en tout cas, à affirmer que cette union les concerne tout entiers, selon tout ce qu’ils sont. Dans le cas de l’eucharistie, cf. Ibid., p. 243-244.

  • 51 Cf. Trin. VIII, 16.

  • 52 Comme le note Y. De Andia, « Eucharistie. Unité et Trinité », dans Le feu sur la terre. Mélanges offerts au Père Boris Bobrinskoy pour son 80e annniversaire, Paris, Presses Saint-Serge, 2005, p. 65, « [Hilaire] passe de la question de l’immanence réciproque à celle de la vie. […] La question de la vie renvoie, à son tour, à celle de la nature ».

  • 53 Trin. VIII, 13.

  • 54 Cf. Trin. VIII, 13.

  • 55 Cf. Trin. VIII, 14.

  • 56 Cf. Trin. VIII, 14.

  • 57 Cf. Trin. VIII, 14.16.

  • 58 Cf. Trin. VIII, 16.

  • 59 Cf. le passage effectué en Trin. VIII, 16 : « Mais combien naturelle est en nous cette unité, il l’a lui-même attesté ainsi […]. Or, il avait déjà enseigné plus haut le mystère de cette unité parfaite ».

  • 60 Trin. VIII, 17 : « tamquam nobis ad Filium et per Filium ad Patrem obsequio tantum ac uoluntate religionis unitis, nulla per sacramentum carnis et sanguinis naturalis communionis proprietas indulgeretur. Cum et per honorem nobis datum Dei Filii, et per manentem in nobis carnaliter Filium, et in eo nobis corporaliter et inseparabiliter unitis, mysterium uerae ac naturalis unitatis sit praedicandum ».

  • 61 Ce qu’il note expressément dès le début de Trin. VIII, 18 : « Nous avons donc répondu » ; littérairement aussi, la phrase que nous venons de citer sur le « caractère particulier de la communion selon la nature » fait inclusion avec celle qui concluait le préambule de l’exposé en Trin. VIII, 13 : « par le sacrement, le caractère particulier de la nature est [lui-même] le sacrement de l’unité parfaite ». Au terme du parcours, la perfection de l’unité (de nature) obtenue dans l’eucharistie s’explique comme étant celle d’une communio.

  • 62 Trin. VIII, 12.

  • 63 Trin. VIII, 12.

  • 64 P. Coustant, « Praefatio generalis » 88, PL 9, c. 48, résume avec une clarté géométrique cette acquisition d’une union “naturelle” : « Par conséquent, si ce qui nous est procuré est vraiment la nature de la chair du Christ, unie substantiellement au Verbe qui est un avec le Père par nature, il s’ensuit que nous sommes un selon la nature avec le Christ, et, par la médiation de celui-ci, avec le Père. Ce qu’il fallait démontrer ».

  • 65 Plusieurs allusions sont faites à cette réalité dans le cours de la démonstration. Nous nous sommes volontairement gardé de les détailler ici, dans la mesure où elles n’intéressaient pas directement l’explicitation du mode de communion eucharistique.

  • 66 Cette double nuance nous semble présente, encore qu’indirectement, dans l’« unité naturelle » qui se rapporte au premier chef à notre réception de la chair eucharistique.

  • 67 Cf. Trin. VIII, 15.

  • 68 Trin. VIII, 16 : « iam docuerat : “Sicut misit me uiuus Pater, et ego uiuo per Patrem, et qui manducauerit carnem meam, et ipse uiuet per me”. Viuit ergo per Patrem, et quo modo per Patrem uiuit, eodem modo nos per carnem eius uiuemus. Omnis enim conparatio ad intelligentiae formam praesumitur, ut id de quo agitur secundum propositum exemplum adsequatur. Haec ergo uitae nostrae causa est, quod in nobis carnalibus manentem per carnem Christum habemus, uicturis nobis per eum ea condicione qua uiuit ille per Patrem ».

  • 69 Non qu’il faille cependant concevoir l’Esprit comme opposé à la chair, puisque l’eucharistie procure la chair du Christ uni spirituellement au Père. Cf. notamment Coustant P., « Praefatio generalis » 91, PL 9, c. 49.

  • 70 Cf. Trin. VIII, 16 : « nous vivons naturellement, en lui selon la chair, c’est-à-dire quand nous avons acquis la nature de sa chair ».

  • 71 Trin. VIII, 17.

  • 72 Il faut considérer ici l’ensemble de Trin. VIII, 13-18.

  • 73 Cf. Tr. Ps. LXIV, 14.

  • 74 Désigner par la même expression de communio la communion sacramentelle et la communauté ecclésiale permet en effet de lier la communion que nous recevons ici-bas et celle qui nous est apprêtée pour l’éternité.

  • 75 Cf. Ad Const. 2, 2.

  • 76 Cf. In Matth. 30,2 et Tr. Ps. LXVIII,17.

  • 77 La présente étude pourrait par exemple être complétée par un examen de Tr. Myst. I, 3 et des rapprochements avec quelques traits généraux de la pensée de saint Hilaire, mais ceci excéderait notre propos. Nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage, Dupont-Fauville D., Saint Hilaire de Poitiers…(cité supra n. 5), p. 214-220 et p. 238-268 notamment.

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