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Du Midrash à Rashi et à l’exégèse narrative contemporaine : continuité de la lecture juive1

Jean-Pierre Sonnet s.j.
Entre la tradition interprétative ancienne du Midrash et l’invention de la narratologie biblique contemporaine — que l’on doit, de manière particulière, à des exégètes juifs —, une continuité significative se laisse observer. Éveillés par la tradition midrashique à la lecture rapprochée de l’Écriture, les scholars juifs ont été par ailleurs préparés par l’exégèse médiévale de Rashi et de son école à resserrer cette enquête dans l’enceinte du contexte. L’éthique de la lecture ainsi développée a de quoi inspirer les approches chrétiennes.

C’est cette extraordinaire présence de[s] personnages [de la Bible], c’est cette plénitude éthique et ces mystérieuses possibilités de l’exégèse qui signifiaient pour moi originellement la transcendance2.

E. Lévinas

En 1968 a paru dans la revue israélienne Ha-Sifrut un article de deux jeunes chercheurs de l’Université de Tel Aviv, Ménakhem Perry et Meir Sternberg, qui a suscité, lors de sa publication, une tempête de protestations3. L’article était intitulé « Regards ironiques sur le roi : le récit biblique et le processus de la lecture littéraire »4. C’est une lecture serrée de 2 Samuel 11–12, l’histoire de David et de Bethsabée, qui démontre qu’un système ingénieux d’ellipses narratives, jouant entre ce qui est raconté et ce qu’on doit inférer du récit, place le lecteur devant au moins deux interprétations possibles, l’une et l’autre compatibles avec les données du texte : pour la première, Urie, le mari de Bethsabée, était à mille lieues de savoir que le roi David avait commis l’adultère avec son épouse ; pour la seconde, il en était tout à fait conscient. Les deux hypothèses, mutuellement exclusives, impliquent chacune une série d’hypothèses secondaires à propos des motivations et des états de conscience des principaux protagonistes (Urie, David et Bethsabée). Sternberg et Perry font jouer, dans leur analyse, une analogie structurelle entre l’histoire rapportée en 2 Samuel et l’ambiguïté délibérément entretenue par Henry James dans son roman Le tour d’écrou : les jeunes héros de James voient-ils réellement des fantômes ? Sont-ils victimes d’une hallucination ? La critique la plus récurrente adressée à Sternberg et Perry consistait à maintenir que le récit qu’ils analysaient était un récit biblique, qu’il procédait dès lors avant tout de préoccupations d’ordre religieux, moral et didactique, et qu’il était donc fantaisiste de lui attribuer quelque affinité que ce soit avec les multiples formes d’ironie qu’affectionnent les esprits modernes que nous sommes. Perry et Sternberg se sont justifiés sur ce point dans une réponse intitulée « Attention : Texte littéraire ! » Ils y font valoir, de manière convaincante, qu’ils n’avaient pas projeté sur la Bible hébraïque des critères littéraires contemporains, mais qu’ils avaient identifié avec le plus grand soin les procédés narratifs mis en œuvre dans les récits bibliques — procédés que l’épisode de David et de Bethsabée illustre de manière significative. L’une de ces techniques est celle de l’ellipse narrative (gap, en anglais) : le narrateur a l’art d’impliquer le lecteur dans l’effectuation du sens du récit en passant délibérément sous silence des éléments de la chaîne chronologique et causale, à commencer par les motivations et les états de conscience des personnages5.

L’enquête sur le processus de la lecture en 2 Samuel 11–12 est devenue un chapitre de The Poetics of Biblical Narrative, étude magistrale publiée en 1985 par Sternberg6. Dès sa parution en revue en 1968, l’essai sur David et Bethsabée, inacceptable pour certains esprits, s’est toutefois révélé fécond pour d’autres. Robert Alter, professeur de littérature comparée et de littérature hébraïque à l’Université de Californie, reconnaît ainsi que c’est à la stimulation donnée par l’essai innovant de Sternberg et Perry qu’il doit son propre intérêt pour l’étude de l’art littéraire de la Bible. L’engagement intellectuel d’Alter a débouché sur les deux ouvrages de référence que sont The Art of Biblical Narrative (1981) et The Art of Biblical Poetry (1985)7. À la suite de ces chercheurs, et à leurs côtés, une génération pionnière s’est mise au travail, constituée notamment de Moshe Greenberg, Shemaryahu Talmon, Jacob Licht, Adele Berlin, Shimon Bar Efrat, Uriel Simon, Moshe Garsiel, Yair Zakovitch et Frank Polak. Dans leurs travaux, ces scholars juifs ont intégré les intuitions déjà exprimées par les précurseurs que furent Martin Buber et Franz Rosenzweig, à propos notamment du Leitwortstil biblique, cette manière de lier l’intrigue à la répétition de quelques mots clés venant « éperonner » le récit8. Dans cette exploration nouvelle du récit de la Bible, les exégètes juifs ont trouvé des répondants dans le monde chrétien, tels que Luis Alonso-Schökel, Jan Fokkelman, James Ackerman et Robert Polzin, et ensemble, ils ont fait référence au premier chapitre de l’ouvrage Mimèsis (publié en 1946), où Erich Auerbach met en contraste l’art narratif d’Homère, dans l’Odyssée, et celui du narrateur biblique en Genèse 229. En amont de ce dialogue, c’est toutefois le moment juif de cette révolution épistémologique que je voudrais scruter, en m’interrogeant sur sa spécificité et sur son apport possible à la théologie, qu’elle soit juive ou chrétienne.

J’ai parlé de « révolution épistémologique », car l’apport des chercheurs qui nous occupent s’est fait sur fond de ce que Hans W. Frei a appelé The Eclipse of Biblical Narrative10. Au long des 18e et 19e siècles, l’« histoire » qu’envisageait la recherche n’était jamais l’histoire racontée (l’histoire mise en récit), mais celle des textes (l’histoire rédactionnelle) ou celle des événements (l’historicité des faits rapportés) : « Le réalisme de type historique du récit biblique, reconnu par tous, au lieu d’être examiné pour lui-même ainsi que dans ses implications quant au sens et à l’interprétation, était immédiatement transposé dans le questionnement tout à fait différent de savoir si le récit réaliste en question était ou non historique »11. Comment et pourquoi, sur un tel fond, la question du récit est-elle revenue en force ? Les facteurs sont évidemment multiples. De manière légitime et éclairante, Jean-Louis Ska, dans un article intitulé « La “Nouvelle Critique” et l’exégèse anglo-saxonne », a mis ce tournant de l’exégèse à l’enseigne de l’histoire récente de la critique littéraire anglo-saxonne (les chercheurs juifs qui viennent d’être évoqués évoluent tous dans l’aire culturelle anglo-saxonne, que ce soit aux États-Unis ou en Israël)12. Nul doute que le New Criticism (qui s’est développé entre les années 1930 et 1950), avec sa manière de revenir à l’œuvre littéraire dans son autonomie d’« artéfact », et de l’affranchir de la tutelle de l’intention de l’auteur, de l’histoire, de la sociologie ou de la psychologie, a joué un rôle dans la révolution exégétique initiée par nos auteurs. Il est également probable qu’ils aient été inspirés, de loin ou de près, par certaines thèses du Reader Response Criticism, l’un des rejetons du New Criticism, qui a mis en lumière l’implication du lecteur dans la construction du sens de l’œuvre. Force est toutefois de reconnaître que peu de références à I.A. Richards, R. Wellek ou R. Warren — les figures de proue de la « Nouvelle Critique » — figurent dans leurs écrits. D’autres filiations s’y laissent parfois davantage reconnaître, notamment à l’égard des Formalistes russes et à l’égard dès lors de la Poétique d’Aristote. En général, toutefois, c’est à une poétique narrative sui generis que Sternberg, Alter et leurs émules en appellent, à distance des modèles reçus. Sternberg soutient ainsi que « L’Écriture émerge comme l’œuvre la plus intéressante et la plus magistrale dans la tradition narrative », et croit que la Bible a plus à enseigner à la critique littéraire en général qu’à en apprendre13. Il est toutefois une tradition intellectuelle que ne renient pas nos auteurs : la tradition exégétique juive, à laquelle ils font explicitement référence et dont ils veulent répondre. J’en prends pour témoin la finale de la préface de Sternberg dans son ouvrage The Poetics of Biblical Narrative : « Je veux terminer là où mon éducation commença et là où mon cœur est resté : avec un hommage à la grande tradition d’exégèse juive, dont l’origine et, à mes yeux, le sommet se trouvent chez les anciens rabbins. Mon admiration pour leur génie interprétatif — et je n’utilise pas ce terme à la légère — n’a d’égale que la différence de mes options face à leurs présupposés et aux libertés qu’ils s’accordent. À un niveau plus élevé que celui de la méthode, plus profond que celui de l’opposition passe-partout entre recherche et création, leur manière de s’expliquer avec le langage biblique reste une source inégalée de stimulation et de libération »14. Il semble dès lors important et prometteur d’explorer les voies de continuité et de discontinuité entre la tradition interprétative ancienne du judaïsme et l’invention de la poétique narrative biblique contemporaine.

Préparation midrashique

D’une manière particulière, c’est la tradition midrashique qui a préparé les scholars juifs contemporains à la « lecture rapprochée » (close reading) des approches littéraires et narratives. Ceci est manifeste dès les premières pages d’Alter dans L’Art du récit bibique, puisqu’il précise que les intuitions qu’il développe à propos de Genèse 38 ont été anticipées par le Midrash. Il s’agit de rendre raison de la présence du chapitre en question, racontant les démêlés scabreux de Juda avec sa belle-fille Tamar, dans l’histoire de Joseph et de ses frères (qui commence au chapitre 37 de la Genèse). Alter de citer E. A. Speiser qui voit ce chapitre comme « une unité complètement indépendante, sans aucun rapport avec le drame de Joseph, dont il interrompt le récit à la conclusion de son premier acte »15. Dans une lecture serrée, Alter manifeste que des phénomènes d’échos relient en fait le micro-récit de l’histoire de Juda et de Tamar au macro-récit de l’histoire de Joseph et de ses frères. En Gn 37,31-32, après leur conspiration contre Joseph, descendu dans un puits puis vendu à une caravane d’Ismaélites, Juda et ses frères somment leur père de reconnaître une pièce de vêtements ; en Gn 38,25-26, le même Juda est sommé par Tamar de reconnaître des effets personnels :

Gn 37, 31-32

Gn 38, 25-26

Puis ils envoyèrent la tunique à manche et la firent parvenir à leur père, en disant : « Nous avons trouvé ceci : reconnais donc (hakēr-nā’) si c’est la tunique de ton fils ou non ! ». Il la reconnut (wayyakîrāh) en disant : « La tunique de mon fils ! »

Comme on la faisait sortir, elle envoya dire à son beau-père : « De l’homme à qui appartiennent ces choses je suis enceinte ! » Puis elle dit : « Reconnais donc (hakēr-nā’) à qui appartiennent ce sceau, ces cordons, ce bâton ! ». Juda les reconnut (wayyakēr) et dit : « Elle a été plus juste que moi ! »

Il y a là une analogie de situations — de celles dont le récit biblique est si friand — destinée à faire réfléchir le lecteur. Le comportement de Tamar vis-à-vis de Juda prépare en fait le lecteur à comprendre celui de Joseph vis-à-vis de ses frères. Tamar amène Juda à reconnaître lui-même sa faute à son égard (« Elle a été plus juste que moi ! ») ; de manière analogue, Joseph conduira ses frères à la reconnaissance de leur crime à son égard sans les accuser directement. Juda, de son côté, est celui des frères qui amorcera le dénouement du drame (notamment dans son discours en Genèse 44), en ayant apparemment retenu la leçon donnée par Tamar. Dans cette analyse toute en finesse, Alter ne manque cependant pas de préciser :

Il est intéressant de rappeler que les deux indices verbaux du lien entre l’histoire de Joseph et celle de Juda et Tamar ont été relevés il y a plus de quinze cents ans par les maîtres du Midrash : « Le Saint — béni soit-il ! — dit à Juda : “Tu as abusé ton père avec un agneau. Par ta vie, Tamar t’abusera avec un agneau” … Le Saint — béni soit-il ! — dit à Juda : “Tu as dit à ton père : reconnais donc (haker-na). Par ta vie, Tamar te dira : reconnais donc (haker-na)” » (Bereshit Rabba, 84,11.12). Cette perspicacité du Midrash pourrait laisser entendre que, dans bien des cas, l’étude littéraire de la Bible a plus à apprendre des commentaires traditionnels que des analyses de la science moderne. La différence entre ces deux types d’approches consiste à considérer, d’une part, comme le postulent les maîtres du Midrash, que le texte biblique constitue une unité tissée de renvois internes et d’autre part, ainsi que le soutiennent la plupart des exégètes modernes, qu’il est un conglomérat de documents le plus souvent disparates. Forts de leur option en faveur de l’unité organique des textes, les maîtres du Midrash font preuve d’une extrême attention aux indices de continuité et aux nuances lexicales significatives du texte biblique. En cela, ils anticipent le souci de la close reading (lecture rapprochée) moderne16.

Les maîtres du Midrash se sont effectivement ingéniés à repérer et à exploiter les analogies narratives qui traversent, à petite ou à grande échelle, le récit de la Bible. Scrutant le texte de près, ils ont mis en lumière la cohérence des intrigues, au niveau des épisodes comme à celui de la narration d’ensemble. Rompus aux rapprochements du Midrash, les chercheurs juifs ont été exposés à l’unité organique des Écritures et immunisés contre la tendance de l’exégèse historico-critique à en atomiser le texte.

Au-delà des « trouvailles » et des rapprochements du Midrash, il y a une attitude de l’exploration midrashique qui anticipe et prépare une attitude correspondante dans l’enquête narrative, telle que la conçoivent les exégètes juifs. Ainsi que le souligne David Stern dans un article intitulé « Midrash and the Language of Exegesis », le propre du Midrash est de concevoir « l’interprétation de la Torah comme un processus et une activité plutôt que comme une pensée du monde achevée »17. Les recueils midrashiques qui juxtaposent des hypothèses interprétatives concurrentes à propos de versets bibliques donnés en sont le témoignage. Cette heuristique du Midrash répond en fait à une spécificité narrative de la Bible. Ainsi que l’écrit Alter,

Une finalité essentielle de l’innovation technique apportée […] par les auteurs de la Bible hébraïque consiste à laisser ouverte une certaine indétermination du sens, notamment en ce qui concerne les motifs de comportement, la caractérisation morale des personnages et leur vie psychologique […]. Pour la première fois peut-être dans la littérature narrative, la signification a été conçue comme un processus, requérant une continuelle révision (au sens habituel de l’expression et en son sens étymologique de « re-viser », « regarder à nouveau »), une constante suspension du jugement, une prise en compte des multiples possibilités de sens et une attention soutenue aux lacunes [gaps] de l’information fournie par le texte18.

Cette « attention soutenue » est constamment à l’œuvre dans le Midrash, qu’on peut décrire comme l’art de suppléer aux « blancs » du texte (le Midrash parle d’ailleurs de l’écriture divine sur les tables de la loi comme d’un « feu noir sur feu blanc »19). L’interprétation midrashique s’est prise au jeu des ellipses narratives et anticipe en cela le questionnement narratif. Ainsi le Midrash sur Jonas dans les Pirkei de Rabbi Eliezer20 s’ouvre sur la question « Pourquoi [Jonas] a-t-il fui ? », question qui naît de l’ellipse sciemment inscrite par le narrateur dans son récit. Le narrateur aurait pu expliciter ce « pourquoi » (par convention, il est omniscient) ; il s’en est abstenu, pour engager le lecteur dans un jeu d’hypothèses, et ce jusqu’à l’autre bout du livre où Jonas déclare : « Voilà pourquoi je me suis empressé de fuir à Tarsis … » (Jo 4,2). Entre l’interprétation midrashique et l’approche narrative, un jeu de lecture analogue s’observe donc, en réponse aux sollicitations du texte.

Obstacles midrashiques

Il importe toutefois de prendre acte également de discontinuités entre les deux attitudes de lecture, ancienne et nouvelle. Par certains de ses aspects, le Midrash s’est avéré être un obstacle à l’approche proprement narrative. Deux de ces aspects méritent d’être évoqués.

L’un des principes de l’interprétation midrashique se lit dans le Talmud, Pesahim 6b : « Il n’y a pas d’avant et d’après dans la Torah ». Si ce principe veut dire que la Torah (ou le récit biblique en général) raconte à l’occasion les événements dans le désordre (en ne suivant pas leur séquence chronologique)21, voilà qui ne pose aucun problème pour une approche narrative : en tout récit, le narrateur est libre de raconter les choses dans l’ordre ou dans le désordre22. Mais si le principe signifie que chaque point dans la Torah (chaque parashah, chaque verset ou chaque mot) peut être éclairé par tous les autres points, qu’ils viennent plus tôt ou plus tard dans cette Torah, voilà qui est plus problématique. Il est essentiel à l’approche narrative qu’il y ait un avant et un après dans un récit, lié à son ordre de présentation. Comme le souligne Perry dans le titre d’un essai judicieux, « l’ordre d’un texte crée sa signification »23 : c’est au rythme de la lecture, dans un dynamisme à la fois prospectif et rétrospectif, que le lecteur construit le sens du récit. Cette règle de lecture est comme telle étrangère à l’épistémologie du Midrash : « Si les maîtres du Midrash adhèrent au principe de l’unité du texte », écrit Alter, « ils n’ont guère le sens de la continuité du récit, de ce déroulement narratif cohérent où la signification de données antérieures est progressivement, voire systématiquement, révélée ou enrichie par l’addition de données ultérieures. Cela signifie concrètement que si le Midrash excelle dans l’exégèse de certaines phrases ou d’actions mentionnées dans le texte, il ne développe pas de lecture continue des récits bibliques »24. Les « universaux » narratifs que sont le suspense (l’interrogation prospective du lecteur), la curiosité (sa reconstitution rétrospective et progressive des éléments déjà racontés) et la surprise (l’art qu’a le récit de déjouer les hypothèses prospectives et rétrospectives) sont tous trois, et pour cause, intimement liés à cette progression de l’avant à l’après du récit25. Formés par le Midrash, les exégètes juifs ont donc dû se libérer de son « panoramisme » pour s’astreindre à une ascèse de lecture proprement narrative, au rythme de la narration26.

Par ailleurs, un autre présupposé du Midrash n’a pas aidé à l’intelligence du modèle narratif propre à la Bible hébraïque. Le présupposé est ici une forme de fondamentalisme de l’inspiration, qui veut que le personnage dont le récit raconte la vocation ou l’itinéraire prophétiques soit immédiatement le narrateur et l’auteur du récit en question. Ce présupposé fera de Moïse l’auteur des cinq livres de la Torah et le narrateur de l’histoire qui y est racontée (et Josué l’auteur et le narrateur du livre de Josué, Samuel l’auteur et le narrateur du livre qui porte son nom, etc.27). Avec lucidité, le Midrash reconnaît que ceci peut faire problème, notamment dans les versets finaux du Deutéronome où est racontée la mort de Moïse :

Huit versets de la Torah ont été écrits par Josué, comme il a été enseigné : « Et Moïse, le serviteur de Yhwh mourut là ». Est-il possible que Moïse, mort, ait pu écrire ces mots : « Moïse mourut là » ? La vérité est, toutefois, que Moïse écrivit jusqu’à ce point, et qu’à partir de ce point, Josué écrivit. C’est l’opinion de R. Judah ou, selon d’autres, de R. Nehemiah. R. Siméon lui a dit : le rouleau de la Loi pourrait-il être amputé d’un seul mot, et n’est-il pas écrit : « Prends ce livre de la Loi » ? Non. Ce que nous devons dire est que jusqu’à ce point le Saint, béni soit-il, dicta et Moïse répéta et écrivit, et qu’à partir de ce point Dieu dicta et Moïse écrivit dans les larmes28.

Cette façon de remédier à un problème ponctuel compromet en fait l’ensemble, ainsi que l’écrit Sternberg : « En l’apparence une simple rustine, ceci crée en fait des trous dans tout ce qui a précédé — comme en tout ce qui suit — car, dans une telle logique, la référence aux canons humains de probabilité devient non seulement gratuite mais invalide. L’inspiration divine étant donnée, Moïse aurait alors pu composer le reste de la Bible autant que le Pentateuque jusqu’en sa dernière lettre »29. Les raccourcis théologiques et littéraires du Midrash appellent l’élaboration d’un autre modèle, qui prenne acte du rôle incontournable du narrateur — et d’un narrateur omniscient — dans le récit biblique, capable de raconter la création des premiers jours, avant l’apparition de tout témoin humain, comme de rapporter la mort de Moïse ainsi que son ensevelissement par Dieu dans une tombe qu’aucun humain « n’a connue […] jusqu’à ce jour » (Dt 34,6). Sternberg est celui qui est allé le plus loin dans la caractérisation de la persona de ce narrateur anonyme, dont les manières n’impliquent pas un modèle empirique (il ne se pose pas comme témoin des événements qu’il rapporte), mais prophétique (il partage, comme par inspiration prophétique, la « science » de Dieu). Sur ce point aussi, et il est d’importance, il a fallu réformer le modèle hérité de la tradition, dans un dialogue avec la narratologie moderne (W. Booth et G. Genette sont régulièrement cités). Le modèle de la narration omnisciente offert par la théorie littéraire a toutefois requis lui aussi des ajustements. Dans le récit biblique, le premier à être omniscient est le Dieu unique, personnage du récit, et ceci crée une situation narrative singulière. Entre le Dieu transcendant et le narrateur prophétique, une relation déterminée se laisse dès lors observer, irréductible au modèle de narration omnisciente communément proposé par la théorie littéraire30. Bref, sur divers points, l’approche narrative a impliqué une refonte du cadre traditionnel ; mais, ainsi que le manifeste la richesse de la recherche narrative contemporaine, les nouveaux paramètres n’ont en rien signifié l’extinction de l’esprit interprétatif hérité des maîtres du Midrash.

Rashi : le tournant de l’exégèse contextuelle

Entre le Midrash et les lectures contemporaines, un moment de la tradition d’interprétation a toutefois constitué un relais décisif, amorçant un tournant vers une lecture contextuelle, annonciatrice de l’approche proprement narrative pratiquée par nos contemporains. Il s’agit de la contribution de Rashi de Troyes (1040-1105) et de l’école qui lui a fait suite. Postérieur à l’époque classique du Midrash, Rashi a engagé la tradition midrashique dans un projet interprétatif nouveau. Dans l’un de ses rares développements méthodologiques, Rashi, commentant Gn 3,8, précise :

Il existe [au sujet de l’expression commentée] de nombreux midrashim’aggadah et déjà nos maîtres les ont arrangés selon leur lieu [d’apparition dans l’Écriture] dans Bere’shit Rabba et dans le reste des recueils midrashiques ; quant à moi, je ne viens que pour le sens « simple » (peshat) de l’Écriture, et pour la’aggadah qui « assied » les paroles de l’Écriture, les éléments du discours étant pris selon leur mode propre.

En affirmant qu’il n’est pas venu sinon pour le sens « simple » de l’Écriture, Rashi fait écho à une règle du Talmud : « Il n’y a pas d’Écriture qui sorte de son sens “simple” [peshat] »31. Si l’Écriture peut dire beaucoup de choses, elle ne peut en venir à renier ce qu’elle dit explicitement en son texte et son contexte. Dans la préface de son commentaire au Cantique des Cantiques, Rashi explicite ce point : « Une fois Dieu a parlé, deux fois avons-nous entendu [Ps 62,12]. Un texte de l’Écriture se déploie en plusieurs sens, mais en fin de compte il n’y a d’Écriture qui sorte de son sens obvie ». Lorsque Rashi ajoute qu’il est venu « pour [le Midrash]’aggadah qui “assied” les paroles de l’Écriture », il fait comprendre que son exposition du peshat passera paradoxalement par le Midrash, dont il ne retiendra que les interprétations inscrivant les paroles scripturaires dans leur « assise » textuelle et contextuelle. Le commentaire de Rashi à propos de Gn 27,1 — « Il arriva, comme Isaac était devenu vieux, que sa vue était troublée » — permettra d’illustrer ceci. Rashi commente : « Sa vue était troublée : par la fumée de ces femmes. Autre interprétation : pour que Jacob puisse recevoir les bénédictions ». Extraits de sources midrashiques (respectivement Tanhuma, Toledot, 8, et Bere’shit Rabba, 65,8), ces deux développements dégagent « midrashiquement » les virtualités du texte sans porter atteinte au sens que celui-ci détient en son contexte (en le reniant ou en l’excluant). La référence aux femmes se fonde sur les versets qui précèdent immédiatement Gn 27,1, où on apprend qu’à l’âge de quarante ans « Ésaü prit pour femme Judit, fille de Béeri le Hittite, et Basemath, fille d’Eylon le Hittite » (Gn 26,34). Ces deux femmes furent de plus, enchaîne le texte biblique, « une cause d’amertume pour Isaac et Rebecca » (v. 35). C’est à la fumée de l’encens que faisaient brûler les épouses idolâtres d’Ésaü, soutient le Midrash, qu’Isaac doit ses problèmes de vue — et tel est le motif, ajoute Rashi, qui assure la transition entre les chapitres 26 et 27 de la Genèse. Quant à l’argument téléologique de la seconde interprétation (« Pour que Jacob puisse recevoir les bénédictions »), il ne nous fait pas sortir des développements du récit mais en anticipe au contraire le motif central : la bénédiction de Jacob par Isaac, rendue possible par les troubles de la vue de ce dernier. Ainsi ces deux commentaires midrashiques, cités par Rashi « dans une forme abrégée et retructurée »32, accréditent-ils l’inscription du sens en son contexte.

Dans leur attachement à la cohérence du sens littéral, Rashi et les Pashtanim (les commentateurs attachés à l’établissement du peshat qui ont suivi Rashi33) sont un maillon essentiel dans l’arc qui va du Midrash aux approches narratives contemporaines. Préfaçant son ouvrage Reading Prophetical Stories, Uriel Simon écrit ainsi : « ma lecture a été nourrie par deux écoles exégétiques — la tradition juive médiévale d’exégèse contextuelle et la recherche biblique internationale de l’ère moderne. La combinaison de ces deux sources est naturelle pour le lecteur juif contemporain de la Bible que je suis »34. En bien des points, les Pashtanim annoncent la « lecture continue » pratiquée aujourd’hui. Un essai récent d’André Wénin sur Genèse 22 a fait valoir que la pointe de l’ordre initial de Dieu à Abraham peut se comprendre de deux manières, et que l’intrigue de l’épisode est bâtie sur le trajet que fait le patriarche entre le premier et le second sens de la demande divine35. L’injonction veha‘ălēhû shām le‘ōlāh, « fais-le monter là pour un holocauste » (v. 22), peut traduire une demande adressée à Abraham de « faire monter » Isaac en holocauste au sommet de la montagne ou encore une demande de faire monter Isaac au sommet de la montagne pour offrir avec lui un holocauste. Est-ce une surprise ? Cette double lecture se trouve anticipée chez les deux Pashtanim que sont Joseph Bekhor Shor et de Levi Ben Gershom36. Voici le commentaire du second :

Cette parole, il est possible de la comprendre [comme exigeant] qu’il le sacrifie et en fasse un holocauste, ou [comme demandant] qu’il le fasse monter là pour faire monter un holocauste afin qu’Isaac soit éduqué dans le service du Nom — qu’il soit exalté ! Et le Nom — qu’il soit exalté ! — le mit à l’épreuve : serait-il pénible à ses yeux de faire quoi que ce soit que le Nom lui commande, jusqu’à ce qu’il comprenne cette parole autrement qu’il l’avait d’abord comprise, à savoir qu’il avait à faire monter là un autre holocauste, et non pas à sacrifier son fils ?37

L’acuité de la lecture des maîtres médiévaux est souvent stupéfiante, et on peut dire qu’à certains égards les lectures narratives contemporaines sont une manière de mise à jour de l’exégèse contextuelle de Rashi et de ses héritiers.

L’éthique de la lecture

Héritiers de la lecture rapprochée du Midrash, héritiers de l’exégèse contextuelle médiévale, les lecteurs juifs contemporains ont aussi, ai-je indiqué, entretenu un dialogue avec la théorie littéraire moderne, ainsi qu’avec la recherche commune en matière de narrativité biblique. Dans leurs lectures, ils ont toutefois souvent fait preuve d’une attention spécifique au récit de la Bible, où se reconnaît l’héritage de la tradition d’Israël. En face de l’esthétisme du New Criticism, de l’intellectualisme de la narratologie moderne, en face même de certains réflexes de l’exégèse chrétienne, une préoccupation que l’on peut présenter comme éthique a mobilisé ces lecteurs.

Aux yeux d’Alter, le récit biblique est ainsi un laboratoire d’éthique théologique. La révolution du monothéisme éthique d’Israël, souligne-t-il, ne se cantonne pas aux Dix Paroles ou aux injonctions des prophètes ; elle se joue dans chacun des genres littéraires promus par la Bible et notamment dans le récit :

Le dicton rabbinique souvent cité dibra torah kilshan benei’adam, « La Torah a parlé en langage humain », doit être appliqué non seulement aux expressions utilisées par l’Écriture mais aussi à l’adoption par les écrivains bibliques d’une gamme élaborée d’instruments littéraires pour l’articulation — et peut-être même pour l’invention — de leur vision religieuse. Le monothéisme éthique a été communiqué au monde non comme une série de principes abstraits mais dans des récits, des poèmes, des paraboles et des prières astucieusement rédigés, dans des compositions recourant au langage symbolique et à une rhétorique serrée, qui incluent jusqu’aux tables généalogiques et aux lois. Nous ne percevrons que peu de chose des modulations puissantes dans lesquelles ces textes s’adressent à nous si nous ne prêtons pas attention à la forme littéraire de l’adresse elle-même38.

Dans cette perspective, la lecture n’est pas seulement un exercice cognitif ou esthétique, elle est aussi une activité éthique, relevant de la faculté de juger39. Loin de fournir des personnages à la moralité transparente (en bien ou en mal), le récit biblique met le lecteur aux prises avec des personnages pour une part imprévisibles, capables du pire et du meilleur, aux motivations souvent mêlées et complexes — et ceci face aux requêtes éthiques du Dieu unique. Si le narrateur nous donne, de loin en loin, une clé d’évaluation morale — « Ce que fit [Onan] déplut aux yeux de Yhwh » (Gn 38,10) ; « Mais la chose qu’avait faite David déplut aux yeux de Yhwh » (2 Sm 11,27) —, il se tait dans la plupart des cas, et laisse le lecteur démêler l’écheveau et évaluer moralement les personnes et les situations, dans ce que Sternberg appelle « the drama of reading ». Les données peuvent être complexes et mettre au défi nos réactions premières (dont le récit fournit souvent l’utile miroir). Il faut alors tout l’art du narrateur to tip the balance et nous amener à envisager les choses autrement. Les deux derniers chapitres de la Poétique de Sternberg examinent des histoires de ce type — l’histoire du viol de Dinah par Sichem en Genèse 34, qui se solde par des représailles en forme de massacre collectif, et l’histoire du rejet de Saül par Yhwh en 1 Samuel 13–15. Ces deux récits exigent une évaluation morale (d’un comportement entre humains, d’une part, et d’un comportement mettant aux prises Dieu et l’homme, d’autre part) dans des situations complexes, provocantes même, où tout l’art du narrateur entre en jeu40. Nous sommes loin de l’esthétisme ou de l’intellectualisme critiques, nous sommes dans le laboratoire du monothéisme éthique d’Israël.

Pour Alter, la valorisation de ce type de lecture est une forme de réappropriation juive de la pointe de la révélation de la Bible hébraïque, émoussée par la tradition de lecture et d’exégèse qui a prévalu dans le monde chrétien. C’est du moins ce qu’il soutient dans un article récent, intitulé « Northrop Frye, entre archétype et typologie »41. Dans ces pages, Alter se démarque avec vigueur de la perspective littéraire et théologique que développe le critique littéraire Northrop Frye dans son ouvrage The Great Code42. Le Grand Code, bien sûr, ne résume pas à lui seul la lecture chrétienne des Écritures, mais il en projette, d’une certaine manière, le paradigme sur le grand écran de la littérature. L’immense système métaphorique et typologique que déploie Frye entre Ancien et Nouveau Testaments est sans doute fascinant, il occulte néanmoins, soutient Alter, le drame éthique qui se produit dans l’histoire racontée par la Bible et le drame analogue qui se joue dans l’acte de sa lecture. Alter de le montrer notamment à propos de la scène de 2 Samuel 6 où Mikal, première épouse de David, contemple son époux depuis sa fenêtre et méprise le roi qui danse devant l’arche. « Toutes [les] complexités psychologiques et politiques fascinantes de cette histoire remarquable s’effacent quand la confrontation entre mari et femme est présentée comme l’archétype du roi humilié »43 — c’est en effet ce à quoi Frye ramène l’épisode dans une double référence à une prétendue pratique babylonienne d’un rituel annuel d’humiliation du roi et à l’humiliation du Roi des rois des Évangiles. Toute la richesse du drame, dans ses enjeux politiques, érotiques, religieux et éthiques « disparaît dans un brouillard d’archétypes »44. Et Alter de conclure : « Pendant des siècles de prédominance interprétative chrétienne, l’Écriture hébraïque a été systématiquement dissociée des complications mouvantes de ses aspects réels très particuliers, si bien qu’on a pu la considérer comme une pâle esquisse des Évangiles, censés la compléter. Nous ne voulons surtout pas réitérer cette manière de lire, que ce soit pour la Bible ou pour la littérature profane »45.

Conclusion

Éveillés par la tradition midrashique à l’exploration serrée de l’Écriture, les scholars juifs contemporains ont été préparés par l’exégèse médiévale à resserrer cette enquête dans l’enceinte du contexte. S’ils ont été perméables aux développements récents de la théorie littéraire, et s’ils ont entretenu un évident dialogue avec des figures de l’exégèse extérieures au judaïsme, ils ont néanmoins fait preuve de réflexes juifs dans leur enquête, en mettant en lumière l’intensité religieuse et éthique de l’art biblique de raconter. Les pages que voici ont voulu souligner cette continuité. Quelque chose du génie du Midrash et de l’exégèse juive médiévale se perpétue dans leur lecture. Il s’agit notamment de cette manière de toujours affiner le questionnement dans l’enceinte du canon ou du texte scripturaires. « Tourne [l’Écriture] et retourne-la, car tout est en elle », dit ainsi la Mishna46. Ce questionnement a une dimension éthique caractéristique. Lorsque le midrash Sifré commente, en Dt 17,19, l’obligation qu’a le futur roi d’Israël de lire le livre de la Torah « tous les jours de sa vie », il explicite : « La lecture de l’Écriture conduit au Targum ; le Targum à la Mishna ; la Mishna au Talmud et le Talmud à l’action »47. La finalité de la lecture juive — de la recherche midrashique — est éthique, ainsi que l’a rappelé Emmanuel Lévinas48. Le récit biblique se tient certes à distance du tour didactique que cultive le Midrash49 ; en misant sur les pouvoirs de l’imaginaire et la relation ludique au texte, il est néanmoins animé par la même urgence : « Le récit biblique est […] une manière d’explorer les domaines de la connaissance morale, spirituelle et historique », écrit Alter50. Dans l’interrelation de l’intrigue, des personnages, des dialogues et des points de vue, une carte apparaît : la carte des trajets possibles de l’existence humaine lorsqu’elle croise le Dieu vivant. « Les écrivains de la Bible hébraïque », écrit encore Alter, « ont conféré à leurs personnages une individualité complexe, parfois séduisante, le plus souvent farouchement opiniâtre, parce que c’est dans l’obstination de son humanité et de son individualité que l’homme rencontre Dieu, ou prend le parti de l’ignorer, lui répond ou lui résiste »51.

Les lectures narratives ont déjà été un beau terrain de rencontre entre exégètes juifs et chrétiens ; aux chrétiens sans doute de prendre acte de la spécificité juive des lectures juives. Sans renoncer à rien de ce qui constitue la lecture chrétienne — et en particulier l’attachement à la perspective de l’accomplissement (qui commande notamment l’approche typologique) —, les lecteurs chrétiens ont à apprendre des réflexes juifs dans l’exploration du récit. Et ce jusque dans le terrain du récit néo-testamentaire. Le texte fondateur du Nouveau Testament est en effet lui aussi un récit, et ce choix générique n’est pas d’abord ordonné à la typologie (qu’il permet aussi, bien sûr, d’illustrer). Il permet de rééditer, autour de la figure dramatique du messie, le « drame de la lecture » indissociable du monothéisme éthique de la Bible. À la manière de Jérôme consultant les rabbins ou des Victorins s’enquérant des interprétations de Rashi, des « écolages » nouveaux ont vu le jour.

Notes de bas de page

  • 1 Cet essai reprend une communication faite au colloque « Jésuites en dialogue avec le judaïsme », sur le thème « The Importance of Modern Jewish Thought for Jewish-Christian Dialogue », Bad Schönbrunn, Suisse, les 18-23 juillet 2005.

  • 2 Lévinas E., Éthique et infini. Dialogues avec Philippe Nemo, Paris, Fayard, 1982, p. 13.

  • 3 Je m’inspire ici de la présentation de ce débat par R. Alter dans L’Art du récit biblique, tr. P. Lebeau et J.-P. Sonnet, coll. Le livre et le rouleau 4, Bruxelles, Lessius, 1999, p. 30-31 (cité désormais Art du récit).

  • 4 Perry M. et Sternberg M., « The King Through Ironic Eyes : Biblical Narrative and the Literary Reading Process », dans Ha-Sifrut 1/2 (été 1968) 263-292 (en hébreu).

  • 5 Id., « Caution : A Literary text », dans Ha-Sifrut 2/3 (août 1970) 608-663 (en hébreu).

  • 6 Sternberg M., The Poetics of Biblical Narrative, Bloomington, Indiana UP, 1985 (cité désormais Poetics).

  • 7 En traduction française : L’Art du récit biblique (cité supra n. 3) et L’Art de la poésie biblique, tr. Chr. Leroy et J.-P. Sonnet, coll. Le livre et le rouleau 11, Bruxelles, Lessius, 2003.

  • 8 Voir Rosenzweig Fr., L’Écriture, le Verbe et autres essais, tr. J.-L. Evard, Paris, PUF, 1998, p. 131-145 ; voir aussi M. Buber et Fr. Rosenzweig, Scripture and Translation, tr. L. Rosenwald et E. Fox, Bloomington, Indiana UP, 1994, p. 114-150.

  • 9 Auerbach E., « La cicatrice d’Ulysse », dans Id., Mimèsis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, tr. C. Heim, coll. Tel 14, Paris, Gallimard, 1968.

  • 10 Frei H.W., The Eclipse of Biblical Narrative. A Study in Eighteenth and Nineteenth Century Hermeneutics, New Haven, Yale UP, 1974.

  • 11 Ibid. p. 16 (je traduis).

  • 12 Ska J.-L., « La ‘Nouvelle Critique’ et l’exégèse anglo-saxonne », dans RSR 80/1 (1992) 29-53.

  • 13 Poetics p. 518 (je traduis). Voir aussi Alter R., Art du récit, p. 6 : « La Bible peut grandement contribuer à l’étude du genre narratif, pour cette raison que l’art des récits bibliques, récits apparemment ingénus mais en réalité étonnamment complexes, offre de remarquables illustrations des possibilités natives de la narration ».

  • 14 Poetics p. xiii-xiv.

  • 15 Speiser E.A., Genesis, coll. The Anchor Bible 1, New York, 1964, p. 299.

  • 16 Art du récit p. 20-21.

  • 17 Stern D., « Midrash and the Language of Exegesis », dans Midrash and Literature, éd. G.H. Hartman et S. Budick, New Haven, Yale UP, 1986, p. 122 (je traduis).

  • 18 Art du récit p. 22.

  • 19 Tanhouma, Bereshit, 1.

  • 20 Pirkei de Rabbi Eliezer. The Chapters of Rabbi Eliezer the Great, tr. G. Friedlander, New York, Sepher-Hermon Press, 1981 (1916). Je dois cette observation à Elliott Rabin dans un essai non publié intitulé « Midrash as Literature : A Case Study in the Rabbinic Art of Rewriting ».

  • 21 Voir Glatt D.A., Chronological Displacement in Biblical and Related Literatures, coll. SBL Dissertation Series 139, Atlanta, Scholars Press, 1993, p. 3-6.

  • 22 Comme le montre M. Sternberg, l’option fondamentale du récit biblique est toutefois de présenter la macro-séquence de l’histoire dans l’ordre ; voir « Time and Space in Biblical (Hi)story Telling : The Grand Chronology », dans The Book and the Text. The Bible and Literary Theory, éd. R. Schwartz, Oxford, Basil Blackwell, 1990, p. 81-145 ; voir notamment p. 82 à propos de la règle rabbinique.

  • 23 Voir Perry M., « Literary Dynamics : How the Order of a Text Creates Its Meanings », dans Poetics Today 1-2 (1979) 35-64 et 311-361.

  • 24 Art du récit p. 21.

  • 25 Voir Sternberg M., « How Narrativity Makes a Difference », dans Narrative 9 (2001) 115-122.

  • 26 Voir aussi Berlin A., Poetics and Interpretation of Biblical Narrative, Winona Lake, Eisenbrauns, 1994, p. 17-18.

  • 27 Voir Talmud de Babylone, Baba Bathra, 14b-15a.

  • 28 Baba Bathra, 15a.

  • 29 Poetics p. 61.

  • 30 Je me permets de renvoyer à deux essais traitant de ce point : « Y a-t-il un narrateur dans la Bible ? La Genèse et le modèle narratif de la Bible », dans Bible et littérature. Dieu et l’homme mis en intrigue, éd. Fr. Mies, coll. Le livre et le rouleau 6, Bruxelles, Lessius, 1999, p. 9-27 ; « Narration biblique et (post)modernité », dans La Bible en récits : L’exégèse biblique à l’heure du lecteur, éd. D. Marguerat, coll. Le Monde de la Bible 48, Genève, Labor et Fides, 2003, p. 253-263.

  • 31 Talmud de Babylone, Shabbat, 63a ; Yebamot, 11b et 22a. La compréhension du rapport entre midrash et peshat dans le projet exégétique de Rashi a reçu un éclairage nouveau dans les recherches de S. Kamin ; voir notamment « Rashi’s Exegetical Categorization with Respect to the Distinction Between Peshat and Derash », dans Immanuel 11 (1980) 16-32 et Rashi’s Exegetical Categorization in Respect to the Distinction Between Peshat and Derash, Jérusalem, Magnes Press, 1986 (en hébreu). Kamin manifeste que, loin d’opposer les deux méthodes comme le fera le petit-fils de Rashi, Samuel Ben Meir (Rashbam), chez qui l’autonomie du peshat se trouve consacrée, Rashi a toujours travaillé en ayant sous les yeux les commentaires de « nos maîtres » et leur a conféré une autorité nouvelle en les articulant au sens contextuel de l’Écriture. Plutôt que de mettre à distance l’Écriture et la tradition, il a cherché, dans sa sagesse, à les renouveler l’une par l’autre. Voir à ce propos Dubois M. et Sonnet J.-P., « S. Kamin, lectrice de Rashi. De la cohérence et de la pertinence d’un projet exégétique », dans NRT 112 (1990) 236-249.

  • 32 Signer M., « Rashi as Narrator », dans Rashi et la culture juive en France du Nord au moyen âge, éd. G. Dahan, G. Nahon et E. Nicolas, Louvain-Paris, Peeters, 1997, p. 106 (je traduis) ; Signer souligne l’art du commentaire de Rashi à cet égard : « Le lecteur est entraîné dans le texte biblique à la fois à travers les Rabbins et à travers Rashi » (p. 106) ; dans certains cas, ajoute-t-il, « la transition entre les lemmes bibliques et le midrash rabbinique réécrit est sans couture » (p. 107 ; je traduis).

  • 33 Il faut citer parmi eux Joseph Kara, Samuel Ben Meir [Rashbam], le petit-fils de Rashi, Eliezer de Beaugency et Joseph Bekhor Shor.

  • 34 Simon U., Reading Prophetic Narratives, Bloomington, Indiana UP, 1997, p. xvi.

  • 35 Wénin A., Isaac ou l’épreuve d’Abraham. Approche narrative de Genèse 22, coll. Le livre et le rouleau 8, Bruxelles, Lessius, 1999.

  • 36 Les deux commentaires ont été repris dans l’ouvrage de Wénin A., Isaac… (cité supra n. 35), p. 38.

  • 37 Miqra’ot Gedolot, ad loc.

  • 38 Alter R., The World of Biblical Literature, New York, BasicBooks, 1992, p. 15 (je traduis).

  • 39 Le constat d’A.B. Yehoshua dans son ouvrage Comment construire un code moral sur un vieux sac de supermarché ?, Paris-Tel-Aviv, Éditions de l’Éclat, 2004, p. 7, s’inscrit dans la même tradition de lecture : « Depuis bien longtemps, l’écrivain, le lecteur et le professeur de lettres que je suis, s’interroge sur les rapports de l’Art et en particulier de la littérature, du théâtre et du cinéma, avec ce que nous avons coutume d’appeler le domaine de l’éthique, de la morale et des jugements de valeur […]. Depuis quelques années, les analyses critiques de roman, de récit, de pièce de théâtre ou de film ne contiennent quasiment pas de remarques directes relatives à la dimension morale de l’œuvre, au jugement moral positif ou négatif de l’auteur ou au comportement des personnages. Il est très rare, de nos jours, d’entendre un lecteur s’indigner ou s’étonner de la position morale d’un héros ou d’un écrivain » ; il n’est pas étonnant que l’ouvrage de W.C. Booth, The Company We Keep : An Ethics of Fiction, Berkeley, Univ. of California Press, 1988, soit cité par Yehoshua comme l’exception.

  • 40 Poetics, « The Art of Persuasion », p. 441-480, et « Ideology, Rhetoric, Poetics », p. 482-515.

  • 41 Alter R., « Northrop Frye, entre archétype et typologie », dans RSR 89/3 (2001) 403-418.

  • 42 Frye N., Le Grand Code. La Bible et la littérature, tr. C. Malamoud, coll. Poétique, Paris, Seuil, 1984.

  • 43 Alter R., « Northrop Frye… » (cité supra n. 41), p. 416.

  • 44 Ibid. p. 415.

  • 45 Ibid. p. 417.

  • 46 R. Ben Bagbag, Pirqei Abot, 5,22.

  • 47 Sifré sur Dt 17,19.

  • 48 Voir les pages fortes de D. Banon, La lecture infinie. Voies de l’interprétation midrachique, Paris, Seuil, 1987, p. 219-245.

  • 49 Voir Art du récit p. 21-22.

  • 50 Ibid. p. 214.

  • 51 Ibid p. 255.

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