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J.-L. Vesco : le Psautier, de David à Jésus

À propos de ses ouvrages sur les Psaumes*

Jean Radermakers s.j.

Il y a une dizaine d’années, nous indiquions en cette revue quelques ouvrages récents en langue française concernant les psaumes et le psautier (cf. NRT 124 [2002], p. 630-639). Aujourd’hui, nous constatons que cette dernière décennie a vu grandir encore l’intérêt pour la prière d’Israël devenue aussi celle de l’Église chrétienne. Nous nous contentons de signaler simplement en note quelques travaux francophones plus importants destinés aux familiers de la prière psalmique1, mais nous préférons focaliser l’attention des lecteurs sur une œuvre monumentale que vient de nous offrir le père dominicain Jean-Luc Vesco, ancien directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, professeur d’exégèse biblique et membre de la Commission biblique pontificale.

Pour percevoir la portée du patient travail de l’auteur, il nous faut remonter aux articles qu’il avait publiés dans diverses revues entre 1973 et 1999, et qu’il avait rassemblés dans un volume de deux cent pages paru sous un titre significatif Psaumes : cris d’hommes et voix de Dieu. En présentant la sélection d’une quinzaine de psaumes commentés suivant un parcours spirituel attachant, J.-L. Vesco nous menait du roi David de l’histoire d’Israël à Jésus, nouveau David, Roi-Messie assumant en sa propre prière celle de son peuple. Prière à la fois diverse selon les circonstances et unifiée en sa personne. L’auteur concluait sa présentation par ces mots : « Le psautier devient alors comme un immense Corps du Christ par lequel l’Esprit-Saint parle et chante, sans fin » (p. 10). Dans ce livre, il nous rendait attentifs à bien comprendre le climat de violence dans lequel baignent de nombreux psaumes. Il s’agissait de découvrir comment Dieu se rend présent dans le cri des opprimés qu’il désire sauver, notamment en suscitant une prière qui, dans celle de Jésus, solidarise les hommes entre eux.

Quelques années plus tard, l’auteur, qui ne cessait de poursuivre sa recherche en même temps que son enseignement à travers d’innombrables cours et sessions, nous gratifiait d’un ouvrage volumineux de 1400 pages intitulé Le Psautier de David traduit et commenté, en deux tomes. C’était, cette fois, le commentaire des 150 prières du psautier, mais conçu d’une manière personnelle et originale. En effet, la plupart des commentaires modernes antérieurs s’ingénient à expliquer le mot à mot des versets, ou bien à sonder la genèse de chacun des psaumes ou à le situer dans la liturgie de l’époque. Il y a aussi les exégètes qui tentent de mettre en valeur la dynamique de chacun des psaumes, notamment en scrutant avec sagacité et précision la structure organique de chacun d’eux.

Le travail du p. Vesco est assez différent. Il nous présente, certes, et il commente chacun des psaumes, en le replaçant dans son milieu naturel tel que nous l’a transmis la tradition, c’est-à-dire le psautier lui-même, constitué de petites unités, mais intégralement pris comme un livre. Il s’agit pour l’auteur d’en saisir l’organicité, souvent difficile à découvrir à notre époque, avec ses tendances théologiques issues d’un monde différent du nôtre, ses images et ses formulations poétiques nées dans une autre culture, celle de l’Israël d’autrefois. La familiarité du p. Vesco avec la totalité du psautier et chacune de ses parties, son sens pédagogique et son don de transmission éclatent dans cet ouvrage. Il nous présente ce psautier qui a traversé les siècles, non comme un objet de musée, mais comme le fruit d’une communauté priante qui a engendré au cours du temps d’autres communautés vivantes et de nouveaux priants. C’est un vrai régal de parcourir son texte, truffé d’informations linguistiques, culturelles, artistiques, théologiques, tout en se laissant conduire par des sentiers spirituels délicatement nuancés et d’une étonnante richesse. Point n’est besoin de notes abondantes ; le fil de la pensée suffit.

Comme l’indique le p. Adrian Schenker dans la préface consacrée à ce remarquable ouvrage : « Le commentaire du père Vesco encouragera puissamment une lecture soigneuse de l’Écriture. Car il montre le grand bénéfice que chacun peut tirer de cette méthode de lecture attentive du texte, qu’il pratique avec tant de brio. Ce qui est vrai du psautier et des psaumes l’est d’ailleurs aussi, d’une manière générale, pour toutes les autres parties de la Bible. La lecture minutieuse et patiente du texte est certainement la méthode la plus capable de révéler les richesses de l’Écriture » (p. 10). Tel est le propos de l’auteur : nous aider à lire le livre des psaumes comme un miroir de l’expérience de Dieu faite par Israël dans le cours de son histoire. Avec ce peuple, le priant d’aujourd’hui rejoint celui d’autrefois auquel il redonne vie.

Une brève mais suggestive introduction déploie pour nous « les psaumes juifs et chrétiens au long des siècles » : nés dans le judaïsme, repris par le christianisme (et parfois par le Coran), actualisés dans l’acte présent de lecture et de prière. Ainsi sont-ils arrivés jusqu’à nous. Car l’auteur s’attarde un brin à nous décrire « un psautier en prière » : une prière devenant progressivement un seul livre, mémoire de la prière d’Israël, mais aussi écho des cris, des désirs et des supplications des hommes de tous les temps. Alors commence le commentaire proprement dit. Pour chacun des psaumes, l’auteur nous offre une traduction proche de l’hébreu, suivie d’une explication adaptée à chaque genre ou attitude de prière, toujours perçue comme une partie vivante du livre, avec ses caractéristiques propres, son milieu naturel et les rapports avec l’histoire religieuse du peuple juif. Il est superflu de faire suivre l’explication littéraire d’un « aperçu théologique spirituel », car la réalité théologique affleure elle-même des profondeurs du texte. Cette manière de commenter n’est pas absolument nouvelle, car beaucoup de commentateurs entendent bien l’appliquer. Mais J.-L. Vesco réussit de façon à la fois compétente et émouvante à nous introduire dans la vie même de la prière, de toute prière.

L’auteur achève son volumineux commentaire en nous entraînant dans la conclusion du psautier représentée par l’ensemble cohérent des psaumes 136 à 150 qui clôture le cinquième livre et ouvre à la louange cosmique, celle d’Israël et de tous les vivants. Puis il ajoute, telle une pierre d’attente, un précieux tableau des versets de psaumes cités ou évoqués dans le Nouveau Testament. La bibliographie sélective par ordre chronologique, qui met un point final au second volume de l’œuvre, est particulièrement bienvenue. Elle constitue comme un utile rappel de l’histoire de l’exégèse des psaumes au xx e siècle.

L’œuvre du père Vesco n’est cependant pas achevée avec cette étude magistrale. Le tableau des citations psalmiques de l’Ancien Testament dans le Nouveau lui a servi de cadre pour composer Le psautier de Jésus. Les citations des Psaumes dans le Nouveau Testament. La promesse qu’il nous faisait dans son commentaire du Psautier de David (p. 39) se trouve ici tenue, au-delà de nos espérances, car c’est un autre ouvrage en tout point remarquable qu’il présente aujourd’hui. Il nous plaît de le faire découvrir dans la foulée du précédent.

Ce travail est le digne complément du premier. Bien sûr, les exégètes des psaumes ne manquent jamais de mentionner les citations néotestamentaires du psautier ; elles sont d’ailleurs relativement les plus nombreuses parmi les livres bibliques cités dans le Nouveau Testament. Jésus a prié le psautier de David ; sa mémoire en conservait les mots les plus simples et même les intonations les plus significatives. Il était, pour ainsi dire, le « Psautier en prière ». Non seulement il l’a prié avec ses contemporains, et intégralement mémorisé, comme le font encore de nos jours certains juifs ou chrétiens, mais il nous a légué en héritage cette prière de son peuple, qu’il avait faite sienne. Ainsi, à travers lui, les cris et les mots des hommes devenaient révélation de Dieu. Comment, dès lors et à sa suite, la première Église a-t-elle reçu cet héritage, et comment les écrivains du Nouveau Testament, forts de leur expérience de voir leur Maître en prière, ont-ils inséré dans la rédaction de leurs écrits, des références au psautier de David, de telle sorte que nous puissions retrouver la prière du Maître dans la mémoire des apôtres et de leurs disciples ? Telle est la question à laquelle vient répondre ce second ouvrage de l’auteur.

Ce sont surtout des chrétiens, juifs d’abord, qui ont composé ces livres que nous appelons « le Nouveau Testament », car il leur paraissait nécessaire de montrer que l’Église en formation continuait de réciter les psaumes, comme nous le mentionne explicitement le texte des Actes des apôtres (Ac 4,23-30 ; cf. Lc 24,27). Rappelant l’unité de la Bible chrétienne, le p. Vesco souligne la volonté des premiers chrétiens, puis celle des Pères de l’Église, de présenter des textes du psautier juif, comme d’ailleurs des textes prophétiques, une interprétation résolument christique, en marquant l’importance de cette appropriation. Il lui fallait donc entreprendre un pas supplémentaire. Un labeur persévérant l’a tenu en haleine et voici qu’il nous offre le meilleur fruit de son ouvrage, désormais incontournable pour tous les exégètes, pour les liturgistes, et même pour les théologiens, notamment les spécialistes de la christologie. Étudier les psaumes dans une perspective christique, qu’est-ce à dire ? N’est-ce pas marquer que, puisque la prière de Jésus juif devenait la nôtre, c’était vraiment lui qui continuait de prier, en nous cette fois. Il a prié son Père en se servant des Psaumes de David, pour que nous puissions nous approprier les accents de sa prière.

L’auteur consacre les 40 pages de son introduction à nous faire percevoir, la différence de conception du messianisme entre la tradition juive et la tradition chrétienne. Il fallait refaire, en bref, l’histoire de l’interprétation juive pour percevoir comment la première Église pouvait considérer le Nazaréen Jésus comme le Messie. Il fallait reprendre l’importante notion d’accomplissement, resituer la personnalité humaine de Jésus dans le cadre de l’attente d’Israël et son action comme Messie. Il fallait caractériser et évaluer avec netteté le sens des citations de psaumes dans le Nouveau Testament en général avant d’en noter le détail d’après les différents auteurs. Il fallait rappeler les critères d’authenticité des citations. L’auteur s’est chargé de ce travail délicat dans une magistrale synthèse qui couvre les trente-cinq pages de son premier chapitre (p. 41-76). Après avoir lu et relu ces pages introductives indispensables, le lecteur pourra s’attaquer à chacun des huit chapitres suivants qui ne cesseront d’enrichir ses premières perceptions.

Comment chacun des livres du Nouveau Testament relit-il les psaumes, et de préférence lesquels d’entre eux ? Chaque auteur, chaque livre, en effet, nous apporte des surprises. La précision du travail de Jean-Luc Vesco nous permet désormais de mieux distinguer les intentions de chaque auteur. L’ordre d’investigation demandait réflexion. Après quelques hésitations, l’auteur a opté pour la séquence suivante : d’abord les lettres pauliniennes dans leur ensemble, et suivant la succession canonique (p. 77-249, soit 172 p.). Après un aperçu général sur Paul et les psaumes, les citations explicites ou implicites sont situées par rapport au thème de chaque épître brièvement indiqué par un titre suggestif. Viennent ensuite les évangiles. Celui de Marc est typé comme « le mystère déconcertant d’un Messie rejeté et exalté » (p. 251-310, soit 59 p.). Celui de Matthieu clôt le premier tome en présentant Jésus comme « le Messie qui accomplit les Écritures » (p. 311-382, soit 71 p.). Notons qu’un tableau récapitulatif des citations clôture chaque chapitre.

Avec le second tome, nous abordons les citations ou évocations psalmiques en Luc. Pour l’évangile, le p. Vesco envisage les psaumes sous l’angle de « David prophète de Jésus ». Comme pour les deux autres évangiles, il évalue les citations des psaumes suivant une comparaison synoptique (citations propres à Mt, Mc et Lc) pour en dégager les notations propres (p. 383-438, soit 55 p.). Quant aux Actes des apôtres, ils citent les psaumes pour montrer que « le Christ ressuscité est le Messie que David annonçait ; il vient pour les juifs et pour les païens » (p. 439-485, soit 46 p.). L’évangile de Jean présente à son tour les psaumes dans la perspective du « Messie-Roi livré et glorifié » (p. 487-551, soit 64 p.). De son côté, l’épître aux Hébreux annonce que « le Messie, Fils de Dieu, est Grand Prêtre éternel » (p. 553-619, soit 66 p.). Les épîtres catholiques, centrées sur la discrétion et le service des pauvres (Jc), la pierre rejetée et le millénarisme (1 et 2 P), Dieu lumière, pardon et vérité (1 et 2 Jn) couvrent les pages 621 à 664 (43 p.). L’Apocalypse, qui dit « la victoire du Témoin » occupe les pages 665 à 704 (39 p.). Rien que la présentation succincte de cette table des matières laisse déjà pressentir l’ampleur et la rigueur du travail consenti par l’auteur.

Au terme de ce balayage des traces de psaumes dans le Nouveau Testament, Jean-Luc Vesco fait le point de son œuvre en une conclusion synthétique d’une remarquable densité. Il confesse n’avoir « abordé qu’un cas particulier des rapports complexes qu’entretiennent entre eux les deux Testaments » (p. 705). Mais cette patiente étude projette une vraie lumière sur la manière dont les premiers auteurs chrétiens percevaient l’accomplissement des Écritures en Jésus-Christ. Cette interprétation christologique fait toute la différence : notre prière passe nécessairement par le Nom du Christ. L’auteur trace en quelques paragraphes d’une lumineuse précision et d’une vraie richesse « le Christ des psaumes » dans une précieuse typologie (p. 708s). Il termine par une esquisse sur « le Psautier de la tradition chrétienne », avec l’Église des martyrs et l’âge d’or de la patristique, centrée sur cette typologie. Un dernier coup d’archet est donné par une brève mais pénétrante réflexion à propos de « sens littéral et sens plénier », c’est-à-dire le rapport entre la typologie ou l’allégorie et ce que nous appelons l’interprétation historico-critique. On eût aimé un mot concernant la manière dont l’exégèse juive, puis l’interprétation chrétienne médiévale selon la doctrine « des quatre sens de l’Écriture » expliquent conjointement et dans la différence la compréhension du Psautier. Mais là, nous dépassons les limites que s’est données notre auteur qui, par son ouvrage, a bien mérité de l’exégèse, mais aussi de la spiritualité juive et chrétienne. Nous conseillons tant aux professeurs et étudiants en théologie qu’aux moines et moniales et aux groupes liturgiques de s’inspirer abondamment de cet ouvrage fondamental, indispensable désormais à nos tables de travail et à nos bibliothèques.

Notes de bas de page

  • * J.-L. Vesco, op, Psaumes : cris d’hommes et voix de Dieu, Marseille, La Thune, 2002 ; Le psautier de David traduit et commenté, I et II, Paris, coll. Lectio divina 210 et 211, Cerf, 2006 ; Le Psautier de Jésus. Les citations des Psaumes dans le Nouveau Testament, I et II, coll. Lectio divina 250 et 251, Paris, Cerf, 2012.

  • 1 Parmi de nombreux ouvrages, épinglons : D. Delmaire e.a. (éd.), Psaumes. Chants de l’humanité, Villeneuve d’Ascq, Presses univ. du Septentrion, 2010, 252 p. ; J.-M. Martin, Psaumes d’Israël et harmonies chrétiennes, Paris, Lethielleux, 2001, 367 p. ; C.M. Martini, Le Désir de Dieu. Prier les psaumes, Paris, Cerf, 2004, 185 p. ; C. Coulot, R. Heyer, J. Joubert (éd.), Les Psaumes. De la liturgie à la littérature, Strasbourg, Presses univ., 2006, 286 p. ; P. Faure, Des chemins s’ouvrent dans leurs cœurs, Paris, Parole et Silence, 2007, 188 p. ; M. Collin, Comme un murmure de cithare, Paris, DDB, 2008, 293 p. ; J. Neuviarts, J.-P. Prévost, Guide de lecture et de prière des Psaumes, Paris, Bayard, 2008, 265 p. ; J.-M. Auwers e.a., Psaumes de la Bible, psaumes d’aujourd’hui, Lire la Bible 170, Paris, Cerf, 2011, 134 p.

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