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L’accomplissement, clé de lecture de Vatican II selon Henri de Lubac

Brigitte Cholvy
L’A. examine la cohérence de la pensée théologique d’Henri de Lubac au sortir de Vatican II et en définit l’axe essentiel. La figure de l’accomplissement structure en effet les commentaires que rédigea le jésuite à propos de Lumen Gentium, Dei Verbum et Gaudium et Spes. Cette figure oblige à développer une théologie exigeante, dont l’A. qualifie la méthode de ternaire. Elle conduit à s’interroger sur la pertinence de la classification de « conservateur » souvent attribuée à Henri de Lubac après le Concile.

Le cinquantenaire du Concile Vatican II est l’occasion d’examiner à nouveaux frais le rôle de grandes figures de l’événement conciliaire, en étant attentif au temps de la réception. Analyser ce que fut la position d’Henri de Lubac durant les premières années postconciliaires est l’objet du présent article1.

L’histoire de la théologie du xx e siècle a retenu la manière dont Schillebeeckx, dès 1969, présentait la position de Lubac : « que plusieurs théologiens, respectés durant des années à cause de leur participation à la théologie de Fourvière, s’élèvent aujourd’hui avec vigueur contre les nouvelles orientations théologiques qui entendent néanmoins rester fidèles à l’Évangile, est un fait tragique »2. Plus récemment, J. Moingt évoquait, en conclusion d’un article publié à l’occasion de l’édition des Carnets, que « le 8 décembre 1965, Henri de Lubac quittait le Concile pour entrer à nouveau en résistance », estimant qu’au Concile Lubac venait de vivre un choc profond car, jusqu’à ce moment, il ne « s’était pas rendu compte de [la] rupture de la tradition occidentale »3.

D’un théologien dont le travail dans les années 1930-1960 a participé aux renouveaux sur lesquels s’est appuyé le Concile, à un théologien critique de certains faits de réception de ce Concile ; d’un consulteur puis expert appartenant à la majorité conciliaire, à un des fondateurs de la revue Communio 4 ; d’un théologien attentif aux questions ouvertes par la crise moderniste à une des principales références d’une théologie qui se qualifie elle-même de « post-séculière »5, le jugement semble entendu : Lubac n’est pas aussi « progressiste » qu’on pourrait le penser en lisant ses ouvrages des années 1940-1950 et il semble acquis de le considérer aujourd’hui comme un « conservateur ». Sans négliger l’importance pour le Concile des travaux aussi bien historiques que théologiques de Lubac, y compris par le biais des controverses dans lesquelles il fut engagé et des interdictions qu’il dut subir6, il nous semble intéressant de focaliser notre attention sur la décennie 1960-1970, pour discerner les motifs théologiques de Lubac dans sa lecture du corpus de Vatican II, dégager des éléments objectifs à partir desquels mieux apprécier sa position et ainsi s’interroger sur la pertinence de l’application de la classification conservateur-progressiste à son cas.

I Une situation complexe durant et avant le Concile

En introduction à l’examen de ces positions, quelques rappels sont nécessaires pour situer Lubac durant le Concile et constater déjà l’impossibilité de toute classification.

Au fil des quatre sessions, d’octobre 1962 à décembre 1965, l’état d’esprit de Lubac varie : un réel enthousiasme lors du « tourbillon »7 de la première session ; des inquiétudes sur le De Ecclesia et notamment sur la Nota praevia qu’il considère comme un « brigandage »8 ; un changement en 19649 qui appartient à la cassure dans la majorité à l’occasion des débats sur le schéma XIII10. Il n’est, dès lors, pas facile de cerner le rôle de Lubac au Concile : lui-même le minimise probablement, ayant toujours refusé d’en parler précisément11. Il est vrai qu’il n’a pas une activité comparable à celle de Y.-M. Congar12 ; il ne participe à aucun groupe de pression, estimant qu’il s’agit là d’un para-Concile inapproprié13. Même si J.-Y. Calvez pouvait témoigner en 2008 de l’action directe de Lubac sur la rédaction de certains paragraphes du schéma XIII, il n’est ni demandé ni consulté et il se sent isolé tout au long des sessions. En même temps, les Carnets en témoignent, il a des contacts informels avec de nombreuses personnalités, jusqu’à être invité par Paul VI à concélébrer lors de la promulgation de la Constitution dogmatique Dei Verbum (ci-après DV), le 18 novembre 196514.

Cette complexité n’est pas surprenante eu égard aux périodes antérieures. Durant la période anté-préparatoire, il est soit oublié15 soit pré-condamné16 comme chef de file de la « nouvelle théologie ». Il est donc surpris d’être nommé consulteur en juillet 196017. Avec Congar, il se perçoit en otage18 ou au moins en faire-valoir19. On lui demande un votum sur la connaissance naturelle de Dieu dont on ne fait rien, si ce n’est, estime-t-il, vérifier son orthodoxie. En fait, le conflit des années 1945-1950 se poursuit avec les jésuites romains, E. Dhanis comme C. Boyer20. Pourtant, malgré cette situation délicate et ce sous-emploi manifeste, il recommande à Congar de ne pas démissionner lorsque ce dernier l’envisage21.

La demande qui lui est adressée à propos de Teilhard révèle encore un peu plus la complexité de sa situation. Alors qu’en 19571958 un de ses articles sur le Milieu divin de Teilhard de Chardin avait été arrêté par la censure jésuite romaine22, en 1961, la Compagnie lui demande un ouvrage présentant positivement la pensée de Teilhard. La publication de La pensée religieuse du Père P. Teilhard de Chardin sera l’occasion de sévères critiques23, de sorte que la défense de la pensée de Teilhard mobilisera Lubac durant tout le Concile. Conférences, articles et ouvrages se succèderont24, avec le risque que sa propre théologie soit confondue avec ce qu’il défend généreusement chez son confrère25.

En fait, au fil des années conciliaires, Lubac demeure un homme de l’écrit. Son rythme de publication ne faiblit pas26. C’est dans ses écrits publiés qu’il faut chercher à saisir le meilleur du jésuite. Il ne publie rien sur le Concile pendant le temps du Concile, sinon quelques brefs articles sur Paul VI, respectant le secret demandé aux consulteurs, puis donnant peu de commentaires, ses Carnets reprenant essentiellement les interventions en congrégations générales et les débats en commissions. Mais, dès la fin du Concile, il analyse les grandes Constitutions, tout simplement parce qu’il estime que c’est le travail du théologien :

Un Concile n’a pas à traiter de tout. Cela même qu’il traite, il n’a pas à l’étayer de théories théologiques élaborées d’avance et à la cohérence rationnelle éprouvée. Il ne cherche pas, il n’argumente pas : il enseigne. Il dit la foi. (…) Dans l’exercice même du Magistère, il entre un élément prophétique : c’est au théologien qu’il appartient de discerner cet élément, de le capter pour ainsi dire, afin d’y soumettre son esprit et d’œuvrer ensuite en conséquence en vue d’une meilleure intelligence de la foi27.

II Discerner l’élément prophétique pour faire acte de réception

Deux ensembles de textes sont à notre disposition : les commentaires sur les textes du Concile écrits dans les six années après la clôture du Concile (1966-1971)28 et les textes écrits ou repris dans les années 1980-1985, voire publiés de manière posthume29. Le second groupe relevant d’un autre contexte, le choix de travailler sur les documents des années 1966-1971 s’impose.

La citation de Lubac donnée ci-dessus introduit son commentaire de Gaudium et Spes (ci-après GS) et exprime une véritable obéissance ecclésiale à l’égard des textes conciliaires : il ne s’agit plus de débattre de schémas, il s’agit de recevoir les textes d’un Concile œcuménique. En même temps, ses commentaires font preuve d’une réelle puissance interprétative : bien qu’appartenant à la « phase d’exaltation »30, tout en étant respectueux de la parole conciliaire, ils sont critiques et désignent les écueils à éviter dans le travail herméneutique, manifestant, dès cette période, une réelle lucidité. Ces commentaires sont exemplaires d’une réception active. Ils s’originent tous dans ce que Lubac repère comme un même biais théologique, provenant non pas tant des textes eux-mêmes que de leur réception. Il s’agit donc de décrypter ce critère théologique qui, d’après Lubac, s’il n’est pas respecté, risque d’entraîner de réelles déformations dans les interprétations des orientations conciliaires et qui, positivement, devrait donner une vision synthétique de la dynamique de ces orientations.

Lumen Gentium et la nouveauté chrétienne : la notion de peuple de Dieu

Dans le liminaire du numéro de la collection Unam Sanctam31 dédié à Lumen Gentium (ci-après LG), Lubac estime que LG, « pièce-maîtresse » (OC IX, p. 303) du Concile, propose une compréhension dialectique de l’Église qui se dit explicitement ce qu’elle pense d’elle-même, à condition de bien saisir qu’elle exprime à son égard un « détachement (…) plus manifeste et plus décidé que jamais » (OC IX, p. 305) et qu’elle ne veut que « proclamer qu’elle n’est pas le centre de la foi [… car elle] ne peut rien sans [le Christ], elle reçoit tout de lui, elle n’existe que pour conduire à lui » (OC IX, p. 306). Il s’agit donc d’articuler force et incomplétude32.

La dynamique de LG, ses thématiques et leur ordre d’exposition sont proches de l’ouvrage de Lubac de 1953, Méditation sur l’Église 33. Au-delà du lien à telle ou telle production théologique, ce texte conciliaire est « l’aboutissement d’un mouvement irrépressible, intérieur à la conscience chrétienne » (OC IX, p. 304). Durant les années 1965-1966, Lubac donne plusieurs conférences sur LG, qu’il a lui-même rassemblées en 1967 dans Parodoxe et Mystère de l’Église 34. Il y développe une idée immense de l’Église, loin des questions institutionnelles. Elle est « un mystère, c’est-à-dire une réalité imprégnée de la présence de Dieu, [… précisément un] mystère dérivé » (OC IX, p. 34), car elle ne trouve sa « référence ni dans sa propre structure ni dans sa propre histoire mais dans sa prédestination en Jésus-Christ et dans son orientation eschatologique »35. La référence christologique est au centre de la compréhension de la nature de l’Église et elle l’est aussi dans la compréhension du rapport de chacun à l’Église : « L’Église, c’est ma mère (…), parce qu’elle m’a enfanté à la Vie et parce qu’elle ne cesse de m’entretenir et (…) de m’approfondir dans la Vie. (…) L’Église est notre mère parce qu’elle nous donne le Christ. Elle enfante le Christ en nous. Elle nous enfante à la vie du Christ » (OC IX, p. 14, 16-17). C’est pourquoi, la compréhension de l’Église doit d’abord « entrer pleinement dans la logique du mystère de l’incarnation (…), la venue de JésusChrist [étant] bien plus qu’un nouveau et important chapitre dans le récit des rapports de Dieu avec son peuple »36.

C’est à partir de l’affirmation d’une telle nouveauté qu’il faut resituer les réserves de Lubac37 à propos du titre de « peuple de Dieu », axe du chapitre II de LG. Tout en reconnaissant l’originalité de cette dénomination qui vient tout de suite après l’affirmation du mystère, Lubac s’interroge sur sa pertinence. Il convient que l’expression permet de considérer l’Église à partir des croyants et de faire porter l’accent sur leur égalité. Elle évoque le caractère pérégrinant de l’Église. Toutefois, le sens courant actuel de peuple38 peut être source de confusion. Lubac constate que « dans le passage d’un testament à l’autre, d’un peuple à l’autre, [la Constitution] paraît suggérer la continuité plutôt que la transformation » (OC IX, p. 80). Si les liens de continuité avec Israël sont à affirmer, il convient de voir entre les deux peuples non seulement un « rapport de préfiguration » mais aussi « d’opposition » (OC IX, p. 81). Lubac précise que « le nouvel Israël n’est pas neos mais (qu’)il est kairos, (car) l’Esprit du Christ a tout renouvelé, tout transfiguré, tout « spiritualisé »39, de sorte qu’il en conclut que « le deuxième chapitre [de LG], [s’il est] le fruit d’un mouvement biblique heureux, (…) n’a pas encore exploré dans toute sa profondeur la dialectique traditionnelle des deux Testaments » (OC IX, p. 82). Lubac laisse entendre que d’autres titres auraient eu plus de pertinence, notamment celui de mère. Ainsi, le choix du Concile présente le risque que la réception fasse porter tout l’accent sur la continuité entre Israël et l’Église au détriment de l’affirmation de la nouveauté chrétienne.

Toutefois, cette insistance sur l’idée de nouveauté est aussitôt contrebalancée (OC IX, p. 88-100) par une réflexion sur la « perspective eschatologique ». Lubac apprécie le caractère novateur de l’avant-dernier chapitre de LG. Mais il rappelle aussitôt que les Pères du premier millénaire n’envisageaient pas de réelle séparation entre Église pérégrinante et Église céleste, comme pourrait le laisser entendre LG VII. S’il admet que « cette considération relativement nouvelle des liens qui existent ou qui se nouent (…) entre deux Églises, ou deux parties de l’Église, l’une sur la terre et l’autre au ciel (…), ne rejette pas dans l’ombre la considération du dynamisme qui lance l’Église vers sa fin éternelle » (OC IX, p. 90-91), il considère que cela pourrait mettre trop de distance entre eschatologie individuelle et eschatologie collective. Si le Concile dit l’essentiel lorsqu’il décrit, en LG 1 par exemple, la « marche collective (…) comme une marche à l’unité, le peuple de Dieu déjà rassemblé à partir de la première prédication de l’Évangile ayant reçu la mission de rassembler tout le genre humain » (OC IX, p. 92), Lubac constate qu’il ne dépasse pas une certaine « juxtaposition (…) de deux Églises, la terrestre (…) et la céleste » (OC IX, p. 95). Or, l’idée de non-séparation entre Église terrestre et Église céleste n’est pas à comprendre comme « un seuil à demi franchi » mais est bien plutôt la manière d’exprimer « l’aspect le plus mystérieux de l’Église, celui par lequel elle s’identifie au Christ » (OC IX, p. 96), car le règne de Dieu en la personne de Jésus-Christ a effectivement déjà fait son apparition à l’intérieur de l’histoire. Si l’Église en tant que visible et temporelle est destinée à passer, elle n’est pas finalisée par le monde car elle fut créée la première, avant toute chose, et est appelée à être rassemblée dans le royaume.

Ainsi, si l’expression peuple de Dieu risque de trop marquer la continuité, une distinction trop nette entre Église terrestre et Église du ciel risque de laisser subsister une vision dualiste. C’est affaire de nuances, et Lubac le reconnaît, mais il recommande que la lecture de LG manifeste l’association d’une réelle continuité avec une tout aussi réelle nouveauté. On ne retrouve pas simplement ici l’opposition entre rupture et continuité du débat postconciliaire entre deux herméneutiques. Pour Lubac, l’articulation entre nouveauté et continuité est ce que la tradition chrétienne désigne sous le vocable d’accomplissement. Ainsi, la catégorie « peuple de Dieu » n’a ni à être considérée comme suffisante, ni à être refusée ; de même, l’Église terrestre et l’Église céleste ne sont pas identiques et pourtant étroitement liées. Peuple de Dieu comme Église terrestre ont à être compris dans le mystère de leur dépassement et de leur achèvement, autrement dit de leur accomplissement, selon ce qui a été promis et qui est en cours d’être réalisé maintenant.

Gaudium et Spes et la destinée du monde : le sens du temps présent

La rédaction de GS, c’est-à-dire l’élaboration des schémas XVII puis XIII, a donné lieu à des débats difficiles dont un des pivots était d’exprimer le rapport entre le monde et l’Église :

L’Église est-elle pour le monde ou le monde existe-t-il en vue de l’Église ? (…) Les deux [affirmations] sont vraies à la fois. (…) L’Église, dans sa réalité présente, et sous sa forme présente, doit être, par tous ses membres, au service du monde, mais c’est pour sauver le monde, c’est-à-dire pour le mener à sa fin, laquelle est encore l’Église en sa réalité future et sous sa forme définitive40.

Alors que Lubac a fait partie de ceux de la majorité qui ont émis de sérieuses réserves sur la manière de comprendre la notion d’ouverture au monde, il estimait que le texte final de GS était sérieusement amélioré mais craignait une interprétation postconciliaire qui détourne du sens voulu par le Concile. Pour Lubac, l’intention des Pères conciliaires est de comprendre l’ouverture au monde, non seulement comme une conséquence de la foi et de sa dynamique, mais aussi comme un choix fondé sur la certitude que le monde ne doit pas rester enfermé en lui-même mais être transformé. Dès l’instant où l’ouverture conduit à l’oubli de la destinée du monde, la vocation du chrétien dans le monde41 est déformée.

Son commentaire de GS 42 met l’accent sur le dialogue43 comme méthode permettant d’éviter la polémique et la condamnation a priori. Mais c’est un dialogue exigeant, qu’il situe dans un contexte de « combat spirituel » (ibid., p. 14) et qui conduit chacun à la question de Dieu et à la décision personnelle. Dans une telle perspective, Lubac rejette nettement l’hypothèse selon laquelle le dialogue serait plus aisé si le croyant mettait de côté sa foi ; il estime qu’en définitive c’est « le témoignage de la foi (…) qui est l’arme suprême de ce combat » (ibid., p. 18). Cette méthode consistant à « comprendre sans rien réduire » établit une fine dialectique que Lubac applique à chaque thème conciliaire qu’il examine.

C’est pourquoi il refuse aussi bien les lectures de GS qui ne retiennent qu’elle de l’ensemble du corpus conciliaire, comme celles qui la minimisent du fait de son caractère « pastoral », estimant que seule la première partie de GS étant « dogmatique » est durable, la seconde étant pastorale et morale, donc contextuelle et dépassée. La lecture de Lubac veut être synthétique et unifiante et sa puissance interprétative le conduit à ne se résoudre à aucun « ou bien - ou bien ». Sa manière de rendre compte du plan de GS 44 s’appuie sur son herméneutique du rapport entre Église et monde, foi et raison, royaume et activités terrestres. Il faut, à partir de la réalité humaine prise dans toute son ampleur (à l’inverse des réductions modernes), envisager la fin divine, de sorte qu’il y a, dans le fait même d’être homme, l’obligation de réaliser sa destinée et, en même temps, il faut, à partir de la foi qui énonce la promesse du royaume, penser l’obligation de transformer maintenant le monde45. Avec GS, le Concile invite à penser le monde et l’ensemble du créé à partir de leur fin, et non d’abord à partir de leur autonomie, tout en affirmant fermement cette autonomie.

Cette option de lecture conduit Lubac à repérer dans le réel présent les conditions naturelles de la préparation du second avènement du Christ, en posant une analogie avec la préparation d’Israël et du monde pour la première venue du Christ :

De même que « l’Incarnation a dû être préparée par toute l’histoire antérieure d’Israël, laquelle supposait de longs et complexes développements, avant elle dans l’histoire humaine et avant cette histoire elle-même (…)46. Or l’Incarnation n’en fut pas moins un acte d’amour parfaitement libre et gratuit, transcendant à tout ce qui l’avait préparé » ; de même « par analogie, (…) le second Avènement ne doit-il pas être précédé d’un nouveau progrès de la conscience humaine ? »47

L’analogie ainsi posée permet de donner son orientation profonde à la conception historico-évolutionniste du monde sans faire pourtant du second avènement une conséquence de cette vision. La fin des temps fera irruption selon la volonté divine et accomplira, en le renouvelant, ce qui dans l’histoire se construit et progresse de sorte que, à ce moment-là aussi, « les temps [seront] accomplis » (Ep 1,10). En réfléchissant à la parousie, c’est une théologie de l’histoire qui se dessine, non parce qu’enfin la réflexion chrétienne prendrait en compte l’histoire mais parce que la foi chrétienne, et elle seule, donne son orientation à l’histoire. La notion d’accomplissement apparaît à nouveau, appliquée ici au monde et à l’histoire. Non qu’ils s’accomplissent par eux-mêmes mais il s’agit qu’ils atteignent ce à quoi ils sont promis, en participant à la réalisation des promesses et, en même temps, en la recevant comme un don de Dieu.

La lecture de la dynamique de l’accomplissement que propose Lubac ne s’appuie pas sur une répartition pour partie entre préparation et irruption, mais c’est une articulation entre deux totalités. Dans le débat de la première moitié du xx e siècle entre incarnationnistes et eschatologistes, Lubac cherche à unir, en s’efforçant de penser, à partir des promesses eschatologiques, la nécessaire transformation du moment présent, à la fois encore à venir et en cours d’être réalisé.

Lubac refuse de manière très nette toute lecture sécularisante de GS car, après avoir lutté fermement contre tous les dualismes issus de la théologie moderne et de la néo-scolastique, il pressent qu’un nouveau dualisme entre monde et royaume risque de s’installer48. Or, entre les espoirs humains et l’espérance chrétienne, il n’y a pas équivalence, il y a accomplissement. L’affirmation de l’autonomie du sujet et de la consistance du monde ne doivent pas conduire à oublier la présence en l’homme du divin, au risque d’aboutir à ce que Lubac considère comme une aberration : penser que « dans la réalité humaine, dans la condition historique existante, la reconnaissance d’une “dimension religieuse” n’est nullement nécessaire à la “plénitude humaine” »49. C’est donc en terme d’accomplissement qu’il faut penser le monde, ce qui, paradoxalement, ne conduit pas à penser un monde inconsistant, mais, au contraire, subsistant et dont l’accomplissement en cours et encore caché est déjà révélé dans la foi et conduit à œuvrer à sa transformation.

Dei Verbum et la concentration christique : l’Écriture dans la Tradition

Le geste théologique de DV 50 a contribué à une évolution de la méthode théologique : « Le vice de méthode, dont la Constitution DV, à propos de la notion de révélation, a voulu nous affranchir, est de caractériser une notion d’après l’idée générale que pourrait s’en faire notre raison, en le faisant d’après ce que nous en dit, ou d’après ce qu’en suppose la notion elle-même »51. Aucun préambule externe n’est nécessaire, la seule autorité est Dieu qui se révèle, ce qui n’empêche pas que ce qui est réalisé par l’acte de création fasse que le créé soit ouvert et à l’écoute, lorsque Dieu se communique. Ce changement de méthode participe de la « concentration christologique » que Lubac relève, en empruntant l’expression à K. Barth. Le Christ, « Médiateur en même temps que plénitude de toute la révélation » (DV 2), est le messager et le contenu du message, le révélateur et le révélé. Si Lubac fait sienne cette idée de concentration52, c’est en précisant qu’elle ne conduit pas à un christocentrisme et encore moins à un christomonisme, car le Christ montre le Père ; il est la parole du Père ; il est le Fils. Ainsi, lorsque Lubac parle, en accord avec Paul VI lors de l’ouverture de la deuxième session, du « recentrement en Christ qui suppose un décentrement de l’Église »53, c’est en rappelant que c’est un centrage sur le Père.

L’insistance de DV sur les notions de Parole et de révélation entérine, selon Lubac, le passage à la théologie fondamentale, ce qui donne à la Constitution toute sa portée. Ce changement a au moins trois conséquences. Tout d’abord, DV propose avec force « la synthèse de tous les sujets qu’elle touche : unité de l’objet révélé et du but de la révélation (…), unité de tous les dogmes en Jésus-Christ, unité intime de l’Écriture et de la Tradition, unité de l’Ancien et du nouveau Testament (…), unité des différents modes de la parole de Dieu (…), analogie entre l’Écriture et l’Eucharistie »54. Ensuite, les lieux théologiques que sont l’Écriture, la Tradition et le Magistère sont placés en dépendance de la Parole de la révélation, donc de Jésus-Christ : c’est l’unicité de la Parole qui fait l’unicité de la source. Enfin, cette Constitution n’est pas un texte d’abord consacré à l’Écriture. Lubac se démarque de ceux qui ne voient dans DV que la promotion de l’exégèse historico-critique car « en même temps qu’elle encourage le travail critique des exégètes, [elle] rappelle avec force la nécessité de lire les Livres saints dans la foi et de les interpréter suivant la Tradition »55.

Ces points d’attention font que Lubac porte une extrême attention aux rapports. L’un relève de l’histoire conciliaire et concerne le rapport de cohérence entre les Conciles de Trente et de Vatican II. Deux erreurs sont à éviter56 : la première consiste, en lisant les manuels et leurs schémas dualistes, à mal lire Trente qui pourtant ne parle que d’une source : l’Évangile. La seconde consiste à mal lire Vatican II, en croyant trouver dans DV la théorie de la scriptura sola et en s’enfermant dans un « biblicisme étroit qui fait fi de toute tradition et qui se dévore lui-même » (OC IX, p. 236). Un autre rapport est celui entre Écriture et Tradition (cf. DV 12). Tout en tenant fermement que la source unique est Jésus-Christ et que ni l’Écriture ni la Tradition ne sont des sources, la manière de penser l’articulation entre Écriture et Tradition reste ouverte, le Concile n’ayant pas, selon l’expression de Lubac, « voulu dirimer le débat communément appelé des deux sources » (OC IV, p. 213), c’est-à-dire n’ayant pas décidé si la Tradition a « un contenu propre, autrement dit, [si] elle nous apprend des vérités qui ne seraient en aucune manière contenues dans l’Écriture ; ou bien [si] son rôle essentiel est de nous interpréter l’Écriture » (OC IV, p. 213).

Même si la Tradition est toujours mentionnée avant l’Écriture, qu’elle découle directement de l’idée de Révélation57, qu’en somme l’Écriture est toujours « dans » la Tradition, la Tradition est strictement dépendante de la source unique qu’est Jésus-Christ. On n’assiste donc pas à une relativisation mais à un positionnement de l’Écriture qui non seulement place la théologie de l’Écriture à l’intérieur de la théologie fondamentale58, mais qui n’est pensable et recevable que dans la dynamique de l’accomplissement qui ne détruit rien mais achève et donne leur réalité plénière aux choses. Lubac éclaire la dynamique entre Écriture et Tradition par celle du rapport entre Ancien et nouveau Testaments (cf. DV 16) qu’il considère comme archétypal : seule la dynamique de l’accomplissement, c’est-à-dire une lecture selon le sens spirituel, soit le sens christologique, permet de dire tout le réel, au point que Lubac associe l’oubli de Jésus et une lecture de l’Ancien Testament qui ne serait plus en lien avec le nouveau Testament59.

III La figure structurante de l’accomplissement

Il apparaît donc que Lubac met en œuvre dans sa lecture des Constitutions de Vatican II le même critère théologique de réception : la place faite à l’accomplissement compris comme la dynamique entre continuité et nouveauté (plutôt qu’entre continuité et rupture) et situé dans une vision systémique ne conduisant pas à confondre les éléments mais à les maintenir dans leurs différences. Cela vaut pour l’Église dans son rapport à Israël, pour le rapport entre Église terrestre et Église céleste, pour le monde et l’Église, pour l’Ancien et le nouveau Testaments, pour la Tradition et l’Écriture, etc. Cette clé de lecture n’est pas inventée par Lubac à l’occasion de ses commentaires de Vatican II ; elle est au fondement de sa vision de la réalité de l’homme et du monde car ce « mouvement de dépassement est le christianisme même »60.

Sa lecture critique de l’herméneutique des trois Constitutions consiste à vérifier que cette clé de l’accomplissement est respectée et à pointer de possibles dérapages. Cette manière de voir oblige à demeurer dans le paradoxe : le créé a une consistance propre et donc du sens ; il est appelé à un achèvement au-delà de lui-même, un dépassement qui est à recevoir ; le passage de cette consistance à cette destinée n’est pas la disparition de la première ; la première a déjà quelque chose à voir avec la seconde, même si cela reste caché ; la transformation de la première en la seconde est un don ; elle est désirée même inchoativement ; elle est en train de se faire ; elle ne se conclut pas par la résorption de la première. On sait que Lubac s’est battu contre les dualismes hérités de la théologie moderne, comme contre ceux qu’il voyait resurgir à la fin du Concile. Mais il a aussi défendu, contre certains de ses contemporains, la nécessité de maintenir durablement des dualités : nature et surnaturel, liberté humaine et grâce, révélation générale et particulière, terre et ciel, Église universelle et Églises particulières, etc. Ce double refus, de la séparation comme de la confusion, constitue la dynamique de l’accomplissement (Mt 5,17) qui assure que rien ne sera perdu mais que tout sera transformé.

Si le terme de « résistance » employé par Moingt nous semble bien adapté à la position de Lubac au sortir du Concile, ce n’est peut-être pas tant parce que Lubac aurait découvert la réalité du monde en 1965, mais bien plutôt parce qu’il ne voulut pas céder sur sa lecture théologique du réel et donc qu’il choisit effectivement de « résister » à un affaiblissement de ce qu’il considérait comme la dynamique propre du christianisme, à savoir l’accomplissement. Il voyait, dans le corpus conciliaire, la possibilité, présente de manière prophétique, de tenir cette lecture et il pressentait, dans le temps de son interprétation, les risques, déjà repérés en filigrane dans les textes eux-mêmes, de perdre son caractère structurant.

On peut comprendre, à l’issue de cette lecture, que les défenseurs exclusifs de l’expression peuple de Dieu, de l’autonomie des réalités terrestres ou de l’exégèse historico-critique puissent considérer les réserves de Lubac comme « conservatrices ». Mais limiter la pensée de Lubac à ces réserves est insuffisant. Sa pensée est toujours ternaire : tout en reconnaissant la nécessité (et pas seulement l’intérêt) de l’expression peuple de Dieu, de l’autonomie des réalités terrestres et de l’exégèse historico-critique, ce qui constitue la première étape, Lubac estime qu’un élément complémentaire est à ajouter : la nouveauté « kairotique » de ce peuple qu’est l’Église par rapport au premier peuple qu’est Israël, le sens des réalités terrestres qui ne se découvre que dans l’orientation qu’elles reçoivent de l’annonce de leur finalité, le travail exégétique historico-critique qui n’a de déploiement que dans une lecture spirituelle des Écritures, ce qui constitue la deuxième étape. Mais la détermination de ces englobants ne conduit à supprimer ni l’expression peuple de Dieu, ni l’autonomie des réalités terrestres, ni le travail historicocritique. Ils sont à maintenir, et durablement, à l’intérieur de la nouveauté chrétienne, de la Parousie et du Christ, et c’est la troisième étape de la réflexion. Si telle affirmation de telle étape peut être qualifiée de « conservatrice », alors une autre doit être qualifiée de « progressiste », mais en réalité le système formé par les trois ne relève pas de cette classification. La force de la théologie de Lubac réside dans cet effort constant d’un raisonnement ternaire, cherchant à ne jamais s’éloigner de la structure de la foi chrétienne, dont il avait l’habitude de dire qu’elle est celle de la doctrine du surnaturel61 et qui, indéniablement, est complexe62.

Notes de bas de page

  • 1 Cette contribution est la reprise complétée d’une après-midi d’études à l’ITA, Institut Théologique d’Auvergne, le 17 mars 2012. Les éléments historiques sont redevables à la thèse d’histoire contemporaine de L. Figoureux, Henri de Lubac et le Concile Vatican II (1960-1965), dir. J. Prévotat, Univ. Lille III. Figoureux a édité H. de Lubac, Carnets du Concile, 2 t., Paris, Cerf, 2007 (ci-après Carnets).

  • 2 E. Schillebeeckx, « La théologie », dans H. Hillenaar et H. Peters (dir.), Les catholiques hollandais, Bruges, Desclée de Brouwer, 1969, p. 9.

  • 3 J. Moingt, « Henri de Lubac au Concile », RSR 97/2 (2009), p. 237-245, ici p. 244.

  • 4 Lubac date l’arrêt de sa participation au comité directeur de Concilium au 24 mai 1965 (Carnets, t. 2, p. 395). Il participe à la création de Communio dès 1969 (cf. <http://www.communio.fr>, consulté le 20 avr. 2012).

  • 5 Le mouvement Radical orthodoxy se réfère à Lubac en insistant sur l’audace de ses écrits d’avant-guerre, en cherchant à s’appuyer sur sa théologie politique tout en lui déniant une pertinence ultérieure (cf. J. Milbank, Le milieu suspendu. Henri de Lubac et le débat sur le surnaturel, Paris, Cerf, 2006 ; dans la même mouvance, D. Grumett, W. Cavanaugh, D. Sureau).

  • 6 Cf. B. Cholvy, « Une controverse majeure : Henri de Lubac et le surnaturel », Gregorianum 92/4 (2011), p. 797-827.

  • 7 L. Figoureux, Henri de Lubac… (cité supra n. 1), p. 215 (lettre de Lubac à H. Bouillard le 1er nov. 1962 déposée au Centre d’Archives et d’Études du Cardinal de Lubac de Namur (ci-après CAÉCL) : « je ne trouve pas un seul instant pour écrire, pas plus, bien entendu, que pour travailler et pour lire — et même quelquefois pour dormir »).

  • 8 Ibid., p. 323 : dans une lettre adressée à B. de Solages le 23 nov. 1964, Lubac parle de « brigandage » (lettre déposée au CAÉCL). Cf. Y.-M. Congar, Mon journal du Concile, Paris, Cerf, 2002, ici t. 2, 11 nov. 1964, p. 253-254.

  • 9 À partir des Carnets, Moingt date ce changement du début de la 3e session (cf. J. Moingt, « Henri de Lubac au Concile » [cité supra n. 3], p. 243).

  • 10 Carnets, t. 2, 25 sept. 1964, p. 141-142 (cf. la lettre à H. Denis dans laquelle Lubac exprime son net refus de l’hypothèse d’un humanisme en-deçà de la vision chrétienne qui pourrait constituer un terrain préalable d’entente avec les non-croyants, tout en affirmant qu’il faut être particulièrement attentif à l’expérience commune du désir naturel de Dieu).

  • 11 H. de Lubac, Mémoire sur l’occasion de mes écrits, Namur, Culture et vérité, 1992, (ci-après MOE), p. 363.

  • 12 Cf. Y.-M. Congar., Mon journal, (cité supra n. 8), t. 2, 4 oct. 1965, p. 419.

  • 13 Cf. MOE, p. 119 ; Paradoxes. Œuvres complètes, vol. XXXI, Paris, Cerf, 1999, p. 217-240 ; Entretien autour de Vatican II. Souvenirs et réflexions, Paris, Cerf, 1985, p. 36-37.

  • 14 Wagner pense que l’essentiel de son action a porté sur DV (cf. J.-P. Wagner, La théologie fondamentale selon Henri de Lubac, Cogitatio Fidei 199, Paris, Cerf, 1997, p. 79-83).

  • 15 Aucun évêque ne lui demande de contribution ; il participe indirectement au votum de Fourvière mais le trouve « utopique » (cf. L. Figoureux, Henri de Lubac… [cité supra n. 1], p. 16-20).

  • 16 Notamment dans certains vota d’universités romaines et d’évêques espagnols. Cf. É. Fouilloux, « La phase anté-préparatoire », dans G. Alberigo (dir.), Histoire du Concile Vatican II (1959-1965), t. 1, « Le catholicisme vers une nouvelle époque : l’annonce et la préparation », Paris - Louvain, Cerf - Peeters, 1997, p. 69-183, ici p. 130.

  • 17 L’origine de cette nomination est actuellement objet de débat : venant directement de Jean XXIII ou simple accord a posteriori du pape ? Cf. L. Figoureux, Henri de Lubac… (cité supra n. 1), p. 71-72 ; G. Chantraine, « Présentation » dans H. de Lubac, « relations avec les papes », Révélation divine. Affrontements mystiques. Athéisme et sens de l’homme. Œuvres complètes, vol. IX, Paris, Cerf, 2010, p. 342 ; des positions plus anciennes chez R. Laurentin, Bilan du Concile, Paris, Seuil, 1967, p. 17 ; K. Neufeld, « Au service du Concile. Évêques et théologiens au deuxième Concile du Vatican », dans R. Latourelle (dir.), Vatican II. Bilan et perspectives vingt ans après, Paris, Cerf, 1988, p. 111 ; J.-P. Wagner, La théologie… (cité supra n. 14), p. 78.

  • 18 Cf. Y.-M. Congar, Mon journal… (cité supra n. 8), t. 1, 22 sept. 1961, p. 66.

  • 19 Cf. ibid., 19 oct. 1962, p. 124.

  • 20 Un des vota de la Grégorienne, rédigé par Dhanis, se retrouve mot à mot dans le schéma préparatoire De deposito. Même sans indications nominatives, Lubac estime qu’il est visé.

  • 21 Cf. Y.-M. Congar, Mon journal… (cité supra n. 8), t. 1, 25 sept. 1961, p. 74.

  • 22 MOE, p. 104 et 324-325 (cf. É. de Moulins-Beaufort, « note complémentaire », dans H. de Lubac, La pensée religieuse du Père P. Teilhard de Chardin, Œuvres complètes, vol. XXIII, Paris, Cerf, 2002, p. XVII-XX).

  • 23 Demande par Mgr Parente d’une mise à l’index refusée par Jean XXIII ; monitum du Saint-office du 30 juin 1962 accepté par le pape : « sans porter de jugement sur ce qui a trait aux sciences positives, il est bien manifeste que, sur le plan philosophique et théologique, ces œuvres regorgent d’ambiguïtés telles, et même d’erreurs graves, qu’elles offensent la doctrine catholique » (cf. « L’œuvre du P. Teilhard de Chardin. Monitum du Saint-Office », Doc. Cath. Lix, 1380 [15 juill. 1962], p. 949-956, ici p. 949) ; article anonyme (Lubac estime que l’auteur est Ph. de la Trinité : cf. Carnets, t. 1, 7 oct. 1962, p. 90 et MOE, p. 106 et p. 326-335) dans l’Osservatore romano qui dénonce les « ambiguïtés et les erreurs » non seulement de la doctrine de Teilhard mais aussi du livre de Lubac ; article repris par Le Monde du 3 juill. 1962 et par The Tablet du 14 juill. 1962 ; interdiction par le Saint-Office de toute réédition et traduction (cf. L. Figoureux, Henri de Lubac… [cité supra n. 1], p. 100-102 et 150).

  • 24 De 1961 à 1968, six ouvrages, cinq correspondances annotées et de nombreux articles et conférences.

  • 25 « Comme tout est paradoxal ici-bas, il se trouve que, dans des circonstances nouvelles, je serais le premier à vouloir publier des objections au Père Teilhard », lettre à G. Fessard du 6 mai 1961 déposée CAÉCL (cf. L. Figoureux, Henri de Lubac… [cité supra n. 1], p. 143).

  • 26 Entre 1959 et 1965, il achève son Exégèse médiévale, il publie ses « jumeaux » sur le surnaturel, il donne l’édition critique de plusieurs correspondances et œuvres de jésuites et la plupart de ses ouvrages sur Teilhard de Chardin, sans parler des contributions, conférences, préfaces et recensions (cf. K. H. Neufeld et M. Sales, Bibliographie Henri de Lubac s.j. 1925-1974, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1974).

  • 27 « Une double tâche proposée au théologien par Gaudium et Spes », dans P. Burke (dir.), Théologie d’aujourd’hui et de demain, Cogitatio Fidei 23, Paris, Cerf, 1967, p. 11.

  • 28 H. de Lubac, « Liminaire », dans G. Barauna (dir.), L’Église de Vatican II. Études autour de la constitution conciliaire sur l’Église, t. II, Unam Sanctam 51b, Paris, Cerf, 1966, p. 25-31 (repris dans Œuvres complètes, Paris, Cerf, 2010 [ci-après OC], vol. IX, p. 302-309) ; Paradoxe et mystère de l’Église, Paris, Aubier-Montaigne, 1967 (repris dans OC IX, p. 5-222) ; « Une double tâche … » (cité supra n. 27), p. 11-64 (repris dans Athéisme et sens de l’homme. Une double requête de Gaudium et Spes, Foi vivante 67, Paris, Cerf, 1968 ; « Commentaire du Préambule et du chapitre I de la constitution Dei Verbum du Concile Vatican II », dans B.-D. Dupuy et A. Grillmeier (dir.), La Révélation divine, Unam Sanctam 70a, Paris, Cerf, 1968, p. 159-303 (abrégé dans Dieu se dit dans l’histoire, Foi vivante 159, Paris, Cerf, 1974 ; repris dans OC IV, p. 35-231).

  • 29 H. de Lubac, Entretien autour de Vatican II ; MOE (chap. VII, p. 117141) ; les Carnets publiés en 2007 sont posthumes. Leur texte final provient de plusieurs étapes de réécriture (cf. L. Figoureux, « note technique pour l’édition », et « Introduction », dans Carnets [cité supra n. 1], p. 1-3 et XXVI-XXX), notamment avec des suppressions et des édulcorations, ce qui est inhabituel chez Lubac ; Lubac était réservé quant à leur publication.

  • 30 Cf. H. Pottmeyer, « Vers une nouvelle phase de réception de Vatican II. Vingt ans d’herméneutique du Concile », dans G. Alberigo et J.-P. Jossua, La réception de Vatican II, Paris, Cerf, 1985, p. 43-63, ici p. 51.

  • 31 OC IX, p. 302-309.

  • 32 « Qu’on la montre, non pas installée, mais en marche, prolongeant dans cet univers créé la mission que le Verbe reçoit éternellement du Père, et toujours tendue, sous l’action de l’Esprit, vers son terme, la céleste Cité, dont la lumière est l’Agneau ! (…) Que l’appel à la sainteté, c’est-à-dire à la vie en Dieu, soulève l’Église tout entière, s’adressant à tous ses membres » (OC IX, p. 305-306).

  • 33 En examinant les Acta Synodalia, Chiron a montré les parallèles entre les deux textes, notamment la reprise des références utilisées par Lubac au fil des rédactions successives de LG et particulièrement l’influence du chap. IV de Méditation sur l’ Église sur LG 26 (cf. J.-F. Chiron, « La “naissance eucharistique” de l’Église », dans J.-D. Durand [dir.], Henri de Lubac. La rencontre au cœur de l’Église, Paris, Cerf, 2006, p. 133-147).

  • 34 « Paradoxe et mystère de l’Église », OC IX, p. 5-222.

  • 35 Ibid., p. 35. Lubac cite J.-J. von Allmen, « remarques sur LG », Irenikon 39 (1966), p. 14-15.

  • 36 Ibid., p. 52. Lubac cite W.-A. Vissert Hooft, Le renouveau de l’Église, Genève, Labor et Fides, 1956, p. 19.

  • 37 Ibid., p. 75-88. M. Fédou a attiré l’attention sur ce point lors d’un colloque sur « l’apport de Lubac au Concile Vatican II » (Centre Sèvres, Paris, 26 janv. 2008).

  • 38 « De divers côtés, on semble ne vouloir retenir de cette doctrine que l’idée, ou plutôt l’expression “peuple de Dieu”, dont on dégrade la signification, pour transformer l’Église en une vaste démocratie » (H. de Lubac, « L’Église dans la crise actuelle », OC IX, p. 237). Il renvoie à Y.-M. Congar, Au milieu des orages : l’Église affronte aujourd’hui son avenir, Paris, Cerf, 1969, p. 86.

  • 39 OC IX, p. 8.

  • 40 OC IX, p. 55 ; c’est Lubac qui souligne. Il renvoie à J. Mouroux, Le mystère du temps, Paris, Aubier, 1962, p. 193.

  • 41 « Si (la Constitution GS) nous recommande “l’ouverture au monde”, c’est en spécifiant avec soin le sens où elle prend ce mot et le programme qu’elle en trace (…). C’est au nom du dynamisme de notre foi, contre un repliement craintif et égoïste qui, se résignant à laisser “le monde” suivre son cours humain, trop humain, et à cantonner le catholicisme dans un lazaret (…). Or, n’arrive-t-il pas que tout à l’inverse, par une confusion grossière, une telle “ouverture” devienne un oubli du salut, un éloignement de l’Évangile, un rejet de la Croix du Christ, une marche au sécularisme, un laisser-aller de la foi et des mœurs, bref, une dissolution dans le monde, une abdication, une perte d’identité, c’est-à-dire la trahison de notre devoir envers le monde ? » (« L’Église dans la crise actuelle », OC IX, p. 237-238).

  • 42 « Une double tâche… », (cité supra n. 27), p. 11-64.

  • 43 Ibid., p. 13-17 ; Lubac renvoie à l’encyclique Ecclesiam suam (6 août 1964) et au discours de clôture du Concile (7 déc. 1965) de Paul VI.

  • 44 Le plan de GS fut difficile à trouver. Cf. l’histoire de cette constitution : R. Tucci, « Introduction historique et doctrinale », dans Y.-M. Congar et M. Peuchmaurd (dir.), Vatican II, L’Église dans le monde de ce temps. Constitution pastorale Gaudium et Spes, t. 2, Unam Sanctam 65b, Paris, Cerf, 1967 ; G. Alberigo (dir.), Histoire du Concile Vatican II (1959-1965), t. 5, Paris - Leuven, Cerf - Peeters, 2005 : « Concile de transition. La 4e session et la conclusion du Concile (sept-déc 1965) » ; P. Eyt, L’avenir de l’homme, L’héritage du Concile, Paris, Desclée, 1986, p.15-59 ; voir aussi B. Cholvy, « Gaudium et Spes : Une compréhension théologique du monde et de la profanité », Esprit et Vie 242 (déc. 2011), p. 2-11.

  • 45 La structure de GS, telle que Lubac la lit, « d’une part, (…) fonde, à partir de la réalité humaine, l’obligation faite à tout homme de tendre, dans la liberté de sa vie personnelle, à cette fin divine que, par la médiation de son Église, Jésus-Christ lui assigne et lui promet » et, d’autre part, « fonde en raison, à partir de la foi elle-même, l’intérêt (…) et même le devoir qui lui (au chrétien) incombe, en raison même de sa foi, de travailler dans tous les domaines au développement temporel de l’humanité » (« Une double tâche… », [cité supra n. 27], p. 42-43).

  • 46 Lubac ajoute que « dans la perspective moderne, cela signifie que les billions d’années qui ont précédé la venue du Christ ont réalisé les conditions physiques de sa venue, et que l’évolution humaine et l’histoire d’Israël (…) en créèrent les conditions sociales et religieuses préalables. L’Église primitive (…) ajoutait que l’histoire des autres races, la philosophie grecque et la paix romaine appartiennent aussi à la praeparatio evangelica » (ibid., p. 59-60).

  • 47 Ibid. on reconnaît l’influence de la pensée de Teilhard. Le commentaire de Lubac se poursuit avec une citation de G. A. Lindbeck, « L’Église et le monde. Le schéma XIII » (Le dialogue est ouvert, t. 1, Paris, Delachaux et Niestlé, 1965, p. 241-242).

  • 48 « Entre les manœuvres des “intégristes” (…) et les manœuvres d’un intégrisme inverse mais analogue (…), quel étroit défilé pour que passe l’Esprit de Dieu ! (…) Interventions lamentables de quelques(-uns…) extasiés devant “le monde”, dont il semblerait que l’Église ait tout à apprendre » (Carnets, t. 2, 3 oct. 1965, p. 427-428).

  • 49 « Une double tâche… » (cité supra n. 27), p. 46. Calvez attirait l’attention, lors du colloque sur « l’apport de Lubac au Concile Vatican II » (Centre Sèvres, Paris, 26 janv. 2008), sur un lien fort entre Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme de 1938 et GS (importance donnée aux dimensions sociales, rôle de cet ouvrage dans le travail de P. Haubtmann, insistance sur le motif transcendantal qui, seul, justifie la bataille pour le monde à tel point qu’il la rend obligatoire).

  • 50 OC IV, p. 35-231.

  • 51 OC IX, p. 31. Lubac renvoie à L. Bouyer qui dénonce à propos de l’eucharistie le même « vice de méthode » (cf. OC IX, p. 31, n. 1).

  • 52 Cf. É. de Moulins-Beaufort, « Henri de Lubac, reader of Dei Verbum », Communio 28/4 (winter 2001), p. 669-694.

  • 53 Cf. « Paul VI, pèlerin de Jérusalem », Christus 41 (déc. 1964), p. 97-102.

  • 54 « Regard sur le Concile », OC IX, p. 299.

  • 55 « L’Église dans la crise actuelle », OC IX, p. 236. Lubac renvoie à K. Barth, Credo, Genève, Labor et Fides, 1969, p. 226 : « il ne saurait être question dans l’Église de sauter pour ainsi dire par-dessus les siècles et de se rattacher immédiatement à la Bible… »

  • 56 OC IV, p. 219.

  • 57 Cf. OC IV, p. 214 : « tout ce que l’Église a reçu, elle le transmet […en] l’actualis[ant], conformément aux besoins de chaque époque ».

  • 58 Cf. OC IV, p. 186 : « l’enseignement que la constitution livre sur l’herméneutique biblique […est] l’un des fruits de son enseignement sur la révélation elle-même ».

  • 59 « Regard sur le Concile », OC IX, p. 299 : « voici que, chez beaucoup, la personne de Jésus s’efface ; voici que l’Ancien Testament, lui-même déformé, est dressé contre le nouveau. (…) on s’efforce alors de nous ramener à la “foi d’Israël”, que l’Église aurait depuis longtemps abandonnée pour le “platonisme” ».

  • 60 Paradoxe et mystère de l’Église, OC IX, p. 54. Balthasar désigne cette clé comme le critère d’organicité de l’œuvre de Lubac, que ce soit dans sa réflexion sur le surnaturel, dans celle sur l’exégèse théologique ou encore dans celle sur l’anthropogenèse (cf. G. Chantraine et H. U. von Balthasar, Le cardinal de Lubac. L’homme et son œuvre, coll. Le Sycomore, Paris - Namur, Lethielleux - Culture et Vérité, 1983, notamment p. 87-88).

  • 61 « Je tâche de ramener [tous ces] problèmes à leur expression la plus simple, et en termes de foi. Je cherche à montrer aussi combien les questions qu’on agite aujourd’hui auraient besoin d’être éclairées, à leur base, par une doctrine cohérente de la nature et du surnaturel » (Carnets, t. 2, 14 nov. 1964, p. 309).

  • 62 D’autres faits pourraient être évoqués qui rendent le classement de la lecture de Vatican II par Lubac définitivement inclassable : par exemple la proximité entre cette affirmation de 1968 « si la Constitution Lumen Gentium est le centre autour duquel s’organisent la plupart des documents élaborés par le Concile, la Constitution Dei Verbum en est à la fois le portique et le fondement » (« Appendice I du commentaire de Dei Verbum », OC IV, p. 209) et le schéma si éclairant proposé à partir de 1996 par C. Theobald dans « Le Concile et la “forme pastorale” de la doctrine » (cf. B. Sesboüé et C. Theobald, Histoire des Dogmes, t. IV, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p. 494). Ou encore la référence que Kasper fait à Lubac dans son débat avec Ratzinger sur la manière de penser le rapport entre Église universelle et Églises particulières (W. Kasper, « Le rapport entre Église universelle et Église locale », Stimmen der Zeit 218 (déc. 2000), p. 795-804 qui renvoie à la trad. allemande de H. de Lubac, Les Églises particulières dans l’Église universelle, Paris, Aubier - Montaigne, 1971, p. 50-51 et 54).

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