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L’Écriture, âme de la théologie morale, dans l’encyclique Veritatis Splendor*

François Gonon
L’article tente de manifester comment les trois chapitres de Veritatis splendor trouvent leur principe d’unité dans l’exercice du sens moral. L’encyclique laisse en effet reconnaître une construction procédant de l’intelligence spirituelle de l’Écriture, en particulier de la doctrine des quatre sens de l’Écriture. Plus précisément encore, l’harmonie de l’Ancien et du Nouveau Testament telle qu’elle est exprimée dans le premier chapitre de l’encyclique à partir de la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche, constitue le fil rouge qui traverse l’ensemble du document, le caractérise et contribue à l’unifier.

Quinze ans après sa parution en 1993, l’encyclique Veritatis splendor demeure un lieu fondateur et stimulant pour le renouveau de la théologie morale voulu par le concile Vatican II. La réception de ce texte reste pourtant grevée par une question qui n’a pas encore été totalement résolue, celle de l’unité et de la cohérence entre le premier chapitre — souvent qualifié de simple méditation biblique — et les deux autres qui développent un discernement rationnel très spéculatif. Nous voudrions montrer ici, pour notre part, comment les trois chapitres trouvent leur principe d’unité dans l’exercice du sens moral de l’Écriture (I). Comment aussi, le discernement rationnel opéré par l’encyclique procède de ce qui constitue l’essence même du christianisme : l’harmonie de l’Ancien et du Nouveau Testament, de la Loi et de l’Évangile (II).

I Un principe d’unité : le sens moral de l’Écriture

Même si son objectif est limité et conjoncturel — opérer, dans un contexte de crise de la morale, un discernement rationnel sur « quelques problèmes controversés... de théologie morale » (5)1 —, l’encyclique revêt un grand intérêt par l’importance qu’elle donne à l’Écriture dans son œuvre de discernement rationnel. Celle-ci entend en effet exposer sur les problèmes discutés « les raisons d’un enseignement enraciné dans l’Écriture et dans la Tradition apostolique » (5). Elle affirme ainsi avec force, en se référant à la constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation (DV 7), que l’Écriture Sainte « reste la source vive et féconde de la doctrine morale de l’Église » (28). Par deux fois, le texte renvoie aussi au décret conciliaire Optatam totius sur la formation des prêtres (OT 16) qui invite « à perfectionner la théologie morale dont la présentation scientifique, plus nourrie de la doctrine de la Sainte Écriture, mettra en lumière la grandeur de la vocation des fidèles dans le Christ et leur obligation de porter du fruit dans la charité pour la vie du monde ».

Les trois chapitres de l’encyclique répondent, chacun à sa manière, à ces demandes d’Optatam totius. Par la péricope du jeune homme riche, le premier chapitre fait entrer dans « un contact plus vivant avec le mystère du Christ et l’histoire du salut », en recueillant les principaux enseignements de l’Écriture au niveau moral. Le second explicite le sens moral de l’Écriture en opérant un discernement exigeant grâce à une « présentation scientifique plus nourrie de la doctrine de l’Écriture ». Enfin, le troisième et dernier considère le « bien moral pour la vie de l’Église et du monde »2 et met « en lumière la grandeur de la vocation des fidèles et leur obligation de porter du fruit pour la vie du monde ».

Le document obéit à une construction qui procède de l’intelligence spirituelle de l’Écriture, et plus particulièrement de la manière dont s’y constitue le sens moral à partir des quatre sens de l’Écriture3. Ce sens moral confié à la foi et à la Tradition vivante de l’Église est enraciné dans la lettre scripturaire et l’histoire du salut (chap. I). À l’intérieur de « la foi opérant par la charité » (Ga 5,6), il assume la raison et son discours philosophique pour se développer en doctrine morale et opérer un discernement (chap. II). Il s’ouvre finalement, dans l’espérance propre à l’anagogie, à sa portée sociale, universelle et ultime (chap. III)4.

1 Le sens moral enraciné dans la lettre et porté par la foi de l’Église (chap. I)

Le premier chapitre de l’encyclique pratique une exégèse spirituelle fondée sur une interprétation littérale et proprement théologique de l’Écriture Sainte reconnue et accueillie comme Parole de Dieu vivante et efficace5. En s’appuyant sur l’épisode de Mt 19 du jeune homme riche, il renvoie le jeune homme riche au Seigneur de la création et de l’Alliance, lui rappelle les commandements avant de l’appeler à la suite du Christ, convoquant ainsi, dans la ligne d’un P. Beauchamp6, les grandes étapes de l’histoire du salut pour en recueillir les données morales essentielles. Dès le point de départ se trouvent ainsi affirmés les fondements ontologiques et universels (10, 12, 22), christiques et pneumatiques (19, 20, 22, 23) de l’agir chrétien, ainsi que sa forme eucharistique (21) et son orientation anagogique (9, 10, 16).

Le caractère proprement spirituel de l’exégèse de l’encyclique apparaît tout particulièrement de deux manières. D’abord à l’insistance avec laquelle celle-ci affirme que seul l’Esprit Saint dans lequel Jésus a parlé et qui a inspiré l’Évangile donne à l’interprète d’être contemporain du Christ et de recevoir sa Parole comme une parole qui lui est immédiatement et personnellement adressée et comme une révélation permanente actuelle dans l’Église (cf. 26-27)7. Ensuite, à la manière dont ce même Esprit invite à assumer des catégories philosophiques, étrangères certes à la lettre, mais qui seules permettent d’en exprimer la rationalité et la vérité immanentes.

Dans l’Esprit, la raison humaine se met ainsi au service de la vérité de la Parole de Dieu. C’est dans cette perspective qu’à partir de l’Évangile lu dans l’Esprit et en référence à la totalité de l’Écriture et de la Tradition, le premier chapitre dégage les concepts de bien et de biens, de finalité, de liberté, de loi naturelle et de comportement déterminé (prescrit ou proscrit par les commandements), met au jour la communion des personnes et leur dignité d’êtres rationnels et responsables et explicite ainsi dans la ligne de Dei Verbum 12 la « doctrine », la sententia, dirait saint Thomas8, présente dans l’Écriture et accessible à tout qui la lit et l’interprète dans l’harmonie des deux Testaments.

Le deuxième chapitre de l’encyclique ressaisira par la suite en quatre points ce « contenu essentiel de la Révélation de l’Ancien et du Nouveau Testament à propos de l’agir moral » (28) ; 1) la soumission de l’homme et de son agir à Dieu, Celui qui ‘seul est le Bon’ ; 2) le rapport entre le bien moral des actes humains et la vie éternelle ; 3) la marche à la suite du Christ, qui ouvre sur l’amour parfait ; 4) enfin le don de l’Esprit Saint, source et soutien de la vie morale de la ‘créature nouvelle’ (cf. 2 Co 5,17) » (28).

Les premières pages de l’encyclique sont donc plus qu’un simple préliminaire biblique ou qu’une méditation profonde, sereine et fort belle, de l’épisode du jeune homme riche. Elles revêtent une portée méthodologique et doctrinale importante. Elles offrent déjà les principes du discernement qu’il conviendra d’opérer par la suite et esquissent déjà les données majeures d’une théologie morale fondamentale conforme à la dignité de l’homme et à sa vocation divine9.

2 Le sens moral et le développement de la doctrine morale (chap. II)

Pour opérer son œuvre de discernement doctrinal à l’égard de certaines théories morales contemporaines marquées par l’utilitarisme ou la morale de situation, l’encyclique argumente par la suite de façon rationnelle. Elle entend procéder en effet à une « détermination rationnelle de la moralité de l’agir humain » (82). Une théologie morale qui s’exprime au nom de la raison naturelle sauvée, éclairée et confirmée par la Révélation exige que l’enseignement moral de la lettre s’assimile les richesses disponibles et appropriées de la raison scientifique et philosophique pour s’élaborer en doctrine proprement théologique.

Cette concertation de la foi et de la raison à l’intérieur de la Tradition de l’Église, avec ce qu’elle implique comme assomption et appropriation rationnelle de la Bonne Nouvelle, est au fondement du développement de la doctrine morale catholique. « L’Église a gardé fidèlement ce qu’enseigne la Parole de Dieu, non seulement sur les vérités à croire mais encore sur l’agir moral, c’est-à-dire l’agir qui plaît à Dieu (cf. 1 Th 4,1), accomplissant un développement doctrinal analogue à celui qui s’est produit dans le domaine des vérités de la foi10. Assistée de l’Esprit Saint qui la conduit vers la vérité tout entière (cf. Jn 16,13), nous dit l’encyclique, l’Église n’a cessé de scruter “le mystère du Verbe incarné” dans lequel “s’éclaire vraiment le mystère de l’homme” » (28). Ainsi en a-t-il été tout particulièrement au cours des deux derniers siècles. Les Papes y ont développé un enseignement moral sur les multiples aspects de la vie humaine. Leur enseignement constitue un approfondissement incessant de la connaissance morale (cf. 4).

L’encyclique ne se contente pas de prendre acte de fait de l’existence d’un développement de la doctrine morale dans l’Église. Elle y participe aussi en œuvrant à un discernement qui assume la raison philosophique et théologique disponible en conformité avec l’enseignement de l’Écriture Sainte recueilli dans son premier chapitre. Sa réflexion se nourrit d’Aristote à saint Thomas d’Aquin, en passant par saint Augustin et les Pères de l’Église, et, pour les temps modernes, en réfère aussi bien à Ockham qu’à Kant, à Blondel qu’au personnalisme. En dialogue avec ces modes de pensée elle précise ce qu’est la liberté (35-53), le jugement de conscience (54-64) et établit la juste articulation entre l’option fondamentale de la foi et les comportements concrets prescrits ou proscrits par la loi (65-70). Si distinction il y a entre option fondamentale et comportements concrets, il n’est pas moins nécessaire de reconnaître leur unité, indispensable à la juste détermination de l’agir chrétien et à la spécification de l’objet moral des actes (71-83).

3 Le sens moral et son orientation anagogique majeure (chap. III)

S’il est vrai qu’il présente « un aspect composite », que son style est « plus faible que celui des deux parties précédentes » et son plan, « plus difficilement repérable »11, le troisième chapitre de l’encyclique s’inscrit pleinement dans l’orientation anagogique du sens moral de l’Écriture en exposant la portée ecclésiale et sociale de son discernement au service de « tout homme » et de « tous les hommes » (96).

La manière dont le chapitre considère la grandeur de la vocation des fidèles dans le Christ et reconnaît en celle-ci l’accomplissement de la vocation humaine (84-87) l’atteste. Ses développements sur les thèmes du témoignage et du martyre (88-94) vont dans le même sens. En scellant de manière éloquente et existentielle l’unité indissoluble de la vérité et de la liberté, de l’allégorie et de la tropologie, de la foi et de la charité, le martyre s’inscrit en effet dans la dimension proprement anagogique et missionnaire de la théologie morale : rendre témoignage face au monde de la sainteté inviolable de Dieu et de la dignité absolue de la personne humaine exprimées dans la Loi divine (89). Dans son rappel de la vérité et de l’absolu de l’ordre moral, le martyre représente le « sommet du témoignage rendu à la vérité morale » (93)12.

En soulignant l’importance de la transcendance (99) et de l’« aspiration religieuse » (101) et en affirmant l’importance d’une « vérité dernière » (101), l’encyclique, après avoir précisé la dimension horizontale, immanente, sociale et historique de la théologie morale, en honore la dimension verticale, transcendante et spirituelle. Son rappel du primat de la miséricorde et de la grâce sans lesquelles les exigences de la loi ne peuvent être entendues, aimées et observées, est aussi du même ordre (102-105)13. Ainsi en est-il de l’enjeu moral que représente la nouvelle évangélisation (106-108), de la mission dévolue aux théologiens moralistes et aux pasteurs (109-117) de « rendre compte de leur espérance ».

Bref, le sens moral s’enracine dans la lettre de l’Écriture, portée par la foi de l’Église ; il assume la raison disponible et appropriée, pour se développer en doctrine morale et, dans l’espérance propre à l’anagogie, s’ouvre à sa dimension universelle. En lui réside l’unité des trois chapitres de l’encyclique.

II Une clé de lecture : l’harmonie des deux Testaments

Si le sens moral de l’Écriture est au principe de sa réflexion, l’encyclique offre-t-elle une clef de lecture pour en comprendre la signification ? Cette clef de lecture se situe pour elle dans l’harmonie de l’Ancien et du Nouveau Testament et dans la logique de l’accomplissement qui lui est sous-jacente.

1 Une « trame utile » : l’épisode du jeune homme riche

L’encyclique voit dans l’épisode du jeune homme riche une « “trame utile” pour réentendre, de manière vivante et directe, l’enseignement moral de Jésus » (6). Cet épisode articule les deux temps de la réponse de Jésus : celui qui porte sur le Bien et la nécessité des commandements, celui ensuite qui invite à la perfection et à la suite de la personne de Jésus. Or ces deux temps engagent le rapport entre Ancien et Nouveau Testament, commencement et fin, création et rédemption, Loi et grâce, en termes de promesse et d’accomplissement14. « Le Christ est la clé des Écritures… ; il est le centre de l’économie du salut, la récapitulation de l’Ancien et du Nouveau Testament, des promesses de la Loi et de leur accomplissement dans l’Évangile ; il est le lien vivant et éternel entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance » (15).

Déjà à elle seule la réponse à la question sur le bien recouvre l’articulation de ces catégories décisives. L’encyclique invite en effet à reconnaître en Dieu Celui qui seul est le Bon, l’origine et la fin de tout bien et donc de l’agir bon (9). Elle appelle à reconnaître en Lui la source de l’amour et, dans la réponse d’amour à laquelle il convie, le cœur de la vie morale. À la lumière du Christ, la Loi révélée à Israël se découvre comme don fait à l’homme « pour rétablir l’harmonie originelle avec le Créateur et avec la création, et plus encore pour l’introduire dans son amour » (10). L’Ancien Testament n’en atteste pas moins jusque dans sa lettre même l’incapacité dans laquelle se trouve l’homme à accomplir la Loi inscrite dans son cœur et redonnée au Sinaï. Il porte la promesse d’un don nouveau dont l’accomplissement s’atteste dans la lettre du Nouveau Testament, en la propre personne du Christ et dans le don de l’Esprit (cf. 11).

Les paragraphes suivants reprennent et approfondissent la réponse de Jésus à la question du bien (12-15). Jésus renvoie en effet aux commandements de la seconde table donnés à Israël sur le Sinaï, mais déjà inscrits dans le cœur de l’homme (12)15. Reliés au commencement et à la création, ceux-ci sont en même temps référés à leur fin : « Si tu veux entrer dans la vie éternelle, observe les commandements ». Ils sont la diffraction du commandement de l’amour du prochain et du bien de la personne (cf. 13), « une d’âme et de corps ».

L’encyclique précise alors sa doctrine : les commandements qui « enseignent la véritable humanité de l’homme sont destinés à sauvegarder le bien de la personne, image de Dieu, par la protection de ses biens » (13). L’amour de Dieu et celui du prochain s’interpénètrent. Leur indivisible unité en paroles et en actes se situe dans la Croix rédemptrice du Christ, « signe de son amour inséparable envers le Père et envers l’humanité » (cf. 14). Ainsi Jésus « porte à leur accomplissement les commandements de Dieu… en intériorisant et en radicalisant leurs exigences » (15). Il en est l’accomplissement vivant par le don total de lui-même (cf. 15).

Le Décalogue désigne les conditions minimales du respect d’autrui. Il constitue la première étape de la croissance de la liberté humaine. Indispensables, les commandements ouvrent et orientent vers une plénitude, celle des Béatitudes. Ils résonnent comme un désir et un appel inscrits dans le cœur de tout homme, qui ne peuvent s’accomplir que dans l’accueil du don de la grâce du Christ : « Viens, suis-moi » (cf. 16-18).

Le chemin de liberté tracé par le Décalogue trouve ainsi son accomplissement et sa perfection dans le Christ qui nous a aimés « jusqu’à la fin » (Jn 13,1). D’où la nécessité de suivre le Christ en adhérant à sa personne (19) et en gardant son commandement nouveau (Jn 13,34) : « Voici quel est mon commandement : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15,12) (cf. 20). Cette suite du Christ n’est pas imitation extérieure. Elle est, dans la grâce de l’Esprit, conformation, assimilation, incorporation au Christ et à sa vie offerte par amour. Elle se réalise dans l’Église, Corps du Christ, et dans les sacrements, tout particulièrement celui de l’Eucharistie (cf. 21).

Une telle perfection, « conforme au dessein premier de Dieu sur l’homme » (cf. 22), peut effrayer. Elle est en effet inaccessible à l’homme laissé à ses propres forces. Elle nécessite la vie nouvelle dans le Christ et l’Esprit. C’est dans le Christ que l’homme obtient l’accomplissement des promesses, c’est-à-dire le don de la grâce et de la charité par laquelle il pourra observer les commandements et vivre pleinement sa vocation divine (cf. 22-24). Saint Augustin l’enseignait déjà en une formule lapidaire : « La Loi a donc été donnée pour que l’on demande la grâce ; la grâce a été donnée pour que l’on remplisse les obligations de la Loi » (23).

2 Le discernement moral

En assumant résolument la rationalité humaine à l’intérieur de la Tradition (cf. 27), le deuxième chapitre de l’encyclique exerce le sens moral de l’Écriture dans un discernement technique et exigeant. Ce discernement prend sa source dans le dialogue entre Jésus et le jeune homme riche, tel qu’il faisait ressortir le contenu essentiel de la Révélation de l’Ancien et du Nouveau Testament à propos de l’agir moral (cf. 28). Ce faisant, il réfléchit l’articulation fondamentale entre liberté et vérité (31-34) à partir des quatre modalités qui en procèdent : liberté et loi (35-53), conscience et vérité (54-64), choix fondamental et comportements concrets (65-70), intention, circonstances et objet moral (71-83). Le point original ici est le suivant : le discernement opéré en référence aux écoles contemporaines de philosophie et de théologie morale se fonde sur autant d’explicitations rationnelles du lien entre l’un et l’autre Testament et des rapports dialectiques que ceux-ci entretiennent entre eux, sans pour autant avoir la prétention d’avoir le tout dernier mot en la matière.

a Liberté et loi

Si la juste articulation entre liberté et loi (35-53) est explicitée philosophiquement et théologiquement en termes d’autonomie et d’hétéronomie, de théonomie participée ou de loi naturelle, le principe de compréhension de cette articulation repose fondamentalement pour l’encyclique sur la rationalité propre à la « révélation de l’Alliance et de l’Incarnation rédemptrice » (41), c’est-à-dire sur la rationalité immanente à la révélation de l’Ancien et du Nouveau Testament dans leurs relations réciproques. La « juste autonomie » de l’homme comme sujet personnel de ses actes, base fondatrice de la vie morale tel qu’il s’énonce en termes de « théonomie participée » (41), renvoie à l’enseignement biblique sur l’Alliance où se scelle la rencontre de la Loi de Dieu et de la liberté de l’homme, toutes deux trouvant leur accomplissement dans le mystère pascal du Christ et le don de l’Esprit (cf. 45 reprenant 22-24).

L’enseignement de l’encyclique sur la loi naturelle s’inscrit ainsi à l’intérieur de l’articulation des deux Testaments et dans une logique de l’accomplissement. Cette loi exprime les exigences qui appartiennent à la dignité de la personne, « une de corps et d’âme » (48)16. Celle-ci n’est donc pas une pure norme formelle adressée à une liberté. Elle a un contenu déterminé, en vertu de « la structure spirituelle et corporelle » (48) de la personne humaine telle qu’elle exige le respect de certains biens fondamentaux. Ces biens sont énoncés dès l’Ancien Testament — ce sont les interdits du Décalogue qui les protègent — et ils sont confirmés une fois pour toutes par le Christ (cf. 49).

Lorsque l’encyclique réaffirme, en s’inscrivant dans l’enseignement le plus constant de l’Église, que les préceptes négatifs de la loi naturelle sont universellement valables et « qu’ils interdisent une action déterminée semper et pro semper, sans exception » (52), elle exprime en termes philosophiques l’enseignement moral de l’Écriture, en particulier dans les implications éthiques que comportait l’accomplissement de l’Ancien Testament par le Nouveau (cf. 52 explicitant 13). Le principe de l’immutabilité dont on peut rendre rationnellement compte à partir de l’expérience commune trouve ultimement sa confirmation dans la bouche même du Christ : « Au commencement, il n’en était pas ainsi » (Mt 19,8) (cf. 53 reprenant 22). Cette relecture dans le Christ du dessein originel de Dieu à l’intérieur de l’histoire du salut constitue une clé herméneutique décisive de l’encyclique.

Conformément aux enseignements de Vatican II17, le Christ, Verbe incarné, alpha et oméga, est bien le « ‘Principe’ qui, en assumant la nature humaine, l’éclaire définitivement dans ses éléments constitutifs et dans le dynamisme de son amour envers Dieu et envers le prochain » (53). La reconnaissance de l’universalité et de l’immutabilité de la loi naturelle trouve ainsi, à la lumière de l’un et l’autre Testament, son fondement ultime dans le Verbe fait chair tel qu’il assume tout le créé et, en particulier, la nature humaine. La reconnaissance du caractère historique de la condition humaine ne remet donc pas en cause l’universalité et l’immutabilité de la loi morale naturelle qui atteste « qu’il existe en l’homme quelque chose qui transcende les cultures » (53). Elle exige au contraire que cette loi originelle qui se donne à reconnaître petit à petit dans l’histoire jusqu’à devenir en Jésus Loi vivante et personnelle, soit formulée, explicitée, interprétée toujours à nouveau de la façon la plus appropriée à la diversité des cultures, des lieux et des temps.

b Conscience et vérité

Le discernement engagé sur la liberté dans son rapport à la loi touche une réalité connexe, celle de la conscience dans son articulation à la vérité (cf. 54-64). Or, constate l’encyclique, la philosophie contemporaine, en opposant liberté et loi, engendre une « interprétation ‘créative’ de la conscience morale qui s’écarte de la position traditionnelle de l’Église et de son Magistère » (54).

Cette approche met en question le caractère absolu des Dix commandements redonnés par Jésus, et donc finalement « l’identité même de la conscience morale face à la liberté de l’homme et à la Loi de Dieu » (56). L’enjeu peut être formulé ainsi : y a-t-il contradiction entre les différentes modalités selon lesquelles Dieu transmet à l’homme sa volonté ? Existerait-il un conflit entre la Loi inscrite dès le commencement dans le cœur de l’homme et donnée par Moïse au Sinaï, et celle du Sermon sur la montagne, « nouvellement inscrite à jamais dans le cœur de l’homme » (12) ? La logique de l’Alliance et de l’accomplissement à l’œuvre dans l’histoire du salut montre qu’il n’en est rien.

La conscience est témoin de la vérité morale exprimée par la loi inscrite à l’intime du cœur de l’homme. Elle est appelée à émettre « un jugement moral sur l’homme et sur ses actes, jugement d’absolution ou de condamnation selon que les actes en question sont ou non conformes à la Loi de Dieu écrite dans le cœur » (59). Ce jugement pratique a un caractère impératif (cf. 60). Aussi, la conscience oblige-t-elle en raison de « la vérité sur le bien et le mal moral qu’elle est appelée à entendre et à exprimer » (60). Or, et tel est ici le point névralgique, cette vérité n’est pas déterminée par la seule conscience, mais bien par « la ‘Loi divine’, norme universelle et objective de la moralité » (60). « La conscience n’est donc pas une source autonome et exclusive pour décider ce qui est bon et ce qui est mauvais. Au contraire, en elle est profondément inscrit un principe d’obéissance à l’égard de la norme objective qui fonde et conditionne la conformité de ses décisions aux commandements et aux interdits qui sont à la base du comportement humain » (60). Ces commandements et interdits rappelés dans le Décalogue et redonnés avec autorité par le Christ sont inscrits depuis le commencement dans la conscience de l’homme.

C’est à l’intérieur de ce rapport qui relie l’Ancien et le Nouveau Testament au plan de l’histoire, que le Magistère de l’Église aide les chrétiens à former leur conscience. L’Église n’impose pas des vérités extrinsèques et intemporelles. Elle énonce des vérités qui s’enracinent dans l’acte créateur et qui sont inscrites en l’homme en vertu de sa connaissance plus ou moins explicite des « principes de l’ordre moral découlant de la nature de l’homme » (64). Elle met face au Christ en reconduisant à la bonté et à la vérité de l’origine : « Au commencement il n’en était pas ainsi » (Mt 19,8).

c Choix fondamental et comportements concrets

Liberté et loi, conscience et vérité, telles sont les antinomies auxquelles se trouve affrontée la pensée moderne, et que l’encyclique surmonte précisément en en appelant à notre condition historique telle que la met en lumière le rapport entre l’un et l’autre Testament.À cette double problématique vient s’ajouter en théologie morale la problématique qui distingue l’option de fond sur laquelle se structurent la vie et les actes particuliers en lesquels celle-ci s’effectue. Or ici, l’enyclique opère un discernement par rapport à ces positions éthiques qui conduisent parfois à une pure dissociation entre « l’option fondamentale et les choix délibérés de comportements concrets » (65), induisant une scission entre deux niveaux de moralité.

En ses deux Testaments (cf. 66), la Bible reconnaît l’importance d’un choix fondamental qui engage la liberté de manière unique et radicale. Elle n’affirme pas moins aussi des liens étroits entre cette option fondamentale et les actes particuliers qu’elle commande. Il n’est pas douteux que, par ses racines bibliques, la morale chrétienne reconnaît l’importance particulière du choix fondamental qui qualifie une vie et qui engage la liberté devant Dieu. Il s’agit d’abord du choix de la foi ou, si l’on veut, de l’obéissance de la foi (cf. 66). Mais, poursuit l’encyclique, la foi opère par la charité. Venant du centre de l’homme, celle-ci est appelée à fructifier dans les œuvres18.

« Par son choix fondamental, l’homme est capable d’orienter sa vie et de tendre, avec l’aide de la grâce, vers sa fin, en suivant l’appel divin. Mais cette capacité s’exerce effectivement dans les choix particuliers d’actes déterminés, par lesquels l’homme se conforme délibérément à la volonté, à la sagesse et à la Loi de Dieu » (67). Le premier énoncé est tourné vers la fin. Il s’appuie sur le Nouveau Testament et sur le don de la grâce. Il est lié au second, qui renvoie à l’origine et au don de la Loi de Dieu attesté dans l’Ancien Testament. En raison de la logique de l’accomplissement, il est donc impossible de séparer le Nouveau Testament de l’Ancien, la grâce de la Loi, l’option fondamentale de foi des comportements concrets, prescrits ou proscrits par la Loi de Dieu, dans lesquels l’option s’authentifie et fructifie en œuvres de charité.

d Intention, circonstances et objet moral

L’encyclique aborde enfin un certain nombre de théories éthiques contemporaines qui ont pour nom le téléologisme, le proportionnalisme, ou encore le conséquentialisme. Selon ces théories, il serait impossible de qualifier comme moralement mauvais selon son genre, c’est-à-dire selon son « objet », le choix délibéré de certains actes déterminés, en faisant abstraction de l’intention du sujet ou encore de la totalité de leurs conséquences prévisibles (cf. 79). Il s’agit là de fausses solutions éthiques « liées en particulier à une compréhension inadéquate de l’objet moral » (75), précise l’encyclique.

Si l’intention poursuivie et l’appréciation des conséquences d’un acte — conformément à la responsabilité qui incombe à chacun — constituent des éléments essentiels de l’agir moral, « la moralité de l’acte humain dépend avant tout et fondamentalement de l’objet raisonnablement choisi par la volonté délibérée… » (78). On se trouve mis ici devant une des affirmations fondamentales de l’encyclique : « L’élément primordial et décisif pour le jugement moral est l’objet de l’acte de l’homme, lequel décide si son acte peut-être orienté au bien et à la fin ultime, qui est Dieu. Cette orientation est trouvée par la raison dans l’être même de l’homme entendu ici dans sa vérité intégrale, donc dans ses inclinations naturelles, ses dynamismes et ses finalités, lesquels ont toujours aussi une dimension spirituelle : c’est exactement le contenu de la loi naturelle, et donc l’ensemble organique des ‘biens pour la personne’ qui se mettent au service du ‘bien de la personne’, c’est-à-dire du bien qui est la personne elle-même et sa perfection. Ces biens sont les biens garantis par les commandements, lesquels, selon saint Thomas, contiennent toute la loi naturelle » (79).

Bref, la doctrine de l’objet constitue une « détermination rationnelle de la moralité de l’agir humain » (82). Elle fait partie de la tradition morale catholique et peut se prévaloir de l’enseignement de saint Thomas en la matière. L’encyclique se plaît à le rappeler. Mais, tient-elle à préciser, cette doctrine « constitue une explicitation authentique de la morale biblique de l’Alliance et des commandements, de la charité et des vertus. La qualité morale de l’agir humain dépend de cette fidélité aux commandements, expression d’obéissance et d’amour » (82).

En s’exprimant ainsi, l’encyclique entend d’abord fonder sa doctrine de l’objet moral sur les catégories historiques de l’Alliance. Elle reprend dans leur unité les données éthiques fondatrices de l’un et l’autre Testament. Dans l’économie chrétienne, le don de la Torah, c’est-à-dire de l’Alliance et des commandements, est inséparable du don de « la charité répandue en nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous fut donné » (Rm 5,5) et des autres vertus dont la charité est la forme.

En reconnaissant dans sa doctrine de l’objet en théologie morale une explicitation authentique de la morale biblique de l’Alliance et des commandements, l’encyclique reconnaît en creux que, dans ses modalités, cette doctrine n’est pas la seule possible et pensable. Aussi pertinente soit-elle, celle-ci n’épuise pas la rationalité éthique immanente à l’Écriture. La Parole divine mise par écrit dans l’Écriture Sainte reste ainsi, à l’intérieur de la Tradition, résolument ouverte au travail et au génie de la raison et de la sagesse humaines. Elle contient toujours plus que ce qu’une époque ou qu’une théologie peut en saisir. C’est ainsi que se déploie d’âge en âge le sens moral de l’Écriture.

En inscrivant son discernement rationnel à l’intérieur du Mystère du Christ en termes d’histoire du salut, l’encyclique retrouve ainsi la double modalité selon laquelle celui-ci s’opère. La première d’entre elles touche la dimension plus rationnelle des liens entre nature et grâce ; la seconde, celle, plus historique, du rapport entre Ancien et Nouveau Testament (cf. 44-45).

3 La lettre et l’esprit

Le dernier chapitre de l’encyclique met face à l’orientation anagogique et à la portée sociale de la théologie morale qu’avaient déjà esquissées ses premières pages en lien avec l’harmonie des deux Testaments. Il y va de la nécessité de la grâce pour pouvoir accomplir les nécessaires commandements.

L’observation de la Loi de Dieu est parfois très difficile. Elle n’est pourtant jamais impossible. L’encyclique cite à ce propos le passage célèbre d’Augustin : « Car Dieu ne commande pas de choses impossibles, mais en commandant il t’invite à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas » (102). En vérité, « c’est dans la Croix salvifique de Jésus, dans le don de l’Esprit Saint, dans les sacrements qui naissent du côté transpercé du Rédempteur (cf. Jn 19,34) que le croyant trouve la grâce et la force de toujours observer la Loi sainte de Dieu, même au milieu des plus graves difficultés » (103).

L’Acte par lequel le Christ sauve l’humanité et lui fait le don de son Esprit tient ici une place décisive. Cet Acte rédempteur engendre à une humanité nouvelle. Il renouvelle l’intelligence. L’homme a désormais le pouvoir de réaliser « l’entière vérité » de son être et de sa vocation, celui-ci constitue désormais la pleine vérité concrète de l’être humain (cf. 103). S’il pèche encore, « cela est dû non pas à l’imperfection de l’acte rédempteur du Christ, mais à la volonté de l’homme de se soustraire à la grâce qui vient de cet acte » (103). Il y va d’une intelligence christologique de l’harmonie de l’un et l’autre Testament. Enseveli et ressuscité avec le Christ, conduit par l’Esprit, le chrétien est sans cesse invité à parcourir l’histoire du salut pour passer de l’ancienneté à la nouveauté.

L’articulation entre la splendeur de la vérité morale exprimée par la Loi divine et le cheminement moral de la liberté humaine qui s’y conforme peu à peu à l’aide de la grâce s’élabore ainsi de manière juste et raisonnable. La clarté projetée par le Mystère du Christ permet d’entrer dans la véritable intelligence d’une « loi de gradualité » qui n’est pas à confondre avec ce qu’on appelle la « gradualité de la loi »19. « Ce serait une erreur très grave que d’enconclure que la règle enseignée par l’Église est en elle-même seulement un ‘idéal’ qui doit ensuite être adapté, proportionné, gradué, dit-on, selon les possibilités concrètes de l’homme : selon un ‘équilibrage des divers biens en question’ »20.

L’intelligence de la miséricorde divine dans l’agir chrétien ne signifie en aucun cas compromission ou adaptation selon les circonstances de la mesure du bien et du mal. S’il est profondément conforme à la dignité humaine de l’homme qui pèche de reconnaître sa faute et d’en demander pardon, il est au contraire inacceptable « de faire de sa faiblesse le critère de la vérité sur le bien » (104) de façon à se sentir justifié par soi seul, « sans même avoir besoin de recourir à Dieu et à sa miséricorde » (104). « Au contraire, accepter la ‘disproportion’ entre la loi et les capacités humaines, c’est-à-dire les capacités des seules forces morales de l’homme laissé à lui-même, éveille le désir de la grâce et prédispose à la recevoir. ‘Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ?’ se demande l’apôtre Paul. Sa réponse est une confession joyeuse et reconnaissante : ‘Grâces soient à Dieu par Jésus Christ notre Seigneur !’ » (105).

Cette compréhension de l’alliance gracieuse de la liberté humaine avec la Loi et la Grâce de Dieu est le fruit de l’intelligence spirituelle de l’Écriture. L’intelligence de l’harmonie des deux Testaments y est sous-jacente. Relativiser les exigences de la Loi donnée dans l’Ancien Testament en oblitérant le sens du péché ferait disparaître le besoin de la miséricorde, rendrait du coup vains la Croix du Christ et le don de l’Esprit, et incompréhensible l’accomplissement des promesses dont témoigne le Nouveau Testament. La relativisation et l’abaissement des exigences de la Loi entraînent d’un même mouvement une relativisation et un abaissement de la sainteté de Dieu et de la grandeur de la vocation divine de l’homme. Affirmer la nécessité de la Loi est pourtant insuffisant. Encore faut-il que la Loi soit accordée à la grâce du Christ et au don de l’Esprit attestés dans le Nouveau Testament. La Loi sans la Grâce est mortifère en tant qu’elle ne donne pas par elle-même à l’homme la force d’accomplir ses exigences. Seule la grâce du Christ et le don de son Esprit permettent d’accomplir la Loi de Dieu donnée pour le bien et la vie de l’homme, à la gloire du Père.

Au moment de conclure, l’encyclique évoque la dialectique paulinienne de la lettre et de l’esprit. La question de la liberté et de son rapport à la vérité trouve sa réponse dans le don de l’Esprit Saint de Jésus : si Jésus est Vérité, l’Esprit du Seigneur est liberté. « Dans l’onction de l’Esprit, cette parole douce et exigeante se fait lumière et vie pour l’homme. C’est encore l’Apôtre Paul qui nous invite à la confiance, parce que ‘notre capacité vient de Dieu : c’est lui qui nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance Nouvelle, une Alliance qui n’est pas celle de la lettre de la Loi, mais celle de l’Esprit… Le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté’ (2 Co 3,5-6.17-18) » (117).

** *

L’Écriture Sainte, au fondement de la théologie morale de l’encyclique (chap. I) constitue aussi, conformément à l’invitation de Dei verbum 24 et d’Optatam totius 16, l’âme de son explicitation doctrinale (chap. II et III). Plus précisément, l’intelligence de l’harmonie de l’Ancien et du Nouveau Testament qui constitue le cœur de l’enseignement moral de l’Écriture dégagé dans le premier chapitre de l’encyclique commande le discernement opéré et l’enseignement proposé dans les deuxième et troisième chapitres. Notre analyse confirme ainsi ce qui restait, dans le remarquable commentaire d’A. Bonandi sur cette encyclique, de l’ordre de l’intuition : « La réflexion catholique sur les figures multiples et complexes du rapport entre Loi et Évangile pourrait… offrir une base spéculativement pertinente à la fondation théologique de la morale »21.

Notes de bas de page

  • * L’article reprend la conclusion d’une thèse soutenue à l’Institut d’Études Théologiques (IÉT, Bruxelles), intitulée L’étude de l’Écriture Sainte, âme de la théologie morale. Mémoire et discernement à partir de Vatican II, pro manuscripto, Bruxelles, IÉT, 2007, 824 p.

  • 1 Cf. Doc. Cath. 2081 (90, 1993) 901-944. Les numéros entre parenthèses dans le texte de l’article renvoient aux paragraphes de l’encyclique.

  • 2 Sous-titre du chapitre.

  • 3 La référence aux quatre sens de l’Écriture apparaît clairement dans l’encyclique : « Dans l’Esprit, l’Église accueille et transmet l’Écriture comme témoignage des ‘grandes choses’ que Dieu opère dans l’histoire (cf. Lc 1,49) ; elle confesse par la bouche des Pères et des Docteurs la vérité du Verbe incarné ; elle met en pratique les préceptes et la charité dans la vie des saints et des saintes et dans le sacrifice des martyrs ; elle célèbre l’espérance dans la liturgie » (27). Cf. aussi 28.

  • 4 L’enseignement de l’encyclique est explicitement relié aux théologies biblique, dogmatique, fondamentale et spirituelle (cf. 111). La référence à la « théologie biblique » indique le lien fondateur de la théologie morale avec la lettre de l’Écriture et l’histoire du salut, ainsi que son nécessaire recours au travail des exégètes. La référence à la « théologie dogmatique » souligne son enracinement allégorique et sa nécessaire inscription dans le mystère du Christ et de l’Église. La mention de la « réflexion scientifique » indique la nécessaire présentation organique et intelligible de l’enseignement moral. L’insistance sur la portée universelle « pour la société et la culture humaine » de la théologie morale et sur son accomplissement spirituel dans « l’ascétique et la mystique chrétiennes » exprime la double dimension sociale et spirituelle de son orientation anagogique.

  • 5 Cf. Linnig W., Fais cela et tu vivras. Bible et Morale selon la première partie de l’encyclique « Veritatis splendor », Paris, Parole et Silence, 2003.

  • 6 Cf. Beauchamp P., D’une montagne à l’autre, la Loi de Dieu, Paris, Seuil, 1999, où l’auteur reprend les grandes étapes de l’histoire du salut et de la loi de Dieu à partir de la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche.

  • 7 Cf. Laffitte J., « Contemporanéité du Christ à l’homme de tous les temps dans le premier chapitre de l’Encyclique ‘Veritatis splendor’ », dans Gesù Cristo, legge vivente e personale della Santa Chiesa. Atti del IX Colloquio Intern. di Teologia di Lugano sul Primo capitulo dell’Enciclica ‘Veritatis splendor’, Lugano – 15-17 giugno 1995, éd. Gr. Borgonovo, Casale Monferrato / Lugano, Piemme / Fac. di teologia di Lugano, 1996, p. 211-223.

  • 8 Cf. Guggenheim A., Jésus Christ, Grand Prêtre de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance. Étude théologique et herméneutique du commentaire de saint Thomas d’Aquin sur l’Épître aux Hébreux, coll. Thèse de l’École Cathédrale, Paris, Parole et Silence, 2004, p. 663-679.

  • 9 Pour S. Pinckaers, cette encyclique « est plus novatrice qu’il n’y paraît ». Elle est « une encyclique d’avenir, spécialement dans son premier chapitre : elle trace les lignes directrices d’un renouveau de la théologie morale catholique et invite les moralistes à se mettre au travail, conformément à l’intention qui inspire ce chapitre : rétablir des liens étroits et vivants entre la morale catholique et l’Évangile, centre de l’Écriture. Un tel labeur portera ses fruits quand le temps de la Providence sera venu » (Pinckaers S., « La loi nouvelle, sommet de la morale chrétienne, selon l’encyclique ‘Veritatis splendor’ », dans Gesù Cristo… [cité supra n. 7], p. 121).

  • 10 « La vérité de la loi morale — de même que celle du ‘dépôt de la foi’ — se déploie à travers les siècles : les normes qui l’expriment restent valables dans leur substance, mais elles doivent être précisées et déterminées… selon les circonstances historiques par le Magistère de l’Église, dont la décision est précédée et accompagnée par l’effort de lecture et de formulation fourni par la raison des croyants et par la réflexion théologique » (53). L’encyclique n’hésite pas à appliquer à la doctrine morale les paroles de Jean XXIII lors de l’ouverture du concile : « Il faut que cette doctrine (= la doctrine chrétienne dans sa plénitude) certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire des vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée ».

  • 11 Bruguès J.-L., « Présentation de l’encyclique Veritatis splendor », dans Jean-Paul II, La splendeur de la vérité, Paris, Mame/Plon, 1993, p. xviii.

  • 12 « Dans le martyre vécu comme l’affirmation de l’inviolabilité de l’ordre moral, resplendissent en même temps la sainteté de la Loi de Dieu et l’intangibilité de la dignité personnelle de l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu » (92). La portée anagogique du témoignage et du martyre est un signe éclatant de la sainteté de l’Église.

  • 13 « C’est l’Évangile qui dévoile la vérité intégrale sur l’homme et sur son cheminement moral, et qui ainsi éclaire et avertit les pécheurs en leur annonçant la miséricorde de Dieu qui œuvre sans cesse pour les préserver du désespoir de ne pas pouvoir connaître et observer la Loi de Dieu et aussi de la présomption de pouvoir se sauver sans mérite. Il leur rappelle également la joie du pardon qui, seul, donne la force de reconnaître dans la loi morale une vérité libératrice, une grâce d’espérance, un chemin de vie » (112).

  • 14 Cf. Linnig W., « La Sainte Écriture dans la vie de l’Église, une source vive et féconde pour la théologie morale », dans Camminare nella Luce. Prospettive della teologia morale a partire da Veritatis Splendor, éd. L. Melina – J. Noriega, Rome, Lateran Univ., 2004, p. 619-629.

  • 15 Le concept de loi naturelle est ici introduit pour la première fois dans l’encyclique.

  • 16 Une analogie pourrait être tracée entre unité de la personne humaine et unité de l’Écriture Sainte, l’une et l’autre étant sous-tendues par l’unité et l’harmonie du corps et de l’esprit, de la lettre et de l’esprit. Comme dans le corps, on trouve dans la lettre de l’Écriture « les signes annonciateurs, l’expression et la promesse du don ». L’Écriture Sainte, tout comme la personne humaine, comporte une « structure spirituelle et corporelle déterminée » (48). Comme la lettre de l’Écriture, le corps comporte une dimension historique et théologique et porte un message, une signification, une promesse. Il ne constitue pas un simple fait brut.

  • 17 C’est ainsi que Vatican II affirme que « sous tous les changements, bien des choses demeurent qui ont leur fondement ultime dans le Christ, le même hier, aujourd’hui et à jamais (GS 10) » (53).

  • 18 Notons-le, l’encyclique souligne d’emblée, à partir de l’Écriture, le lien intrinsèque entre la foi et la charité, entre la foi et les œuvres. On ne peut pas parler seulement d’une option fondamentale de la foi : celle-ci engage dans un même mouvement la charité. Ce choix fondamental de la foi opérant par la charité (Ga 5,6) se précise tout au long de l’histoire du salut et, de manière particulière, dans l’harmonie des deux Testaments.

  • 19 Cf. aussi Jean-Paul II, Familiaris Consortio 84.

  • 20 Jean-Paul II, « Réconcilier les époux avec la vérité de leur amour ». Allocution à un « séminaire » sur la procréation responsable, du 1er mars 1984, n. 4, dans Doc. Cath. 1872 [81, 1984] 413.

  • 21 Bonandi A., « Veritatis Splendor ». Trent’anni di teologia morale, coll. Quodlibet 4, Milan, Glossa, 1996, p. 28.

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