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L’évolution actuelle des intellectuels en France

Quelles perspectives pour une pensée catholique ?

Bernard Peyrous
Le monde des intellectuels est, depuis longtemps, extrêmement présent en France. Il a connu une évolution décisive au lendemain de la seconde guerre mondiale et s’est constitué en une sorte de système clos qui promeut, par toutes sortes de canaux de diffusion, une forme de pensée d’abord largement inspirée du marxisme, puis de l’idéologie libertaire d’après 68. Ce système tend à devenir totalitaire. Il provoque actuellement une vague considérable de protestations et de contestations, au point qu’on pourrait parler d’une insurrection de la pensée. Dans ce contexte, le catholicisme peut avoir une place importante pour un renouveau de la pensée.

La question du rôle des intellectuels en France fait actuellement l’objet d’un débat à côté duquel il ne faudrait pas passer1. En effet, comme dans certains autres pays, l’évolution sociale y a été très tributaire, depuis longtemps, de l’influence de la « classe intellectuelle »2. Le débat en cours est si important que, de son issue, dépendra pour longtemps la possibilité ou non d’une évangélisation en profondeur de la France.

Dans le passé, le catholicisme a largement participé à la confrontation des idées, spécialement avant la première guerre mondiale et dans l’entre-deux-guerres. En cette période faste, le meilleur de l’intelligence française paraissait émaner du monde catholique3. Puis sa présence s’est largement effacée. Ne serait-il pas possible pour la pensée catholique de revenir dans ce circuit ?4 Le contexte n’évoluerait-il pas favorablement en ce sens ?

On me permettra de prendre le problème par son aspect historique et de partir d’assez loin. En effet, la question est complexe et évolutive ; la prendre « à l’horizontale », à « l’instant t », c’est se condamner à ne pas la comprendre. Le seul abord possible, me semble-t-il, repose sur l’étude d’événements récents, qui nous commandent encore, à cause des réactions qu’ils provoquent sous nos yeux.

I Existence et influence d’une « classe intellectuelle » en France

L’existence d’une « classe » intellectuelle en France est très généralement admise par les analystes. Ils en discernent la réalité au moins depuis la fin du XIXe siècle. Elle a traversé tout le XXe siècle avec des vicissitudes diverses. Par contre, la question de son influence sur les choix fondamentaux du pays est moins claire. Il faut donc y insister quelque peu.

1 Le passé

Il faut remonter au début du XXe siècle. À cette époque, qui « produisait de la pensée » en France ? Le réseau universitaire était peu important : il y avait seulement 42.000 étudiants dans tout le pays5 et les universités n’existaient que dans les grandes villes. Le nombre des enseignants du supérieur était réduit. Même dans le secondaire, les lycées étaient peu nombreux. En Gironde, par exemple, il y avait peut-être un enseignant de philosophie (deux au plus) à la Faculté des Lettres et un ou deux dans chacun des trois ou quatre lycées publics existant dans le département6. La « production » globale était donc faible. À Paris, le système universitaire était plus étoffé avec la Sorbonne, l’École Pratique des Hautes Études qui venait d’être créée, et l’École Normale Supérieure. Mais les Grandes Écoles constituaient un réseau réduit. La pensée universitaire — même si, individuellement, les enseignants publiaient beaucoup — était quantitativement peu importante.

Mais à cela s’ajoutaient d’autres lieux de production de la pensée : les salons qui jouaient un rôle réel à Paris, les maisons d’éditions, la presse. Il y avait aussi tout le réseau actif des Sociétés savantes qui irriguaient les provinces et s’étaient beaucoup développées depuis la guerre de 1870-71 et l’analyse qu’on en avait faite (une défaite « culturelle »). Enfin, il y avait le contre-pouvoir du catholicisme. Il reposait moins sur les Instituts Catholiques qui n’étaient pas les pôles majeurs de la pensée que l’on avait espéré à leur création, que sur le clergé lui-même. Il comprenait en son sein un grand nombre de membres instruits et parfois même savants. Si l’expulsion des religieux (1901) avait fait baisser la force intellectuelle du catholicisme français, elle demeurait cependant conséquente.

Si nous nous transportons en 1939, nous trouvons une situation globalement semblable. Le nombre des étudiants était monté à 78.000, sans augmentation correspondante cependant du nombre des enseignants. Il existait une pensée autonome dans les mêmes réseaux qu’avant la première guerre. Mais il faut signaler surtout l’existence d’une pensée contestataire de droite, très puissante et écoutée7. L’Action Française tirait à 100.000 exemplaires (plus que La Croix aujourd’hui), et Candide, dans ses belles années, à 340.000 exemplaires. Il faut se rappeler au passage que certains journaux français avaient alors quelques-uns des plus gros tirages du monde.

Il existait cependant un fort groupe d’« intellectuels progressistes » séduits par le marxisme, et plus ou moins proches du Parti Communiste. C’était l’époque où André Gide écrivait dans son Journal, le 23 avril 1932 : « S’il fallait ma vie pour assurer le succès de l’URSS, je la donnerais aussitôt ». Le « voyage à Moscou » fit partie des choses à faire pour une certaine intelligentsia qui n’eut pas toujours le courage de dire, en revenant, ce qu’elle avait vu réellement sur place. Un autre exemple en est le premier Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, organisé en fait par l’URSS, à Paris, en 1935, auquel participaient, entre autres, Gide, Malraux, Huxley, Brecht, Pasternak, Ehrenburg, etc… avec le soutien d’Henry Barbusse, Romain Rolland, Fernand Léger, Le Corbusier, Pierre Cot, Anatole France.

Pour nous résumer, on peut distinguer sans doute quatre tendances dominantes dans la pensée française à la veille de la seconde guerre mondiale : les intellectuels d’extrême gauche, la gauche classique rationaliste et scientiste de la IIIe République, la droite, et le monde catholique. Les événements allaient terriblement simplifier le tableau.

La défaite de 1940, puis la Libération, modifièrent en effet complètement la situation, en ce sens qu’elles créèrent un déséquilibre. Elles marquèrent la déroute de la pensée républicaine classique qui avait mené la France au désastre, puis d’une bonne partie de la pensée de droite qui s’était compromise avec Vichy. Ainsi les Français eurent le sentiment qu’on leur avait menti deux fois : d’abord avant 1940, puis au temps de la Collaboration. Il y eut comme une déroute de la confiance qui marqua profondément les esprits et facilita la suite.

À partir de ce moment-là, il fut difficile d’avoir une pensée constructive, intégrant le passé. Le schéma global de la réflexion s’orienta vers une vision critique de tout passé et même du présent, vers la négation de tout sens d’un monde ordonné. On estima que par définition le meilleur était pour demain. L’existentialisme marqua le premier avatar d’un mode de pensée critique dont le marxisme profita, et plus tard le structuralisme. Tony Judt a raison de caractériser les intellectuels de cette époque en parlant de « la passion… élevée à la dignité d’une philosophie, de nier la légitimité du présent au nom des promesses d’un avenir meilleur… Ils préfèrent à l’individu l’intérêt général ; aux incertitudes républicaines l’utopie révolutionnaire »8.

Dans ce contexte, il fallait être soit marxiste, soit proche du marxisme qui constituait, comme le disait Sartre, un « horizon indépassable » de la pensée. Le critiquer était s’exposer à la censure de ses pairs et s’exclure de la communauté pensante. L’aveuglement sur Staline, sur les goulags, fut total. Des événements comme le procès Kravchenko à Paris n’ouvrirent pas les yeux. Le communisme ne représentait, pour les intellectuels d’après-guerre, aucun danger dans la mesure où il allait dans le sens de l’avenir. Il pouvait tout se permettre. Il ne pouvait y avoir des erreurs plus graves que des « bavures ». Un esprit qui se disait libéré comme Sartre ne protesta jamais contre le Goulag et manifesta en ce domaine comme un record d’aveuglement, partagé par Picasso, Aragon, etc.

L’épuration d’après-guerre porta largement sur les postes d’enseignement universitaires9. On peut dire qu’à cette époque l’extrême gauche prit pour une bonne part les commandes de l’Université. Dans les années 1945-1950, il semble qu’environ les trois-quarts des étudiants de Normale Sup. étaient communistes, et le quart restant « Tala » (catholiques pratiquants). La situation était peu ou prou la même en Sorbonne10. Certains enseignements eux-mêmes comme les mathématiques, l’espagnol, la philosophie, la géographie, etc… furent plus ou moins colonisés jusqu’au niveau des jurys d’agrégation et des comités de recrutement des enseignants du Supérieur. Il en fut de même dans une partie des Grandes Écoles. Se mit ainsi en place un système qui pouvait s’auto-recruter à partir de principes idéologiques et de réseaux de clientèle, et qui ne fut jamais démantelé. C’est une des données les plus importantes de la France d’après-guerre11.

Les jeunes étudiants formés dans ce contexte devinrent rapidement agrégés et un certain nombre firent des thèses. Quand on regarde l’Annuaire de la Société des Agrégés, on est frappé du nombre d’entre eux qui ont divergé vers d’autres métiers que l’enseignement : médias, politique, haute administration, etc. Il se créa ainsi une communauté entre les médias, l’Université et la politique, le tout étant animé par une pensée d’essence « progressiste » fonctionnant en quelque sorte « en boucle ».

La crise de confiance qui, après-guerre, affectait le pays, se traduisit aussi par un effondrement des tirages de la presse sur qui la méfiance se porta. L’épuration radicale des journaux en 1944 ne permit pas, bien au contraire, le maintien des ventes. La presse fut dès lors bien plus faible qu’auparavant et le contre-pouvoir de droite y disparut. Par exemple, comme quotidien de référence, au Temps qui était à droite, succéda Le Monde qui est à gauche. Une revue comme Temps modernes constitua longtemps comme une référence obligée, comme un magistère de la pensée « progressiste ».

Une partie du monde intellectuel catholique demeura dans des formes de pensée « classiques » (je ne dis nullement : de droite), qui constituaient une autre option intellectuelle. Mais quelques-uns des intellectuels les plus brillants adoptèrent une pensée « avancée » qui comportait automatiquement une bonne part de critique de l’Église et d’acceptation de la situation nouvelle. Un bon exemple en est donné par Emmanuel Mounier dont la revue Esprit tirait alors à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires et eut une grosse influence. De nombreux Jésuites ou Dominicains évoluèrent aussi dans cette direction.

Ainsi, la France d’après-guerre n’eut plus que deux courants de pensée dominants : la pensée « progressiste » néo-marxiste et la pensée catholique, mais une partie de celle-ci adhérait en fait aux thèses de l’autre courant.

Jusque là, le débat était interne au monde intellectuel, mais la nation entière se trouva concernée vers les années 60, quand les Gaullistes décidèrent que l’accès à l’enseignement secondaire, puis supérieur, était un droit pour tous les Français. Tout le système éducatif se mit en mouvement. En 1950, 4,9% des jeunes d’une classe d’âge obtenaient le baccalauréat ; 19% en 1970 ; 62,7% en 197512. En quelques années, correspondant au pic des « Trente Glorieuses », on multiplia les lycées puis les universités et l’on augmenta dans des proportions extraordinaires le nombre d’enseignants du Supérieur et des Grandes Écoles. On passa de 194.000 étudiants en 1960 à 661.000 en 1970, puis à un système de onze millions d’enfants et jeunes scolarisés, dont un million d’étudiants, lequel constitua comme un véritable monde en soi. Il y avait 10.000 enseignants du Supérieur en 1960, dont 1960 professeurs, 41.000 enseignants en 1980, dont 12.100 professeurs. Le personnel recruté le fut dans le vivier que nous venons de décrire. Les professeurs de Faculté des années 60-70 sont les agrégés des années 50 et les docteurs des années 60. Les carrières rapides permirent à beaucoup d’exercer une grande influence dans les directions des programmes et dans les pédagogies nouvelles, à tous les niveaux de l’enseignement. Le tout en lien avec la puissante Fédération de l’Éducation Nationale qui, avec son immense budget et son personnel en propre, ou détaché de l’administration constitua, unie à certains partis politiques et à la Franc-Maçonnerie, une sorte de garde du système. L’Éducation Nationale servit ainsi de diffuseur de toute une culture issue des années d’après-guerre, non seulement dans des matières comme la philosophie, l’histoire ou les lettres, mais aussi dans la biologie ou dans le domaine de l’éducation sexuelle. L’enseignement ne fut pas neutre ni même laïc, il prit une coloration très typique13.

La diffusion des mêmes idées d’après-guerre se manifesta aussi dans les années 60-75 par la presse comme dans le journal Le Monde ou dans des publications dont l’influence se fit sentir alors : Libération, Le Nouvel Observateur, etc. Elle fut augmentée par l’arrivée de la télévision qui devint rapidement une référence pour l’opinion. Il faut redire qu’une grande partie des enseignants des écoles de journalisme, des directeurs de rédaction ou de collections, avaient été formés dans les mêmes moules que les enseignants du Supérieur et participaient de la même idéologie. Il en fut de même dans le monde du spectacle, particulièrement du cinéma.

Les événements de 68 furent préparés, on le voit bien maintenant, par tout un esprit issu de cette génération qui, après-guerre, prit les commandes intellectuelles de la nation. Or le pouvoir politique (officiellement à droite) réagit en entérinant, par le biais du ministre Edgar Faure, l’idéologie qui avait provoqué 68. Les idées « soixante-huitardes » devinrent normatives pour les nouvelles générations : « Il est interdit d’interdire ». Comme l’a dit justement le cardinal Lustiger, on assista à une sorte de « meurtre du père », c’est-à-dire de rupture avec le passé et avec toute référence objective, rupture érigée en dogme, mais sans esprit de construction ou de remplacement. La pensée libertaire, telle qu’elle était représentée par exemple dans les groupes trotskistes, exprime assez bien cela, ou encore celle d’un homme comme Wilhelm Reich au milieu de bien d’autres.

Dans ce contexte, il est clair que le fait religieux en général et l’Église catholique en particulier ne sauraient être admis14. Ce sont de honteuses reliques du passé et des freins à la libération des esprits. L’idée que l’Église catholique a un dogme objectif et qu’elle intègre le temps dans sa structure de pensée est insupportable. Affaiblis par leurs divisions politiques accrues par la guerre d’Algérie, troublés par une interprétation gauchie du Concile, les catholiques réagirent peu ou mal15. Une partie des intellectuels jésuites (Michel de Certeau), dominicains (M.-D. Chenu), laïcs (J. Delumeau, ACO, JOC, etc…), était passée à la pensée progressiste.

2 Une atmosphère totalitaire ?

Le problème posé par ce qui précède est le suivant : s’il est légitime d’admettre dans un pays démocratique des formes plurielles de pensée, la France n’a-t-elle cependant pas passé ce stade ? N’est-elle pas en réalité dans un univers du « culturellement (ou intellectuellement) correct » ? Ou, en d’autres termes, sommes-nous libres de penser librement ? L’enseignement public et les médias forment-ils à cette liberté ou au contraire nous prient-ils de nous conformer aux leçons qu’ils nous donnent ? Et même est-ce que le poids social de cette pensée dirigée n’augmente pas avec le temps ?

À cette question peut-être choquante, il n’est pas possible de répondre fermement par la négative. Il y a en France une situation de manque de liberté de pensée qui n’atteint pas que la classe intellectuelle parisienne mais touche, par le moyen des relais, l’ensemble de la nation, spécialement les plus jeunes. Il y a un conformisme imposé de la pensée et des pratiques morales (sensible par exemple dans le monde étudiant, lycéen, voire collégien, en matière sexuelle). La France n’est pas un pays occupé, mais son cerveau est peut-être partiellement occupé16. Et la situation n’a pas évolué positivement avec le temps, dans la mesure où une nouvelle génération d’intellectuels bien-pensants a succédé à l’ancienne sans remettre en cause ses méthodes.

Un livre récent, Les maîtres censeurs, d’Élisabeth Lévy, qui porte sur les dernières années, donne un éclairage sur le système en place17. « Voici la Chronique d’une décennie de plomb. Inculpation du passé, judiciarisation des mœurs, climat de délation, hantise de la vigilance, manichéisme accusateur, diabolisation des dissidences… Mais aussi propagande-spectacle, festivité sinistre et mépris du sens commun… Année après année, affaire après affaire, c’est la nouvelle censure, dans tous les états, son idéologie, ses mécanismes… »18. Il s’agit là d’un livre d’actualité et non d’un travail universitaire, mais il donne une idée intéressante, écrite par quelqu’un du sérail, sur la situation présente. Certains journaux (Le Monde, Le Nouvel Observateur, Libération) liés à des groupes politiques et médiatiques constituent, selon le mot de Régis Debray, comme un « clergé médiatique » dont la pensée est devenue normative, soumise à des inspirateurs comme Philippe Sollers ou Bernard-Henri Lévy. Toute autre forme de réflexion est diabolisée et réprimée.

On pourrait en proposer de nombreux exemples. Un entre mille est donné par les réactions au livre de Jean-Claude Guillebaud, La tyrannie du plaisir19, qui provoquait dans Libération des propos contre « l’abbé Guillebaud », « porte-parole des flics et des curés ». Il avait eu le malheur, à la fois d’attaquer un sujet tabou, de remettre en cause un culturellement correct considéré comme établi, et de citer négativement des déclarations pédophiles de Cohn-Bendit. On pourrait multiplier les exemples comme la réaction à l’interdiction par un préfet d’un concert du groupe rock « Nique ta mère », qui provoqua l’effroi des médias et une manifestation à laquelle se joignit même M. Douste-Blazy, alors Ministre de la Culture. Ou bien encore la manière dont fut présentée en France « l’épidémie » de Sida et l’institution du préservatif. Quand l’abbé Pierre osa faire quelques réserves lors d’une émission télévisée, il fut proprement lynché20.

Dans ce contexte totalitaire, une cible constante est l’Église catholique. On a constaté de nombreux côtés un grand durcissement de la position des médias face à l’Église par rapport aux années 60-70. Il y a vraiment un mépris affiché, voire comme un devoir de l’abattre. La position d’un journal comme Le Monde mériterait de longs commentaires21. Les grandes affaires de la période, comme l’affaire Drewermann, l’affaire Gaillot ou la venue de Jean-Paul II en France pour le quinzième centenaire du baptême de Clovis sont exemplaires. « Je déplore l’acharnement des médias contre l’Église catholique », disait Richard Boutry, ancien présentateur du soir sur France 3, parlant de « cette volonté de casser du curé à tout prix »22. On pourra faire des thèses entières sur le sujet23.

Une autre cible est constituée par la France elle-même. Le « parti intellectuel » en place estime qu’il est de son devoir, non seulement de la critiquer systématiquement mais même d’en détruire l’essence. C’est ainsi que Philippe Sollers parle de « La France moisie » et que Bernard-Henri Lévy cite son « visage d’ordure » en déclarant que le pétainisme n’est pas un accident historique mais une manière d’être, constitutive de la France24.

Cette prise en main de la pensée française est-elle productive ? On peut affirmer que non. Au bilan négatif de cette attitude, on peut mettre plusieurs choses. D’abord il semble bien qu’il y ait comme une stérilisation actuelle de la pensée française. Cela fut constaté de divers côtés. On a affaire à un micro-monde intello-médiatique qui n’a plus rien à dire et ne donne plus sa chance à une pensée différente. Un homme comme René Girard a réussi depuis les États-Unis. La France ne produit plus de prix Nobel de Littérature (ou autres). Cela est perceptible aussi dans le domaine de l’art officiel. On a fait remarquer que dans les grands musées internationaux, sur les artistes actuels représentés, 34,2% sont Américains, 29,9% Allemands, 7,5% Anglais et seulement 4,3% Français. Même s’il faut tenir compte de phénomènes de mode et de réseaux, la statistique dit quelque chose de l’échec et de la stérilité de la politique du Ministère en charge de la question25.

On constate également un éloignement du pays par rapport aux intellectuels en place, éloignement qui prend les allures d’un véritable divorce. Quel est le rapport entre les artistes financés par le Ministère de la Culture, les livres dont rendent compte les journaux de référence, et les Français ? Quel est le rapport entre les idées en place et les préoccupations légitimes des gens ? Entre un Boulez dont l’IRCAM (Institut de recherche et de création acoustique/musique) a eu un budget égal à l’ensemble des bibliothèques universitaires françaises et a peu de public, et les 150.000 spectateurs payants du festival de musique celtique de Lorient, où est le rapport26 ? On peut se demander si l’éloignement des Français du discours politique ne se double pas d’un éloignement des Français par rapport à la culture qu’on leur impose. Il suffit de parler avec les lycéens et les étudiants pour se convaincre de cet éloignement qui frise le rejet.

3 La situation des autres pays

On ne peut se consoler en regardant la situation des autres pays, même si elle est différente de nation à nation. Un peu partout, le libéralisme a abouti à des formes de pensée qui ne tolèrent pas la différence. Tout va bien si on pense comme tout le monde. C’est certainement le cas en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Un peu partout aussi, on a assisté à l’affaiblissement d’une pensée catholique autonome, voire contestatrice, particulièrement avec l’évolution des Facultés de Théologie en Allemagne et d’Universités entières comme Louvain ou Nimègue27.

Aux États-Unis, il y aurait une réflexion à faire (ou simplement à faire connaître en Europe) sur l’influence des Think Tank, qui fonctionnent comme des usines à pensée et vendent leurs idées aussi bien aux grandes entreprises qu’aux partis politiques. Elles ont joué un rôle majeur dans la diffusion de l’idée que le monde allant vers la surpopulation, il fallait pratiquer d’urgence l’avortement et aller vers une nouvelle définition des sexes en légitimant l’homosexualité grâce à la théorie des genres28. Actuellement, la Brookings Institution, qui est à gauche, est dépassée par les Think Tank de droite qui inspirent George W. Bush et son entourage : le Manhattan Institute de New York, l’Heritage Foundation, l’American Enterprise Institute, le Cato Institute29. Quel est le poids d’une pensée différente, et en particulier catholique dans ce contexte30 ?

II Réactions et questionnements : une déconstruction du système ?

Il suffit de connaître un peu l’histoire pour savoir que les excès totalitaires amènent en général des réactions, sauf si le système en place a réussi à tuer tout le monde. La simple existence de critiques montre ainsi déjà que la vie n’est pas morte. Mais encore faut-il que ces critiques soient d’une ampleur suffisante. Elles peuvent le devenir en particulier si elles naissent dans un contexte historique et humain favorable. Est-ce le cas ?

1 Effondrement ou affaiblissement des modèles en place

Nous pouvons certainement répondre positivement à cette question, à plusieurs points de vue au moins. Le monde actuel n’est plus celui des années 50-60 et l’environnement du système intellectuel en place s’est partiellement modifié à son détriment.

Il faut d’abord remarquer que l’effondrement du communisme a constitué un traumatisme considérable pour le monde intellectuel français. Celui-ci avait été largement contaminé par le marxisme et s’est montré aveugle vis-à-vis de lui31. La chute du système avait été précédée de sa ruine dans les esprits, à laquelle certains intellectuels avaient contribué, mais certes pas tous. Un certain nombre de personnes avaient ainsi quitté plus ou moins discrètement le Parti Communiste français, qui peinait de plus en plus à recruter des intellectuels. Certaines se sont livrées à des déclarations de repentance32. D’autres ont voulu écrire leurs mémoires33.

Cependant, le « système en place », lui, n’a pas fait, lui, son mea culpa. Reconnaître l’implication massive des intellectuels à la mode aurait abouti à décrédibiliser aussi leurs successeurs. On a préféré ignorer le traumatisme, mais on est parfois rattrapé par la réalité34. Ainsi, Le livre noir du communisme, sous la direction de Stéphane Courtois35, a-t-il eu un succès considérable : il s’est vendu dans vingt-cinq pays à un million d’exemplaires. Il a fallu lui donner une suite36 dans laquelle on pouvait écrire : « Face à un tel panorama de l’abominable, comment expliquer qu’à l’Ouest et en particulier en France… la mémoire du communisme soit encore glorieuse et son histoire apologétique ? »37.

Dans le cas français lui-même, la pensée « progressiste » a été largement discréditée par le carriérisme de certains de ses plus illustres représentants. Dès qu’on a eu les places, on s’est partagé les postes et l’on a servi les amis38. Les militants de base en ont été pour leurs frais39. Aussi les anciens soixante-huitards ont fait parfois de beaux parcours. On a constaté aussi des phénomènes d’entrisme inquiétants. Pour prendre deux exemples : Lionel Jospin a été convaincu d’avoir été infiltré dans le Parti socialiste par un groupe trotskiste et d’avoir caché vingt ans à ses compagnons de combat son appartenance initiale à cette organisation ; Edwy Plenel, actuel Directeur de la rédaction du Monde, a la même origine.

Comme le faisait justement remarquer Stéphane Courtois : « Le PCF a été très puissant dans la société surtout après 1945 et les marxistes demeurent influents dans l’enseignement, les médias et l’édition, ne respectant aucune neutralité. Certains manuels d’histoire contemporaine sont stupéfiants. Çà et là, on continue à inoculer des contrevérités et à nourrir la jeunesse d’utopies40. Qui va contrebalancer tout cela ? En outre, la mouvance communiste a largement pénétré la Fonction publique, avec l’avantage énorme de la sécurité de l’emploi… C’est aujourd’hui, de par un étrange paradoxe, le secteur le plus conservateur de la société »41. C’est une constatation que beaucoup de personnes ont faite.

2 La révolte de l’intelligence

Dans ce contexte, on a commencé à voir naître, puis se développer, une critique de l’intelligentsia en place. C’est toute une littérature qui a vu ainsi le jour et continue, puisque les causes persistent. On pourrait même parler, à mon sens, de « révolte », peut-être même d’« insurrection de la pensée ».

J’ai déjà cité des ouvrages comme ceux de Stéphane Courtois qui attaquent latéralement le sujet, ou d’Elisabeth Lévy et Régis Debray qui le prennent de face. Mais ceux-ci prennent place à côté d’autres ouvrages comme ceux de Patrick Rotman42, Georges Suffert43, François Bourricaud44, Jean Cau ou Jean Sévillia45, pour n’en citer que quelques-uns. En fait, la majorité des ouvrages ci-dessus référencés pourrait entrer dans cette catégorie.

Ce qui est frappant, c’est que la critique n’est pas faite au nom d’une idéologie quelconque. Elle est faite au nom des droits de la raison à penser librement. Se retrouvent ainsi des hommes de gauche et de droite, des membres du sérail ou des personnes d’autres origines. La critique s’étend non seulement au système lui-même mais aussi à ce qu’il inspire : les médias, la politique sous diverses formes46, une certaine conception idéologique de l’humanitaire, du féminisme47, de l’écologie48, ou telle conception de la cité et de l’intégration49, de l’économie50, de l’enseignement51, de la culture52, de l’individualisme53. Sur chacun de ces points, les parutions sont nombreuses, souvent pertinentes et décapantes54. Toutes se rejoignent quelque part.

Prenons par exemple les médias. Depuis quelques années, on constate que la liberté des médias en France est très relative, soit parce qu’on se focalise sur des informations sélectionnées sur des critères idéologiques, d’intérêt financier et sur l’audimat, soit parce qu’on fait l’impasse sur beaucoup d’autres pour des raisons souvent contestables55. Déjà Sophie Coignard et Alexandre Wickham56 avaient publié à ce sujet un livre à succès. Mais voici qu’a paru une rafale d’ouvrages issus parfois des milieux journalistes eux-mêmes et dénonçant avec force et compétence « la longue liste des interdits qui pèsent sur l’information en France »57 et le cynisme de la formation dans les écoles de journalisme58. Sur ce, le livre de Pierre Péan et Olivier Cohen sur Le Monde s’est vendu à 300.000 exemplaires en quelques semaines59. C’est un phénomène sans précédent, qui montre bien l’état réel de l’opinion face aux médias60.

On est donc conduit à constater que nous nous trouvons devant un phénomène massif de contestation, voire même de révolte, appuyé sur des dizaines d’ouvrages dont certains ont atteint le grand public. Un résumé de la pensée de ces auteurs pourrait sans doute être donné par un passage décapant de Jean Sévillia : « La France, dit-on, est le pays de la liberté. Dans le domaine des idées, cela reste à démontrer. Tout se passe comme si un petit milieu détenait les clefs de la vérité. Et ceux qui contestent son monopole sont victimes d’une censure insidieuse, qui les réduit au silence. Sur la scène politique, culturelle, médiatique, ce terrorisme intellectuel s’exerce depuis cinquante ans… Le terrorisme intellectuel est une mécanique totalitaire. Pratiquant l’injure, l’anathème, le mensonge, l’amalgame, le procès d’intention et la chasse aux sorcières, il fait obstacle à tout vrai débat sur les questions essentielles qui engagent l’avenir. Quand on se sera enfin débarrassé de telles méthodes, la France redeviendra le pays de la liberté »61.

3 Le temps des mises en garde

La contestation ne suffit pas. De nombreux auteurs, d’origine variée, vont plus loin et constituent des mises en garde. Il y a de bons livres dans ce domaine, qui complètent ce qui vient d’être dit62.

En effet, derrière le totalitarisme intellectuel en place pourrait bien se profiler la fin de la démocratie et comme une nouvelle barbarie. Il n’est donc pas suffisant de dénoncer des hommes ou un système, il faut aller plus loin et atteindre le fond même des raisons que les hommes ont de vivre ensemble. Une réflexion est donc engagée en ce domaine, et elle est certainement porteuse d’avenir pour le pays tout entier.

Par exemple, il est né toute une littérature d’avertissement et de réflexion sur la nature même de la France63. On ne peut pas faire vivre durablement un pays sur des bases contraires à ce qu’il est. La France s’est construite autour d’une tradition catholique d’une part, d’une pensée rationaliste d’autre part. Ne pas faire droit à la tradition religieuse et à la liberté de la pensée, c’est s’exposer à des réactions graves que des incantations ne suffiront pas à exorciser. Cette réflexion est venue de groupes absolument différents dans leurs options de départ64. Nous allons en reparler plus loin. Jean-Marie Domenach, chrétien de gauche, s’est livré à cette réflexion parce qu’il s’est aperçu que ses élèves de l’École Polytechnique étaient étrangers à leur propre pays : cela l’a beaucoup inquiété. « La France, dit-il, avait inventé une combinaison entre aristocratie et démocratie qu’elle appelait République, où les citoyens savaient mêler les agréments de la distinction aux avantages de l’égalité. “Vivre comme Dieu en France”, disaient autrefois les Allemands. Mais lorsque Dieu s’absente, le diable ne tarde pas à le remplacer »65.

Si la critique est une forme utile de la pensée, celle-ci se porte bien en France ! Nous sommes même, sans le savoir, dans une grande époque de la critique et, vu son objet, il n’y a pas à s’en plaindre. Reste à savoir si cette révolte se transformera en révolution. Fin 2002 le Süddeutsche Zeitung de Munich s’interrogeait sur « la reconstruction intellectuelle en cours » en France66. Nous assistons à tout le moins à une déconstruction perceptible même de l’étranger.

Je ne voudrais pas dire qu’il n’y a à l’heure actuelle qu’une entreprise massive de critique. On n’aurait pas de mal à trouver un peu partout des réflexions souvent courageuses dans des domaines qui ne sont pas à la mode. Par exemple la fidélité67 ou la pudeur68, dont il était impossible de parler dans maints milieux, font l’objet de publications de valeur.

III Quelles possibilités aujourd’hui pour une pensée catholique ? Un apport à une reconstruction ?

Le catholicisme, disions-nous plus haut, a apporté dans la première moitié du XXe siècle une contribution significative à la pensée en France. Est-il possible que cela se renouvelle, comme d’ailleurs l’histoire en a fourni dans ce pays de multiples exemples ?

1 Un contexte catholique plus favorable

Constatons d’abord que le catholicisme français a connu une période difficile, qu’il paye aujourd’hui, quand la crise religieuse a limité, durant les années 60-75, dans une certaine mesure au moins, la liberté de penser chez les chrétiens. Il fallait dans maints domaines se couler dans les moules de la pensée séculière. On pourrait développer ce propos69. La crise de l’Église amena aussi l’affaiblissement ou la destruction d’instruments précieux de réflexion et de travail de l’Église de France : disparition du Saulchoir, destruction de la bibliothèque de Fourvière, fermeture du centre jésuite des Fontaines à Chantilly, et passage de sa bibliothèque à la bibliothèque de Lyon, etc. Les fonds des bibliothèques religieuses liquidées ont approvisionné les libraires d’occasion durant deux décennies.

Mais le catholicisme est sans doute le premier corps social à s’être libéré de l’emprise du climat dominant. On peut dater le renouveau et la libération mentale de l’Église de France des années 75, qui constituèrent comme un tournant de l’apostolat, et donc de la pensée70. Le renouveau ne fut pas d’abord intellectuel, il s’exprima sous une forme mystique et évangélisatrice71. Mais il eut des conséquences intellectuelles, ne serait-ce que par la redécouverte immédiate de la tradition de l’Église et par la création d’une nouvelle culture catholique dont on ne peut nier l’existence dans la France d’aujourd’hui. Elle s’est exprimée à travers des livres, des revues, de nouvelles maisons d’éditions. Tout un réseau nouveau s’est mis en place à côté de l’ancien qui dysfonctionnait, et ce réseau est opérationnel.

En d’autres termes, les catholiques sont libres de penser différemment du système, ils ont les bases spirituelles et théologiques pour le faire, et l’existence des communautés nouvelles associée à des évêques plus dynamiques leur en fournit certains moyens et appuis.

Par ailleurs, dans un monde qui se cherche, il est impossible de faire abstraction de l’existence et de la pensée de Jean-Paul II. Celui-ci, au fil des années, a publié un corpus doctrinal immense dont aucun homme intéressé par la vie des idées ne peut faire abstraction72. Il a proposé au monde actuel, sous une forme renouvelée, de nouvelles raisons de vivre et d’espérer. À travers lui on a vu que l’Église avait quelque chose à dire et qu’elle n’avait pas peur de le faire. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Jean-Paul II fait partie du paysage, et il occupe même une bonne partie de la ligne d’horizon. Chateaubriand était persuadé qu’il avait rendu aux catholiques, par son Génie du Christianisme, une dignité dans le monde de la culture. À plus forte raison pourrait-on dire cela de Jean-Paul II dans le monde de la pensée.

Qu’on le veuille ou pas, les catholiques en France ont une capacité à penser librement qui n’est partagée au même degré, me semble-t-il, par aucun autre corps de la nation. Aucun autre n’a non plus au même degré des appuis dans le passé et dans le présent, hors des frontières du pays.

2 L’évolution de quelques personnalités

Un autre fait constatable est l’évolution positive, de notre point de vue, de plusieurs personnalités en place. Venues du système lui-même, elles en ont découvert les dangers et se sont peu à peu rapprochées du catholicisme, même si elles n’en adoptent pas toujours toutes les positions. Prenons quelques exemples.

Max Gallo est une personnalité bien connue du monde des lettres. Il a énormément publié dans les genres romanesque et biographique. Son roman, La baie des anges, a eu un succès international, ainsi que ses biographies de Napoléon, de Gaulle et Victor Hugo. Homme de gauche, il a été le porte-parole de Jean-Pierre Chevènement. Partisan farouche de la laïcité, il s’est battu dans le cadre du courant « souverainiste ». Or il s’est lancé récemment dans une nouvelle série intitulée Les Chrétiens, qui comprend trois ouvrages sur saint Martin, Clovis et saint Bernard73. Il est donc partisan d’un rapatriement de l’histoire de notre monde occidental, dont les bases sont d’origine grecque, juive et chrétienne. Interviewé sur ses motivations, il répondait : « L’enracinement chrétien de la France est aujourd’hui occulté… On ne peut amputer une collectivité d’une partie de son histoire. L’histoire de France est une totalité dont on ne doit rien exclure. Chacun peut privilégier une partie, mais l’histoire chrétienne et l’histoire républicaine participent toutes les deux à la sensibilité nationale »74.

Un autre cas est celui de son ami Régis Debray. Guerillero en Amérique du Sud avec Che Guevara, conseiller de François Mitterrand, Régis Debray est une des figures emblématiques de la gauche française. Depuis un moment, il est inquiet du développement d’une inquisition de la pensée. Il a publié un livre sur Dieu où on le sent intéressé par la foi. Constatant cette évolution ainsi que celle de Max Gallo, le journal Le Monde publiait en première page un article sur Le retour à Dieu de Régis Debray et de Max Gallo75. Chargé par Jack Lang de faire un rapport sur l’enseignement du fait religieux à l’école, il s’en est acquitté en montrant que ce fait religieux ne pouvait pas être évacué de la culture et de l’enseignement, sous peine de rompre complètement avec la tradition culturelle française.

Jean-Claude Barreau possède lui aussi un parcours intéressant. Issu d’une famille athée, il s’était converti et avait été ordonné prêtre. Il fut l’une des figures médiatiques du clergé de Paris dans les années 65, s’occupant alors spécialement des loubards. Il quitta l’Église au temps de la grande crise, entra en politique au Parti socialiste, se livra à l’édition, au journalisme, devint conseiller de François Mitterrand à l’Elysée et Président de l’Office de l’émigration. L’évolution de l’Islam et l’aveuglement des intellectuels et des politiques français le frappèrent, et il ne se gêna pas pour le dire, développant peu à peu une pensée libre et originale. Son trente-huitième livre Tous les dieux ne sont pas égaux a beaucoup marqué. « Simplement, ce livre est mon retour de Dieu à moi »76, écrit-il. Il y passe en revue toutes les religions : « Je crois profondément que tous les hommes sont égaux. Mais je sais aussi que leurs dogmes ne le sont pas. Je sais qu’il y a des dieux et des idées intolérables… Il y a des dieux qui rendent les gens plus intelligents, plus libres, en un mot, meilleurs. Il en est d’autres qui les rendent méchants, idiots, dangereux… La religion est faite pour relier les hommes. Quand elle divise et méprise, il s’agit d’une détestable perversion-invention… J’adhère à la confiance qu’ont manifestée les peuples de la Bible… Dieu est une personne que l’on doit absolument rencontrer au-dedans, au-dessus et autour de nous : spiritualité, transcendance, fraternité… Pour moi, Jésus pousse à l’incandescence les intuitions bibliques, il est le meilleur porte-parole dans l’ordre du religieux… En ce monde où toute chose semble éphémère, douloureuse et mensongère, s’il faut faire confiance en quelqu’un, ce ne peut être qu’à l’homme qui a dit les paroles des Béatitudes, ce ne peut être qu’en Jésus de Nazareth ».

Une autre figure est Jean-Claude Guillebaud, journaliste, directeur de collection au Seuil. Dans son œuvre abondante et extraordinairement libre du point de vue de la pensée, il est arrivé à la conclusion que le monde actuel a besoin d’être refondé, repris à partir de sa base77. Il déclarait dans une interview : « Il est sûr que nous finissons ce siècle avec la gueule de bois. Nous sortons d’une époque qui a été un gigantesque naufrage à tout point de vue, et nous abordons l’avenir avec l’étrange impression d’être emportés par des mécanismes qui nous dépassent complètement. On s’habitue à l’idée, terrible au fond, que la politique et la démocratie ne peuvent plus grand-chose contre les lois du marché et les logiques financières. De la même façon, on a l’impression, tout aussi désastreuse, que les progrès technologiques obéissent eux-mêmes à leur propre logique… Il me paraît… urgent non pas d’inventer de nouvelles valeurs, parce que ces valeurs existent, mais de retrouver clairement ce qui les fonde »78. Il est sûr que l’évolution intellectuelle de l’auteur le rapproche de plus en plus, à certains points de vue du moins, de positions constamment soutenues par Jean-Paul II, par exemple.

Guy Coq, dont nous avons cité le livre publié avec Isabelle Richebé, Petits pas vers la Barbarie, est un intellectuel de gauche, membre du Comité de rédaction de la revue Esprit, président de l’Association des Amis d’Emmanuel Mounier. Il a publié plusieurs essais critiques sur la société actuelle et qui témoignent de son évolution79. Dans un entretien publié par La Croix, il déclarait : « Je crois être un chrétien et je suis de gauche, mais je ne me considère pas comme un “chrétien de gauche” qui met en cause à tout propos son Église et sa hiérarchie ». Il déplore « l’effacement des repères collectifs et des valeurs communes »80 qui empêchent l’unité des sociétés actuelles. Contre la régression barbare, il plaide, comme Guillebaud, pour un nouvel idéal de civilisation.

3 Quelle pensée pour les catholiques ?

Remarquons d’abord que, même si le catholicisme français ne compte pas à l’heure actuelle de grands penseurs reconnus dans ses rangs, il y a tout de même des exceptions à cette règle. C’est le cas de René Girard, même s’il vit et enseigne aux États-Unis81. Nous avons là un laïc de réputation mondiale, qui a indiscutablement apporté quelque chose à la pensée, et auquel on se réfère. C’est une pièce incontournable de la réflexion sur le sacré et sur la violence, deux thèmes qui font malheureusement bon ménage ensemble ces dernières années.

Par contre, il est de fait qu’il y a à l’heure actuelle un grand nombre de catholiques, un peu partout, qui réfléchissent, qui produisent et qui dialoguent. Il est significatif que Le Figaro ait consacré, sous la plume d’Élie Maréchal, un article important au Nouvel engagement intellectuels des Catholiques français82, signalant en particulier qu’« à la différence de leurs aînés, ces nouveaux intellectuels fonctionnent en réseaux ». L’auteur explique d’abord que les Instituts Catholiques n’ont jamais eu autant d’étudiants. Cela n’est pas le point le plus significatif, dans la mesure où il s’agit surtout de formations techniques qui bénéficient du désintérêt actuel pour l’enseignement public. Mais plus important, par exemple à Paris, est le succès des formations de l’École cathédrale, du Centre Trinité, du Centre Sèvres. Il est clair qu’il y a actuellement un énorme effort de formation de la conscience intellectuelle en France. On retrouve cela dans les communautés nouvelles qui, là comme ailleurs, fournissent un vivier et ont multiplié les formations de tous types. On retrouve ce souci de formation au sein de l’épiscopat, qui est recruté à un niveau universitaire bien plus élevé qu’auparavant. On peut sans doute dire avec l’auteur que « jamais, sans doute, dans l’histoire du catholicisme français, le niveau intellectuel moyen n’a été aussi élevé ».

Ce mouvement s’est doublé récemment d’un effort de production de la pensée, soit par le biais de nouvelles maisons d’édition (éd. de l’Emmanuel, Pneumathèque, Presses de la Renaissance, Lessius en Belgique, etc…), soit de maisons d’éditions reprises et « rénovées » (Mame), ou qui ont surmonté courageusement la crise (Le Cerf), et aussi sous la forme de revues. Les revues des Jésuites, après une crise grave, ont vu leur tirage augmenter (Études : 15.000 exemplaires ; Projet : 4 à 5000 ; Christus : 8 à 9000). D’autres revues font un effort de communication comme Communio (1300 abonnés). De nouvelles revues se sont lancées et ne sont pas sans public : Sedes sapientiae (1300 exemplaires), Kephas (1700 exemplaires), Liberté politique (3000 exemplaires). Un peu partout, on assiste à des sessions et à des rencontres, spécialement sur les questions d’ordre politique et social ou encore de bioéthique.

Le plus intéressant peut-être est l’advenue d’un nouvel état d’esprit, qui n’est plus celui d’une religion complexée83. Du côté catholique, on est au-delà de la crise. Le même article du Figaro cite un prêtre sociologue, Guy Lescanne, qui affirme : « Depuis quelques années, j’observe un recul des complexes. Les Catholiques font entendre, avec une plus grande liberté et une assurance plus solide, leur partition, et même manifestent une humble fierté à se reconnaître chrétiens ». De son côté le Père Patrick Valdrini, recteur de l’Institut Catholique de Paris, déclarait dans cet article : « Sans aucun complexe, des gens viennent dialoguer, exprimer leurs questions : la sécularisation avancée fait que l’on s’interroge. Après l’écroulement des idéologies, il n’y a plus de grands systèmes structurants. L’Église, quant à elle, a évolué et paraît plus dialoguante ». Reste la question de la qualité de la pensée. Le Père Dumortier, jésuite, affirme de son côté : « Dans dix ou quinze ans, on verra que l’époque actuelle a été une phase de germination et de maturation importante. Si de grands noms d’intellectuels ne se détachent pas aujourd’hui, c’est que la génération des quinquagénaires a été très vite mise au travail pour la recherche et l’enseignement, sans avoir le temps de mûrir une œuvre »84.

Dans la pratique, qu’est-ce que cela peut donner ? Est-ce que les catholiques diront quelque chose à la société française ? Le risque serait de produire une pensée déconnectée des questions de la société actuelle, fonctionnant « en interne », avec son langage et ses problématiques propres. Or la plupart des auteurs que nous avons cités plus haut, branchés sur les problèmes de la France actuelle, n’appartiennent pas au monde catholique.

Si les intellectuels catholiques ne sont pas souvent en première ligne du combat tel qu’on peut le décrire, on constate par contre qu’ils ont des préoccupations de fond qui peuvent répondre à des interrogations profondes de la société. Membres d’une Église qui vit dans le long terme, ils ont le mérite d’aborder les questions par la base en se donnant le temps de les examiner. C’est certainement le cas dans le domaine de la bioéthique, de la réflexion écologique, de la réflexion sur la famille ou dans le domaine de la redécouverte de la doctrine sociale de l’Église. C’est certainement aussi le cas dans le domaine de la théologie spirituelle, rendant compte de l’expérience de Dieu face aux proposition des sectes et des religions orientales. Sur tous ces fronts de la pensée, et sans doute bien d’autres encore85, les chrétiens ne sont pas absents.

Dans ce qui précède, je ne prétends nullement faire le tour de la pensée catholique actuelle : ce serait simplement impossible. Je voudrais seulement signaler que, dans le contexte précédemment décrit, elle a sans doute ses chances. Peut-être la pensée catholique française se trouve-t-elle devant un moment à ne pas laisser passer, et peut-être a-t-elle certains moyens de le faire. De toutes manières, il est urgent que les chrétiens francophones fassent entendre sans complexes leur voix dans les débats en cours en tous domaines.

* * *

Le psychanalyste Tony Anatrella affirmait il y a peu : « Notre liberté est chaque jour détruite, mais nous refusons de le voir »86. Il semble cependant qu’un mouvement important s’est maintenant dessiné pour voir cela. Il paraît donc raisonnable d’affirmer que nous nous trouvons devant un monde à déconstruire et à reconstruire, dans le domaine intellectuel. Beaucoup de personnes qui ne se connaissent pas nécessairement, partagent la même analyse. Nous devons opérer une véritable révolution de la pensée pour fonder un monde plus libre et plus ouvert. Le catholicisme français doit tenir sa place dans ce contexte. On reparle actuellement du courage. C’est une vertu qui revient à la mode87. Nous avons là une bonne occasion de l’exercer.

Notes de bas de page

  • 1 La littérature sur le sujet est devenue abondante. Je ne donne ici qu’une bibliographie indicative et donc incomplète. Cf. aussi la recension du livre de J.-L. Jadoulle infra p. 508-511.

  • 2 Bonne bibliographie concernant la période 1944-1956 et même au-delà dans Judt T., Un passé imparfait. Les intellectuels en France, 1944-1956, Paris, Fayard, 1992, p. 380-381. Parmi les publications récentes, Debray R., Le pouvoir des intellectuels en France (1979), Paris, Gallimard, 21986 ; Ory P. & Sirinelli J.-Fr., Les intellectuels en France (Capes, Agrégation 2002). De l’affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Colin, 2002 ; Demieux Emm., Les nouveaux réseaux du pouvoir intellectuel en France, Paris, Denoël, 2003. Le débat est passé peu à peu sur la place publique ; un exemple : Forrest Ph., 50 mots clés de la culture générale contemporaine, Alleur (Belgique), Marabout, 1991, p. 154-163 ; Le Figaro Magazine, n° 1108, 8 nov. 2003 : en couverture : Penser autrement. Le retour des intellos.

  • 3 Parmi les analyses les plus informées, Gugelot Fr., La conversion des intellectuels au Catholicisme en France, 1885-1935, Paris, Éd. CNRS, 1998. L’auteur ne cite pas moins de cent cinquante intellectuels qui se sont convertis durant cette période.

  • 4 En écrivant cela, je ne nie pas qu’il existe actuellement des intellectuels catholiques actifs et en dialogue avec notre société. J’y reviendrai plus loin. Mais se pose la question de leur influence réelle dans la production de la pensée.

  • 5 Cf. Annuaire statistique de la France, t. 55, 1939, p. 29, tableau IX.

  • 6 En se rappelant que les chaires d’Histoire et de Littérature avaient aussi une autorité considérable.

  • 7 Cf. Loubet Del Bayle J.-L., Les non-conformistes des années 30, Paris, Seuil, 1969.

  • 8 Judt T., Un passé imparfait (cité supra, n. 2), p. IV de couverture.

  • 9 Cf. Novick P., L’épuration française, 1944-1949 (1968), Paris, Balland, 1985 ; Assouline P., L’épuration des intellectuels, 1944-1945, Bruxelles, Complexe, 1985 ; Singer Cl., L’Université libérée, l’Université épurée, 1943-1947, Paris, Les Belles Lettres, 1997. L’Histoire des Universités en France, Paris, Privat, 1986, passe significativement du chapitre 8, terminé en 1940, au chapitre 9 qui commence en 1950.

  • 10 Cf. Pruvot S., Monseigneur Charles aumônier de la Sorbonne, 1944-1959, Paris, Cerf, 2002.

  • 11 Cf. Cau J., L’ivresse des intellectuels, Paris, Plon, 1992, qui décrit avec ironie l’intelligentsia de la Rive gauche d’après-guerre.

  • 12 La comparaison demandant des nuances dans la mesure où l’on avait créé de nouvelles catégories de baccalauréats : les baccalauréats techniques et professionnels.

  • 13 Sans parler de l’implication des intellectuels dans le domaine politique, qui a été considérable et a inspiré des pans entiers de la pensée politique ; cf. Chebel dAppollonia A., Histoire politique des intellectuels en France, 1944-1954, 2 vol., Bruxelles, Complexe, 1999 ; Leymarie M., Les intellectuels et la politique en France, coll. Que Sais-Je ?, n° 3584, Paris, PUF, 2001.

  • 14 Cf. Rémond R., Le Christianisme en accusation, Paris, DDB, 2001, qui parle d’« une culture du mépris ». Bonne analyse de la pensée dominante par Boulnois O. & Michon C., « L’agonie du Christianisme ? », dans Christianisme. Héritage et destins, Paris, Livre de poche, 2002, p. 11-28.

  • 15 Cf. Cholvy G. & Hilaire Y.-M., Histoire religieuse de la France contemporaine, t. III, 1930-1988, Toulouse, Privat, 1988, spécialement p. 257-352 ; Pelletier D., La crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978), Paris, Payot, 2002 (avec une bonne bibliographie, p. 303-318).

  • 16 Cf. Revel J.-Fr., La tentation totalitaire, Paris, Laffont, 1976 ; Id., La nouvelle censure, Paris, Laffont, 1977 ; Chardon J.-M. & Lensel D., La Pensée unique : le vrai procès, Paris, Économica, 1998 ; Bichot J. & Lensel D., Les autoroutes du mal. Les structures déviantes dans la pensée, Paris, Pr. de la Renaissance, 1999.

  • 17 Cf. Lévy Él., Les maîtres censeurs, Paris, Lattès, 2002.

  • 18 Ibid., p. IV de couv.

  • 19 Paris, Le Seuil, 1998.

  • 20 Le rapport de la pensée dominante à la sexualité et ses conséquences sociales approvisionnera des thèses entières pour les générations à venir. Voir entre mille la réflexion de Rioufol Y., La tyrannie de l’impudeur, Paris, Carrière, 2000 ; Authier Chr., Le nouvel ordre sexuel, Paris, Bartillat, 2003.

  • 21 Voir tout récemment « L’information religieuse selon Le Monde », dans Chrétiens dans la Cité, n° 128, mars 2003.

  • 22 Interview dans Paris Notre-Dame, n° 900, 26 juillet 2001.

  • 23 Cf. Leclerc G., Pourquoi veut-on tuer l’Église ?, Paris, Fayard, 1996 ; Id., « L’Évangile face aux Médias », dans Les Cahiers d’Edifa, n° 12.

  • 24 Cf. Lévy B.-H., L’idéologie française, Paris, Grasset, 1981.

  • 25 Cf. Lévy Él., Les maîtres censeurs (cité supra, n. 17), p. 203-204.

  • 26 Soit dit avec un zeste de provocation et les choses étant ce qu’elles sont, bien entendu.

  • 27 George Orwell dénonçait déjà en 1944, en Grande-Bretagne, dans son roman longtemps inédit Animal Farm, le politiquement correct installé et la faveur accordée à l’Union Soviétique. Il y écrivait : « Il y a en permanence une orthodoxie, un ensemble d’idées que les bien-pensants sont supposés partager et ne jamais remettre en question… Quiconque défie l’orthodoxie en place se voit réduit au silence avec une surprenante efficacité », non par le gouvernement, « mais dans la presse populaire et dans les périodiques destinés aux intellectuels… L’orthodoxie intellectuelle exigeait une admiration sans réserve pour la Russie… Il est pratiquement impossible de faire imprimer aucune critique sérieuse du régime soviétique », publ. en France dans la revue Commentaire, n° 84, hiver 1998-1999.

  • 28 Cf. Schooyans M., La dérive totalitaire du libéralisme, Paris, Éd. Univ., 1991 ; Id., Le crash démographique, Paris, Fayard, 1999.

  • 29 Cf. The Economist (Londres) tr. dans Courrier international, n° 645, 13-19 mars 2003.

  • 30 Les États-Unis étant le pays de la prévision, il est fantastique de voir à quel point les intellectuels se sont trompés dans leurs prévisions catégoriques faites, il y a 30 ans : article de Reason de Los Angeles, tr. dans Courrier international, n° 502, 15-21 juin 2000. Le parallèle en Australie dans The Australian, de Sydney, tr. dans Courrier international, n° 469, 28 oct-3 nov. 1999.

  • 31 L’aveuglement sur le communisme s’est doublé d’un aveuglement parallèle sur les effets dangereux de l’Islamisme. Michel Foucault ne se félicitait-il pas de la prise du pouvoir en Iran par l’Ayatollah Khomeiny ?

  • 32 Comme Morin E., Autocritique, Paris, Seuil, 1959 ; Roy Cl., Moi je, Paris, Gallimard, 1969 ; Id., Nous, Paris, Gallimard, 1972 ; Id., Somme toute, Paris, Gallimard, 1976 ; Daix P., Tout mon temps, Paris, Fayard, 2001.

  • 33 Bibliographie utile dans Judt T., Un passé imparfait (cité supra, n. 2), p. 391-394.

  • 34 Cf. Rigoulot P., Les paupières lourdes. Les Français face au goulag, Paris, Éd. Univ., 1991 ; Bortoli G., Une si longue bienveillance. Les Français et l’URSS, 1944-1991, Paris, Plon, 1994. Voir ce que nous avons dit de George Orwell.

  • 35 Le livre noir du Communisme. Crimes, terreurs, répression, éd. St. Courtois, Paris, Laffont, 1997. Voir entre autres les réactions du journal Le Monde à la parution de l’ouvrage de Rigoulot P. & Yannakakis I., Un pavé dans l’Histoire. Le débat français sur « Le livre noir du communisme », Paris, Laffont, 1998.

  • 36 Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du Communisme en Europe, éd. St. Courtois, Paris, Laffont, 2002.

  • 37 Ibid., p. IV de couv. ; cf. aussi Druon M., La France aux ordres d’un cadavre, Paris / Monaco, de Fallois / Éd. du Rocher, 2000.

  • 38 Cf. entre mille, Conan É., « La génération gâtée », dans L’Express, 24 mai 2001.

  • 39 Cf. Hocquenghem G., Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, Paris, Albin Michel, 1986. Plus récemment : Malhuret Cl. (maire de Vichy, ancien PSU), Les vices de la vertu ou la fin de la gauche morale, Paris, Laffont, 2003, qui déclare dans le Figaro Magazine, 26 avril 2003 : « Ce livre sera mal accueilli par le camp du bien et en particulier par ses préposés à la police de la pensée ».

  • 40 Un avis récent tout à fait concordant dans Sévillia J., Historiquement correct, Paris, Perrin, 2003.

  • 41 Interview dans Famille chrétienne, n° 1297, 23-29 novembre 2002, p. 41.

  • 42 Cf. Rotman P., Les intellocrates : expédition en haute intelligentsia, Paris, Ramsay, 1981.

  • 43 Cf. Suffert G., Les intellectuels en chaise longue, Paris, Plon, 1974.

  • 44 Cf. Bourricaud Fr., Le bricolage idéologique, Paris, PUF, 1980.

  • 45 Cf. Sévillia J., Le terrorisme intellectuel de 1945 à nos jours, Paris, Perrin, 2000, avec une bonne bibliographie, p. 259-262, qui complète et actualise celle de Tony Judt.

  • 46 Cf. Lacam J.-P., La France, une République de mandarins, Bruxelles, Complexe, 2000 ; Desjardins Th., Arrêtez d’emmerder les Français, il y a trop de lois idiotes dans ce pays, Paris, Plon, 2000 ; Gauchet M., La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002 ; Schnapper D., La démocratie providentielle, Paris, Gallimard, 2002 ; Taguieff P.-A., L’effacement de l’avenir, Galilée, 2000 ; Manent P., Cours familier de philosophie politique, Paris, Fayard, 2002. Il existe chez Fayard une collection intitulée L’esprit de la cité, dans laquelle cet ouvrage a paru, et dont le titre dit déjà quelque chose.

  • 47 Cf. Badinter Él., Fausse route, Paris, O. Jacob, 2003 ; Heinich N., Les ambivalences de l’émancipation féminine, Paris, Albin Michel, 2003.

  • 48 Cf. Kohler P., L’imposture verte, Paris, Albin Michel, 2002.

  • 49 Citons par exemple Tribalat M. & Kaltenbach J.-H., La République et l’Islam, Paris, Gallimard, 2002 ; voir l’excellente interview de Michèle Tribalat dans France catholique, n° 2587, 22 novembre 2002 ; Kaci R., La République des lâches, Paris, Éd. des Syrtes, 2003.

  • 50 La critique du système économique actuel est tout un monde. Elle n’est pas faite seulement de manière technique mais intègre aussi parfois les droits de la morale et du bien commun. P. ex. Saint Marc Ph., L’économie barbare, Paris, Éd. Frison-Roche, 1994 ; Passet R., L’illusion néolibérale, Paris, Fayard, 2000 ; de Laubier P. & Audoyer J.-P., La société en questions, Paris, Éd. de l’Emmanuel, 2000 ; Lecaillon J., L’économie en questions, Paris, Éd. de l’Emmanuel, 2000.

  • 51 C’est un des domaines où la littérature de protestation contre le système est la plus importante et parfois la plus pertinente : Némo Ph., Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ?, Paris, Grasset, 1991. Bonne analyse des dernières parutions de l’époque dans Famille chrétienne, n° 1131 du 16 septembre 1999, qui signalait une dizaine de livres récents ! Cela s’étend à toutes les matières : les Lettres : Sauver les Lettres. Des professeurs accusent, postf. D. Sallenave, Paris, Textuel, 2001 ; Propositions pour les enseignements littéraires, éd. M. Jarrety, Paris, PUF, 2000 ; la Philo : Gaulbert D. (pseud. de Michael Sebban), La Philo ça prend la tête, Paris, Plon, 2001… Le récent document du ministre en exercice sur l’école n’est pas étranger à cette vague de contestation : Ferry L., Lettre à tous ceux qui aiment l’école pour expliquer les réformes en cours, Paris, O. Jacob / Scérén-CNDP, 2003.

  • 52 Cf. Fumaroli M., L’État culturel. Essai sur une religion moderne, Paris, Éd. de Fallois, 1991 ; Bonnier H., Lettre recommandée à Jack Lang et aux fossoyeurs de la culture, Monaco, Éd. du Rocher, 1992 ; de Saint Pulgent M., Le gouvernement de la culture, Paris, Gallimard, 1999 ; Domecq J.-Ph., Misère de l’art. Essai sur le dernier demi-siècle de création, Paris, Calmann-Lévy, 1999.

  • 53 Cf. Delsol Ch., Éloge de la singularité. Essai sur la modernité tardive, Paris, La Table ronde, 2000.

  • 54 Je ne cite pas ici davantage d’ouvrages, il y faudrait des pages.

  • 55 Cf. Trinquet D., Une Presse sous Influence, Paris, Albin Michel, 1992 ; Le lynchage médiatique, éd. G. Coq C. & Ch. Conte, Colombelles, Corlet, 1998 (contributions de trente auteurs) ; Volkoff Vl., Petite histoire de la désinformation, Monaco, Éd. du Rocher, 1999.

  • 56 Cf. Coignard S. & Wickham Al., L’omerta française, Paris, Albin Michel, 1999. « Les anecdotes décrites en disent long sur la façon dont la loi du silence en France empêche de porter à la connaissance de l’opinion des éléments de la réalité qui sont largement débattus par les politiques, les journalistes, les juges, les éditeurs et les grands patrons… C’est une tentation qui imprègne la société tout entière » (International Herald Tribune, tr. dans Courrier international n° 481, 20-26 janvier 2000). Deux figures de l’establishment, Poivre dArvor P. et Zemmour Ér. ont répliqué par Les nouveaux chiens de garde, Paris, Stock, 2000. Parlant de ses confrères influents, Sophie Coignard déclarait : « Ils disent maintenant que nous sommes des traîtres ».

  • 57 Interview de Bertrand Cl.-J., spécialiste de la déontologie des médias, dans Famille chrétienne, n° 1271, 25-31 mai 2002.

  • 58 Cf. Carton D., Bien entendu… c’est off. Ce que les journalistes ne racontent jamais, Paris, Albin Michel, 2003 ; Dor Éd. & Valette B., Les vertus du mensonge… Information-désinformation-manipulation, Paris, Sens & Tonka, 2002 ; Ruffin Fr., Les petits soldats du journalisme, Éd. Arènes, 2003 (une citation d’un intervenant dans la meilleure école de journalistes française : « Dans un an vous serez journalistes. Vous entrerez dans ce que j’appelle le complot de famille, c’est-à-dire des règles qui peuvent scandaliser les gens, bon, c’est ainsi, c’est comme ça que la machine fonctionne ») ; cf. aussi sur la perversité de certaines émissions : Lurçat L., La manipulation des enfants. Nos enfants face à la violence des images, Monaco, Éd. du Rocher, 2003 (une citation résumant un aspect des constatations de l’auteur : « Notre vie est désormais une vie sous influence… Être comme tout le monde c’est le modèle qu’on nous impose »).

  • 59 Cf. Péan P. & Cohen O., La face cachée du Monde : du contre-pouvoir aux abus de pouvoir, Paris, Mille et une nuits, 2003.

  • 60 Le livre de Legris M., Le Monde tel qu’il est, Paris, Plon, 1976, n’avait pas eu un tel impact bien qu’il ait dénoncé entre autres le soutien du journal à Pol Pot. L’époque était sans doute moins favorable à ce type de parole. Voir aussi sur le dossier, Schneidermann D., Le cauchemar médiatique, Paris, Denoël, 2003 ; Poulet B., Le pouvoir du Monde. Quand un journal veut changer la France, Paris, La Découverte, 2003.

  • 61 Sévillia J., Le terrorisme intellectuel… (cité supra, n. 45), p. IV de couv.

  • 62 Cf. Ferry L. & Renaut Al., La pensée 68. Essai sur l’antihumanitarisme contemporain, Paris, Gallimard, 1985 ; Finkielkraut Al., L’imparfait du présent, Paris, Gallimard, 2002 ; Coq G. & Richebé I., Petits pas vers la barbarie, Paris, Pr. de la Renaissance, 2001 ; Masset P., La dérive de l’humain, Saint Jean de Védas, La Plume déliée, 2002.

  • 63 Slama A.-G., dans Le Figaro du 7 mai 1992, constatait que le nombre de livres sur la question de la France ne cessait de croître depuis quinze ans. Il en citait déjà une douzaine.

  • 64 Cf. Cau J., Pourquoi la France ?, Paris, Table ronde, 1975 ; Chaunu P., La France. Histoire de la sensibilité des Français à la France, Paris, Laffont, 1982 ; Yonnet P., Voyage au centre du malaise français, Paris, Gallimard, 1993 ; Balland A., La France sur le divan, Paris, Plon, 1993 ; Tribalat M., Faire France, Paris, La Découverte, 1995 ; Barreau J.-Cl., La France va-t-elle disparaître ?, Paris, Grasset, 1997 ; de Villepin D., Le cri de la gargouille, Paris, Albin Michel, 2002 ; Rouart J.-M., Adieu à la France qui s’en va, Paris, Grasset, 2003. Voir aussi les pages de Sévillia J., Le terrorisme intellectuel… (cité supra, n. 45), p. 256-257.

  • 65 Domenach J.-M., Regarder la France. Essai sur le malaise français, Paris, Perrin, 1997, p. IV de couv., avec une bibliographie sommaire mais utile p. 201-202.

  • 66 Tr. dans Courrier international, n° 632, 12-18 décembre 2002.

  • 67 Cf. Singer Chr., Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies, Paris, Albin Michel, 2000.

  • 68 Cf. Bonnet G., Défi à la pudeur, Paris, Albin Michel, 2003 ; Selz M., La pudeur, un lieu de liberté, Paris, Buchet Chastel, 2003. Voir aussi Saint James R., Attends-moi. Les joies de la pureté dans la relation amoureuse, Marne-la-Vallée, Farel, 2002 (cf. infra, p. 519).

  • 69 Cf. Laloux L., Passion, tourment ou espérance ? Histoire de l’apostolat des laïcs en France depuis Vatican II, Paris, de Guibert, 2003.

  • 70 Cf. Cholvy G. & Hilaire Y.-M., Histoire religieuse de la France… (cité supra, n. 15), p. 453-484.

  • 71 En particulier, mais pas seulement, par l’intense mouvement de création des Communautés nouvelles, Landron O., Le renouveau communautaire dans le Christianisme français depuis le Concile Vatican II, Thèse d’Histoire, Montpellier, 2002, 3 vol.

  • 72 Il n’est pas indifférent que l’un des meilleurs historiens actuels de Jean-Paul II soit un spécialiste d’histoire des idées : Weigel G., Jean-Paul II témoin de l’espérance, Paris, Lattès, 1999.

  • 73 Cf. Gallo M., Les chrétiens, 3 vol., Paris, Fayard, 2002. Voir la recension dans NRT 125 (2003) 440-446.

  • 74 France Catholique, n° 2852, 18 octobre 2002. Une confirmation récente intéressante d’un philosophe et rabbin juif, Bernheim G., Réponses juives aux défis d’aujourd’hui, Paris, Textuel, 2003 : « Il y a une façon pour la France de nier ou de renier son passé catholique qui est un attentat contre elle-même, une grande source de perte d’identité et de désarroi pour les Français, et même une occasion d’incompréhension et de scandale pour les communautés religieuses installées de fraîche date ».

  • 75 Cf. Le Monde, 20-21 octobre 2002.

  • 76 Barreau J.-Cl., Tous les dieux ne sont pas égaux, Paris, Lattès, 2002, p. 11.

  • 77 Cf. Guillebaud J.-Cl., La refondation du monde, Paris, Seuil, 1999. Voir aussi du même : La trahison des Lumières. Enquête sur le désarroi contemporain, Paris, Seuil, 1995 et Le principe d’humanité, Paris, Seuil, 2001.

  • 78 Sud-Ouest, 23 septembre 1999.

  • 79 Cf. Coq G., Que m’est-il donc arrivé ? Un trajet vers la foi, Paris, Seuil, 1993 (récit de son évolution spirituelle).

  • 80 Interview dans France catholique, n° 2865, 17 janvier 2003.

  • 81 Cf. Girard R., La violence et le sacré, Paris, Grasset et Fasquelle, 1972 ; Id., Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, Le Livre de Poche, 1983 ; Id., Je vois Satan tomber comme l’éclair, Paris, Grasset, 1999.

  • 82 Le Figaro, 15-16 février 2003.

  • 83 Un son de cloche polémique mais assez significatif d’un état d’esprit dans Tillinac D., Le Dieu de nos pères. Défense du Catholicisme, Paris, Bayard, 2004.

  • 84 Le Figaro (cité supra, n. 82).

  • 85 Sans parler, bien entendu, de la question du fait religieux lui-même qui interpelle beaucoup à l’heure actuelle comme on l’a déjà vu plus haut. Voir par exemple aussi un auteur non-catholique (quoique spécialiste de saint Augustin) et réellement intéressant, Jerphagnon L., Les dieux ne sont jamais loin, Paris, DDB, 2002.

  • 86 Anatrella T., La liberté détruite, Paris, Flammarion, 2001, p. IV de couv.

  • 87 Cf. Lacroix M., Le courage réinventé, Paris, Flammarion, 2003.

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