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L’herméneutique générale et biblique à l’épreuve de la « tentation hégélienne » : le cas de Paul Ricœur

Olric de Gelis
En commentant les deux approches, ricœurienne et hégélienne, l’A. montre que la « médiation », dans l’acte de lire et de comprendre l’Écriture ne peut être absolue (comme le prétend Hegel), ni imparfaite (comme le suggère Ricœur), car l’acte de lire la Bible engendre chez son lecteur un nouvel être, avec un surcroît et une surabondance qui caractérisent l’acte de foi : le figuratif biblique intervient comme médiation dans la connaissance de soi, c’est-à-dire de son salut en Jésus-Christ. L’A. propose une troisième perspective, entre une médiation absolue et une imparfaite, qui serait celle de l’herméneutique spécifiquement biblique : le Christ est l’unique médiateur, car il nous a obtenu le salut « une fois pour toutes ». Cette médiation ouvre sur l’Absolu et se trouve cependant donnée toujours dans un clair-obscur : toucher la chair du Christ dans ses manifestations symboliques et être touché par lui dans l’intime de sa foi.

Introduction

La trajectoire dessinée par la figure de Hegel dans la pensée de Paul Ricœur ne se découpe pas dans l’évidence. D’abord parce que le philosophe ne l’a pas pris comme l’un de ses proches au même titre que Kant, par exemple. Et même si Hegel s’inscrit visiblement dans le cercle des « interlocuteurs seconds » de Ricœur, il n’est jamais choisi comme point de départ de la réflexion, ni gardé comme tel dans les conclusions. S’il intervient, ce n’est le plus souvent que dans le cours de la pensée, exerçant surtout sur elle une influence cachée. Mais si la trajectoire de la pensée de Hegel chez Ricœur n’est pas simple, c’est aussi pour une autre raison par laquelle commence à se dessiner notre sujet et qui tient au destin particulier de cette figure. Si nous prenons la période qui va du début des années soixante jusqu’à l’aube des années quatre-vingt-dix, on peut remarquer une certaine évolution dans la position de Ricœur vis-à-vis de Hegel. Au début de la période, ce dernier entrait dans la réflexion : régulièrement et paisiblement. Ricœur s’affirmait tranquillement « post-hégélien » : à ses yeux, l’heure n’était plus à la polémique anti-hégélienne parce que l’histoire avait prouvé, dramatiquement mais incontestablement, la faillite du système, voire de toute Totalisation en général. C’est ce qui apparaît à la lecture des essais sur l’Histoire dans le recueil Histoire et Vérité1 (1951-1966). Mais si nous avançons au seuil des années quatre-vingt, alors on pourra noter un changement. Car, même si Hegel n’a toujours pas intégré le cercle des interlocuteurs premiers, il se voit dorénavant cité dans un contexte très significatif. Il sera en effet maintenant question d’une « tentation hégélienne » pour Ricœur et, allant de pair, un « renoncement à Hegel » : la première expression se lit dans un article de 1979 sur la « raison pratique »2 et, associée à la seconde, dans le troisième volume de Temps et Récit3 publié en 1985. Manifestement, le rapport est moins paisible, et plus agonistique. Certes, le terme de « renoncement » montre que la position fondamentale de Ricœur n’a pas changé — et on le verra. Mais de manière significative, Hegel a soudainement laissé tomber le masque de simple témoin d’une époque révolue et se révèle plus profondément, aux yeux de Ricœur, comme une « épreuve » que la pensée ne pouvait ignorer. Un rapide coup d’œil dans Soi-même comme un autre, publié en 1990, révélera que la confrontation est durable, puisque Hegel occupe alors le troisième rang dans les interlocuteurs privilégiés par Ricœur, tout juste derrière Kant et Aristote.

Cet article ne cherchera pas à parcourir dans le détail l’ensemble des textes où s’élabore cette sorte d’explication mouvante avec Hegel. Il s’agirait plutôt, en scrutant ce revirement de position à partir de quelques contributions choisies, d’en tirer un double profit. D’abord, nous voudrions relever quelques éléments qui nous semblent pertinents pour une compréhension de l’herméneutique de Ricœur. Mais dans une perspective plus lointaine, nous voudrions aussi identifier les enjeux que ce débat induit dans le propre champ de la théologie. Car selon notre hypothèse, la trajectoire que nous venons d’esquisser fonctionne comme une « trace » qui aurait son foyer dans l’initiative ricœurienne des années soixante-dix : la décision de faire un détour herméneutique par la médiation des symboles et des textes. Ce faisant, nous dégageons la raison de la confrontation — et ce fond est suggestif pour le théologien : ce qui rapproche et distingue Ricœur et Hegel, ce qui commande la « tentation » et ce sur quoi repose le « renoncement », ce n’est ni plus ni moins que le pari en faveur de la médiation et le choix d’un type de médiation dans un contexte herméneutique. C’est à partir de ce point de vue que nous chercherons à esquisser « l’épreuve » que constitue, pour l’herméneutique générale et biblique de Ricœur, la tentation d’une médiation absolue proposée par Hegel, et d’en dégager les perspectives pour une pensée théologique.

1 Une pensée de la médiation

Qualifier la pensée de Paul Ricœur, dans le tour herméneutique qu’elle a pris, par l’expression de « pensée de la médiation » nous semble quasiment une tautologie. Il faut se rappeler en effet les raisons qui commandèrent historiquement le détour par les symboles et les textes, et qui sont identiquement celles pour lesquelles l’herméneutique n’est jamais devenue le but en soi de sa philosophie. En effet, qu’elle soit générale ou biblique, elle a toujours été guidée par l’objectif d’une compréhension de soi. On ne peut donc pas parler légitimement d’une greffe de l’herméneutique sur la phénoménologie sans rappeler aussi que cette phénoménologie fut elle-même investie dans une quête plus existentielle et qui vise la compréhension du « soi » immergé dans l’expérience de la finitude. Nous indiquons alors l’une des racines de la pensée de Ricœur : elle plonge dans la tradition de la philosophie réflexive française et en considère le philosophe Jean Nabert comme un représentant important. En définitive, tirant profit de ces multiples influences4, Ricœur soutiendra que l’interprétation d’un texte ne peut s’achever que dans l’interprétation de soi d’un sujet qui désormais se comprend mieux, se comprend autrement, ou même commence à se comprendre5. Et bien entendu, de manière similaire, les textes bibliques sont précisément ceux « dans lesquels l’existence chrétienne se comprend elle-même »6.

Que le Cogito, pour se comprendre, doive donc passer par une médiation, un texte, un symbole, voire l’Écriture, fait donc bien partie des options structurelles de la pensée de Ricœur :

Dès la symbolique du Mal, écrit-il, j’avais aperçu cette infirmité constitutionnelle du Cogito issu de Descartes : pour percer le secret de la volonté mauvaise, il faut faire le détour d’une sémantique et d’une exégèse appliquées aux symboles et aux mythes… Toute réflexion est médiate. Il n’y a pas de conscience immédiate de soi-même. La première vérité…, celle du je pense, je suis, reste aussi abstraite et vide qu’elle est invincible ; il lui faut être médiatisée par les représentations, les actions, les œuvres, les institutions qui l’objectivent ; c’est dans ces objets, au sens le plus large du mot, que l’Ego doit se perdre et se trouver…7

Dans ce texte de 1977, où l’on parle de médiation par les objets du langage, de la culture et des institutions et par laquelle le Cogito advient à la connaissance de soi, on peut déjà sentir qu’une franche confrontation avec Hegel deviendrait probable. Mais d’autres éléments, qui touchent à la dynamique de la pensée qui se médiatise, la rendront inévitable. Non seulement donc la nécessité d’une médiation, mais encore la formalité que celle-ci impose à la pensée devraient rapprocher Ricœur de son devancier d’Iéna.

En effet, l’entrée de Ricœur dans la médiation herméneutique ouvre d’autres questions, d’autres débats dont certains sont devenus célèbres. C’est notamment le cas de cette sorte de dialectique projective entre l’expliquer et le comprendre, dont on peut déjà remarquer qu’elle semble recouvrir la disproportion entre Verstand et Vernunft et leur promotion réciproque chez Hegel. Nous faisons allusion à l’un des débats les plus serrés que Ricœur eut, d’un côté, avec le structuralisme et sa tendance à enfermer le sens du texte dans la clôture de la forme et, d’un autre côté, avec l’herméneutique romantique de Dilthey et de Schleiermacher qui recherchaient le sens derrière le texte, dans les conditions supposées — voire devinées — de sa production. Ce n’est pas le lieu ici de rappeler tout cela ; il faut seulement indiquer que la position de Ricœur, contre le structuralisme et contre Schleiermacher, consiste à affirmer : 1) que le sens du texte, porté par sa forme, doit nécessairement aboutir à sa « référence », c’est-à-dire à sa prétention à dire vrai et donc à l’appropriation par le lecteur de cette référence (le « comprendre ») ; 2) que le jaillissement de la référence pour ainsi dire devant le texte dans la compréhension, et non derrière lui (comme le voudraient Schleiermacher et Dilthey), nécessite cependant un travail laborieux de la lettre elle-même (l’« expliquer ») ; 3) que ce travail appelle en retour la réduction de toute autoposition du Cogito dans laquelle c’est lui qui déciderait du sens au lieu de le recevoir du texte : « j’échange [alors], dit Ricœur, le moi, maître du texte, contre le soi, disciple du texte »8.

Dans ces trois éléments du débat apparaît tout le sérieux avec lequel Paul Ricœur considère la médiation textuelle ou symbolique en vue de la compréhension de soi. Ici, cette médiation est pensée en tant que telle : i) dans sa dynamique qui la caractérise comme médiation, puisqu’elle appelle la référence en avant ou au-delà de la structure ou de la forme du texte, en direction du « comprendre » ; ii) dans une relative indépendance vis-à-vis de l’origine du texte, ce qu’implique la dynamique que nous venons de relever et que garantit ailleurs la « fonction de distanciation » ; iii) dans sa contingence propre caractérisant l’indépendance dont nous venons de parler, puisque la médiation requiert le travail spécifique de l’« expliquer » et l’abandon de la certitude aprioristique du Cogito. Bref, le projet herméneutique de Ricœur tend à montrer que c’est par la considération de la médiation textuelle en tant que médiation, dans sa dynamique, sa contingence et sa consistance, que les différents impératifs de l’herméneutique peuvent se réconcilier : le travail d’explication de la lettre, l’exigence d’une compréhension de la référence devant le texte, ainsi que leur mutuelle promotion projective dans le fameux slogan : « expliquer plus pour mieux comprendre ». Tout ceci impliquant, en définitive, la réduction du Cogito à l’état de disciple dans le rude écolage de l’objectivité du texte.

Or, des accents similaires se trouvent chez Hegel. Il n’est point besoin de rappeler combien la pensée de Hegel est une pensée de la médiation. Mais si nous nous intéressons maintenant à la forme que cette médiation impose à la pensée, alors on remarquera ce qui suit. Dans la Préface à la Phénoménologie de l’Esprit9, après avoir condamné le caractère divinatoire de l’herméneutique de Schleiermacher, Hegel écrit : « Si… ce savoir substantiel sans concept prétend avoir plongé le propre soi dans l’essence, et ainsi philosopher vraiment et saintement, alors il se dissimule à lui-même qu’au lieu de s’être abandonné à Dieu dans le dédain de la mesure et la détermination, il laisse plutôt libre cours tantôt en soi-même à la contingence du contenu, tantôt en lui à l’arbitraire propre »10. Renonçant donc « à la fermentation déchaînée de la substance » dans l’illusoire intuition immédiate, il faudra plutôt se confronter à la médiation offerte par les déterminations objectives de l’Absolu. Or, en tant que telle, cette médiation impose l’exigence de l’analyse (Ricœur dirait : « explication ») par l’entendement (Verstand), tout en appelant un dépassement de l’analyse, car son pouvoir est celui de la négativité et de la mort. Ce qui importe, c’est plutôt de suivre la dynamique de l’Esprit jusqu’au bout et parvenir au « savoir rationnel » (Vernunft) : à la saisie de la vie par elle-même11, au savoir de soi (Ricœur dirait : « compréhension ») du Concept où l’Esprit est enfin chez soi. Voilà l’exigence authentique qui doit guider la dynamique de la pensée, en la faisant claudiquer pour ainsi dire en avant, entre Entendement et Raison, entre les déterminations à « expliquer » et le concept à « comprendre ». Or, en définitive, cette claudication, dans chacun de ses moments, devra porter en elle le dépouillement de la certitude de soi au profit de l’effectivité du concept ou de la science. Hegel propose donc, contre les magies de l’intuition immédiate ou des formalismes de l’entendement (qui ne sont que les recoins où se dissimule la certitude de soi du Cogito), à l’instar de Ricœur contre la divination de Schleiermacher et le structuralisme, une austère et lente dynamique médiatisée du concept. Certes, ce pourra être un travail douloureux : « en rapport avec la conscience de soi immédiate, [la science] se présente comme l’inverse de celle-ci, ou, puisque cette conscience de soi a dans la certitude de soi-même le principe de son effectivité, la science, quand ce principe est pour soi en dehors d’elle, porte la forme de l’ineffectivité »12. Mais c’est là seulement que la Philosophie devient ce qu’elle est, « le processus qui engendre et parcourt ses [propres] moments… »13.

En vérité, nous ne pourrions poursuivre cette (trop) rapide exploration sans énoncer un autre élément par lequel Ricœur s’approche de Hegel. Il s’agit de la question de la réinterprétation des traditions. Selon l’expérience commune que Ricœur adopte, nulle conscience ne commence à partir de zéro ; sa propre position est enracinée dans une culture, une communauté : bref, dans une structure qui joue dans la compréhension des textes et en anticipe le sens. Il s’agit des préjugés, dont Heidegger a analysé le rôle dans le fameux « cercle herméneutique », dans Sein und Zeit. Le monde du lecteur, d’où le lecteur est pour ainsi dire tiré, s’apporte et s’immisce dans la compréhension des textes. Sur cette question des traditions ou des préjugés au sens général, il est de notoriété que Ricœur dialogue davantage avec Gadamer et Habermas ; mais lorsqu’il s’agit de leur versant éthique, alors Hegel entre aussi en lice, comme le montre un article consacré à la raison pratique et que Ricœur publie en 1979. La question, transposée dans le domaine éthique, devient précisément celle de savoir comment une norme morale peut jaillir de la Sittlichkeit ou « substance éthique », c’est-à-dire de ce réseau de croyances axiologiques qui caractérise la communauté où nous vivons. Car aucun sujet ne commence éthiquement à partir de zéro : tous, nous héritons de notre milieu des normes préformant notre agir. Ricœur voit avec beaucoup de plaisir, dans la précompréhension de l’agir éthique que décrit le concept de Sittlichkeit chez Hegel, le dépassement de l’éthique kantienne de la pure formalité : de fait, écrit-il, « la spécificité du domaine de l’agir humain… ne supporte pas le démantèlement auquel condamne la méthode transcendantale [kantienne, entre a priori et empirique], mais tout au contraire requiert le sens aigu des transitions et des médiations »14. C’est donc, là encore, le choix de la médiation qui rapproche Ricœur de Hegel, contre Kant lui-même.

Par ces différents accents de la pensée de Ricœur, nous pressentons combien le visage de Hegel pouvait prendre un tour séduisant à partir du moment où devenait importante la considération pour elle-même de la médiation. Nous pouvons aussi estimer que c’est cette attention à la médiation qui donne tout son poids à la position « post-hégélienne », selon ses propres mots, que Ricœur revendique pour sa propre pensée. Mais c’est à partir de ce point-là aussi que la séduction pourra devenir tentation.

2 Entre médiation absolue et médiation imparfaite, « tentation » et « renoncement »

L’expression « tentation hégélienne » apparaît dans le dernier article sur la raison pratique que nous venons de citer15. Si on s’y intéresse, on verra alors que l’admiration sur laquelle nous avons fini notre première exploration devient une « tentation » à partir du moment où il devient question de la totalisation du sens des actions morales. C’est là que Ricœur se voit obligé de quitter le prolongement hégélien, où le savoir de l’État et le savoir de l’Esprit correspondent l’un avec l’autre et s’érigent tous deux en une nouvelle Sittlichkeit achevée, d’ordre institutionnel cette fois. Toutefois, ce que Ricœur refuse n’est pas la « synthèse de la liberté et de l’institution ». Ce qu’il n’accepte pas, c’est plutôt la primauté ontologique de l’Esprit hégélien qui se soumet la conscience subjective, et surtout l’idée qu’elle entraîne sur le plan de l’épistémologie morale et selon laquelle il suffirait de savoir l’État et donc l’Esprit pour obtenir le monopole de la science morale. En fait, s’exprime déjà ici le refus de la médiation absolue. Mais est aussi déjà affirmée la nécessité d’un retour posthégélien vers une pensée de la critique, structurée notamment par la critique des idéologies que Ricœur dérivera d’une conjonction des pensées de Habermas et de Gadamer.

Mais la tentation fait son retour et se présente plus fortement encore lorsque, déployant le concept d’identité narrative, Ricœur en formulera les prolongements communautaires. C’est dans Temps et Récit que la compréhension de soi par la médiation des textes acquiert pour la première fois son extension communautaire, comme le montre l’exemple de l’Israël biblique : de fait, observe-t-il, « la communauté historique qui s’appelle le peuple juif a tiré son identité de la réception même des textes qu’elle a produits »16. Or cette idée, qui pourrait revendiquer un fondement dans la théorie de la Formsgeschichte de von Rad, laisse précisément entrevoir l’émergence d’une conscience communautaire dans le travail de la médiation narrative. Mais telle est bien la question qui ouvrira le chapitre 6 de Temps et Récit, et la confrontation à Hegel : peut-il surgir de la fiction historico-narrative une conscience unitaire qui aurait le privilège d’un point de vue synthétique complet sur la totalité de l’histoire ? En clair, si nous voulions affiner la question, nous dirions que la séduction et la tentation hégéliennes se jouent dans cet écart assez fin qui existe entre une identité narrative communautaire, d’une part, et l’idée d’une conscience unitaire de l’histoire, d’autre part.

Mais là encore, la réponse qui est apportée pour l’essentiel dans Temps et Récit tient dans le refus massif de combler cet écart. Or ce qui est intéressant, c’est que Ricœur ne cherche pas vraiment à polémiquer avec Hegel, dont il commente la Raison dans l’histoire. C’est remarquable, parce que cela indique la formalité du « renoncement à Hegel ». Selon notre auteur, si l’idée d’une conscience unitaire ou totale de l’histoire est tout simplement devenue inacceptable pour nous, c’est précisément parce qu’est devenu lui-même inacceptable l’axiome qui la conditionne et selon lequel la Raison gouverne l’histoire tout entière au point que savoir la Raison, c’est précisément savoir l’histoire. Il faut bien comprendre : ce qui est en jeu, ce n’est pas la cohérence du système hégélien, c’est plutôt sa crédibilité : « l’honnêteté intellectuelle exige l’aveu que, pour nous, la perte de crédibilité de la philosophie hégélienne de l’histoire a la signification d’un événement de pensée »17. Ricœur poursuit alors, en appuyant son raisonnement dans une constatation historique : « le pas que nous ne pouvons plus faire, c’est celui qui égale au présent éternel la capacité qu’a le présent actuel de retenir le passé connu et d’anticiper le futur dessiné dans les tendances du passé… Car la compréhension par soi de la conscience historique naît précisément du caractère incontournable de ces différences… Ce qui, pour nous, a volé en éclat, c’est le recouvrement l’un par l’autre de ces trois termes : Esprit en soi, développement, différence qui, ensemble, composent le concept de Stufengang der Entwicklung »18. Comme le fait remarquer Jean Greisch, Ricœur porte ici sa critique à un niveau bien plus fondamental que n’importe quelle autre discussion sur la cohérence interne du système19.

Les conséquences logiques de ce refus peuvent maintenant apparaître. Même si l’Écriture peut informer une conscience communautaire, celle-ci ne peut plus s’arroger le droit d’un savoir absolu sur l’ensemble de l’histoire : il s’agit ici d’honnêteté, c’est-à-dire d’éthique intellectuelle, voire théologique. Car c’est la « systémicité » de l’histoire qui est réfutée et l’unité déclarée impertinente : l’histoire ne se dira jamais comme un collectif singulier. Mais du coup, relevant alors les implications les unes après les autres, Ricœur récusera dans la foulée et l’idée d’une Ruse de la Raison comme justification fallacieusement théologique du système, et l’idée même d’une effectuation de la Raison ou de l’Idée de liberté dans une histoire contemporaine, qu’il estime bien davantage marquée par l’affirmation de la différence et de la réalisation singulière.

Si nous prêtons maintenant attention aux développements explicitement bibliques et théologiques de sa pensée, on verra aussi jouer le même refus de la médiation absolue. Nous pensons par exemple à la dénonciation du « schème chrétien »20 en 1987, à savoir cette tentation de rapatrier tous les événements de l’histoire biblique sur une ligne continue de l’histoire depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse. Pareille théologie univoque de l’histoire, déplore Ricœur, a en effet tendance à privilégier la concordance rationnelle et logique (donc, la médiation absolue) sur la discordance que produisent toutes les tragédies de notre histoire ; par conséquent elle a tendance simultanément à évider de son mystère la Providence divine et à rendre vaine la lamentation de Job. Nous pensons encore à cette réflexion qui refuse de répondre à la question du mal par une simple justification onto-théo-logique. Nous venons de le dire à propos de la Ruse de la Raison ; ailleurs, en 1986, Ricœur revient sur cet aspect de la pensée de Hegel et conclut, en pensant aux grands drames du xxème siècle : « plus le système prospère, plus les victimes sont marginalisées. La réussite du système fait son échec. La souffrance, par la voix de la lamentation, est ce qui exclut du système »21.

À vrai dire, on pouvait entrevoir, comme anticipé, un refus identique de la médiation absolue dans quelques grands articles publiés entre 1975 et 197722. Il s’agissait alors du refus de voir le discours figuratif, et notamment biblique, disparaître dans la lumière blafarde du concept hégélien. La question possède évidemment son enjeu en théologie. Si l’on prête foi à la théorie de Ricœur, la Bible doit être tenue comme un Grand Poème où s’exprime, en des termes tout à fait uniques, la surabondance de la grâce de Dieu. Le « monde » que la Bible ouvre devant elle, et me propose dans la réappropriation et la lecture, c’est un nouvel être-au-monde, l’être-nouveau de l’homme régénéré en Dieu par Jésus-Christ. Mais cet être nouveau, selon Ricœur, ne s’exprime pas dans une logique d’équivalence qui serait celle du concept ; il se dit dans le poème biblique, selon une logique d’extravagance ou de surabondance. Car l’Écriture est le signe de la grâce, de l’irruption du Royaume. Mais selon l’Épître aux Romains, ce qui caractérise la grâce, même face à la prolifération du péché, c’est qu’elle « surabonde » (cf. Rm 5,20).

La question se formule donc ainsi : s’il est impossible de comprendre, c’est-à-dire d’interpréter et de s’approprier l’expérience décrite par la Bible sans une quelconque précompréhension philosophique, s’il est impossible de comprendre sans « penser » ou conceptualiser quelque peu cette expérience nouvelle, comment situer, l’un par rapport à l’autre, le langage figuratif de la Bible et la pensée conceptuelle, voire dogmatique ? Ricœur va réfléchir longuement à cette question ; il proposera une solution originale qui tient d’un arbitrage entre Kant et Hegel. D’abord, contre Kant et avec Hegel, Ricœur affirmera la valeur théorique et spéculative du figuratif biblique. Nous pouvons le comprendre maintenant si nous nous souvenons qu’avec Hegel, Ricœur affirme la nécessité et la positivité d’une médiation dans la connaissance de soi : la médiation étant ici le figuratif biblique, et la « compréhension », ou connaissance de soi, étant la connaissance de mon salut en Jésus-Christ. Ensuite, cependant, contre Hegel et de nouveau vers Kant, Ricœur dira qu’il est impossible, sauf à tomber dans une forme d’idolâtrie onto-théo-logique, d’épuiser le figuratif biblique et divin dans une quelconque clôture conceptuelle. Et de fait : puisque l’être-nouveau de la Bible est l’œuvre de la surabondance de Dieu, et puisqu’en cela il témoigne du Dieu infini, alors son expression poétique elle-même se déclare irréductible à l’analyse et au concept.

Mais c’est en effet radicalement contredire Hegel qui, dans la Préface de la Phénoménologie de l’Esprit, écrit ce qui suit de la Figuration (Vorstellung), c’est-à-dire des images, des symboles et des constructions dogmatiques (par ex. la Trinité) : « le bien-connu en général est justement, parce qu’il est bien connu, inconnu. C’est la façon la plus commune de se faire illusion et de faire illusion aux autres que de présupposer dans la connaissance quelque chose comme bien connu et de s’en satisfaire… »23. C’est qu’il faut soumettre, selon lui, toutes ces représentations à l’Aufhebung de l’entendement, c’est-à-dire à l’analyse qui les supprime ; refuser ce mouvement, c’est demeurer dans le bien-connu, l’illusion, l’ineffectivité et finalement dans la mort :

La mort, si nous voulons donner son nom à cette ineffectivité, est la chose la plus redoutable et soutenir ce qui est mort est ce qui exige la plus grande force. La beauté sans force [de la figuration] hait l’entendement, parce que l’entendement attend cela d’elle et qu’elle ne peut le faire. Ce n’est pas la vie qui recule d’horreur devant la mort et se préserve pure de la destruction, mais la vie qui supporte la mort et se maintient en elle qui est la vie de l’esprit24.

Voilà pourquoi le passage de la figuration au concept peut représenter une épreuve pour certains, dont les hésitations suscitent une certaine impatience de la part de Hegel : « pour ceux qui sont accoutumés à suivre le cours des représentations, l’interruption de ce cours par le concept est aussi importune qu’elle l’est pour la pensée formelle, dont l’argumentation va et vient à travers des pensées ineffectives »25. Bref, Hegel, dans une sorte d’anticipation de Bultmann avant l’heure, suggère l’urgence de la dissolution de la figuration dans le concept, lequel s’identifie avec la pleine conscience de soi de la communauté chrétienne sous le règne de l’Esprit. Mais un tel passage du figuratif au concept, même sous le signe de l’Esprit-Saint, est-il seulement possible si le figuratif est l’expression d’une surabondance divine ? Et est-il surtout possible si ce figuratif biblique, comme nous le croyons, est dans cette connexion intime avec la Chair même de Jésus-Christ ?

Il faudra donc bien un concept (avec Hegel) pour nous autoriser à penser authentiquement le langage biblique en tant que signe du Salut de Dieu, mais un concept qui respecte cependant sans cesse la transcendance de la Révélation (avec Kant), c’est-à-dire qui refuse à son égard la prétention d’une totale compréhension : c’est précisément le rôle de ce que Ricœur appellera la « conceptualité de la limite ». Celle-ci porte en elle la marque du choix de Ricœur en faveur de la médiation, en même temps que son refus de la médiation absolue dans une logique hégélienne. Cet arbitrage a été qualifié par l’auteur lui-même de « retour post-hégélien vers Kant ».

3 Conclusions et perspectives

Ceci possède des implications importantes qui, selon nous, caractérisent ce que nous pouvons appeler maintenant la « médiation incomplète » (ou « systématicité brisée ») chez Paul Ricœur. Nous nous proposons de les ramasser succinctement dans les trois points suivants.

1. À l’inverse d’une méthode transcendantale, l’herméneutique de Ricœur se présente comme le choix de la médiation. Elle prend acte du fait qu’il n’y a pas de vérité sans altérité, sans sortie hors du Cogito. Proche en cela de la philosophie hégélienne, elle estime que la vérité doit emprunter le long détour de la médiation de soi à soi mais passant hors de soi, sans laquelle le soi reste vide : nous l’avons explicité lorsque nous présentions la dynamique projective de l’expliquer et du comprendre dans l’ambiance de dépouillement qui affecte le Cogito. On pourra comprendre maintenant que, dans une telle herméneutique, la vérité peut apparaître, se révéler. Confirmant d’ailleurs en cela la ligne hégélienne, elle doit jaillir dans les ténèbres de la pure certitude de soi et se donner comme événement. En herméneutique biblique, on pourrait dire, avec quelques accents barthiens, que Dieu et Jésus-Christ se donnent dans le dynamisme de la médiation scripturaire comme événements de conscience à l’intérieur des relations vivantes encadrées par le texte. Mais on pourrait retrouver aussi quelques accents de la Somme de saint Thomas qui n’envisageait aucun être créé en dehors d’une relation au Dieu vivant et agissant.

Mais dire que la médiation est une sortie hors du Cogito, grâce à laquelle la vérité se donne comme événement, c’est aussi considérer comment elle se lie indissolublement avec le monde extérieur. Nous ne commençons pas à partir de zéro, mais nous sommes situés dans une culture et une communauté ; une tradition qui nous précède nous a façonnés. La médiation inclut cela, tant Ricœur que Hegel l’ont reconnu : « l’individu, dont la substance est l’esprit à un stade plus élevé, parcourt ce passé de la même façon que celui qui entreprend une haute science parcourt les connaissances préparatoires qu’il possède depuis longtemps, pour s’en rendre le contenu présent. Il évoque leur souvenir sans y fixer son intérêt et y séjourner »26. De même, dira Ricœur, aucune recherche de la vérité ne peut se passer de la tradition, qu’il faut accueillir pleinement et réactualiser en réinterprétant.

En rappelant tout cela, nous rappelons combien certains éléments de la pensée de Ricœur laissent suggérer une réelle proximité vis-à-vis de la pensée de Hegel, du moins tant que n’est pas posée la question d’une transparence de la totalité de l’histoire à une conscience totale, c’est-à-dire la question de la médiation absolue.

2. Le second élément à relever tient à la critique que Ricœur adresse à Hegel et le refus de cette médiation absolue pour manque de crédibilité. À ce stade, nous apporterions volontiers notre accord au jugement de Ricœur : ce qui nous semble de fait difficilement tenable, c’est cette espèce de transparence de la médiation absolue qui tient la totalité de la forme comme expression totale de l’Absolu et, par conséquent, la possibilité d’une conscience totale, unitaire ou systémique de l’histoire. Il est difficile de faire rentrer les victimes dans un système, ou de résoudre la question qu’elles nous posent par une explication esthétisante de la providence divine. Si, pour reprendre le titre d’une leçon de Mgr Léonard, Hegel signifie le « triomphe de la négativité »27, force est de reconnaître que ce triomphe laisse un goût amer, ce en quoi il avoue son échec au moment précis où il veut proclamer sa victoire. Mais disons plus encore, en rappelant le fondement de la critique de Ricœur : il ne s’agit pas d’assurer le simple découplage de l’Esprit objectif et de l’Esprit subjectif. Il s’agit d’affirmer le manque de crédibilité de l’idée même d’Esprit objectif, que ce soit celui des peuples ou du monde, et donc aussi la possibilité d’un savoir de cet Esprit. Comme le dit Ricœur, « ce sont les grandes forces anonymes de l’histoire qui captent notre attention, nous fascinent et nous inquiètent… »28. Ainsi, le rejet de l’hégélianisme par Ricœur, que nous avons tâché de dessiner comme refus de la médiation absolue, nous semble réellement pertinent. Il vaut encore la peine de prendre conscience qu’il ne s’agit pas ici d’un mouvement isolé dans la pensée contemporaine. Selon la constatation de Ricœur, « l’effondrement incroyablement rapide de l’hégélianisme, en tant que pensée dominante, est un fait de l’ordre des tremblements de terre »29 ; et c’est pourquoi « c’est un événement de pensée »30. Le théologien Karl Barth, quelques trente ans plus tôt, tenait déjà un langage similaire, ce qui tendrait à montrer qu’il s’agit peut-être là d’un effondrement rapide mais qui prend la forme d’une véritable tendance dans la pensée31.

3. La troisième chose à relever tient cependant à l’arbitrage proposé par Ricœur. Car il devient manifeste que le refus de la médiation absolue et l’option en faveur d’une médiation qualifiée d’incomplète (ou d’imparfaite) ont pour conséquence le choix d’une pratique philosophique qu’on a pu remarquer — et qui pourrait acquérir avec cette enquête une explication nouvelle. Or, dans le chapitre 7 de Temps et Récit, cette pratique nous apparaît précisément dans sa connexion intrinsèque avec le « renoncement à Hegel ». Ricœur y explique comment, la médiation absolue étant rejetée, il ne peut plus rester qu’une solution modeste de « présomption » de vérité fondée sur une double remise en question. Il s’agit d’abord de la réinterprétation « critique » des traditions reçues du passé selon le schème de la critique des idéologies, et il s’agit aussi de la soumission de cette vérité à l’espérance selon laquelle nous attendons une connaissance plus complète. Ricœur ajoute alors : « avec cette notion de présomption de vérité…, un pont est jeté entre l’inéluctable finitude de toute compréhension et l’absolue validité de l’idée communicationnelle »32, c’est-à-dire des conditions idéales dans lesquelles la vérité se donne sans distorsion. Mais puisqu’il est manifeste que cet idéal se situe toujours et encore à l’horizon de l’histoire, la conclusion devient irrémédiable : le refus de la médiation absolue et le choix d’une médiation imparfaite ont pour corollaire, dans l’herméneutique générale et biblique de Ricœur, le refus de tenir une vérité pour acquise et définitive. Au demeurant, nous retrouvons bien là cette pratique philosophique que Ricœur décrivait lui-même en usant du mot d’approximation33. Ne se revendiquait-il pas davantage d’une pensée fragmentaire qui procède par restes ou alternances successives, tout en s’avançant depuis l’arrière-fond d’une systématicité brisée et de la défaite du Tout34 ?

Or, à la réflexion, la question se pose de savoir s’il ne s’agit pas ici d’une autre épreuve pour l’herméneutique spécifiquement biblique, et peut-être aussi pour l’herméneutique générale. Peut-elle se contenter d’esquisse et de présomption, même en étant guidée et motivée par l’espérance d’un surcroît ? L’expérience chrétienne pourrait en douter, me semble-t-il, lorsqu’elle dit du Christ qu’il est l’unique médiateur ; lorsqu’elle confesse que le Salut a été effectué une fois pour toutes, c’est-à-dire d’une manière absolument indépassable même dans sa forme, et que l’histoire marche résolument vers sa fin ; lorsqu’elle affirme que l’Église peut indiquer fermement le sens à donner à certains passages de l’Écriture, les vérités à tenir et les doctrines à rejeter ; ou quand elle se voit enfin capable d’attester, avec toute la certitude de la foi, que « ceci est le Corps du Christ ». Autant de lieux où, sans qu’il soit pour autant question d’une médiation absolue à la Hegel, il doit être tout de même possible de tenir quelque chose pour acquis et de s’engager définitivement en sa faveur.

C’est pourquoi, nous voudrions proposer un troisième type de médiation : ni la médiation absolue de Hegel — qui concède trop au Concept et à l’hybris de la Raison ; ni la médiation imparfaite de Ricœur — qui ne concède pas assez à la raison et à son pouvoir d’affirmer ; mais une médiation certes unique (et, en ce sens, universelle) ouvrant sur l’Absolu et, cependant, dans un mélange de lumière et d’obscurité. Un « unique médiateur » nous a été donné. Sa Chair ressuscitée, dans son unicité et sa contingence absolue, dit à la fois l’effectivité du don, la lumière de sa présence et l’obscurité de son explicitation, de sorte qu’aucune reprise conceptuelle ou spéculative de l’Écriture ne pourra dire en avoir fait un jour le tour. Si maintenant nous émettons l’hypothèse que la réception sensible ou « palpable » du Christ Ressuscité par les Apôtres pendant les quarante jours de Pâques a pu être au fondement de la compréhension chrétienne du mystère — et ainsi, sa Chair s’affirmera comme le gardien de l’irréductibilité de l’Écriture —, alors nous pourrons conclure que la dogmatique devra se contenter de le « toucher » dans la foi : peut-être en tâtonnant, mais elle y trouvera la possibilité de l’affirmation et la raison de sa certitude35. Car toucher la chair du Christ, et être touché par Lui, voilà comment peut s’exprimer — d’une manière encore imparfaite — le lien que nous cherchons, et qui pourrait articuler l’une sur l’autre la nature objective de cette médiation universelle du Christ dans l’Esprit (et l’Église !), donnée une fois pour toutes comme une sorte de Sittlichkeit de la grâce, et le libre déploiement des subjectivités qui répondent à son appel.

Ou pour le dire autrement et pénétrant davantage dans les profondeurs de l’âme, il se pourrait bien finalement que les recherches, les questions, les angoisses et les espoirs des hommes, tout comme notre lecture de l’Écriture, soient fondamentalement saisis comme par derrière, puis guidés et orientés par ce Christ vivant et vivifiant dans sa chair, ou bien comme par une irréductible spontanéité supérieure36 qui resterait cependant toujours en deçà de la critique : tout simplement parce qu’elle nous est trop intime. Il se pourrait bien, de même, que cette spontanéité puisse entrer silencieusement dans l’élaboration des critères par lesquels nous reconnaissons, attestons et pouvons même tenir la Vérité dans l’histoire : tout simplement parce qu’en définitive, nous sommes d’abord saisis par Elle.

Notes de bas de page

  • 1 Par exemple, dans « Histoire de la philosophie et historicité », Ricœur porte ce jugement contre la systématisation de l’histoire dans la pensée de Hegel : « le triomphe du système, le triomphe de la cohérence, le triomphe de la rationalité laissent un gigantesque déchet : ce déchet est justement l’histoire » : P. Ricœur, Histoire et vérité, 3e édition, Seuil, Paris, 1966, p. 69.

  • 2 P. Ricœur, « La raison pratique », dans Du texte à l’action. Essais d’herméneutique 2, coll. Points-Essais n. 377, Seuil, Paris, 1986, p. 263-288.

  • 3 P. Ricœur, Temps et récit. 3. Le temps raconté, coll. Points-Essais n. 229, Seuil, Paris, 1985.

  • 4 Dans cette investigation à propos du sujet, il convient aussi de mentionner les parts de Gabriel Marcel, d’Emmanuel Mounier et de Karl Jaspers. Cf. P. Ricœur, Réflexion faite, Éditions Esprit, Paris, 1995, p. 16-18.

  • 5 Cf. P. Ricœur, « Qu’est-ce qu’un texte », dans Du texte à l’action… (cité supra n. 2), p. 170.

  • 6 P. Ricœur, « Nommer Dieu », dans Lectures 3. Au seuil de la philosophie, coll. Points-Essais, Seuil, Paris, p. 305.

  • 7 P. Ricœur, « Herméneutique de l’idée de révélation », dans La Révélation, Publication des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1977, p. 43-44.

  • 8 P. Ricœur, « Phénoménologie et Herméneutique : en venant de Husserl », dans Du texte à l’action … (cité supra n. 2), p. 60.

  • 9 Hegel, G.W.F., Préface à la phénoménologie de l’Esprit, Éd. Bilingue trad. J. Hyppolite, Aubier, Paris, 1966.

  • 10 Ibid., p. 31.

  • 11 Ibid., p. 123 : « La science peut s’organiser seulement par la vie propre du concept ».

  • 12 Ibid., p. 67. Voilà pourquoi la claudication, l’écolage pourra être rude et long, selon Hegel, et pourquoi il pourra bien exciter l’impatience.

  • 13 Ibid., p. 109.

  • 14 P. Ricœur, « Raison Pratique », Du texte à l’action … (cité supra n. 2), p. 277 (je souligne).

  • 15 Il se pourrait bien que ce soit ici la première fois que cette expression apparaît. Cf. E. Brito, « Hegel dans Soi-même comme un autre », dans Laval théologique et philosophique 51, 2 (juin 1995), p. 401.

  • 16 P. Ricœur, Temps et Récit 3… (cité supra n. 3), p. 445.

  • 17 Ibid., p. 365.

  • 18 Ibid., p. 368-369. Je souligne.

  • 19 J. Greisch, Paul Ric œur. L’intinérance du sens, coll Krisis, Éditions J. Millon, Grenoble 2001, p. 227.

  • 20 P. Ricœur, « Vers une théologie narrative… », dans P. Ricœur, L’herméneutique biblique, prés. et trad. F.-X. Amherdt, coll. La nuit surveillée, Cerf, Paris, 2005, p. 327-329.

  • 21 « Le mal : un défi à la philosophie et la théologie », dans Lectures 3 … (cité supra n. 6), p. 225-226.

  • 22 Notamment : P. Ricœur, « Paul Ricœur et l’herméneutique biblique », dans L’herméneutique biblique (cité supra n. 20), p. 147-252, surtout p. 217-252. Cf. aussi P. Ricœur, « Entre philosophie et théologie II : Nommer Dieu », dans Lectures 3 … (cité supra n. 6), p. 281-305, surtout p. 297-298.

  • 23 Hegel, Préface … (cité supra n. 9), p. 75-77.

  • 24 Ibid., p. 79.

  • 25 Ibid., p. 137.

  • 26 Ibid., p. 69-71.

  • 27 Cf. A.M. Léonard, Métaphysique de l’Être, coll. La Nuit surveillée, Paris, Cerf, 2006, p. 173.

  • 28 P. Ricœur, Temps et Récit 3… (cité supra n. 3), p. 371.

  • 29 Ibid., p. 365.

  • 30 Ibid., p. 372.

  • 31 K. Barth, Hegel, Labor et Fides, Genève, 1952, p. 35-36 : « Il faut que se soit produit, dans les profondeurs de la conscience de l’époque, un ébranlement de la volonté commune à elle et à Hegel ; il faut qu’un profond renoncement soit survenu, non seulement à l’égard des modalités de la méthode de Hegel, mais à l’égard de cette méthode elle-même, à l’égard de toute possibilité d’une méthode universelle. Il est impossible d’expliquer autrement les mouvements de retraite qui se produisent alors de tous les côtés : du côté des savants, … des historiens, … des philosophes, … des théologiens… On n’est pas seulement devenu las de la méthode hégélienne : on est devenu las de toute méthode conduisant à une connaissance universelle. On est effrayé par l’idéal atteint, et il semble qu’on ne trouve rien de mieux à faire que de l’abandonner. » Il conclut ainsi son étude : « … nous devons nous contenter de considérer [Hegel] tel qu’il était en réalité : une grande question, une grande désillusion, et peut-être – quand même – une grande promesse. », p. 53.

  • 32 P. Ricœur, Temps et Récit 3… (cité supra n. 2), p. 410-411.

  • 33 P. Ricœur, « L’Espérance et la structure des systèmes philosophiques », dans L’herméneutique biblique … (cité supra n. 20), p 128.

  • 34 Cf. P. Ricœur, « Auto-compréhension et histoire », p. 2 (texte disponible sur le site internet du « Fonds Ricœur »).

  • 35 Ici, on pourrait (ou devrait) reprendre la maxime kantienne en un sens bien plus théologique : « le Christ à l’origine de toutes mes représentations ». Sur le plan de la philosophie, quelqu’un comme Michel Henry peut nous aider à poursuivre la réflexion, notamment lorsqu’il propose l’articulation de son concept fort et de son concept faible d’auto-affection (chapitre VI de C’est moi la vérité). En théologie, la piste des « quarante jours » en tant que fondement de la compréhension chrétienne du mystère a été proposée par Karl Barth dans la Quatrième partie de sa Dogmatique Ecclésiale, par exemple le §59.

  • 36 Cf. J. Nabert, Le désir de Dieu, coll. Philosophie de l’Esprit, Aubier-Montaigne, Paris, 1966, p. 269 : « Il est vrai qu’on ne saurait détacher la marche à la réflexion d’un désir dont il n’est pas interdit de penser qu’il est l’expression d’une spontanéité qui passe la conscience individuelle et la traverse. »

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