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« La Révélation... tout simplement »

Un livre de Christoph Theobald

Philippe Bacq s.j.
En contrepoint de la lecture de Y. Labbé dans un numéro précédent (NRT 126 [2004] 106-129), l’A. présente ici la démarche en sept chapitres de Ch. Theobald dans son livre La Révélation. Partant inductivement de l’expérience humaine d’un inouï de la vie (ch. 1) cristallisée dans des traditions religieuses diversifiées que le critère du respect permet d’apprécier (ch. 3), celui qui « lit les Écritures » (ch. 4) découvre dans la personne du Christ en relation aux autres d’abord, en relation au Père et à l’univers dans la résurrection ensuite, l’autorévélation de l’inouï de Dieu (Vatican II au ch. 2). L’accueil de cet excès d’humanité en Christ invite à adopter le point de vue de Dieu sur nos existences individuelles (ch. 5) et collectives (ch. 6) et fait monter à nos lèvres un chant de louange au Dieu qui se révèle comme agissant en ressuscité au cœur de la création (ch. 7).

Dans la dernière livraison de la Nouvelle Revue théologique1, Yves Labbé compare la réflexion que Jacques Dupuis mène depuis plusieurs années sur le pluralisme des religions, au livre de Christoph Theobald sur La Révélation2. Ayant personnellement travaillé ce livre de près, je l’interprète tout autrement que ne le propose Y. Labbé. Vu que la pensée théologique de Ch. Theobald est en jeu, j’ai pensé opportun de rédiger la note qui suit. Je tenterai de montrer, un peu sous la forme d’une épure, comment je comprends la démarche théologique de l’auteur et la portée de son livre sur La Révélation. — Le lecteur qui voudra suivre le fil du livre La Révélation de Ch. Theobald n’a qu’à poursuivre la lecture du texte, tandis que la discussion avec l’article de Y. Labbé peut être lue ensuite, ou en parallèle, dans les notes.

Une remarque préalable d’emblée. Comparer les auteurs en question était une entreprise extrêmement délicate pour deux raisons : tout d’abord, Ch. Theobald n’aborde explicitement la question du pluralisme religieux qu’à un endroit de son livre en y consacrant une seule page (Th. 57-58). À mon sens, c’est vraiment trop court pour servir de base à une comparaison solidement étayée3. Ensuite, le genre littéraire adopté par les deux auteurs est très différent : Jacques Dupuis développe une théologie fondamentale sur le pluralisme religieux, à partir de la tradition chrétienne. Publié dans une collection destinée à un large public, le livre de Ch. Theobald présente une théologie narrative de la révélation et de la foi qui puisse être signifiante dans une société postmoderne. À mon sens, ces deux démarches sont tellement différentes, qu’elles ne sont pas comparables entre elles.

Selon la visée qui est la sienne, Ch. Theobald part du sens que le mot « révélation » revêt dans la culture d’aujourd’hui, selon le Petit Robert (Th. 11-28, chap. 1). Il constate que ce terme « désigne peut-être surtout ce qui apparaît brusquement et qui se manifeste alors comme nouveau, inédit ou jamais éprouvé » (Th. 21). L’expérience humaine d’un inédit ou d’un inouï est donc le point de départ de sa démarche. Ceci ne veut pas dire que ce point de départ anthropologique « engage » la réflexion théologique qui suit, au sens où cette dernière dépendrait de ce point de départ4. Au contraire, toute la démarche du livre consiste à interpréter progressivement cette première expérience humaine de révélation, à partir des critères proprement théologiques que sont les Écritures et la tradition de l’Église.

En effet, dès le chapitre 2, l’auteur aborde brièvement l’évolution de la signification chrétienne de la révélation depuis l’antique tradition de l’Église jusqu’aux conciles Vatican I et Vatican II (Th. 29-48)5. Il constate un déplacement d’accent. Les termes « voie » ou « mystère » sont privilégiés dans les récits fondateurs et ils convient les auditeurs de la Parole à une « écoute de la foi » (Th. 33). Mais au cours de l’histoire, ces mots ont progressivement été recouverts par l’expression « la doctrine chrétienne » chez saint Augustin ou les « dogmes » au XIXe siècle. Or ces concepts engagent plutôt le croyant à soumettre son intelligence à Dieu en adhérant à un donné objectif révélé par lui. Ce « modèle d’une instruction » (Th. 40) prédomine encore dans la constitution Dei Filius du concile Vatican I, bien que ce dernier mette déjà en place « un modèle de communication » en affirmant que dans les Écritures, Dieu se révèle lui-même (cf. Th. 37). Or, cette « autorévélation de Dieu » dans une communication de réciprocité devient centrale dans les passages les plus neufs de la constitution Dei Verbum du concile Vatican II (cf. DV 2, Th. 36-41). Ce déplacement d’accent est significatif pour une société postmoderne. Ceci ne veut absolument pas dire que le dernier concile « occulte l’aspect doctrinal » de la Révélation, mais, dit l’auteur, « le texte tente plutôt de situer l’enseignement et la doctrine par rapport à ce qui reste premier, à savoir l’événement même de la Révélation » (Th. 41)6. Dans le sillage du dernier concile, loin de nier l’importance du dogme, Ch. Theobald lui accorde aussi toute sa place, mais en le situant par rapport à l’événement de Dieu qui se révèle7.

Le chapitre 3 est consacré au lien qui existe entre la révélation et son accueil dans la foi (p. 49-69). La réponse de foi est donc abordée à partir de la révélation et non l’inverse8. L’auteur écrit : « Si l’on veut donc retenir de ce qui précède une toute première définition de la foi, il faut aller jusqu’à dire que la Révélation n’existerait pas sans l’acte qui la reçoit. Ce déplacement vers l’existence croyante ne signifie nullement qu’on sous-estime le dessaisissement de soi qu’implique la foi, voire l’initiative de Dieu » (Th. 53). Il s’agit donc d’une première approche de la foi, celle qui émerge à cette étape-ci du parcours et qui n’exprime pas toute la foi de l’Église. D’une part, pour les hommes religieux, la foi est « une remise de soi en réponse au Dieu qui se présente » à eux (Th. 53), mais elle est aussi la cristallisation de cette expérience dans des « traditions » religieuses diversifiées. À ce stade de la réflexion, la « tradition » de l’Église est une de ces inscriptions religieuses parmi d’autres (Th. 53). D’autre part, pour l’ensemble des humains, l’accueil du « Vivant » (cf. Th. 68) — que le croyant, pour sa part, appellera Dieu — suscite d’innombrables productions de sens, artistiques, culturelles, philosophiques (cf. Th. 50)9. C’est ainsi que l’acte de croire prend « corps dans l’histoire » de façon visible et repérable (cf. Th. 54). Car en se révélant, Dieu s’offre totalement lui-même et il ne peut rien ajouter de plus au don de sa propre personne. Son silence permet aux humains d’élaborer leurs propres réponses à sa révélation. Cohabitent ainsi une pluralité de visions du monde et de la vie (cf. Th. 195). Mais elles ne sont pas toutes compatibles avec un acte de foi authentique. Un discernement s’avère nécessaire, et à cette phase du développement, le critère de ce discernement est le respect de l’autre, « l’acte de confiance » que l’on pose à son égard, « le crédit » qu’on lui accorde (Th. 62), en vivant à son égard « la règle d’or » (cf. Th. 120-121). Ce respect peut aller jusqu’à mettre en jeu sa propre existence, dans la traversée de la violence et la mort s’il le faut (cf. Th. 116-117), chacun « acceptant de perdre toute garantie de récupérer ce qu’il a donné » (Th. 62). Au fond, il s’agit pour tout un chacun de reproduire dans sa vie la manière même de Dieu qui se donne sans aucune garantie, dans l’acte même où il se révèle. Aux yeux de l’auteur, ce critère anthropologique est valable pour tous les humains. Mais est-il seulement anthropologique s’il signifie et réalise dans l’histoire la manière même de Dieu ? La lecture des Écritures apporte sur ce point une lumière décisive.

C’est l’objet du chapitre 4 intitulé « Lire les Écritures » (Th. 71-114), Situé au centre du livre, il constitue en fait « le principe et fondement » de toute la réflexion. À la lecture de ce chapitre, il s’avère en effet que la forme narrative et relationnelle que l’auteur a imprimé à son livre, est inspirée par la forme historique et dialogale de la révélation telle qu’elle se donne dans les Écrits fondateurs10.

Tout d’abord, dans les Écritures, la révélation est historique. Elle advient selon les rencontres imprévues de l’histoire humaine. C’est vrai de l’histoire personnelle de Paul (Th. 72-77). C’est aussi vrai pour les multiples personnes qui ont rencontré le Christ dans les récits des Évangiles, dont ses disciples. Évoquée au cœur du chapitre 4, la personne du Christ en relation constitue ainsi la clef de voûte du livre tout entier (Th. 78-89). Mais c’est aussi vrai, au niveau collectif, pour l’histoire de l’humanité telle que la « dévoile » l’Apocalypse (Th. 90-100) et, rétrospectivement, pour l’histoire d’Israël qui parvient à son accomplissement avec Jésus de Nazareth (Th. 103). C’est universellement vrai pour l’humanité entière « depuis la fondation du monde » (Mt 13,35). La révélation telle qu’elle se donne dans les Écritures est donc paradoxale, car elle conduit à discerner (Th. 105) dans la particularité historique de Jésus de Nazareth la portée universelle de l’auto-révélation de Dieu. En effet, les Écritures conduisent à reconnaître Jésus de Nazareth comme « Ressuscité et premier-né d’entre les morts (Ac 26,23 ; Rm 8,29) ». Cette reconnaissance, dit l’auteur, « constitue l’expérience de la Révélation par excellence, déjà inscrite dans la création et accessible à partir d’elle, bien au-delà des frontières tracées par le monde juif » (Th. 105). Ainsi s’accomplit au centre du parcours, la « première définition » de l’acte de croire proposée au chapitre précédent et qui devient l’expérience par excellence de la révélation, « son sens plénier » (Th. 136). Celle-ci consiste à accueillir l’autorévélation de Dieu dans le Christ ressuscité. Le discernement de la vie authentique se mue donc ici en un acte de foi explicite dans la personne du Christ ressuscité reconnu comme premier-né d’une multitude d’autres humains. Cette expérience est déjà inscrite dans la création qui s’avère ainsi riche, à l’avance pourrait-on dire, de toutes les potentialités de la résurrection du Christ. Voilà pourquoi l’acte de foi en la vie présenté aux ch. 1 et 3 peut être relu maintenant comme l’acte d’accueillir les puissances de résurrection déposées au cœur de la création. La révélation devient la clef herméneutique de la création11.

L’auteur accorde ainsi une place centrale, unique et incomparable à la personne du Christ. Il est tout d’abord unique par sa manière d’exister qui communique aux différents acteurs des récits des Évangiles et aux lecteurs de ces récits « le courage d’être » et tout en même temps, le courage de mener « une vie authentique » selon l’esprit des Béatitudes. Il est « passeur » en ce sens qu’il permet à tout un chacun d’accéder à la densité de sa propre existence en vérité. Mais il est surtout unique par sa manière de se situer face à la violence de ses adversaires à la fin de sa vie, en ne répondant pas à la violence par la violence : il la prend sur lui jusqu’à donner sa vie sur la croix après avoir célébré l’Eucharistie avec les siens. Il révèle ainsi définitivement par son « excès » d’humanité, la surabondance de l’amour de Dieu lui-même, ce Dieu que les Écritures appellent trois fois Saint. La sainteté du Christ, sa façon de vivre et de donner sa vie, conduira les siens à confesser la foi qui deviendra la foi de l’Église : Jésus est vraiment le Fils unique de Dieu, car il faut être Dieu pour vivre et mourir de façon si humaine. C’est pour Ch. Theobald une manière renouvelée d’exprimer le dogme de l’union hypostatique12. Elle me paraît tout à fait légitime.

Grâce à sa mort et par sa résurrection, le Fils unique ne reste pas seul à révéler la Sainteté du Père. Il engendre une multitude de « frères » à mener une existence conforme à la sienne, mais ‘à leur mesure humaine’ en leur communiquant l’Esprit Saint (cf. Th. 159 et 176 n. 24). Ils deviennent ainsi « d’autres Christ », mais ils le deviennent « grâce à » un don d’en haut qu’ils mettent librement en œuvre dans une option de vie solidaire et non violente. Ch. Théobald maintient ainsi rigoureusement tout à la fois « l’unicité de Jésus le Christ » seul Fils de Dieu et l’existence d’une multitude « d’autres Christ », ses frères13.

Ensuite, dans les Écritures, la forme de la Révélation est expérimentale et dialogale : Dieu se révèle totalement lui-même au cœur d’une relation qui s’instaure avec la communauté croyante qui le reçoit, chacun expérimentant de façon unique l’autorévélation de Dieu. Depuis le témoignage de Paul (cf. 1 Th 2,13 ; Ga 1,11-17) jusqu’à la vision de l’auteur de l’Apocalypse, cette forme relationnelle et dialogale reste constante. Dans le dernier livre du NT, le mystère de Dieu lui-même s’accomplit dans et grâce à la maturation de l’histoire humaine (Ap 10,7 ; cf. Th. 109.168). Révélation et réception s’accomplissent ainsi l’une par l’autre (cf. Th. 159). À partir de cet enseignement des Écritures et grâce à la conversion du regard qu’il opère dans le croyant, il est maintenant possible de relire les premiers chapitres du livre.

Le chapitre 5 (Th. 115-146) est une relecture du ch. 3. À la lumière des Écritures, des événements essentiels de la vie humaine comme l’expérience de l’amour et l’énigme de la mort, peuvent « être éprouvées comme don » (Th. 126). L’acte de foi qui germe de la lecture des Écritures permet en effet « d’inverser les perspectives » et d’adopter le point de vue de Dieu sur chacune de nos existences (Th. 133). L’expérience humaine de révélation du ch. 1 se révèle alors riche d’« une promesse que nous ne pourrons pas exprimer sans utiliser le vocabulaire de ‘résurrection’ », constate l’auteur (Th. 133). Alors seulement, chacun peut entendre résonner en lui un « Heureux es-tu ! » pleinement conforme à la Bonne Nouvelle de l’Évangile. L’autorévélation de Dieu se trouve alors accomplie en chacun. En cette fin de parcours, ce renversement de perspective est évidemment capital. Il ne permet plus d’interpréter la pensée de l’auteur sur la révélation, comme le simple « discernement d’une vie authentique ».

Le chapitre 6 (Th. 147-177) applique ce même renversement de perspective à la période historique que nous vivons. Celle-ci est marquée par la fin de la religion, l’expérience du mal radical dont la figure exemplaire est la Shoah, et la globalisation. La lecture de l’Apocalypse, prolongée par l’interprétation qu’en donne saint Irénée, permet à nouveau de vivre collectivement le moment de l’histoire que nous vivons sous le signe d’une promesse, celle de l’accomplissement heureux de l’histoire universelle. Nous pouvons dès lors vivre « ces temps de la fin » distincts de la « fin des temps » qui nous échappe, dans l’espérance, en nous exerçant à l’incorruptibilité, comme le dit Irénée (Th. 159).

Le chapitre 7 ouvre les perspectives en remontant à la source. Il montre les forces de la résurrection à l’œuvre dans la création elle-même. Lorsque le croyant, transformé par la lecture des Écritures, interprète « la totalité du réel » comme un don, « source de vie insoupçonnable », alors « s’éclaire subitement la signification ultime de la Révélation chrétienne […] Étant créé à partir de rien et gratuitement ou pour rien […] tout peut être reçu et compris comme don gratuit » (Th. 197). Dans ce sens, Ch. Theobald peut écrire : « Recevoir l’univers comme création, c’est comprendre de l’intérieur que l’autorévélation de Dieu consiste à nous laisser accéder par nous-mêmes à cette béatitude qui est la sienne » (Th. 211). Écrite tout à la fin du parcours, et riche des développements qui précèdent, cette phrase ouvre sur la prière de louange et la célébration de l’Eucharistie qui concluent ce chapitre et le livre.

On aura perçu, je l’espère, toute la densité théologique de ce parcours en sept chapitres dont le chapitre central, « Lire les Écritures », commande le renversement et l’accomplissement des trois chapitres initiaux. La « forme » narrative et dialectique tout à la fois de la théologie qui se déploie ici peut dérouter le théologien « formé » à une théologie plus systématique. Mais c’est toute l’originalité de la pensée de l’auteur14. Son livre est, à mon sens, un des plus signifiants écrits ces dernières années sur La Révélation.

Notes de bas de page

  • 1 Labbé Y., « La théologie des religions entre création et révélation : Jacques Dupuis et Christoph Theobald », dans NRT 126/1 (2004) 106-129 ; cité désormais Lab.

  • 2 Theobald Ch., La Révélation… tout simplement, Paris, L’Atelier, 2001 ; cité désormais Th.

  • 3 Si je le comprends bien, le raisonnement de Y. Labbé est le suivant : Ch. Theobald développe « ailleurs » « une théologie spirituelle », c’est-à-dire une théologie du « discernement de la vie authentique ». Il fait probablement référence à deux articles de Ch. Theobald qu’il relie l’un à l’autre : « La règle d’or … » et « Une manière ignatienne … » (cf. n. 14). Or, dit Y. Labbé, cette théologie spirituelle « présuppose une certaine théologie des religions, où la diversité des croyances s’accorde à l’unité de la spiritualité » (Lab. 113). À partir de là, il se demande « s’il est permis d’attribuer à cet auteur la défense d’un pluralisme religieux de principe », comme le développe Jacques Dupuis (Lab. 115). Et il incline à répondre par la négative, car à son avis, dans son livre sur la Révélation, « Theobald laisse entendre qu’une théologie du pluralisme existentiel, s’il est permis de le désigner ainsi, aurait à se substituer à un pluralisme religieux » (Lab. 120). En bref, dans son livre sur La Révélation, Ch. Theobald diluerait les diverses traditions religieuses dans les multiples options existentielles que les humains ont élaborées au cours de l’histoire. Mais Y. Labbé construit cette conclusion à partir d’un « présupposé » et d’un « sous-entendu » de Ch. Theobald, vu que ce dernier ne développe pas ce sujet dans son livre sur la Révélation. Personnellement, je trouve qu’une telle base de travail pour établir une comparaison entre deux théologies des religions est vraiment trop aléatoire. Il aurait été préférable d’établir la comparaison à partir des contributions que Ch. Theobald a explicitement consacrées à ce sujet (cf. n. 14). Les comparaisons que l’on pourrait établir avec l’œuvre de J. Dupuis seraient beaucoup plus significatives et les conclusions que l’on en tirerait beaucoup plus nuancées. Nulle part, dans ces articles, Ch. Theobald ne laisse entendre qu’il réduit les traditions religieuses aux autres productions de sens élaborées par les humains au cours de l’histoire.

  • 4 Il est possible de comprendre ainsi le reproche adressé par Lab. 113 : « Le maître-mot est l’expérience. L’homme d’aujourd’hui entend mettre à l’épreuve ce qu’il croit, ce qui lui est présenté. L’anthropologie engage la théologie ». S’il entend par là que la théologie de Ch. Theobald dépend de son anthropologie, je ne pense vraiment pas que ce soit exact. La suite le montrera.

  • 5 Voir une présentation plus développée de la révélation, de la foi et de la création au concile Vatican I, dans Theobald Ch., « La Constitution dogmatique Dei Filius … » (cf. n. 14).

  • 6 Lab. 112 formule une objection de fond : « En fait, nous sommes mis en présence d’une définition neuve de l’autorévélation de Dieu, qui cherche à surmonter la dualité où l’aurait maintenue Vatican II en ajoutant à la communication de Dieu la transmission d’une doctrine ». Il convient, me semble-t-il, de nuancer. Pour Ch. Theobald, c’est surtout le concile Vatican I qui n’a pas réussi à surmonter ce qu’il appelle une « ambiguïté » (Th. 44-45). En revanche, il précise bien que « l’orientation globale du concile Vatican II est tout autre » (Th. 40). En situant l’enseignement et la doctrine au service de l’événement même de la Révélation (Th. 41), ce concile a, en partie tout au moins, surmonté la difficulté. En partie, car il n’a pas pu aller jusqu’au bout de certaines de ses intuitions. Voir Theobald Ch., Vatican II. L’intégralité …(cf. n. 14).

  • 7 Lab. 114 exprime la crainte qu’à la lecture du livre sur La Révélation, « le lecteur redoute pour lui-même le malentendu. Les contours de ce qu’il tenait pour normatif en christianisme lui apparaissent non pas tant se déplacer que s’effacer ». Je ne pense pas qu’une telle crainte soit justifiée. Ch. Theobald attache une grande importance au dogme. Il voit dans ce dernier « la règle interprétative » de la vie croyante. Il s’explique sur ce sujet dans « Les enjeux de la narrativité … » (cf. n. 14). Mais il aborde très peu ce thème dans la Révélation. Il aurait pu le développer davantage pour éviter des malentendus. Il est vrai que dans un itinéraire qui conduit à la découverte de la foi chrétienne, la place du dogme n’est pas première. Celui-ci régule la foi de l’Église, il n’engendre pas à la foi. Seul le Père engendre à sa vie (cf. Th. 136-138).

  • 8 Lab. 113 exprime sa manière de comprendre la pensée de Ch. Theobald en ces termes : « On relèvera d’abord la priorité accordée à la foi sur la révélation et au discernement sur la doctrine […] C’est dans la foi qu’advient la révélation. Il faut aller de la foi vers la révélation et non l’inverse. Le croyant ne commence pas par s’en remettre, se soumettre lui-même, à une présentation de Dieu ». Tout en comprenant qu’on puisse interpréter ainsi le début du livre sur la Révélation, je pense que c’est une erreur. C’est en effet interpréter une étape d’un parcours de théologie narrative comme si cette seule étape présentait le point de vue global d’une théologie fondamentale et systématique. À mon sens, le malentendu principal réside là. Sur ce point de méthode, on lira avec profit Theobald Ch., « Les enjeux de la narrativité … » (cf. n. 14).

  • 9 Je pense que Ch. Theobald distingue bien les « traditions » religieuses des autres « productions de sens » non religieuses. De toute manière, pour lui, les traces historiques de la réponse de foi à l’autorévélation de Dieu ne se réduisent pas à la seule trace de « la conversion de l’homme à une vie authentique », comme le pense Lab. 114. On ne peut certainement pas lui reprocher de verser dans une théologie du pluralisme existentiel (Lab. 120 ; cf. n. 3).

  • 10 Lab. 118 formule une objection qui, du point de vue de la foi chrétienne et pas seulement catholique, est fondamentale : « Si pour le chrétien, ce chemin passe par les Écritures, celles-ci tirent leur autorité de leur correspondance avec la lecture de l’expérience ». Je ne pense vraiment pas que ce soit la pensée de Ch. Theobald. Au contraire, pour ce dernier, la lecture de l’Écriture confère son autorité à une certaine relecture de l’expérience humaine, celle précisément que Ch. Theobald élabore dans son livre sur la révélation.

  • 11 Lab. 120 pense que Ch. Theobald « semble identifier l’accomplissement de l’autorévélation divine à la manifestation de l’autonomie humaine, un émerveillement devant les capacités insoupçonnables de la création », celle-ci devenant « la clé herméneutique de la révélation ». Je ne le pense pas. À mon sens, pour Ch. Theobald, c’est bien plutôt l’accomplissement de la Révélation de Dieu dans la Résurrection du Christ qui est la clé herméneutique de la création (cf. Th. 106-110).

  • 12 Voir Theobald Ch., « Le Fils unique et ses frères » (cf. n. 14), p. 137-140. La démesure de la Sainteté de Dieu qui se communique « à la mesure humaine » est un axe central de la théologie de Ch. Theobald. Par le don de l’Esprit, Dieu « engendre » ainsi une multitude de fils à l’image du Fils Unique : voir « L’Unique et ses témoins … », p. 23-27 ; « Pour une intelligence intérieure … » (p. 791-795) ; « Le Fils unique et ses frères », p. 134-137 (cf. n. 14).

  • 13 En parlant du livre sur La Révélation, Lab. 124 écrit : « Il y a ici et là conversion du particulier à l’universel. L’unicité de l’existant comme autre Christ préservera-t-elle l’unicité de Jésus le Christ ? ». À mon sens, pour Ch. Theobald, il y a discernement de l’universel dans le particulier (cf. p. 105), ce qui est très différent d’une « conversion du particulier à l’universel ». Voilà pourquoi il n’y a pas à craindre qu’il dissolve l’unicité de Jésus le Christ. Il s’explique très clairement à ce sujet dans « Le Fils unique et ses frères » (cf. n. 14), p. 133 : « Je ne vois pas comment nous pourrions renoncer aux prérogatives d’excellence du Christ dans le contexte du pluralisme religieux et de la mondialisation sans renoncer à notre propre identité de chrétiens ».

  • 14 Voici la bibliographie de Ch. Theobald citée dans cet article.Sur le dialogue interreligieux : « L’Unique et ses témoins : Jalons pour une théologie de la rencontre entre juifs, chrétiens et musulmans », dans Chemins du dialogue 7 (1996) 183-202. – « Le Fils unique et ses frères », dans Le Fils et ses frères. Unicité du Christ et pluralisme religieux, éd. M. Fédou, Paris, Éd. des fac. jésuites de Paris, 2002, p. 127-151.Autre : « La règle d’or chez Paul Ricœur. Une interrogation théologique », dans RSR 83/1 (1995) p. 43-49. – « La Constitution dogmatique Dei Filius du concile Vatican I », dans La Parole du salut, Paris, Desclée, 1996, p. 259-313. – « Les enjeux de la narrativité pour la théologie », dans Transversalités 59, juillet-septembre 1996, p. 43-62. – « Une manière ignatienne de faire de la théologie. La théologie comme discernement d’une vie authentique », dans NRT 119 [1997] 375-396. – « Pour une intelligence intérieure du mystère de la Trinité », dans Études 3926 (juin 2000), p. 785-800. – Vatican II. L’intégralité, édition bilingue révisée, Paris, Bayard compact, 2002, p. I-XXXIV.

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