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La théologie de l’accomplissement de Jean Daniélou*

Antoine Guggenheim
L’Essai sur le mystère de l’histoire (1953) de Daniélou mérite une relecture attentive. Il cherchait à saisir l’histoire après le Christ à travers les notions de symbolisme cosmique, synergie sacramentelle et typologie biblique. Mais l’avènement du Christ, définitif dès aujourd’hui, est aussi tendu vers l’eschatologie. Ce second pôle justifie la non-péremption des économies divines d’avant le Christ, celles de l’alliance tant noachique que mosaïque. Tout ceci s’est clarifié pour nous depuis 50 ans et conduit, sans trahir Daniélou qui fut un des témoins engagés de cette réflexion théologique, à le dépasser quelque peu.

Une caractéristique de la théologie de l’accomplissement de Jean Daniélou et de toute sa théologie de l’histoire, est sa dimension fortement « christomorphique ». Le chapitre « Christologie et histoire » de son Essai sur le mystère de l’histoire mérite à cet égard d’être mis en évidence en raison de son caractère central et pour l’intérêt qu’il revêt dans l’actualité de la théologie du dialogue des religions1. Il constitue un effort, créateur et traditionnel, pour réfléchir l’affirmation évangélique : « les temps sont accomplis ». En le situant dans l’ensemble de l’ouvrage, nous apercevrons les points forts incontournables et des points plus faibles de la théologie de l’accomplissement de son auteur.

I Deux lignes qui se rejoignent

La théologie de l’accomplissement de Daniélou s’appuie sur l’affirmation que deux lignes distinctes et séparées dans l’AT se rejoignent dans le Christ : celle des grandes actions de Dieu, les Magnalia Dei (chap. 1 de la deuxième partie), et celle des réponses de l’homme et de la fructification du Peuple de Dieu (chap. 2 de la deuxième partie). La Bible est le « document des grandes œuvres de Dieu ». C’est « à travers le déroulement de l’histoire du salut » que se dévoilent les mœurs divines (147) : fidélité, justice, amour, colère. Daniélou s’arrête davantage à cette dernière, manifestation particulièrement frappante de la transcendance de Son action, en commentant longuement Habacuc 3 (cf. 149-164). Mais la Bible montre aussi que « Dieu attend quelque chose de nous » (168), comme de sa vigne Israël (Is 5). D’un côté les interventions de Dieu dans l’histoire ne peuvent s’achever que par Sa venue à la fin des temps, que contemple la tradition des Apocalypses ; d’un autre la vigne messianique que promettent les prophètes doit remplir la terre de ses fruits. Faut-il, pour harmoniser ces deux perspectives, attendre deux accomplissements successifs ? « C’est l’essentiel du NT que de nous annoncer que ces deux lignes convergent en Jésus » (186) ; l’Incarnation est « l’action divine salvifique » par laquelle la race d’Abraham « est réellement ressaisie pour atteindre sa fin » (188). Kyrios et Christos, Jésus est la fin et le centre de l’histoire (chap. 3 de la deuxième partie). En lui s’opèrent le jugement de tous et le salut de son Peuple. « Comment ces deux lignes se rejoignent-elles l’une et l’autre, c’est le problème qui a été celui de la christologie primitive » (187) et de sa reprise à Chalcédoine.

Ceci nous met en présence de ce fait paradoxal, qui caractérise le christianisme, à savoir que bien que le déroulement de l’histoire continue et que nous attendions encore un eschaton chronologique, la réalité finale est déjà présente dans la personne du Verbe incarné, au-delà duquel il n’y a rien, parce qu’il ne peut rien y avoir.

(188-189)

Daniélou prend appui sur He 9,12-26 et 10,14 : prise dans son ensemble, « l’Incarnation du Christ signifie donc que quelque chose commence qui prend possession de tout l’avenir » (189). Au-delà de l’union hypostatique, « il n’y a rien » comme action divine ni comme réponse humaine : par elle, l’humanité est menée à son terme et pose l’action sacerdotale parfaite. Le telos des actions divines est identique à la teleiôsis de la créature. « En ce sens … le Christ constitue “les prémices” de l’humanité divinisée » (190-191). L’Incarnation a donc aussi un caractère eschatologique. « L’histoire, par là, garde à jamais sa consistance dans la réalité dans laquelle elle a réellement atteint sa fin » (193).

C’est pourquoi, si « l’union hypostatique nous est apparue comme le terme (telos) absolu de l’histoire », « elle n’en marque pas la fin, le peras » (193). Penser l’accomplissement à partir de la double intégrité des natures et l’unité de la personne de Chalcédoine, permet de valoriser l’attente historique de la Parousie. De l’accomplissement à la consommation, « le retentissement de l’ œuvre accomplie par le Christ dans l’humanité tout entière » (193) ne peut se faire par une autre loi historique que celle qui a présidé à l’incarnation : par la synergie imprévisible de la liberté divine et de la liberté humaine.

Daniélou décrit cette synergie à l’ œuvre « pour hâter l’avènement du Jour de Dieu » (2 P 3,12) par l’économie sacramentelle de l’Église et la mission. Les « grandes œuvres de Dieu … se continuent dans l’Église par les actions sacramentaires, préfigurations et préparations des événements eschatologiques de la fin » (199). « De même que le Christ s’est incarné dans la race juive, de même l’Église doit s’incarner dans toutes les nations du monde pour les assumer » (47).

Mais puisque « l’achèvement de la création nouvelle » (194) implique de fait la conversion et la divinisation de la liberté d’une multitude de non-chrétiens, comment le dessein de Dieu assume-t-il les cultures et les religions à travers lesquelles les peuples mettent en œuvre leur réponse au don du salut ? Question souvent posée, à laquelle il faut se garder de répondre trop vite2. Disons d’abord que les religions ne produisent pas le salut, qui est une œuvre de Dieu seul, mais qu’en elles aussi, comme en toute réalité historique et culturelle importante, mûrit ce qui doit être sauvé. « L’histoire prend ainsi un sens dans la mesure où en elle se constitue ce qui doit être sauvé », car « le salut n’est pas opéré dans l’homme sans l’homme » (199).

Cependant, s’il est assez aisé de caractériser dans la perspective de Daniélou ce sens religieux de l’histoire avant le Christ, quel sens donner à l’histoire après le Christ ? Quel rôle et quelle mission reconnaît-il en particulier au Peuple qui a préparé immédiatement sa venue, et qui pourtant ne le confesse pas aisément comme le Messie de son espérance ?

II Le mystère de l’histoire après le Christ

1 Synergie sacramentelle

Le développement du dogme et l’expansion missionnaire, comme l’histoire des hérésies et des divisions entre chrétiens, montrent bien que l’accomplissement ne fait pas sortir l’Église de l’histoire, ni de ses chances ni de ses périls (cf. 19-21). « L’Église s’incarne dans les civilisations … à son tour l’Église agit sur les diverses civilisations » et « l’histoire des civilisations … rentre à son tour dans l’histoire du salut » (22). L’histoire de l’Église répand et communique dans l’histoire totale le sommet insurpassable atteint dans la personne et l’action du Christ.

Puisque la Bible est une histoire et non un exposé de doctrines, la nature historique du christianisme ne peut être abolie au temps de l’accomplissement : elle doit s’y manifester. Les chrétiens savent que « si paradoxal que cela puisse paraître au premier abord, c’est précisément dans les réalités les plus surnaturelles, les plus essentielles, les plus propres au christianisme, telles que les sacrements, que nous trouverons la réponse la plus profonde aux problèmes du monde présent » (80). Si Daniélou voit dans le marxisme « la contradiction absolue du christianisme » (81), ce n’est pas seulement pour son matérialisme, ni pour son « autolâtrie » de l’homme (cf. G. Marcel, p. 90), qui en font plutôt un athéisme parmi d’autres, mais essentiellement pour sa philosophie de l’histoire, qui s’oppose au « christomorphisme » du mystère de l’histoire.

On ne dépasse pas Jésus-Christ, en Lui la fin des choses est atteinte … Pour le marxiste, l’histoire n’est pas encore décidée … Pour le chrétien, l’histoire est substantiellement décidée et l’événement essentiel est au centre et non pas au terme. Est-ce que, pour autant, il n’y a plus rien à faire ? … ce qui est acquis, en droit, à l’humanité tout entière, il reste à le transmettre, en fait.

(83-84)

Le christianisme seul « donne à l’histoire toute sa consistance, parce que seul il constitue une acquisition absolue et irréversible de valeur » (93). Continuant l’ œuvre de Jésus-Christ, l’histoire de l’Église est celle « de la libération des âmes captives par le baptême et de l’extension de la gloire de Dieu par l’Eucharistie » (94). « Ce sont les actions sacramentaires qui sont les grands événements du monde présent » (84). En elles s’expriment jusqu’à la Parousie le synergisme et le théandrisme de l’histoire du salut et de son accomplissement en Christ (cf. 145).

Ce que voit Daniélou demeure précieux et actuel. Non loin du centre de sa méditation se trouve le fait qu’au temps de l’accomplissement s’opèrent aussi l’extension et l’intériorisation à toute l’humanité de l’épreuve vécue par Israël pour entrer dans l’accomplissement du dessein divin. Que signifie cette épreuve ? Nous y reviendrons après avoir étudié les deux autres dimensions du mystère de l’histoire après le Christ : la typologie et l’évangélisation.

2 Typologie historique

Les religions témoignent du caractère hiérophanique du monde visible et l’expriment par un symbolisme cosmique. « Cette symbolique n’est pas la survivance d’une mentalité prélogique périmée. Elle repose sur des lois permanentes de la réalité de l’esprit et du monde » (132). On doit reconnaître la « valeur objective des symbolismes religieux » qui nous font atteindre, à travers le visible, « un domaine transcendant du cosmos ». « R. Otto a bien observé que certains symboles, l’immensité du désert, la profondeur de la nuit éveillent des résonances spécifiquement sacrales » (ibid.). Quand elle ne se dégrade pas en idolâtrie (cf. 134), la symbolique cosmique « atteint quelque chose de Dieu … dans son action créatrice et providentielle » (133). Elle participe concrètement à l’ordre surnaturel, comme en témoigne la figure biblique de l’alliance noachique3. Elle est ainsi assumée dans la typologie historique des « saints païens de l’AT » et peut être intégrée dans le symbolisme historique propre à la Bible, « irréductible au symbolisme » cosmique (135), mais non incompatible avec lui (cf. 137).

Car « la symbolique n’existe pas à l’état pur, mais dans des situations historiques concrètes » et constitue « à proprement parler la révélation de Dieu à travers le monde visible », la « religion naturelle qui constitue le fond religieux valable persistant à travers toute l’humanité non chrétienne d’avant et d’après le Christ sous les perversions des paganismes » (133). Ceux-ci « n’arrivent pas à dépasser le plan de l’immanence, à distinguer Dieu de sa création » (134). Les textes bibliques qui les intègrent, comme le récit de la création en Gn, ne le font pas sans polémique. « Mais en cela la révélation biblique ne fait que redresser la religion naturelle » des nations « et restituer ses symboles à leur vrai sens. Sa vraie nouveauté n’est pas là. Elle a pour objet essentiel d’être un témoignage rendu à des actions historiques de Dieu » (134-135).

La typologie biblique est plus qu’un acte exégétique ; elle recueille « l’intelligibilité interne de l’histoire », son progrès, car « les événements où se manifestent les voies de Dieu » prennent sens à la fois par rapport à des « manifestations plus anciennes de ces mêmes voies » et par rapport au « monde futur … définitif ». Les chrétiens confessent qu’« avec l’incarnation et l’ascension du Christ, la fin des choses est atteinte » (14) : « l’état final … existe en sacrement » (15). L’ œuvre de Dieu dans la Pâque des fils d’Israël, libérés du joug de l’Égypte, annonce et prépare celle du Fils libéré du « joug de l’enfer » ; le Baptême, troisième Pâque, est plus que la commémoration des deux autres : il est « la continuation effective de la même réalité » (85).

[La typologie] n’est pas un sens de l’Écriture, mais un sens des événements eux-mêmes. Elle a son origine dans l’AT, qui nous montre, dans les événements passés de l’histoire d’Israël, la figure des événements de la fin des temps. Ainsi la typologie est essentiellement eschatologique. Le NT nous montre dans le Christ l’avènement des réalités eschatologiques et c’est en ce sens qu’il réalise les figures de l’AT. Ces événements eschatologiques se continuent dans les sacrements de l’Église qui remplissent le délai qui va de l’Ascension à la Parousie

(136)

La typologie n’est ni patristique seulement, ni biblique : elle « fait partie du dépôt de la tradition »4. Elle est la deuxième caractéristique fondamentale d’une théologie chrétienne de l’histoire. Loin de négliger ou d’annuler l’histoire, comme risque de le faire l’allégorie, elle la suppose et la confirme ; de même, elle n’annule pas la lettre de l’Écriture5 : Isaac n’est figure du Christ qu’en raison de l’angoissante consistance du récit littéral de son Aqéda6. Ainsi la typologie est-elle fortement marquée par le « christomorphisme » qui donne à l’accomplissement de l’histoire sa plénitude divine et humaine. Daniélou le montre dans deux chapitres consacrés l’un au baptême et l’autre à l’Eucharistie.

Si nous prenons les sacrements comme centres de notre perspective, c’est parce qu’il est important de montrer qu’ils représentent un moment de l’histoire du salut, qu’ils sont dans le temps de l’Église, la continuation des mirabilia Dei dans l’AT et le NT.

(201)

L’histoire continue d’avoir un sens après le Christ. Ce qui a été préparé dans l’AT et accompli dans le Nouveau, se déploie sacramentellement dans l’Église (cf. 201-202). La promotion de la liberté humaine que recherche et promeut l’action divine salutaire s’exprime d’abord dans l’action sacramentelle dont l’Église est la bénéficiaire et la médiatrice. C’est pourquoi l’unité complexe et dynamique de l’Ancien et du NT est indépassable pour tous les hommes et pour tous les temps jusqu’à la Parousie. La typologie, comme « étude des correspondances entre l’AT et le NT » (211), est nécessaire pour déchiffrer le mystère de l’histoire au temps de l’accomplissement. Mais il faut ajouter que « la vision chrétienne de l’histoire » est celle d’une « économie progressive » : les réalités qui viennent d’abord sont bonnes, mais provisoires. « Il ne faut pas s’efforcer de les retenir quand leur temps, leur kairos, est passé » (13). C’est ce qui fonde, pour Daniélou le dépassement, ou même l’abolition, des moments passés de l’économie du salut ; nous y reviendrons.

3 La forme christologique de la typologie

« Ce qui rend la question plus difficile est que le NT est une réalité complexe et qui comprend plusieurs épaisseurs. Il contient à la fois le Christ dans sa vie terrestre, le Christ continué dans l’Église, le Christ vivant en chaque chrétien, le Christ revenant à la Parousie » (211). La typologie est fondée sur les événements de l’histoire du salut attestés dans l’Écriture sainte. Sa « première épaisseur » concerne « le Christ dans sa vie terrestre » et donc, pourrions-nous dire, la plénitude de la lettre. Aucune richesse du discours scientifique à son sujet ne doit être laissée de côté, mais aucune ne constitue à elle seule le sens théologique de la lettre qui accueille le Christ en son mystère : « le Christ continué dans l’Église » (théologie dogmatique), « le Christ vivant en chaque chrétien » (théologie morale), « le Christ revenant à la Parousie » (théologie spirituelle et fondamentale). Daniélou ajoute qu’une application systématique de cette typologie aux textes donnerait un caractère artificiel à la théologie. Il suit plutôt dans son propre exposé « l’ordre génétique » de leur apparition dans l’histoire de la révélation : sens eschatologique (à l’articulation de l’ancien et du NT), christologique, ecclésiologique, mystique.

Le temps de l’accomplissement qui suit l’incarnation est donc essentiel au dessein divin : déploiement du mystère du Christ et fécondité des libertés sauvées par lui. Ce « christomorphisme » met en évidence la liberté qu’a chacun de revêtir sacramentellement, de manière unique, la forme de la liberté parfaite et eschatologique du Christ. Cette théologie de la liberté fait apparaître clairement que ce qui vaut sacramentellement de l’Église vaut, selon son mode propre, de tout homme, en qui le dessein de Dieu s’accomplit d’une manière conforme et à la liberté divine et à la liberté humaine. Si l’accomplissement a pour tout homme la forme du Christ, plénitude du divin et de l’humain, alors la théologie de l’accomplissement permet de penser positivement un pluralisme religieux aussi vaste et libre que l’humanité elle-même.

L’accomplissement est le prolongement et la réalisation de l’annonce du Royaume par le Christ (cf. 217), « réalisation inachevée encore toutefois » en nous (221). Car cette « progression régulière vers le bien » (240), que saint Grégoire de Nysse appellera akolouthia, reprenant et appliquant à l’histoire du salut le terme qui désigne chez Aristote l’enchaînement ordonné des phénomènes naturels (cf. 236-237), fait face à « un processus de désagrégation » (240) et de « progression du péché » (242), qu’il s’efforce de réduire et de convertir.

Ici le mystère du temps achève de s’éclairer et son contenu religieux apparaît. Il a pour objet, comme Origène l’avait déjà vu, de permettre le retour à Dieu des libertés qui ne peut être que progressif. Nous l’avons déjà vu : il est le lieu d’un processus de divinisation. ‘Il faut que tout, selon une progression régulière (taxis kai akolouthia) par la sagesse artiste de celui qui dirige, soit assimilé à la nature divine’.

(PG 46, 105 A) (245)

4 Mission d’évangélisation et histoire

Le « contenu propre de l’histoire présente est essentiellement la mission … Mission doit être entendue ici non seulement de l’annonce de la parole à des individus de toutes les nations, mais aussi de l’évangélisation des cultures … Or ceci demande d’immenses délais » (18). Jean Daniélou puise dans sa théologie de l’accomplissement des accents forts pour aborder le « mystère » de la mission. Si « les nations évangélisées les premières » n’exercent plus cette charité missionnaire, qui est « la continuation des … mirabilia Dei dans les deux Testaments », et « l’ œuvre de l’Esprit-Saint » par laquelle « se constitue progressivement … le corps incorruptible du Christ », elles seront inévitablement tentées de « décomposition », comme « des fruits qui sont arrivés à maturité » (19 ; 338). En effet, de même que « le peuple d’Israël était dans une situation désespérée (dans le premier Exode), ici c’est l’humanité entière qui est dans une situation désespérée. Elle ne peut se tirer d’affaire seule … Il y a un mystère du mal, comme une racine vénéneuse, d’où le mal sans cesse pullule dans le monde et où l’industrie de l’homme est impuissante à [l’]atteindre. Un seul a atteint cette racine des choses et guéri le mal dans son principe caché. » (205).

Le mystère pascal du Christ, « descendu dans la prison de la Mort » pour en briser « les verrous d’airain », a accompli « en substance » la libération de l’humanité, qui doit maintenant « être appropriée à chaque homme. Or cette appropriation a lieu par le baptême donné aux païens dans la nuit pascale. C’est là le mystère missionnaire de l’Exode » tel qu’il doit être annoncé et célébré au temps de l’accomplissement (206).

« La mission est un mystère … Il s’agit d’un conflit engagé avec les forces du mal. Et ce conflit se joue dans les mystérieux combats spirituels de la sainteté … Qui méconnaît cela, le sens profond de la mission lui échappe » (207). La mission est « un aspect constitutif de l’espérance ». Que le salut acquis par le Christ soit étendu à tous les hommes, non à la fin des temps seulement, « mais à l’intérieur des temps. C’est l’objet le plus immédiat de l’espérance » (337) ! « Il faut que le feu que le Verbe est venu faire prendre à l’humanité, quand il se l’est unie, se propage jusqu’aux extrémités de la terre » (338).

Il ne s’agit pas de hâter la Parousie « aux dépens de la conversion des âmes », mais de hâter « la conversion des âmes en vue de la Parousie » (340). « Il y a aussi des nuits pour les nations … des peuples qui sont dans la fraîcheur de la conversion, des peuples qui sont dans la transformation mystique … ces pays de l’Occident déchirés par le schisme, par l’hérésie, qui souffrent cette nuit crucifiante, cette croix douloureuse de la séparation et de la division. Et c’est pourquoi le délai du retour du Christ n’est pas le signe d’une absence, mais le dessein mystérieux de son Amour » (339).

III Propositions pour aller plus loin

1 Histoire et économie divine

Daniélou expose, dans un chapitre introductif, la manière dont « s’est constituée la vision de l’histoire dans le christianisme » (26). « Nous y rencontrons deux catégories qui prennent une importance considérable : d’une part celle de l’événement, de la décision divine qui change l’ordre des choses ; et, de l’autre, celle d’une succession qui présente à la fois une continuité et une discontinuité et constitue ainsi proprement un progrès » (9). Les deux concepts assez simples d’événement et de succession — ce dernier incluant continuité, discontinuité et progrès — distinguent radicalement la pensée grecque pour laquelle « le parfait est ce qui a toujours existé », de la foi chrétienne pour laquelle les événements de l’incarnation et de la résurrection introduisent « un changement qualitatif définitif dans le temps ». Bien sûr, « reste la question de l’extension aux individus de ce qui est acquis à la nature entière », mais « jamais on ne pourra revenir en arrière. Il y a, au sens complet du mot, un passé et un avenir. Cette foi dans le caractère irréversible du salut acquis fonde l’espérance chrétienne » (10). La continuité entre les événements de salut explique que ce qui vient en premier est bon en son temps, mais aussi provisoire. « Le péché du judaïsme est un péché d’anachronisme ; il consiste à vouloir arrêter le plan de Dieu à un moment de sa croissance, à maintenir des formes périmées » (13). « La tentation du précurseur est de refuser de s’effacer, c’est-à-dire de refuser l’histoire »7.

Nous avons montré ce qu’il y a d’essentiel dans la typologie historique. Mais est-ce qu’une limite de l’analyse n’apparaît pas ici, liée peut-être à l’insuffisance des deux seuls concepts d’événement et de succession ? On peut se demander si, avec eux, la dimension chronologique de l’histoire ne prend pas toute la place aux dépens de sa dimension ontologique.

Notre auteur nous a appris à discerner dans l’histoire la permanence des actions de Dieu qui ont un commencement mais jamais de fin, puisqu’elles sont éternelles ; chacune est re-créatrice et aucune n’annule la précédente, mais la confirme dans son statut historique8. Si Daniélou affirme que l’histoire que nous vivons est sainte, il n’en pense pas moins que telle forme historique du christianisme ou du judaïsme n’est qu’une réponse caduque au don de Dieu ; mais peut-il en aller ainsi de l’économie de l’alliance noachique ou mosaïque ? Pour la dimension historique et objective de la typologie, cela peut être. Mais l’histoire est aussi le sacrement d’un mystère d’intériorité qui ne passe pas9.

Certes, il n’y a pas à proprement parler de pluralité d’économies, Daniélou y insiste, mais une diversité ordonnée des moments d’une unique économie. Il a eu l’occasion de le préciser dès le temps du Concile, en réagissant à l’avant-dernier état de la Déclaration Nostra Aetate, le « texte III », où l’on citait de manière abusive une affirmation « ambiguë » de saint Irénée sur « les économies diverses du salut »10.

Instruite des économies du salut (Adv. Haer. IV 28,2), [l’Église catholique] considère avec un respect sincère les manières de vivre et d’agir, les règles et les doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même propose, cependant apportent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes11.

Et Daniélou de commenter : « L’équivoque de ce passage est qu’il paraît identifier les diversités entre le christianisme et les religions et les diverses économies du salut, comme si chaque religion était une économie du salut. Or, d’une part, ce n’est pas du tout le sens du texte d’Irénée. Celui-ci parle d’économies successives. Les religions ont été la seule voie d’accès à Dieu, avant la révélation. Mais précisément, Irénée reproche aux païens et aux Juifs d’en rester à un stade périmé par la révélation de Jésus-Christ. D’autre part, entre christianisme et paganisme, il ne s’agit pas de diversité, mais de changement d’ordre »12.

Exprimant au même moment sa joie des initiatives de Paul VI à Bombay pour le dialogue « avec les non-chrétiens » (2-5 déc. 1964), Daniélou partageait son inquiétude devant les conclusions de certains de ses confrères lors du colloque théologique tenu dans la même ville (25-28 nov.), « où avait percée l’idée que les religions pouvaient être des voies de salut parallèle au christianisme et aussi valables que lui »13. « C’est tout confondre que de dire que le salut peut se faire à travers les religions »14. Dans « la situation présente … il est impossible d’affirmer sans plus que le bouddhisme ou le judaïsme sont des économies du salut »15. Aucune des étapes de l’économie ne produit par elle-même le salut, sinon dans la dynamique « christomorphique » de l’ensemble du dessein divin. Et donc aucune religion, qu’elle soit liée au régime de l’alliance noachique ou de l’alliance mosaïque, n’est à elle seule instrument de salut16.

Mais Daniélou est-il cohérent jusqu’au bout quand il affirme sans plus, comme il le fait à plusieurs reprises dans l’Essai et ailleurs, qu’une étape de la disposition divine « abolit » la précédente17 ? Chacune des étapes de l’économie du salut n’a-t-elle pas pour lui assez de consistance historique et mystique pour développer, tant que dure ce monde, ses potentialités et mettre les hommes qui en vivent en chemin vers l’accomplissement, qu’ils se situent chronologiquement avant ou après l’incarnation18 puisque, comme l’écrit H. Butterfield qu’il cite : « Every generation is equidistant from eternity »19 ? N’est-ce pas ce que signifie le fait que la symbolique historique n’annule ni ne remplace la symbolique cosmique des religions naturelles, mais qu’elle l’assume en la confirmant (cf. 133) ?

C’est ainsi, nous semble-t-il, qu’on pourrait répondre à qui demande : « l’élection du peuple juif était-elle une économie provisoire qui s’est achevée en Jésus-Christ, ou est-elle coextensive à l’histoire ? »20 : la célébration, aujourd’hui, par Israël, de la première Pâque ne continue-t-elle pas d’être un signe vivant pour les baptisés, une espérance qui prophétise l’évangélisation des Nations et la Pâque définitive de l’humanité (cf. 206-207)21 ? Ou bien n’y aurait-il que le passé qui prophétiserait ?

2 Accomplissement et consommation

Mais non, puisque « l’histoire sainte est faite de commencements absolus qui restent ensuite éternellement acquis » (11) et qu’il en est ainsi de l’accomplissement lui-même et de l’attente de la consommation de l’ œuvre divine. Daniélou souligne la dimension eschatologique des interventions divines. Tout l’ordre de la création, « le monde politique et celui de la culture », le « progrès humain » et « l’histoire profane » constituent à la fois ce qui est « en sursis » et « ce qui est sauvé » (22.23) : « le chrétien appartient encore à ce monde. C’est pourquoi la relation de l’Église et de la Cité temporelle ne peut jamais être conçue comme l’harmonie de deux sociétés juxtaposées, l’une couronnant l’autre, mais comme la tension dramatique de deux époques successives de l’histoire totale » (23). Le païen fidèle à la « révélation naturelle », qui se fait dans son cœur par l’action de la grâce devant l’ œuvre de la création et de la Providence, vit déjà de « l’alliance historique avec Noé » (137), qui l’oriente vers l’achèvement du dessein divin par le Christ. De son côté, « la révélation a besoin de la symbolique cosmique pour ressaisir la totalité de la réalité », puisqu’elle est ordonnée au salut de cette réalité, même si « elle doit veiller à ne pas se laisser assimiler par elle » (139).

« Le mystère du temps … a pour objet … de permettre le retour à Dieu des libertés qui ne peut être que progressif » (245). L’histoire du salut doit se faire histoire totale. La consommation n’est pas le résultat d’un développement homogène de l’accomplissement : la fin de l’histoire est le fruit d’un acte souverain de Dieu inaugurant un autre éon, comme le huitième jour s’oppose à la semaine cosmique, ou le temps pascal au carême (cf. 247-260). Mais la fin est déjà arrivée dans la résurrection du Christ ; l’événement à la fois inaugural et décisif du Jugement est survenu.

Pourtant « ici, c’est un grand tumulte de voix. D’abord bien sûr entre Juifs et Chrétiens … (mais) les chrétiens eux-mêmes sont loin de s’entendre sur ce que signifie ‘l’eschatologie du NT’, c.-à-d. sur la relation qui existe entre l’avènement de Jésus et la fin des temps » (262). Avec un bon sens tout catholique, Daniélou fait son chemin parmi les propositions de A. Schweitzer (eschatologie conséquente), Ch.-H. Dodd (eschatologie réalisée), M. Bultmann (eschatologie existentielle) et O. Cullmann (eschatologie anticipée), vers celle de D. Mollat : l’eschatologie commencée. Il rejoint ce faisant ce témoin de la tradition qu’est saint Thomas d’Aquin, dont la christologie est placée sous l’enseigne du Christ-voie : le Christ a ouvert la voie vers les réalités salutaires en inaugurant l’Alliance nouvelle qui ne s’achèvera qu’au Ciel22. L’avènement du Christ, puisqu’il apporte la plénitude du salut, apporte aussi la suprême liberté humaine. Cette liberté trouve son paradigme en Israël, qui détient avec les Écritures la clé de l’accomplissement.

« Pour vous, écrit E. Fleg au P. Daniélou, Jésus, quoique Dieu, fut vraiment un homme, un homme de son pays et de son époque, avec les tendresses, avec les colères, avec les ignorances de l’homme. Mais, s’il en fut ainsi, de quel droit maudire, en son nom, ceux qui l’ont pris pour un homme ? Sujet à l’ignorance, ne pouvait-il être sujet à l’erreur ? Ce Royaume messianique qu’il annonçait, l’a-t-il réalisé selon nos prophéties ? L’épée s’est-elle changée en serpe ? Le loup broute-t-il près de l’agneau ? La connaissance de Dieu couvre-t-elle la terre, comme l’eau couvre le fond des mers ? »23.

En un sens, toute la troisième partie de l’Essai tente de répondre à cette question, indécidable au plan théorique seul, par l’engagement conjoint de la liberté et de la foi. « La spiritualité chrétienne est le retentissement, dans l’existence individuelle, de l’histoire du salut » (273). « Ce temps est une perpétuelle venue du Christ, une perpétuelle Parousie, un perpétuel Avent. Le mot par lequel le Christ inaugure sa prédication en reste la définition : ‘Faites pénitence, car le Royaume de Dieu est proche’ (Mt 4,17) » (273)24.

3 L’Église, Israël et les Nations

La préparation de la seconde Parousie ne consiste pas en une attente seulement, mais en une transmission. « Nous vivons à l’ombre du Christ parmi les nations », disait Origène (16). Aucune pax romana ne peut être identifiée avec la pax messianica (cf. 58). L’attente d’Israël est le témoin de cet écart bienfaisant. « La tension entre la sphère … de Dieu et celle des royaumes terrestres continue d’exister » (ibid.). L’auteur de la Lettre à Diognète a compris cette relativisation des appartenances pour les chrétiens : « toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère » (63).

Mais la liberté n’autorise aucun mépris : « Si les autres traditions disparaissaient de la surface de la terre, ce serait une perte irréparable. Les missionnaires n’en ont que trop fait disparaître déjà », remarquait Simone Weil (117). « La mission chrétienne, quand elle est ce qu’elle doit être, n’est pas destruction, mais libération et transfiguration des valeurs religieuses du paganisme. Le Christ n’est pas venu détruire, mais accomplir » (119). La « théologie de la Vigne » nous l’enseigne :

C’est cette vigne qui grandit … jusqu’à remplir le monde entier. Tous les grands peuples du monde doivent porter leur grappe de saints … Sur la place des ouvriers attendent encore, pour lesquels l’embauche, l’appel à l’alliance ne viendra qu’à la neuvième et à la onzième heure.

(179)

Rien de ce qui est vrai dans les religions non-chrétiennes ne doit être rejeté comme étranger, mais achevé et accompli. Si nous élargissons la perspective de Daniélou en considérant plus positivement que lui la permanence et la fructification de l’alliance noachique et mosaïque au temps de l’accomplissement, « nous savons que le délai de la Parousie est de permettre ‘qu’aucun ne périsse, mais que tous parviennent à la pénitence’ (2 P 3,9) » et que « ‘hâter la Parousie du jour du Seigneur’ … ne peut avoir absolument qu’un sens : travailler à l’évangélisation du monde … La grâce du Christ cherche à engloutir tout ce qui est encore païen, à revêtir la nature blessée et jusque là incomplète. Non point enlever le vêtement, mais mettre l’autre par-dessus » (340).

« Mais si Jésus est l’hôte que nous recevons aujourd’hui, il ne faut pas oublier qu’il est celui qui nous recevra un jour » (72). Le signe de la Cène, où la vie terrestre du Christ touche à l’inauguration de la vie sacramentelle, où l’accomplissement eschatologique est à la fois anticipé et prophétisé (cf. 235), est comme la clé de ce renversement. La connaissance chrétienne du mystère de l’histoire est le fruit de cette expérience anticipée des biens futurs que symbolise l’Eucharistie, mystère « absolument inaccessible à tout esprit et qui ne peut être connu que de celui que Dieu y introduit » (323). Cette « intelligence religieuse de l’histoire présente et [cette] connaissance anticipée de la cité future » a pour ultime critère « la charité dans la vie » (326).

Au terme de notre parcours, rassemblons quelques convictions nées de notre lecture.

– La solidité de la théologie de l’accomplissement de Daniélou tient au caractère central du mystère du Christ. Dire que le Christ est le centre du mystère de l’histoire, c’est dire que nous attendons et préparons avec lui et en lui la manifestation définitive du Royaume des Cieux. Les chrétiens sont, avec les autres hommes, à l’intérieur de l’histoire en voie d’accomplissement.

– Les affirmations de Daniélou sur la permanence des actions de Dieu à travers les temps et sur la coopération des hommes au dessein de salut permettent de comprendre que l’histoire biblique est la norme intérieure et la clé de l’histoire totale avant comme après le Christ.

– Les sacrements font coïncider chaque temps de l’histoire avec son centre. Ils sont les actions décisives de l’histoire totale après le Christ.

– La contemporanéité des moments de l’économie et de l’alliance — noachique, mosaïque et christique — est une question pour la cohérence de notre auteur. La consistance et la permanence de l’alliance noachique, entée sur la création, sont mieux affirmées par lui que celles de l’alliance mosaïque. Or, c’est en lisant les Écritures d’Israël qu’il découvre le dessein de Dieu et la typologie de l’alliance. De plus, celle-ci n’a une signification typologique que parce qu’elle a aussi une signification historique et littérale. Israël n’est ni un moyen terme entre la création et le Christ, ni une nation parmi les nations. Il est l’olivier franc sur la racine duquel les nations sont greffées pour devenir participantes de l’élection du Christ.

La théologie chrétienne des religions non-chrétiennes médite la bénédiction de grâce et l’alliance pérenne de Dieu avec Noé et ses fils, malgré leurs péchés. Elle est un fruit de la participation des chrétiens à l’élection et à la bénédiction pérenne d’Israël dans le Christ. Elle suppose la relecture dans le Christ des Écritures d’Israël et l’écoute de la lecture que fait Israël de ses propres Écritures. C’est dans son lien à sa racine vivante, Israël, que l’Église réfléchit théologiquement le pluralisme religieux.

Notes de bas de page

  • * Cet article, tout comme le suivant de ce même numéro p. 258-273, est la reprise d’une conférence prononcée lors du colloque « Actualité de Jean Daniélou » tenu à l’occasion du centenaire de sa naissance, à l’Institut de France à Paris, le 19 mai 2005, dont les Actes paraîtront prochainement au Cerf.

  • 1 Daniélou J., Essai sur le mystère de l’histoire, Paris, Seuil, 1953, p. 181-200. Les chiffres entre parenthèses tout au long de cet article renvoient aux pages de cet ouvrage.

  • 2 Cf. Dupuis J., Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, tr. O. Parachini, coll. Cogitatio fidei 200, Paris, Cerf, 1997, 655 p. ; voir surtout p. 200-206.

  • 3 Le concept de nature chez Daniélou (« religion naturelle ») a un sens plutôt augustinien ; il inclut les déterminations historiques concrètes, ici la grâce de l’alliance noachique. Dupuis nous paraît faire sur ce point un contre-sens, Vers une théologie chrétienne … (cité supra n. 2), p. 202 (en sens contraire p. 329 !).

  • 4 Daniélou J., Sacramentum futuri. Études sur les origines de la typologie biblique, coll. Théologie historique, Beauchesne, Paris, 1950, p. 258. Il s’agit de la phrase conclusive et de l’intention principale de l’ouvrage (cité désormais Sacramentum futuri).

  • 5 La critique de l’allégorie philonienne au regard de la typologie chrétienne n’empêche pas que soit indiqué le beau fruit né de leur rencontre : « Toute une tradition patristique va nous montrer l’union des deux interprétations … l’apport philonien donnera chez Origène ou Grégoire de Nysse, une ‘intériorité’, une profondeur réflexive que la typologie pure était tentée de négliger … Nous voyons ici aux prises l’histoire et la subjectivité … L’histoire risquait d’évacuer la richesse intérieure en pure objectivité, mais l’intériorité risquait aussi d’absorber l’histoire », dans Sacramentum futuri, p. 117.

  • 6 Sacramentum futuri, p. 100 et 117. « Abraham n’est pas seulement un moment de l’histoire du salut » : il est en relation avec son centre, cf. Abraham, Père des croyants – Cahiers Sioniens 5/2 (1951) 69 (161).

  • 7 Dans le même ordre d’idée, Daniélou souligne le « paradoxe de l’histoire présente où se trouvent coexister l’ordre ancien des nations … et l’ordre nouveau de l’Église » (51). Ce paradoxe interroge l’Église et les nations ; la valeur positive de l’ordre des nations tant que dure ce monde peut contribuer à renouveler la perspective sur la valeur pérenne de la mission d’Israël aux derniers temps.

  • 8 La théologie médiévale exprimait cela en notant que l’économie du salut implique que chacun des moments (tempus) du dessein divin constitue aussi un régime, ou état (status) de salut, dont la valeur n’est pas seulement chronologique mais ontologique, cf. Guggenheim A., Jésus Christ Grand Prêtre de l’ancienne et de la nouvelle Alliance. Étude théologique et herméneutique du commentaire de saint Thomas d’Aquin sur l’Épître aux Hébreux, coll. Thèse de l’École cathédrale, Parole et silence, 2004, p. 505-510 et p. 146-157.

  • 9 Cf. le texte de Sacramentum futuri, p. 117, cité note 5.

  • 10 « Le Père Daniélou, qui exerça ses fonctions d’expert auprès de la Commission théologique, non auprès du Secrétariat pour l’Unité, ne participa pas à son élaboration », mais « en 1964 et 1965, il rédigea à l’intention des évêques plusieurs notes sur ce sujet … On trouvera dans ce numéro celles de ces notes qui sont restées inédites », dans Bulletin des Amis du Cardinal Daniélou 14 (1988) 1 (cité désormais Bulletin 14).

  • 11 Texte III, n° 2,2 (distribué aux Pères le 18/12/1964), tr. M.-J. Rondeau, dans Bulletin 14, p. 41.

  • 12 Daniélou J., Le dialogue avec les non-chrétiens, note du 28/12/1964, reproduite dans Bulletin 14, p. 28. Cette réserve a été entendue, cf. Acta Synodalia 4/4, p. 702 : « L’expression ‘les dispositions variées du salut’ n’est pas bonne. — Réponse : Le modus est accepté et la citation de saint Irénée est supprimée à cause de son ambiguïté ».

  • 13 Rondeau M.-J., « Les travaux conciliaires du Père Daniélou. Autour de la Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non-chrétiennes », dans Bulletin 14, p. 19.

  • 14 Daniélou J., note du 28/12/1964, dans Bulletin 14, p. 25.

  • 15 Bulletin 14, p. 33.

  • 16 Dans une lettre de Lubac à Daniélou le 11/07/1965 : « À la dernière réunion du Secrétariat pour les non-chrétiens, votre présence aurait été utile. Quelques-uns font en effet pression pour qu’on déclare la valeur salutaire des diverses religions comme telles. J’ai lutté comme j’ai pu là contre », cité par M.-J. Rondeau, dans Bulletin 14, p. 20.

  • 17 Peut-être n’écrirait-il plus : « la réprobation d’Israël apparaît comme exigée par la nécessité de manifester visiblement l’abolition de l’ordre ancien. Elle fait partie de la même économie que la destruction du Temple. Elle nous frappe davantage parce qu’elle atteint une race vivante », Le Signe du Temple, Desclée, 1990 (1942), p. 62. À côté d’expressions très fortes de la Présence et de l’Habitation de Dieu dans le mystère prophétique de l’histoire à toutes les étapes du dessein de salut (p. 58-59), ce livre comporte, comme d’autres œuvres de la même époque, des expressions qui feraient scandale aujourd’hui (p. 62-63). En témoignage de l’attitude amicale et respectueuse de Daniélou envers le judaïsme vivant, outre ses dialogues avec Edmond Fleg ou André Chouraqui, on peut relire dans Jean Baptiste, témoin de l’Agneau (1967) : « Étant donné la détente qui existe entre chrétiens et juifs, étant donné l’effort, dans l’Église, contre tout ce qui subsistait d’antisémitisme, étant donné aussi que l’État d’Israël libère les Juifs d’un complexe de dispersion et leur permet d’aborder les problèmes plus sereinement, la question de l’attitude vis-à-vis des événements racontés dans l’Évangile est modifiée. Pour les étudiants en théologie rabbinique de Jérusalem, l’enseignement de l’Évangile fait partie d’une culture universitaire complète » (Desclée, 1993, p. 139).

  • 18 Cf. l’analyse par Thomas de la pérennité des préceptes cérémoniels de la Loi au temps de la prédication de l’Évangile par le Christ (S.Th. Ia IIae 103, 3 ad 2) et de la constitution de l’Église (ibid. 103,4 ad 3). La caducité de la lettre de la Loi ancienne, qui, chez Thomas, ne vaut que pour ses préceptes cérémoniels figuratifs, s’étend pour Daniélou à toute la Loi, tout entière pensée comme figurative. On pressent le fruit que l’on peut espérer pour ces questions d’un dialogue vivant avec la théologie d’Israël.

  • 19 Christianity and History, London, G. Bells and Son, 1949, p. 66, cité p. 100.

  • 20 Bulletin 14, p. 2 (« Liminaire » non signé).

  • 21 La justification théologique du Grand Jubilé de l’an 2000 et de ses conséquences d’éthique sociale sont un acte théologique du magistère qui va dans ce sens (Tertio millenio adveniente [1994] n° 9-23.51). C’est en tout cas ce que suggère le cardinal Lustiger dans sa « Présentation » du texte (le Cerf, p. x) : « Le Pape désigne cette parole de Dieu par les prophètes comme ‘pédagogie divine qui atteint son but dans le Christ’. Il précise la permanence du témoignage donné par les livres de la Bible. Le Pape ne se contente pas de rappeler la permanence de la Parole donnée dans la première Alliance, dans cette Lettre pastorale, il met en œuvre ce qu’il enseigne ». On peut penser encore au geste de Jean-Paul II confiant à la miséricorde de Dieu et à la prière d’Israël, à la manière d’un Juif pieux, sa demande de pardon pour les fautes de l’Église envers les enfants de la première Alliance, en la glissant dans un interstice du Mur occidental.

  • 22 Cf. III pars, Prologue et Lectura in He 9, 8 (nos 429-430 dans l’édition Marietti).

  • 23 Fleg E., « Lettre au Père Daniélou », dans Dieu vivant 7 (1946) 83 (reprise dans Daniélou J., Dialogues, Le Portulan, 1948, p. 157-162). Une réponse du Père Daniélou est jointe à ce texte.

  • 24 Récemment, Giorgo Agamben a montré dans sa relecture de saint Paul comment le dialogue avec la pensée juive permet d’éviter l’aporie qui consiste à penser le temps messianique comme un supplément de temps chronologique : Agamben G., Le temps qui reste. Un commentaire de l’Épître aux Romains, tr. J. Revel, Rivages, Payot, 2000.

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