Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Le synode des évêques pour le Proche-Orient

Samir Khalil Samir
Les Églises du Proche-Orient sont confrontées à l’émigration de plus en plus forte des chrétiens. Le récent Synode a mis en lumière les défis posés par l’Islam ainsi que celui de la paix dans un continuel climat de guerre et de violence. Le Synode n’a pas nié les défis venant aussi de l’intérieur, obligeant ces Églises à réfléchir sur la crédibilité du témoignage des chrétiens et de la communion ecclésiale. Témoignage et communion, deux orientations maîtresses pour tenter de relever positivement le principal défi posé par le processus d’islamisation croissante de la vie politique, sociale, culturelle. Le message du Synode se veut un message d’espérance pour construire ensemble un projet commun à tous les hommes de bonne volonté.

I Situation actuelle des chrétiens du Moyen-Orient

L’ensemble du territoire du Moyen-Orient — du point de vue du Synode Catholique — comprend le Liban, la Syrie, La Palestine, la Jordanie, Israël, l’Égypte, l’Irak, ainsi que les pays où les chrétiens sont moins de 1% de la population, à savoir l’Iran, la Turquie, auxquels il faut ajouter l’Afrique du Nord et les pays de la péninsule arabique où ils sont pour la plupart des travailleurs étrangers. La situation des chrétiens du Moyen-Orient varie d’un pays à l’autre. Ils sont au nombre de 8 millions en Égypte. Avec moins de 2 millions, ils représentent une forte présence au Liban, en réduction toutefois, passant de 50% de la population du pays il y a une quarantaine d’année à 35% aujourd’hui. Ils constituent 5% de la population en Syrie, 3% de celle de la Jordanie et de l’Irak, et moins de 2% de celle de la Palestine et de l’État d’Israël. Tous ces pays sont arabes, à l’exception de l’État d’Israël. Avec la Turquie et l’Iran qui ne sont pas arabes, ces pays forment un ensemble homogène dans leur référence commune à l’Islam et forment en quelque sorte le cœur du monde musulman tout comme Israël forme le cœur du monde juif.

Points communs à ces pays

Qu’en est-il du fait chrétien dans ces régions ? Si les situations auxquelles sont confrontés les chrétiens sont différentes d’un pays à l’autre, n’en demeurent pas moins quelques points communs.

1. Le premier élément fondamental à relever est que toutes ces Églises sont apostoliques : elles ne doivent pas leur existence à d’autres Églises, mais remontent directement aux apôtres. C’est vrai pour l’Égypte et la Syrie (laquelle inclut historiquement le Liban et la Palestine). Ce l’est encore plus pour la Palestine et l’État d’Israël : c’est là qu’est né le christianisme. L’Irak, par ailleurs, a rapidement été christianisé. Nous sommes donc devant des Églises bien antérieures à l’avènement de l’Islam. Ainsi en est-il aussi de l’Iran, et tout particulièrement de la Turquie dont saint Paul a sillonné les terres.

2. Autre fait à relever : sauf en Israël, ces Églises sont confrontées à une présence massive de l’Islam, présence qui remonte au viie siècle. Or depuis une trentaine d’années ces Églises subissent une forte pression de la part d’un Islam de plus en plus radical et face auquel elles ont à réagir dans des situations politiques chaque fois particulières. Il y a les pays de tendance laïque : c’est toujours le cas de la Syrie comme ce fut celui de l’Irak avant le renversement de Saddam Hussein. Il y a les pays de tendance islamique comme l’Égypte, ou encore la Turquie qui, tout en étant officiellement un pays laïc, prend de plus en plus une orientation islamique. Il y a enfin les pays tout à fait islamiques, radicaux tels l’Arabie Saoudite et l’Iran, ou tolérants tout en étant musulmans, telle la Jordanie. Le Liban constitue dans cet ensemble un cas particulier : il s’agit d’un pays arabe qui n’est pas pour autant musulman et où, de facto et pour des raisons historiques, chrétiens et musulmans se partagent le pouvoir.

3. Enfin, dans tout ce contexte on ne saurait sous-estimer l’impact de la création de l’État d’Israël en 1948. Les conflits, les drames et les tragédies dont cette création a été la cause ont contribué à la déstabilisation de toute la région.

II Les défis du Synode

On pourrait ramener à cinq les défis que le Synode a voulu relever. Il y a ceux qui viennent de l’extérieur et ceux qui sont intérieurs aux Églises d’Orient.

1 Les défis qui viennent de l’extérieur

a) Le premier consiste dans le défi qui vient de l’Islam et de l’islamisation de la société dans les régions où se trouvent les Églises chrétiennes. Le phénomène s’est imposé à partir des années soixante-dix. On peut parler à ce propos d’un processus d’islamisation croissante de la vie politique, sociale, économique et surtout culturelle, qui rejoint chacun jusque dans sa vie quotidienne. Ce processus se vérifie à tous les niveaux de la vie en société, déjà dans un pays comme l’Égypte qui, sans être un État islamique, n’en est pas moins un État dont la Constitution trouve la source fondamentale de sa législation dans la loi islamique, mais encore plus dans des pays comme l’Arabie et l’Iran.

Les Églises chrétiennes se trouvent mises ainsi devant un grand défi. En effet, cet islam radical est aussi un islam militant et dont la militance s’exprime dans une propagande très bien orchestrée aussi bien dans les milieux universitaires que dans l’armée, sans parler de son recours intensif aux médias pour rejoindre toutes les classes de la société. Aux temps forts de l’année, comme par exemple durant le Ramadan, la propagande atteint son paroxysme, et les chrétiens y sont confrontés, qu’ils le veuillent ou non. Ainsi se trouvent-ils islamisés malgré eux. Cet endoctrinement forcé touche les couches les plus fragiles de la population chrétienne, moins éduquées ou économiquement plus fragiles, qui peuvent être attirées par un Islam qui leur promet un monde meilleur et qui, souvent, se sentent totalement dépourvues pour rendre compte de leur foi face à cet Islam omniprésent.

b) Le second défi a trait à la paix, dans un climat de guerre et de violence, qu’il s’agisse de la guerre israélo-arabe ou de la violence endémique dans certaines régions du monde musulman. La guerre d’Irak est devenue une guerre interne au monde musulman avec un terrorisme de souche islamique qui, après avoir affecté les communautés chiites et sunnites, s’en prend aux communautés chrétiennes. Il y a un côté aberrant à la situation qui s’est développée en Irak. Déjà comme telles, on ne saurait justifier les violences entre des factions musulmanes, chacune dotée de sa propre milice et de sa propre armée.

Mais on comprend encore moins le pourquoi d’agressions totalement indéfendables contre des chrétiens qui n’ont ni pouvoir ni milice. Malheureusement, le but de ces manœuvres est clair. Il s’agit d’effrayer les populations chrétiennes pour qu’elles quittent les grandes villes telles Bagdad ou Mossoul et aillent se réfugier dans les villages montagneux du Nord-Est Kurdistan, ou encore émigrent à l’étranger, vidant ainsi l’Irak de sa population chrétienne. Tel est le projet des islamistes radicaux visant les chrétiens au premier chef. Il n’est pas celui du musulman ordinaire, même si celui-ci, tout en regrettant ces actes de violence, se tait — comme toujours —, ne fait rien contre, tout au plus se contente de condamner faiblement et verbalement. Quant aux gouvernements successifs, ils n’osent pas s’attaquer sérieusement à ce terrorisme islamique.

2 Les défis posés de l’intérieur aux Églises d’Orient

a) Ce sont d’abord les divisions internes aux Églises, soit dans la relation entre les évêques et le clergé, soit dans la relation de ceux-ci avec les fidèles, relation traditionnellement autoritaire et malsaine. Sur ce point, le Synode a cherché à faire son autocritique en affirmant qu’il est nécessaire de renouveler et de réformer nos Églises. Le Synode a aussi souligné et dénoncé un certain embourgeoisement du clergé et des religieux et religieuses.

b) Un autre danger, plus grave peut-être, menace nos Églises catholiques du Proche-Orient, c’est le fait que chaque Patriarcat, doté de sa propre hiérarchie, tend à se donner son propre projet pastoral. Ainsi, dans une même région ou dans une même ville, trouve-t-on plusieurs évêques qui s’entendent bien entre eux, mais qui cherchent chacun à développer sa propre pastorale. On a ainsi des projets pastoraux communautaires, certes, mais qui ne sont pas communs à tous les catholiques et moins encore à tous les chrétiens. On en arrive donc à une division de facto, division qui n’est aucunement de principe, pas plus qu’elle n’est théologique, mais qui, en s’imposant sur le terrain, conduit à une coexistence des communautés chrétiennes et nuit à un projet global qui unirait tous les chrétiens ou, au moins, tous les catholiques.

c) Et bien sûr, il y a cet ultime danger interne aux chrétiens qu’est la division entre les Églises catholiques et orthodoxes dans l’Orient chrétien. Au niveau des fidèles, le Synode a constaté que les relations œcuméniques sont tout à fait normales et habituelles. Ces fidèles, tout en appartenant à des Églises différentes, se marient entre eux, partagent souvent la prière voire les sacrements. Il y là un œcuménisme de terrain qui n’est pas toujours le fait des évêques. Il y a donc un effort sérieux à entreprendre pour une plus grande communion entre chrétiens en vue d’un témoignage commun à donner à nos frères musulmans. Tels sont d’ailleurs les deux grands sous-titres du rapport (relatio ante disceptationem) que présentait Mgr Antonios Naguib, à l’ouverture du Synode : la communion ecclésiale et le témoignage chrétien1.

III Pourquoi ce Synode ?

1 Les raisons de réunir le Synode

L’initiative est certes venue de Rome. Mais tout est parti de la situation de l’Irak. Un évêque de passage à Rome suggérait au Pape en janvier 2009 la tenue d’un synode qui rassemblerait les évêques de la région du Proche-Orient pour affronter cette question. Une même demande lui était formulée par les évêques, lors de son voyage en Jordanie-Palestine-Israël en mai de la même année.

Cette demande venait d’un constat : la situation des chrétiens au Moyen-Orient se détériore avec, comme conséquence, une émigration de plus en plus forte en Occident. Ainsi par exemple la guerre du Liban (1975-1990) a eu pour conséquence une très forte émigration des chrétiens libanais vers l’Europe et l’Amérique. Certes, une fois la guerre terminée, un certain nombre d’entre eux sont rentrés au pays, mais une forte proportion est restée définitivement à l’étranger. Il y a là un phénomène qui va se répétant un peu partout.

L’émigration est en effet devenue un fait notoire dans certaines régions. Ainsi les chrétiens de Palestine, en nombre toujours plus grand, quittent leur pays pour ne plus y revenir, ce qui est aussi le cas, bien que dans une moindre mesure, des chrétiens arabes autochtones d’Israël. Ce mouvement est allé s’accélérant ces dernières années. On est surpris par ailleurs de constater dans certains pays, tel le Liban, où la situation religieuse ne justifie absolument pas un tel exode, qu’une proportion importante de chrétiens choisissent d’émigrer. Les causes de cet exode ne sont pas uniquement religieuses. Elles découlent d’une situation globale d’insécurité liée à des problèmes politiques et économiques qui se doublent dans certains cas de problèmes religieux.

Au Moyen-Orient, les premiers groupes à émigrer sont toujours les chrétiens, suivis ensuite par des musulmans. Mais la proportion de ces derniers est faible comparée à celle des chrétiens. Ainsi, au cours des cinquante dernières années, la proportion des chrétiens au Moyen-Orient s’est probablement réduite d’un tiers, ce qui, à ce rythme, laisse présager le risque de se retrouver d’ici la fin du siècle en certains pays avec des minorités chrétiennes qui n’auront plus aucun impact sur la société, comme c’est déjà pratiquement le cas aujourd’hui en Palestine et en Irak, à l’instar de la Turquie et de l’Iran. Étant donné le morcellement en de multiples Églises et communautés qui caractérise le christianisme du Proche-Orient, il était urgent de se retrouver en synode pour réfléchir ensemble à la situation.

2 La préparation du Synode

La préparation du Synode s’est faite de manière assez simple en termes de rencontres d’au moins deux jours, à trois reprises, à Rome, au secrétariat pour le Synode. Ces rencontres regroupaient les sept patriarches des Églises d’Orient : le patriarche maronite, le patriarche grec-catholique, le patriarche syrien-catholique, et les patriarches arménien-catholique, copte catholique, chaldéen et latin. Trois cardinaux de Curie participaient à ces travaux : le cardinal Tauran pour les rapports avec l’Islam, le cardinal Kasper pour ceux avec le judaïsme, et le cardinal Sandri pour les relations entre les Églises catholiques d’Orient. Il y avait en outre un expert nommé par le Saint Père, moi-même en l’occurrence, et bien sûr l’évêque secrétaire des Synodes, Mgr Nikola Eterovic. Dans ces trois rencontres de septembre 2009, novembre 2009 et avril 2010, il n’y a pas eu d’apport venu de l’extérieur, chaque patriarche venant avec ce qu’il vivait et entendait.

On a d’abord établi le texte des Lineamenta, c’est-à-dire des “Orientations” pour le Synode. Ceci fait, la rédaction finale fut confiée à un des membres du groupe. Ce texte a ensuite été rediscuté à la rencontre de novembre, de sorte que le document officiel puisse être publié et distribué aux patriarches en décembre et, par leur entremise, à tous les évêques et finalement à toutes les paroisses. Entre décembre 2009 et mars 2010, il était demandé à toutes les paroisses de débattre de ce texte qui comprenait une trentaine de questions. Arrivèrent alors d’un peu partout, du Moyen-Orient certes, mais aussi d’émigrés catholiques orientaux, les réponses à l’une ou l’autre des questions posées, ou encore des réponses d’ordre plus global donnant des suggestions pour le Synode.

Ces trois cent pages de réponses furent alors confiées à la personne chargée de rédiger l’Instrumentum laboris, qui reprenait en partie la structure des Lineamenta et qui était destiné à devenir le document de travail pour le Synode. Consigné à la réunion de groupe du week-end d’avril 2010, il a été discuté en trois groupes. La même personne qui avait rédigé le précédent document rédigea alors le texte définitif qui fut soumis en mai au secrétariat du Synode, lequel, après y avoir fait les retouches nécessaires, le fit traduire en trois langues (arabe, anglais et français) et le fit imprimer. Le dimanche 6 juin, à Chypre, le Saint-Père confia le document pendant la messe pontificale aux patriarches et aux quelques évêques présents. Ces deux textes serviront de référence de base aux débats du Synode et à la rédaction finale de ses conclusions.

IV Lignes maîtresses de l’Instrumentum laboris : communion et témoignage

En guise d’introduction le document aborde la situation des chrétiens au Moyen-Orient (Inst. 13-31), les défis auxquels ceux-ci sont confrontés (32-49) et les réponses attendues par ceux-ci dans leur vie quotidienne (51-53). Il développe ensuite sa réflexion selon deux axes majeurs : la communion ecclésiale et le témoignage chrétien, pour terminer sur un message d’espérance.

1 La communion ecclésiale

a) Tout d’abord la communion à l’intérieur de l’Église catholique, entre les diverses communautés (55). À l’arrière plan, il y a le fait que nos communautés sont réparties dans le Moyen-Orient selon un système communautaire qui correspond aux sept Patriarcats d’Orient : six Églises orientales auxquelles s’ajoute l’Église latine surtout présente en Jordanie-Palestine-Terre Sainte. Ce fait chargé d’histoire risque de compartimenter l’Église catholique en Orient — comment dès lors renforcer la communion ? — tout en étant la source d’une richesse extraordinaire. En effet, de nombreux chrétiens, notamment parmi les catholiques, sont à l’aise dans deux ou trois liturgies différentes. Beaucoup de mariages rassemblent des chrétiens de différents rites, ce qui d’ailleurs ne pose pas de problème parce que tous sont catholiques et qu’il ne s’agit aucunement dans ce cas de mariages mixtes. Cette ouverture d’esprit peut certes dégénérer en un pot-pourri où l’identité chrétienne se dilue, tout comme cela peut évoluer vers une ouverture plus grande dans la conscience de l’identité catholique.

La communion entre le clergé et les fidèles (57-59) a également été abordée. Le point est important. Nous vivons en effet en Orient dans une société elle-même fortement hiérarchisée, comme l’est d’ailleurs aussi la famille dans sa relation père-mère-enfants. Or l’Église a trop tendance à reproduire ce modèle sociétal. Le fait a été relevé par le Synode qui, en même temps, a reconnu qu’à l’intérieur de l’Église les rapports peuvent aussi être simples et directs, et souvent même plus qu’ils ne le sont en Europe ou en Occident, du fait que la société orientale est aussi plus simple et conviviale dans ses rapports.

b) À cette dimension de la communion s’ajoute la communion entre les Églises et, avec elle, l’exigence œcuménique. On a fort insisté ici sur la valeur du témoignage commun et sur le fait que les différences entres catholiques et orthodoxes en Orient ne sont pas telles qu’elles entraînent une division entre nous. Ce sentiment est très fortement partagé par les fidèles des différentes Églises qui se demandent pourquoi les hiérarchies catholique et orthodoxe mettent tant de bâtons dans les roues. En effet, si l’on suivait le sentiment profond des chrétiens d’Orient, l’union de leurs Églises serait déjà une réalité. Ce premier axe de réflexion du Synode va donc dans le sens d’une collaboration plus efficace et aussi profonde que possible à l’intérieur de chaque communauté comme entre les Églises.

Ce qui est ainsi largement vécu au sein des Églises catholiques orientales se retrouve au sein des relations entre catholiques et orthodoxes en terre d’Orient. En se fréquentant les uns les autres, on se rend compte que les différences entre catholiques et orthodoxes sont en définitive insignifiantes et que la différence de fond au plan théologique, principalement celle du primat de l’évêque de Rome, n’interfère pas dans les relations au plan de la vie quotidienne2. Cette différence joue de façon plutôt positive de nos jours, alors qu’elle a pu être vécue négativement par le passé si on la considère avec nos yeux d’aujourd’hui. En m’exprimant ainsi, j’insiste sur le « à nos yeux d’aujourd’hui ». Je comprends toujours un événement en le situant dans son contexte. Ce qui est sûr, c’est que, si sur ce point la science du clergé et des théologiens est importante, elle ne recouvre pas la science de la vie. Elle demeure limitée par rapport à elle. Il y a bien la théologie comme science, mais la vie est autre chose.

Le terme « catholique » englobe, sociologiquement parlant, tout l’Occident chrétien, mais aussi l’Afrique, l’Asie, et les Amériques. Les termes « orthodoxe » et « oriental » nous ramènent toujours quant à eux aux sources et à une aire géographique précise. Pour ce qui regarde l’orthodoxie, sa dimension d’ouverture catholique au sens étymologique du terme est plus faible, car l’orthodoxie orientale s’est toujours limitée à une zone géographique et culturelle déterminée, à l’écart de la modernité. Mais la situation s’est sensiblement modifiée au cours des dernières décennies, suite au phénomène récent de l’immigration. Ainsi les émigrés orthodoxes sont beaucoup plus ouverts, par la force des choses, que leurs coreligionnaires de l’intérieur. L’émigration copte, toute récente, en fournit un bel exemple. Elle a commencé dans les années soixante. Elle en est maintenant à sa deuxième génération. Or ces coptes orthodoxes de l’émigration, désormais installés aux États-Unis, au Canada et en Australie, sont beaucoup plus ouverts : on remarquera d’ailleurs que leurs lectures sont essentiellement les ouvrages de Daniélou, de Lubac, parce qu’ils sont en même temps enracinés dans la théologie patristique et ouverts au monde moderne.

2 Le témoignage chrétien

a) Un double renouvellement. On a d’abord insisté sur la nécessité de renouveler la catéchèse pour tenir compte du fait que nous vivons en minorité, ce qui implique une catéchèse à la fois complète et solidement enracinée dans l’Évangile (62-65). Ce point sera repris ensuite et fortement développé pendant le Synode.

Dans ce cadre nous avons aussi insisté sur le renouvellement d’une liturgie qui sache tout en même temps rester fidèle à la tradition (70-75). Il faut dire ici que dans beaucoup de nos églises catholiques orientales on éprouve un double sentiment. D’une part, on sent le besoin de renouveler nos liturgies : on utilise en effet depuis des siècles dans la liturgie la langue arabe parallèlement aux langues d’origine, le grec pour les byzantins, le copte pour les coptes catholiques, le syriaque dans les Églises maronites, syriaques et chaldéennes, et l’arménien dans l’Église arménienne catholique — nos liturgies laissant à la discrétion du célébrant l’utilisation de la langue ancienne ou de la langue moderne, le plus souvent l’arabe ou l’arménien. Par ailleurs les chants et leur traduction ont besoin d’être mis à jour, certains pouvant sembler un peu usés, dépassés même. D’autre part, tout en attirant l’attention sur le renouvellement, nos Églises, conscientes du fait que nos racines, tant aux plan spirituel qu’au plan social, se trouvent dans la liturgie, insistent sur la nécessité d’assurer une continuité pour qu’il n’y ait pas de rupture de fidélité.

b) Mais la dimension la plus décisive du témoignage se situe pour les Églises d’Orient dans leur rapport aux non chrétiens, et plus précisément dans leur attitude vis-à-vis du Judaïsme et de l’Islam.

— La partie de l’Instrumentum laboris (85-90) qui concerne le judaïsme a été beaucoup retravaillée lors de la rencontre d’avril 2009 avec l’aide du cardinal Kasper, étant donné la nature théologique du lien qui unit le christianisme au judaïsme. Il faut dire que sur ce point la situation des chrétiens d’Orient est très délicate, et cela, pour deux motifs.

Le politique et le religieux s’entremêlent en Orient. En effet, la politique identifie spontanément le judaïsme avec État d’Israël, d’autant plus que le mot Israël évoque autant l’État d’Israël que le peuple juif. Et dans la tradition religieuse, on parle, dans le Coran tout comme dans la Bible et la liturgie, « des enfants d’Israël », ce qui ne manque pas de susciter une ambiguïté.

Dans la pratique, les musulmans comme les juifs confondent le religieux et le politique. On a le religieux et le politique dans le concept de l’Islam tout comme dans celui de l’État d’Israël. Ce qui fait que les chrétiens se trouvent en grande difficulté : dès qu’on parle du judaïsme, certains projettent aussi sur le terme la réalité sociopolitique d’Israël. Il fallait donc clarifier dans les textes ce qui n’est pas encore clair dans les esprits en établissant clairement la distinction entre judaïsme et christianisme, tout en maintenant le lien qui relie le christianisme au judaïsme sur le plan proprement théologique, aussi bien pour ce qui regarde l’Écriture que le politique. Bref, il s’agit de ne pas mêler théologie et politique, pas plus d’ailleurs que politique et théologie. On mêle la politique à la théologie lorsqu’on dit par exemple que, politiquement, en tant que croyant juif, les Juifs ont droit à une terre déterminée qui serait la terre de Palestine. On fait alors au nom de la théologie une déduction politique. Ce raisonnement est très fréquent en Occident. Certains veulent y justifier la création de l’État d’Israël par la Bible. Ce risque, nous le constatons aussi chez nous, avec ses conséquences. Et le risque inverse serait que le conflit politique avec Israël entraîne un rejet du lien fondamental qui existe entre le christianisme et le judaïsme. Le christianisme se comprend comme un prolongement de l’Israël biblique, mais dans le sens d’un renouveau profond fondé sur la personne du Christ.

Concrètement, la question qui se pose à beaucoup de chrétiens de chez nous est la suivante : la Bible hébraïque — l’Ancien Testament — est-elle révélée par Dieu ? Certains, souvent influencés par des tendances politiques, répondent avec force par la négative. La réponse catholique est claire. Toute l’Écriture (AT et NT) est révélée par Dieu, comme le dit Paul dans la 2e épître à Timothée : “Car toute l’Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser et apprendre à mener une vie conforme à la volonté de Dieu” (2 Tim. 3,16).

Cette révélation ne s’est pas faite néanmoins sous la forme d’une dictée, selon la conception courante des musulmans. Nous rejoignons ici les notions chrétiennes d’inspiration et de révélation. Or nous sommes quotidiennement confrontés sur le terrain avec nos fidèles qui, tout comme les musulmans, disent, entre autres : « alors Dieu aurait-il ordonné les massacres au moment de la conquête de la terre promise par les Hébreux ? ».

— Par rapport aux musulmans, la question est aussi très délicate (95-98). Dans la rédaction de l’Instrumentum laboris, nous nous sommes basés sur la déclaration Nostra Aetate de Vatican II, ainsi que sur des textes postérieurs, notamment ceux de Jean- Paul II et de Benoît XVI concernant le dialogue islamo-chrétien. Les musulmans aimeraient que nous reconnaissions que le Coran vient de Dieu et qu’il nous a été apporté par le messager de Dieu qu’est Mahomet, ce qui n’est pas la position catholique. Par ailleurs, aussi bien par rapport à l’Islam qu’au Judaïsme, le Synode a clairement affirmé la nécessité de présenter la foi chrétienne aux non chrétiens, comme nous le faisons pour les chrétiens. Mais pour éviter toute confusion avec le prosélytisme, la position du Synode inverse la perspective : nous ne voulons pas forcer le cœur de nos interlocuteurs musulmans à adhérer au christianisme, mais nous ne pouvons pas leur refuser le droit de connaître l’Évangile et la personne du Christ. Pour reprendre le message de saint Paul : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! » (1 Co 9,16). Bien plus, non seulement j’ai le devoir d’annoncer l’Évangile à toute créature, mais il y va aussi d’un droit, de la part de celui qui ne connaît pas l’Évangile, à le connaître. Ce dernier a le droit de connaître Jésus-Christ et le message libérateur qu’est l’Évangile. À ce droit correspond une obligation de ma part, que je le veuille ou non, celle de faire connaître ce que j’ai moi-même reçu (Cf. 1 Co 15,3), avec tout le respect dû à la conscience humaine.

Enfin, le témoignage culmine ici dans le projet de construire ensemble — chrétiens, musulmans, juifs et autres — une cité commune pour tous, à la mesure de la personne humaine telle que Dieu l’a créée. Telle est la contribution des chrétiens, celle d’un « témoignage dans la cité », où l’on accepte de vivre la modernité, lucide sur les ambiguïtés de ce qui se présente sous ce terme, et où l’on aide à tracer un chemin à parcourir ensemble en vue de construire une cité plus ouverte, fondée sur les droits de la personne humaine, l’égalité entre tous et où priorité est donnée aux plus fragiles et aux plus pauvres. Ce projet est au cœur de notre mission de chrétiens.

3 Un message d’espérance

On a vu que la motivation principale qui a suscité la convocation du Synode avait été le constat de la forte émigration des chrétiens des Églises d’Orient. Même si on ne peut pas empêcher quelqu’un d’émigrer ou encore lui dire ‘tu as tort d’émigrer’ — c’est là en effet une décision qui relève de chacun et de chaque famille —, le Synode a aussi voulu rappeler à ces familles qui choisissent d’émigrer la contribution spécifique et irremplaçable du chrétien. Ayez conscience que vous avez aussi une mission. Si nous sommes sur cette terre précise du Moyen-Orient, c’est que Dieu nous y a mis parce que nous avons une mission envers ceux qui nous entourent, en premier lieu les musulmans, mais aussi les juifs et autres…. Ayez confiance, vous les chrétiens, le Seigneur nous soutiendra. Si vous pouvez rester, restez pour transmettre ce message, et si vous émigrez, soyez porteurs du même message. Vous émigrez aussi pour transmettre ce message, et pas seulement pour des motivations économiques ou politiques. Et le document de terminer sur une note d’espérance : « Ne crains pas, petit troupeau » (118-123).

V « Ensemble ». Le mot-clef du Synode

Le Synode a duré deux semaines, du 10 au 24 octobre 2010. La première semaine a été une semaine de « déballage ». Tous les évêques présents et les experts, hommes et femmes, invités au Synode avaient un droit de parole de 4 minutes maximum. En groupes linguistiques d’une vingtaine de personnes chacun, nous reprenions ensuite les questions soulevées les jours précédents. Il revenait au secrétaire de chaque groupe de faire la synthèse des réflexions de son groupe. Le rapport final3 de Mgr Antonios Naguib au dernier jour du Synode reprendra exactement la structure du texte de l’Instrumentum laboris, mais enrichie de toutes les interventions qui auront nourri la réflexion au cours du Synode. À ce rapport était adjointe une liste de 44 propositions soumises au saint Père4 en vue de la rédaction de son exhortation apostolique en lien avec le Synode.

1 Ensemble, avec nos frères juifs, musulmans et autres, pour la Paix

Les questions de fond débattues en assemblée ont eu rapport à l’Islam, à Israël et enfin à la paix au Moyen-Orient. Nous avons déjà eu l’occasion de parler du rapport à Israël. Je n’y reviens pas. Je résumerai la question de la paix au Moyen-Orient comme ceci. La paix recherchée suppose d’être basée sur la justice et non pas sur la force. Or la justice s’exprime à travers des résolutions internationales, lesquelles visent deux États ayant des frontières fixes, stables et établies par la communauté internationale représentée dans les Nations Unies ainsi qu’une reconnaissance mutuelle. Bref, deux États, une frontière claire et cela de manière définitive. Tout ce qui porterait atteinte à ce principe serait dès lors contraire à la paix. S’inspirant du discours de Jean-Paul II5, « Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon », le Synode a aussi précisé que cette paix ne peut être construite que si chacun accepte de pardonner à l’autre.

Quant au rapport à l’Islam, il demeure complexe et mérite encore quelques précisions. Les confrontations avec l’Islam sont connues. Le Synode ne s’y est pas appesanti. La question à l’arrière-plan des discussions était plutôt la suivante : comment sortir de cette confrontation ? On ne peut pas s’en sortir tout seul. Telle fut la réponse. Nous, chrétiens, nous ne pouvons élaborer à nous seuls un projet pour notre région. Si l’on pense projet, ce ne peut être qu’en terme de projet global en lien avec une majorité musulmane. Excepté au Liban, gouverné à parité par 64 chrétiens et 64 musulmans, les chrétiens peuvent certes avoir un certain poids dans la balance, mais pas au point de pouvoir à eux seuls tracer la ligne de conduite. Notre seul espoir est celui de pouvoir conscientiser nos concitoyens, en majorité musulmans, à ce que nous considérons comme fondamental à toute personne humaine et à tout groupe humain : les droits de l’homme qui incluent l’égalité, la liberté, la justice, etc… Il s’agit donc d’œuvrer à un travail en profondeur, indirect pour une part, de sorte que musulmans et chrétiens, nous parvenions tous ensemble à cet idéal humaniste.

2 Un projet commun à tous les hommes de bonne volonté

Je ne propose donc pas un projet chrétien au sens théologique ou religieux du terme, même si le projet en question est chrétien dans sa visée, en ce sens qu’il se veut conforme à la nature de la personne humaine et à son être social, tels qu’un chrétien les comprend à la manière dont Dieu a créé l’homme. Et nous avons la conviction que toute personne, libérée de ses passions, peut arriver à la même conclusion. Ceci, pour le non-dit de notre démarche. Le chrétien a pour mission de travailler à une société plus juste et à une paix fondée sur la justice, qui accepte le pardon mais aussi les compromis, parce que chacun doit respecter l’autre. Par contre, on ne peut admettre qu’il y ait une différence ontologique entre l’homme et la femme, tout comme une différence du même ordre basée sur la race ou sur la religion.

Comment dès lors exprimer ce projet ? Faut-il parler de « projet humaniste » ? Ou encore de « projet laïc » ? Le terme laïc équivaut à celui d’athée pour le musulman, et le terme humaniste n’évoque pas grand chose pour lui. À trois reprises, le rapport final pour le Synode parle de « laïcité positive ». Mais dans le contexte actuel du Proche-Orient, on voit bien la difficulté que soulève ce concept, si général soit-il. Il s’agit bien de construire un monde plus juste, plus humain, plus pacifié, dans le partage, le dialogue et la solidarité. Pour simplifier les choses, disons qu’il s’agit d’un idéal chrétien. Mais pour que ce projet ne soit pas perçu comme prosélyte par le partenaire non chrétien, et précisément musulman — et il ne l’est pas en effet —, on préfèrera la dénomination de « projet humain », au service de l’homme.

Tel est le projet que le Synode a essayé d’esquisser : celui d’une solidarité de tous les citoyens dans la construction d’une société qui ne soit pas au service exclusif d’une religion (qu’il s’agisse de l’Islam ou du Christianisme), mais au service de la personne humaine !

En raisonnant ainsi, l’Église n’agit pas par complexe de supériorité — car la religion ne lui appartient pas — mais elle demeure consciente que le Christianisme n’est autre que l’Évangile vécu et que celui-ci s’inscrit dans le sens de l’évolution de l’être humain. Elle ne nie pas le droit à la liberté de conscience. Mais, en même temps, comme chrétien, je suis convaincu que le christianisme est ce qu’il y a de mieux et je défendrai ma position non pas par fanatisme mais par amour pour mon interlocuteur musulman, comprenant néanmoins que celui-ci puisse avoir l’attitude inverse. L’important est, à tout prix, de sauvegarder la liberté de conscience, qui ne se réduit pas à la liberté de culte6. Je suis musulman ou chrétien : je peux décider de changer de religion et de devenir chrétien ou musulman. Or actuellement, le musulman est condamné à mort pour une telle conversion.

VI Conclusion : notre vocation de chrétiens arabes

Je voudrais conclure en citant des passages de la conclusion de la dixième et dernière lettre pastorale du Conseil des patriarches Catholiques d’Orient, intitulée : « Le chrétien arabe face aux défis contemporains », parue fin 2009.

L’avenir des chrétiens d’Orient est d’abord dans les mains de Dieu et dans leurs propres mains. Il est dans leurs mains dans la mesure où leur foi devient une force spirituelle en eux, avec laquelle ils font face aux difficultés, prennent les mesures nécessaires et contribuent à l’effort commun de construction. (…) Notre avenir est donc dans les mains de Dieu qui nous accompagne dans notre chemin sur cette terre et nous dirige vers le royaume des cieux ; et dans nos mains, c’est-à-dire qu’il dépend de notre foi, de notre espérance et de notre amour les uns pour les autres et pour tout le monde. Mais Dieu ne veut pas que notre confiance en lui devienne un fatalisme. (…) Ainsi la marche dans l’histoire de toute communauté chrétienne, en toute région de la terre, est une aventure divine et humaine. Elle est une interaction entre la grâce de Dieu et l’accueil de cette grâce par la communauté.

Le commandement que nous a donné Jésus-Christ reste celui de l’amour, et de l’amour qui comprend toute personne humaine, même ceux qui pensent offrir un sacrifice à Dieu en nous tuant. (…) La tâche peut sembler difficile, mais si Dieu nous l’a confiée nous pourrons l’accomplir. « Ma grâce te suffit » (2 Co 12,9), dit Dieu à saint Paul.

Nous faisons face à de grands défis et nous sommes appelés à y répandre l’amour, la justice et la paix. (…) Cette paix est un engagement quotidien que nous demandons à Dieu de nous accorder et qui se réfléchit sur les relations humaines dans tous les domaines.

Notes de bas de page

  • 1 Cf. Doc. Cath. 2456 (107, 2010), « Assemblée spéciale du Synode des évêques pour le Proche-Orient », p. 962 sq.

  • 2 Si je regarde les groupes catholiques rassemblant les jeunes (par exemple La Légion de Marie, le scoutisme, l’Action Catholique), la moitié des membres sont orthodoxes parce qu’ils y trouvent des éléments qui correspondent mieux à leurs besoins.

  • 3 Cf. Doc. Catho. 2456 (107, 2010), p. 982-994.

  • 4 Le saint Père était présent à l’assemblée générale chaque matin de 9h à 11h, tout en s’abstenant d’intervenir. Il y revenait chaque soir de 18h à 19h.

  • 5 Cf. « Message pour la célébration de la Journée mondiale de la paix. » (1er janvier 2002), dans Doc. Catho. 2261 (99, 2002).

  • 6 L’Instrumentum laboris distingue clairement la liberté de culte et la liberté de conscience (110).

newsletter


la revue


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80