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Maxime le Confesseur et l’écologie. La place de l’être humain dans le salut des créatures

Pierre Molinié s.j.
Encore peu utilisée par l’éco-théologie, la pensée de Maxime le Confesseur offre des ressources importantes pour penser la relation entre l’être humain et le cosmos (la présence de Dieu dans les logoi des créatures, la contemplation naturelle, l’image de l’humain comme « prêtre » de la création). Pourtant, Maxime fait de l’être humain un « médiateur » du salut de tout l’univers. Cette place exorbitante doit-elle être rejetée, avec la vision anthropocentrée qui la sous-tend ?

Dans le monde anglo-saxon, de nombreuses études ont récemment mis en lumière la contribution du moine byzantin Maxime le Confesseur (v. 580-662) à une réflexion théologique sur l’écologie1. Ces travaux se heurtent souvent à la question de l’anthropocentrisme : si le christianisme est accusé de donner à l’être humain une place prépondérante, et par là de fonder théologiquement une logique d’instrumentalisation et de prédation à l’égard de son environnement2, comment les travaux de Maxime pourraient-ils échapper à cette critique, lui qui fait de l’être humain un « microcosme et un médiateur3 » de l’univers ?

Dans cet article, nous prendrons cette question comme fil conducteur. Nous présenterons d’abord quelques lieux de rencontre bien repérés entre la pensée de Maxime et les questions écologiques : la présence de Dieu dans la création, avec la notion de logos (I), la création comme chemin de remontée vers Dieu pour l’être humain (II) et le service liturgique de la création par l’être humain, assumant à son égard un rôle de « prêtre » (III). Nous examinerons ensuite les termes dans lesquels se pose la question de l’anthropocentrisme chez lui et chez ses lecteurs (IV). Pour finir, nous proposerons quelques pistes pour critiquer, valoriser et prolonger la réflexion de Maxime (V).

I Une création bonne et habitée par Dieu

La théologie de Maxime est d’abord évoquée pour souligner son regard positif sur la création : un regard qui valorise l’ensemble des choses créées4, tout en les maintenant dans une juste relation avec leur créateur5. Ce point est foncièrement lié à la notion de logos, un élément clé de la cosmologie maximienne6 et qui suffirait à faire de lui un acteur de premier plan de l’éco-théologie chrétienne7. Qu’est-ce que le logos d’une créature ? Il suffira pour s’en rendre compte de citer un texte central, souvent repris pour décrire le rapport de Maxime à la création :

Si quelqu’un, sachant par la raison et la sagesse que Dieu a amené les êtres du néant à l’être, conduisait avec prudence la partie contemplative de son âme vers l’infinie différence et variété des êtres naturels, il discernerait aussi, en réfléchissant et en scrutant intelligemment, le logos selon lequel ils furent créés, distingué par l’indivisible différence des êtres, à cause de la propriété sans confusion des uns à l’égard d’eux-mêmes et des autres. Et inversement, [il verrait] que dans leur multitude ils sont un, sans confusion, par le fait que tous sont reliés à lui et en lui, Dieu Verbe du Dieu et Père, possédant essence et hypostase, en tant que principe et cause de tout, dans lequel tout a été créé, dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles comme les invisibles, Trônes et Souverainetés, Autorités et Pouvoirs ; tout est créé à partir de lui, par lui et pour lui (Col 1,16). Portant en lui les logoi des créatures, constitués avant les âges par son bon vouloir (cf. Ep 1,5), selon ces logoi il a fait subsister à partir du néant la création visible et invisible, ayant façonné et façonnant avec raison et sagesse au temps où il faut toutes choses : l’universel et le particulier.

Nous croyons en effet qu’ont été produits à l’avance le logos de la création des anges, le logos de chacune des essences et puissances qui remplissent le monde d’en haut, le logos des hommes, le logos de tout ce qui a pris l’être à partir de Dieu, pour ne pas parler de chacun en particulier ; et nous croyons que le même est celui qui par lui-même et d’une excellence infinie est indicible et incompréhensible et au-dessus de toute créature, de l’essence elle-même, de la pensée de la différence et de la distinction, et le même celui qui se montre et se multiplie en tous les êtres qui viennent de lui avec la bonté qui convient à la capacité de chacun, celui qui les récapitule (cf. Ep 1,10) tous en lui-même ; lui, dont ils ont reçu l’être et le demeurer, lui à partir de qui ils ont été faits comme ils l’ont été, lui pour qui ils ont été faits, eux qui en demeurant et en se mouvant, participent de Dieu.

Tous en effet participent analogiquement à Dieu, du fait qu’ils proviennent de lui : soit par l’intellect, soit par la raison, soit par la sensibilité, soit par le mouvement vital, soit par leur qualité d’être propre, essentielle et habituelle (…).

Ainsi, chaque être intelligible et rationnel, ange et homme, par le logos même selon lequel il a été créé – logos qui est en Dieu et qui est en vue de Dieu – est dit et est parcelle de Dieu à cause de son logos qui préexiste en Dieu (…). Et sans aucun doute, s’il se meut selon ce logos, il parviendra en Dieu, en qui préexiste son logos d’être en tant que principe et cause.

S’il ne désire se saisir de rien d’autre que de son propre principe, il ne glisse pas hors de Dieu mais plutôt, par sa tension vers lui, il devient Dieu et est dit parcelle de Dieu par la participation à Dieu comme il convient, en tant qu’il s’est naturellement saisi de son propre principe et cause par un mouvement bien ordonné avec sagesse et raison, n’ayant du reste nulle part où se mouvoir ni comment se mouvoir au-delà de son propre principe, de sa remontée et de son rétablissement (ἀποκατάστασις) auprès du logos selon lequel il a été créé, son mouvement vers évidemment la visée (σκοπός) divine ayant atteint son terme : la visée divine elle-même8.

De ce texte majeur (et quelque peu ardu !), plusieurs points peuvent être tirés :

- La contemplation des réalités créées conduit à reconnaître en chacune d’elle quelque chose d’unique : son logos, c’est-à-dire à la fois ce qu’elle est et ce qui fait qu’elle est. Nous reviendrons plus bas sur cet acte de contemplation qui est propre à l’être humain ; pour le moment, notons que percevoir le logos fait entrer dans un niveau qui est celui de l’être mais aussi du sens. Il ne s’agit pas seulement d’une détermination métaphysique, renvoyant à l’essence et à l’acte d’être, mais à l’empreinte que Dieu laisse dans ce qu’il crée. C’est pourquoi il serait bon de garder en tête l’idée de « raison d’être », même si Maxime use également de son équivalent grec ὁ τοῦ εἶναι λόγος. Pour une créature, posséder un logos, c’est en effet avoir une bonne raison d’exister.

- Le logos renvoie à l’acte créateur, en tant que Dieu a réellement voulu tout ce qu’il a créé9. Il y a en lui une forme de liberté qui s’engage dans la création non pas froidement, mais avec amour : avec un projet pour la créature. S’il l’a créée du néant, c’est bien parce qu’il a un désir pour elle. Et le logos peut se comprendre comme ce qui, dans la créature, porte et conserve la trace de ce projet initial. À tout instant, la créature peut se situer par rapport à ce logos, qui lui fournit la règle de sa conduite : elle peut s’y conformer ou s’en éloigner, mais non s’en défaire.

- S’il en est ainsi, tout être créé est fondamentalement bon, puisque la règle profonde qui le définit et l’oriente correspond à un projet individuel (sinon personnel) de Dieu. Cette bonté est à l’origine ; elle demeure dans l’économie, car Dieu ne cesse pas de « récapituler » sa création en toutes ses parties. Maxime s’inscrit ici dans la tradition de Paul et d’Irénée, mais avec une double inflexion : cette « récapitulation » n’est ni spécifiquement liée à l’avenir, ni à l’Incarnation. Depuis toujours, le Dieu Logos récapitule l’ensemble des logoi de ses créatures, dans le même acte qui leur donne de « demeurer » dans l’être.

- Chaque créature participe ainsi à l’être de son créateur. Si Maxime réserve ici le mot « portion » (μοῖρα)10 aux êtres doués de raison, il reprend l’idée platonicienne de la « participation » (μέθεξις) pour l’appliquer à l’ensemble des réalités créées. Or cette participation ne se situe pas uniquement sur le plan de l’être : participer à Dieu, c’est jouir de sa bonté dans la mesure « qui convient à la capacité de chacune ».

- Si l’on doutait de la pertinence qu’il y a à élargir au-delà des anges et des humains cette participation à Dieu et à sa bonté, Maxime prend soin de préciser les différents niveaux où celle-ci se déploie, de manière « analogique » : l’intellect (νοῦς), la raison (λόγος), la sensibilité (αἴσθησις), le mouvement vital (κίνησις ζωητική) – les deux derniers niveaux englobant respectivement les animaux (ou les êtres « sentients ») et les végétaux. Il ajoute même une dernière catégorie, qui englobe et soutient toutes les autres : la qualité d’être propre, essentielle et habituelle (οὐσιώδη καὶ ἑκτικὴ ἐπιτηδειότης), qu’Emmanuel Ponsoye traduit par « propriété essentielle d’être comme ils sont11 ». Autrement dit, tout être créé, en tant que créé, participe d’une manière unique à Dieu et à sa bonté : il possède une dignité inaliénable.

- Cette participation, pour autant, n’engendre aucune confusion. Reprenant un langage qui a fait ses preuves en christologie, il réaffirme la double distinction fondamentale qui fait tenir le créé : d’une part, la distinction des créatures les unes par rapport aux autres ; de l’autre, la distinction entre les créatures et le créateur. Il est ainsi possible de contempler, non pas un grand tout indistinct, mais « l’infinie différence et variété des êtres naturels » ; et d’écarter tout soupçon de panthéisme – un danger dans lequel pourrait parfois faire tomber une lecture superficielle de quelques passages de Maxime.

II La création, chemin vers Dieu

Cette création bonne, voulue par Dieu et à laquelle il se rend présent, n’est pas considérée en elle-même et de manière abstraite : c’est toujours un être humain qui en parle et qui y réfléchit. Plutôt que d’une opposition entre l’être humain et la nature, il conviendrait d’évoquer une distinction entre sujet et objet : pour un individu concret, l’ensemble du créé constitue un « extérieur » et un vis-à-vis. De ce point de vue, la nature ne constitue donc pas un tout homogène et distingué de l’espèce humaine. Face à l’individu et autour de lui, il y a l’ensemble des choses créées : les anges, les autres humains, les animaux, les végétaux, tout ce qui est. Et tout cela constitue un chemin vers Dieu, pour qui sait contempler12.

Contempler, avant tout, c’est le contraire de la domination ou de la possession. Celles-ci relèvent d’un plaisir que l’être humain se donne à lui-même, par amour de soi, pervertissant ainsi l’usage des choses qui l’entourent. Pour Maxime, c’est là le sens du premier péché : renoncer à la contemplation, c’est-à-dire à regarder les êtres en y discernant leur logos, à voir toute chose en tant qu’elle est créée, voulue et pénétrée par Dieu. Il y a là une démission de ce qui fait le propre de l’humain, dans son équilibre délicat entre sensibilité et raison :

Autant donc l’être humain s’intéressait à la connaissance des réalités visibles selon la seule sensibilité, autant il embrassait pour lui-même l’ignorance de Dieu. Autant il resserrait le lien de cette ignorance, autant il s’attachait à l’expérience de la jouissance sensible des réalités matérielles qu’il connaissait. Autant il était porté à celle-ci, autant il enflammait le désir de l’amour égoïste qu’elle engendre ; et autant il entretenait consciemment le désir de l’amour égoïste, autant il inventait les nombreuses manières de faire durer le plaisir, l’amour égoïste étant à la fois le fruit et le but13.

Ce que Maxime nomme ici « jouissance sensible des réalités matérielles », c’est la recherche d’un plaisir privé de la dimension contemplative – on pourrait dire : de la dimension spirituelle. Se coupant de Dieu, l’être humain ne peut plus voir dans ce qui l’entoure des dons reçus de la bonté d’un créateur. Faute de saisir leur origine, il n’en voit plus la finalité. Il les prend comme de simples objets, dont la consommation lui apporte un plaisir facile et apparent. Au cœur de ce mécanisme se trouve l’amour de soi ou « amour égoïste » (φιλαυτία), dont on voit qu’il exclut du champ de vision aussi bien Dieu que les créatures.

À l’inverse, un juste rapport à la création consiste à en faire un chemin de remontée vers Dieu, en empruntant le chemin que lui-même a tracé :

Dieu, après avoir établi toute la nature visible, ne la laissa pas être mue par la seule sensibilité mais il sema dans chacune des espèces qui l’emplissent à la fois des logoi spirituels de sagesse et des modes de conduite bien ordonnés, de façon à ce que non seulement l’auteur des créatures, lui qui est révélé par les logoi des êtres créés, soit proclamé à pleine voix par l’intermédiaire des créatures privées de parole, mais aussi que l’être humain, éduqué par les lois et les modes des réalités visibles, trouve aisément le chemin de justice conduisant à lui14.

Dans ce passage, Maxime traite plus précisément de la « nature visible », ce qui correspond davantage à ce que nous appelons communément la « nature » et constitue une approche relationnelle – car le monde visible l’est forcément pour quelqu’un. Or cette nature visible n’est pas réduite à sa pure matérialité : on retrouve ici la distinction entre la sensibilité seule et la sensibilité associée aux logoi, et donc reliée tant à Dieu qu’à l’ensemble du réel.

Ce double statut des créatures permet à l’être humain de ne pas se laisser guider par le principe égoïste du plaisir sensible, mais de développer au contraire la « capacité intelligible de plaisir » qui lui permet de « jouir » de Dieu15. À partir de là, le chemin proposé par Maxime est double :

  • un chemin de révélation, c’est-à-dire de manifestation de Dieu à travers les choses créées. À un premier niveau, explique Maxime dans un autre texte, le monde visible fournit la « figure mystique » ou « forme symbolique » du monde intelligible16 ; et de leur côté, les êtres intelligibles (anges et humains) sont établis « comme images de la gloire divine en accueillant (…) la splendeur incompréhensible de la beauté inaccessible17 ». Mais à un autre niveau, le monde visible renvoie directement vers le créateur : les créatures reflètent non seulement sa gloire par leur dépendance à son égard, mais aussi par leur propre bonté (nous l’avons vu plus haut), ainsi que par leur beauté (chacune prise individuellement) et leur harmonie (collective). Jean-Claude Larchet résume bien cet ensemble de traits qui, dans la création, honore et témoigne du créateur :

    Les créatures témoignent par elles-mêmes non seulement de l’amour de Dieu qui les a créées, mais, par leur profusion, leur multiplicité, leur diversité, leur énergie, leur magnificence, et l’ordre qui régit les espèces, de Sa toute-puissance et de Sa grandeur, comme aussi de Sa sagesse de Sa beauté18.

  • un chemin d’édification, c’est-à-dire de progrès moral. Reprenant une tradition ancienne, Maxime voit dans le comportement des animaux et des éléments naturels un exemple susceptible d’instruire l’être humain. Pour lui, toutefois, il ne s’agit pas tant d’exemples à suivre que de signes à déchiffrer – dans une visée pratique, et non plus de contemplation. Ainsi, le croyant ne doit pas imiter la prévoyance de la fourmi ou le courage du lion, mais le regard de l’aigle en élevant « sa pupille intelligible vers l’éclat divin de la lumière immortelle » et les sauts de la biche « en parcourant comme des montagnes les hauteurs des contemplations divines ». De même, l’être humain peut imiter la parfaite égalité et constance du ciel ou les mouvements réguliers du soleil, dispensateur de ses dons « pour le bienfait de l’univers19 ». En tout cela se dessinent, à côté des logoi qui reflètent la gloire et l’intelligence divine, les tropoi (ou modes de conduite) d’une vie vertueuse. Ceux-ci sont imprimés dans la texture même de l’univers : « la Bonté la plus élevée (…) mêle aux réalités sensibles (…) des expressions de sa grandeur propre, capables de conduire sans erreur à Dieu l’intellect humain qui se laisse mener par elles20 ». Ainsi, en observant son environnement, l’être humain déchiffre comme dans un livre les leçons d’une vie conforme à son orientation fondamentale (logos).

III Le service liturgique de la création

Dans le texte précédent, Maxime évoquait encore un troisième chemin : la louange de la création. Celle-ci ne constitue pas une simple variation sur le thème de la révélation divine, mais elle ouvre en fait une autre perspective : la liturgie. Certes, en affirmant que « l’auteur des créatures [est] proclamé à pleine voix par l’intermédiaire des créatures privées de parole », Maxime semble se contenter d’appliquer à l’environnement une image anthropomorphique, recourant au passage à l’oxymore classique d’une proclamation sans parole. Néanmoins cette métaphore met en relief un élément capital : la continuité entre l’être humain et son environnement. Parler d’une louange des créatures, en effet, c’est affirmer encore une fois la valeur hautement spirituelle du monde non humain. C’est reconnaître que l’être humain, alors même qu’il loue Dieu – faisant à sa manière propre et unique ce pour quoi il est créé –, ne fait rien d’extraordinaire : rien, en tout cas, qui le distingue foncièrement de ce que font toutes les autres créatures, douées ou non des facultés de sentir, de se mouvoir ou de penser.

Or la même Question précise ensuite la contribution de l’être humain :

La création, par l’intermédiaire d’un tel intellect, amène à Dieu, comme des offrandes, les logoi spirituels de la connaissance qui sont en elle, et elle lui présente, comme des dons, les modes d’être orientés vers la vertu qui se trouvent en elle selon la loi naturelle (…). Donc lorsque nous apportons au Seigneur les logoi spirituels issus des êtres créés, nous présentons des offrandes, du fait que, par nature, il ne manque de rien de cela ; car ce n’est pas comme à quelqu’un qui en a besoin plus que les autres, que nous apportons au Seigneur les logoi des êtres, mais pour lui présenter à partir de ses créatures, autant que nous en sommes capables, la louange qui lui est due. (…) L’intellect gnostique reçoit pour offrandes, à partir de sa contemplation des êtres, les logoi qui permettent d’accéder sans démonstration rationnelle à la foi, pour laquelle personne n’apporte jamais rien préalablement, et il mène ces logoi au Seigneur, contemplant, naturellement et sans passer par l’artifice savant des raisons, son propre auteur, que la création lui a indiqué21.

Ici, guidé par le texte qu’il commente (un épisode du second livre des Chroniques où les pèlerins présentent à la fois « des offrandes pour le Seigneur et des dons pour le roi Ézéchias »), Maxime intègre dans une vision liturgique l’interaction entre le croyant et l’univers qui l’entoure. D’un côté, comme nous l’évoquions plus haut, cet univers est érigé en sujet d’une louange que l’on pourrait appeler cosmique, puisqu’elle englobe toutes les créatures sensibles. En même temps, cette louange est profondément eucharistique, car elle a pour thème ou pour support les dons mêmes que la création a reçus de Dieu : ses logoi et tropoi, qu’elle lui « amène » comme pour les lui rendre en action de grâces. Toutefois, ce sujet privé de logos a besoin d’un représentant ou d’un serviteur apte à rassembler ces dons et à les présenter à Dieu en son nom : c’est là le rôle de l’être humain. Celui-ci joue pour la création le même rôle que le prêtre joue pour l’assemblée eucharistique : quoique celle-ci constitue le sujet véritable de l’offrande liturgique, le prêtre la représente pour formuler sa prière et la faire monter vers Dieu. De même, l’être humain est celui qui « mène ces logoi au Seigneur ».

Du côté de ce serviteur ou de ce liturge, toutefois, le parallèle n’est pas complet22. Car un prêtre partage totalement la condition naturelle des fidèles qui l’entourent, tandis que l’être humain reçoit de la création des éléments qu’il ne possède pas par lui-même. En effet, les logoi de chaque créature sont pour l’être humain des offrandes qu’il reçoit dans un acte de contemplation et qui le nourrissent déjà, avant même qu’il les retourne en action de grâces vers le créateur. Ces logoi le font grandir dans la foi d’une manière différente et complémentaire au chemin qu’il emprunterait lui-même en tant qu’être rationnel23. On observe ainsi une forme de service mutuel qu’assument l’être humain et la création, l’une offrant à l’autre ce qu’il ne possède pas, l’autre rendant un service que la première ne pouvait se rendre à elle-même.

IV Quel anthropocentrisme ?

Ces préalables étant posés, pourquoi devrait-on accuser Maxime d’anthropocentrisme ? Tout simplement : parce qu’il fait de l’être humain le centre de l’univers, à la fois sur un plan cosmologique (1) et sur le plan de l’histoire du salut (2).

1 L’être humain au centre de la création : le projet divin

De par sa constitution ontologique, l’être humain se situe au centre du cosmos, car il est « âme et corps ». Le mot âme, dans le vocabulaire qu’ont forgé des siècles de controverse christologique, intègre l’intellect (νοῦς) et la raison (λόγος) : l’être humain, seul parmi les créatures sensibles, possède tout cela à l’instar des anges, créatures (seulement) intellectuelles. Il y a donc dès le départ dans l’être humain un élément double qui le rend apte à opérer une réunion ou une rencontre harmonieuse, ce dont témoigne un texte souvent cité :

En effet, l’être humain a été fait par Dieu, dans sa bonté, d’une âme et d’un corps. L’âme qui lui a été donnée, douée de raison et d’intellect en tant qu’elle est à l’image de celui qui l’a faite, est divinisée par son désir et son amour total, de toutes ses forces, de Dieu ; et en demeurant immobile en Dieu par la connaissance, elle se procure en plus également l’être à la ressemblance. En outre, l’âme (…) reste sagement unie au corps et pense le rendre familier à Dieu à travers les vertus parce qu’il est son compagnon d’esclavage, elle qui opère la médiation (μεσιτευούσης) entre (le corps) et celui qui l’a fait et qui y habite24.

La première médiation à laquelle participe l’être humain est donc interne : en lui, l’âme est le sujet qui, en s’unissant au corps, unit ce dernier à Dieu. Plus précisément, le mouvement de l’âme est double : d’une part, entièrement tournée vers son créateur par le désir (ἔφεσις) et par l’amour (ἀγάπη), elle connaît Dieu et se transforme en lui ; d’autre part, par la maîtrise des passions qui mettent en jeu la sensibilité, elle associe le corps à cette divinisation. Il va de soi que le corps, laissé à lui-même, serait incapable d’être de quelque façon divinisé : l’âme constitue l’agent indispensable de ce processus. Elle est donc médiatrice au sens fort.

Or, l’être humain joue également un rôle particulier au sein de l’univers créé. Ce rôle est explicité dans l’Ambiguum 41, qui décrit un univers marqué par de multiples divisions et en attente d’unité :

Les saints (…) affirment que cinq divisions séparent la substance (ὑπόστασις) de tout ce qui est venu à l’existence. La première, disent-ils, est celle qui divise de la nature incréée la nature universelle créée qui a reçu son être par le moyen de la génération. (…) Selon la deuxième division, la nature tout entière, qui a reçu de Dieu l’existence à travers la création, est divisée entre intelligible et sensible. Selon la troisième, la nature sensible est divisée entre le ciel et la terre. Selon la quatrième, la terre est divisée entre le paradis et le monde habité. Et selon la cinquième, l’être humain au-dessus de tout, comme un atelier de fabrication (ἐργαστήριον) qui comprend en soi le tout, exerce une médiation naturelle entre les extrémités dans chaque division. Et, parce qu’introduit d’une façon bonne et appropriée parmi les êtres par la génération, il est divisé entre mâle et femelle.

Étant le point médian de toute extrémité (μεσότης τῶν ἄκρων), il a par nature, c’est évident, toute capacité à l’unification à cause de sa spécificité à retenir ses propres parties en direction de toutes les extrémités. Par cette capacité, le mode d’être pleinement accompli selon la cause de la génération d’êtres divisés devait rendre par lui-même évident le grand mystère du dessein de Dieu ; il mènerait à son terme l’union en vue de Dieu des extrémités vers la réciprocité dans les êtres, elle qui progresse avec harmonie du proche vers le lointain, et de l’inférieur vers le supérieur dans une ascension continuelle.

Pour cette raison, l’être humain est introduit le dernier parmi les êtres en tant que lien d’amitié naturel (συνδεσμός τις φυσικός) assurant une médiation d’ensemble aux extrémités par leurs propres parties et conduisant en lui-même vers l’Un ce qui est séparé l’un de l’autre selon la nature par un grand intervalle25.

Maxime reprend ici une interrogation exégétique classique : pourquoi l’être humain a-t-il été créé en dernier (d’après Gn 1) ? Là où d’autres Pères invoquaient tout simplement la dignité et la charge d’intendant, le moine byzantin voit dans l’être humain le chiffre ou la clé permettant de comprendre l’ensemble du réel. Il est vrai que ce texte rappelle indirectement l’égale dignité accordée à toutes les créatures : la division fondamentale est celle qui sépare l’univers créé et le créateur ; une différence sans laquelle il n’y aurait pas de création en tant que réalité distincte de Dieu. Elle est donc nécessaire et bonne, comme tout ce qui appartient à l’économie de la création. Mais cette différence laisse les créatures dans un état d’insatisfaction : parcelles de Dieu, participant déjà à sa bonté, elles aspirent à être divinisées. Cette division fondatrice entre Dieu et le monde fonde par conséquent aussi l’appel ressenti par toute créature à partager la vie divine26 ; or ce projet ne saurait se réaliser sans l’être humain.

Créé à la fois sensible et intelligible, celui-ci est objectivement situé au carrefour de toute la création. Il accomplit ce qu’aucune autre créature ne peut faire. Les anges, d’un côté, n’ont pas d’enracinement dans le monde sensible : ils ne peuvent donc opérer aucune de ces médiations, mais attendent de l’être humain qu’il les intègre dans la seconde médiation, qui unit ce que le credo nomme « l’univers visible et invisible ». Quant aux créatures sensibles non humaines, elles ne disposent pas de la raison. On pourrait objecter que Dieu est au-dessus de ces distinctions ; mais ce serait oublier que le Logos divin est non seulement présent dans les logoi des créatures, mais aussi – et de ce fait – connaturel à l’esprit humain, doué de logos et pour cette raison, image de Dieu. De même donc que l’intellect (νοῦς) humain maîtrise les passions du corps et le tourne vers Dieu, de même l’être humain est le seul intermédiaire par lequel Dieu puisse gouverner sa création et l’orienter vers son accomplissement27.

De plus, Dieu désire que sa création se tourne vers lui librement et par amour. Dans la suite de l’Ambiguum, c’est « par un état d’impassibilité totale en vue de la vertu divine » que l’être humain surmonte la division des genres, puis « par la conduite personnelle propre aux saints », « par une vie identique à celle des anges par la vertu » et « grâce à la légèreté de son esprit » qu’il opère les deux médiations suivantes28. Si le salut de la création exige un tel acte libre d’amour et de vertu, dans l’univers sensible seul l’être humain en est capable. On le voit, à l’égard de la création dans son ensemble, l’être humain occupe à nouveau un rôle de médiateur au sens fort, comparable à celui que jouait l’âme pour le corps : un intermédiaire dont on ne peut se passer, voire un « petit dieu »29.

2 L’être humain au centre de l’histoire du salut : l’histoire « réelle »

Nous venons de voir le rôle exorbitant que l’être humain devait jouer dans le plan originel de Dieu. Plaçons-nous maintenant au niveau de l’histoire du salut, marquée notamment par le péché et l’Incarnation30. L’être humain se trouve alors au centre de toute l’histoire du salut, à trois titres au moins. Par sa chute, d’abord, il est responsable de l’état de division durable de la création. Certes, dans les développements consacrés par Maxime au péché, les autres créatures sont plutôt considérées comme des objets :

Lui qui se trompait désormais sur la beauté intelligible de la splendeur divine, il prit pour Dieu la création visible et la divinisa à cause de l’usage qu’il en faisait pour le maintien de son corps. Et, naturellement, il aima son propre corps, qui était par nature apparenté à la création qu’il considérait comme dieu et, avec un parfait zèle, se souciant et s’occupant de son seul corps il rendait un culte à la créature au lieu du Créateur.

(cf. Rm 1,25)31

Mais l’analogie du corps et de la création montre que le désordre survenu au sein de l’être humain – dans la manière pour l’âme de conduire le corps – se répercute sur l’ensemble du créé. Celui-ci n’est pas seulement interconnecté avec l’être humain : ce qui arrive à l’un se produit réellement chez l’autre. Ainsi, Maxime qualifie l’être humain de « microcosme », et il qualifie également l’univers de « makranthropos », mettant au jour une solidarité analogue à celle que Paul affirmait du péché d’Adam32. Il convient pourtant de bien distinguer deux plans : d’une part, le désordre moral qui habite l’être humain le conduit à « consommer » le monde, ce qui a aujourd’hui un impact concret sur ce dernier33. D’autre part, et c’est ce que Maxime avait principalement en tête, le désordre concerne la structure même de l’univers, déstabilisé dans son orientation fondamentale34 et figé dans un jeu d’affrontements et dans une violence qui n’appartenaient pas au projet divin35. Lorsque, par son péché, l’être humain a renoncé à l’exercice rationnel de ses facultés et qu’il est retombé au rang des créatures privées de logos36, l’univers a en quelque sorte perdu sa cohérence et sa lisibilité, comme l’exprime avec poésie Andrew Louth :

Nous prenons conscience de la manière dont le comportement humain qui ne reconnaît pas l’intégrité de la création de Dieu, sa valeur intrinsèque, sa beauté intrinsèque, et la traite comme une simple quantité de matière à être consommée – comment un tel comportement ne conduit pas seulement à l’autodestruction ou à détruire la société humaine, mais qu’il menace la beauté ordonnée du cosmos lui-même. Saint Maxime va plus loin : l’activité humaine d’après la chute menace la signification même du cosmos, dans la mesure où cette signification est perçue par et articulée à travers la personne humaine. Le cosmos cesse d’être une structure belle et ordonnée – une idée implicite dans le mot cosmos lui-même, qui suggère en grec quelque chose d’ordonné et de beau – et devient obscur, sombre, dangereux, au moins pour les humains : une forêt de symboles qui ne renferment plus clairement le divin, mais sont difficiles à interpréter et facilement mal compris. L’accord parfait, pour ainsi dire, entre l’humanité d’avant la chute et le cosmos devient maladroit, mal adapté, douloureux et mutuellement néfaste37.

Ensuite, si l’être humain a pu briser la cohérence et la beauté de l’univers par son comportement – ce qui peut encore se comprendre au niveau de la couche la plus superficielle de notre planète, mais guère au-delà –, il possède aussi la capacité à les restaurer. Ce point découle du premier : puisque c’est la déviation humaine du projet initial qui a détourné les autres créatures de leur orientation vers Dieu, le simple retour de l’être humain vers Dieu a pour effet immédiat de réordonner l’univers. C’est l’enjeu de la vertu et de la sainteté, qui déploient dans le monde actuel quelque chose du nouvel ordre cosmique auquel la création aspire : lorsqu’il emprunte ce chemin, l’être humain est capable non seulement de réorienter son être, mais aussi d’entraîner avec lui l’univers entier dans la voie de la louange et de la divinisation.

Par l’Incarnation, enfin, le Verbe a confirmé ce choix de l’humanité comme le lieu à partir duquel sauver et déifier la Création. Maxime l’exprime très clairement dans la suite de l’Ambiguum 41que nous citions dans la section précédente. Constatant l’échec de l’être humain à jouer son rôle de médiateur, Dieu prend sur lui cette mission et réalise l’unification attendue par l’univers entier :

D’une façon paradoxale, au-delà de la nature, tout ce qui est totalement immobile selon la nature se met immobilement en mouvement, pour ainsi dire, autour de ce qui est mobile par nature, et Dieu devient humain afin de sauver l’humanité perdue, en unissant en lui-même selon la nature les fragments de la nature universelle du tout, et en manifestant les logoi universels portés dans les parties, par qui se réalise naturellement l’union des choses divisées, afin qu’il accomplisse le grand dessein du Dieu et Père récapitulant en lui-même tout ce qui est dans les cieux et sur la terre, lui en qui tout a été créé.

(Ep 1,10)38

Il faut certes noter que l’Incarnation constitue, au-delà de l’être humain, une entrée en contact de Dieu avec toute la sphère du créé : il réalise « l’union universelle de toutes choses en lui39 » en unissant le ciel et la terre, les mondes sensibles et intelligibles, et finalement le créé et l’incréé. Toutefois, cela s’opère d’une manière propre à un être humain : « à partir de nous, à cause de nous et de la même façon que nous40 ». La manière même dont l’Incarnation affecte toute la création demeure profondément anthropocentrée :

Et avec nous et par nous, il a embrassé la création entière, les extrémités par les parties médianes comme par ses parties propres, et a attaché serrés autour de lui de façon indissoluble les uns aux autres, paradis et monde habité, ciel et terre, sensible et intelligible, car il possède à notre manière un corps, une perception sensible, une âme et un esprit, par quoi comme s’il s’était approprié par parties l’extrémité apparentée à chaque élément du tout de la manière mentionnée qui convient à Dieu, il a récapitulé toutes choses en lui et a montré que toute la création est une, comme un autre homme41.

Ainsi, s’il est manifeste que l’être humain n’est pas le tout du projet de restauration universelle par le Verbe, il en constitue le moyen et l’instrument. Si la création est finalement sauvée, aimée et déifiée, c’est évidemment dans le Christ, mais plus précisément dans l’être humain qu’est le Christ. La vie des autres créatures et leur vocation de louange passent à l’arrière-plan, comme s’il s’agissait de personnages secondaires dans le grand drame de l’histoire du salut.

3 Quelques réponses

Si l’être humain se trouve non seulement au centre de l’univers de par sa constitution ontologique, mais aussi par le fait que ses choix impliquent l’univers tout entier, en positif comme en négatif, sans qu’existe aucune forme de causalité réciproque ou de voie pour l’univers en dehors de celui que lui ouvre ou lui ferme l’être humain, comment ne pas parler d’anthropocentrisme ?

Face à cette critique, une première réponse consiste à préciser le sens du mot anthropocentrisme. Pour Radu Bordeianu, ainsi, il s’agit d’un « power-term » : il porte avec lui les idées de domination et de pouvoir exercé sur la nature, puisque l’être humain veut alors être « au centre de la création sans Dieu42 ». Pour Elizabeth Theokritoff, ce mot exprime « que l’être humain fait passer son intérêt en premier43 ». Au contraire, une théologie qui mettrait l’être humain au centre mais sans en faire un dominateur ne saurait être qualifiée d’anthropocentrique.

Une deuxième réponse resitue le propos de Maxime : celui-ci fait de l’être humain le « centre » de l’univers, mais pas au sens d’une « cible44 » ou d’un objectif ultime45. Il est plutôt un lieu de passage obligé : la « source » du détournement de la création de sa finalité initiale, et le « moyen » de sa restauration46. Mais le seul véritable centre serait Dieu, qui est à la fois l’origine, le terme et le lieu au sein duquel se meut l’univers. Plus qu’un médiateur (actif), l’être humain serait alors le microcosme ou macrocosme47 (passif) dans lequel le véritable acteur, Dieu, mettrait en œuvre sa volonté de salut48.

On peut alors conclure, avec Radu Bordeianu, que « Maxime propose d’abandonner l’anthropocentrisme en faveur du théocentrisme49 » et parler d’une « anthropologie théocentrique50 ». Jean-Claude Larchet évoque pour sa part un « théanthropocentrisme » :

Nous avons vu précédemment que toutes les créatures sont objectivement reliées à Dieu (par leurs logoi et par la présence en elles des énergies divines), et qu’à la mesure de leur propre nature (« analogiquement », comme disent les Pères grecs), elles témoignent de la présence de Dieu et même le louent d’une certaine façon. Mais Dieu voulait que cela s’accomplît dans un processus de conscience, d’amour et de liberté, ce dont ne disposent pas les créatures du monde sensible autres que l’homme. C’est pour cette raison que la médiation de l’homme est indispensable et que Dieu lui a confié ce rôle51.

Une troisième réponse souligne « l’interdépendance mutuelle » entre l’être humain et les créatures non humaines : si l’être humain existe « pour la création », au sens où celle-ci a besoin de lui pour être unifiée, la création existe elle aussi « pour l’être humain », et ce de deux manières. D’une part, au sens où ce dernier a besoin du monde sensible pour exister52. D’autre part, au sens où aucune créature ne subsiste indépendamment des autres53. Jean-Claude Larchet évoque de son côté une médiation qui va dans les deux sens : les créatures sont pour l’homme « le moyen d’une relation à Dieu » et « de son côté l’homme doit être le moyen d’une relation de Dieu aux créatures54 ».

V Quelques remarques conclusives

1 Des réponses insuffisantes : oui, Maxime est anthropocentriste

Que penser de telles réponses ? Avant tout, il faut appeler un chat un chat. Si l’être humain était une créature parmi les autres ; si toute créature avait vocation à se laisser harmonieusement conduire selon son mouvement naturel vers le créateur, il n’y aurait pas d’anthropocentrisme. Si en revanche l’être humain est le médiateur « indispensable » de la louange de toute créature et « la voix de la création55 » ; si l’humanité « a été appelée à agir en tant qu’agent de Dieu dans le monde à partir du centre »56 ; si la création est médiatisée par l’être humain, lui-même médiatisé par le Christ57 ; alors l’être humain jouit d’une position de monopole et d’exception à l’égard de l’ensemble des autres créatures. Il n’est pas seulement singulier et différent d’elles – comme une voix au sein d’un orchestre –, mais celui dont dépend la divinisation de toute chose.

Comment un être humain occuperait-il une telle place sans orgueil ? La réponse de Maxime consiste à reconnaître que, dès le premier instant, l’être humain a failli à cette mission – de là à dire qu’il en était incapable, le pas est infime – mais aussi à voir dans l’Église un lieu où se réaliserait cette vocation inouïe. Cette figure d’une humanité tout entière décentrée d’elle-même et recentrée sur son créateur, complètement habitée par la louange et l’action de grâce (selon un tropos eucharistique), n’utilisant la création que sous le mode de la contemplation et « pour la seule gloire de Dieu58 », se donnerait à voir dans la vie des ascètes, dans les sacrements de l’Église et dans la vie monastique – au point que le culte des reliques manifesterait la pénétration de l’Esprit saint, par l’intermédiaire du corps des saints, dans la matière59. Elle se donnerait également à voir dans la conception orthodoxe du sacerdoce, où le prêtre est doublement décentré – par rapport à la communauté ecclésiale où chacun prend sa part de la louange et par rapport à l’accomplissement eschatologique vers lequel tend la liturgie60. S’il s’agit là d’un simple symbolisme, il est beau et inspirant : l’Église, tout particulièrement au cours de la célébration eucharistique, indique de multiples façons ce à quoi l’humanité est appelée. Peut-on dire pour autant que, par le baptême, l’être humain se trouverait restauré et capable de répondre à cet appel61 ?

Peut-être cette piste ecclésiale est-elle en réalité dangereuse, si du moins elle cherche à rendre acceptable l’anthropocentrisme : plutôt que d’espérer de chaque chrétien un effort héroïque pour se tenir à chaque instant dans la disposition qu’il n’a jamais, historiquement, su tenir ; plutôt que d’évoquer le Royaume, dont l’Église serait la figure, comme moment de l’histoire où se réaliserait la juste vocation de l’être humain, ne pesant plus sur les autres créatures mais jouant parfaitement son rôle de médiateur ; peut-être vaut-il mieux lui rendre la place qui est la sienne, depuis le premier péché : celle d’une créature qui a perdu sa capacité à jouer son rôle de médiation, et qui ne saurait prétendre jouer un rôle de premier plan pour le salut des autres créatures.

2 Maxime contre l’anthropocentrisme

Pour échapper réellement à l’anthropocentrisme, il conviendrait d’assumer une lecture partiale des textes de Maxime : une lecture qui valorise certaines intuitions et en relativise d’autres62. Il s’agirait premièrement de prendre au sérieux le tournant qui s’opère dans l’Ambiguum 41. Après l’exposé du projet initial de Dieu, où l’être humain jouait un rôle central, Maxime semble annuler lui-même ce beau programme, lorsqu’il décrit l’échec de l’être humain : puisque l’humanité, en se détournant dès le premier instant d’un usage respectueux et eucharistique de la création, a perdu cette capacité à être facteur d’unité, le Christ prend sur lui le rôle de médiateur et accomplit ces cinq unifications63. Nous devrions en permanence, au moment d’affirmer que l’être humain est en quelque manière médiateur, faire un pas en retrait et dire : le Christ seul est médiateur, de même que lui seul sauve, unifie et divinise. Et s’il est donné, en un moment de grâce, à un saint de réaliser parfaitement l’affirmation de Paul « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi », encore faudrait-il se souvenir que c’est au Christ présent en lui que cet humain doit de pouvoir jouer un rôle (dût-on lui restituer alors ce titre de médiateur) dans l’histoire du salut universel, et non à son humanité.

On peut d’ailleurs, si l’on accepte l’idée que le schéma des cinq médiations initiales ne décrit pas tant le début que la fin64, reconnaître que cet éventuel chemin de médiation et d’unification ne concerne pas l’homme historique, mais l’homme eschatologique. Autrement dit : que c’est dans le Royaume, lorsque Dieu sera tout en tous, que l’être humain pourra être un pur canal de grâce pour les autres créatures. Mais que, dût-on accepter cet anthropocentrisme-là, il n’est pas d’actualité pour notre condition présente.

Il s’agirait deuxièmement de relativiser l’accent mis par Maxime sur le caractère rationnel de l’être humain – exprimé par le vocabulaire de l’intellect (νοῦς), de la raison (λόγος) et de la liberté (proairesis, gnômè) – comme élément décisif dans l’histoire du salut. Or ceci heurte de plein fouet toute une tradition patristique et biblique dont Maxime se fait l’écho : celle qui voit dans l’être humain le sommet de la création, et qui fait du caractère rationnel le lieu spécifique où se jouerait l’être à l’image de Dieu (cf. Gn 1,27). À cet endroit, il conviendrait peut-être de faire deux autres pas en retrait : ne pas préciser trop vite ce qui constitue la spécificité de l’être humain par rapport aux autres créatures, et ne pas affirmer de manière absolue que l’être humain serait le seul à porter l’image de Dieu65.

Une piste est ouverte par les auteurs qui valorisent l’amour, plutôt que le libre choix, comme tâche principale de l’être humain et comme moteur de l’unification du cosmos66 ; ou par ceux qui soulignent la juste distance de Maxime à l’égard de la technique ou d’un désir effréné de gouverner ou transformer la nature67. Il est vrai que, pour Maxime, l’amour est le fait d’un être doué de raison68, et que le « paradigme esthétique » associé à la contemplation de la nature69 relève encore d’une activité typiquement humaine. Toutefois, si la perversion du rapport de l’être humain aux autres créatures est liée à l’émergence d’un « paradigme technocratique70 » associé à une survalorisation de la rationalité sur la corporéité, valoriser le régime de l’amour et celui de la contemplation plutôt que celui de l’action transformatrice pourrait rendre à l’être humain le sens de sa vocation véritable : non pas celle d’imposer aux autres créatures ses propres désirs désordonnés, mais celle de les admirer et de les apprécier comme des dons et des partenaires dans l’économie du salut71.

Un pas de plus consisterait à reconnaître que les créatures non humaines portent aussi, à leur manière, l’image de Dieu. Ici, la théorie des logoi fournit un outil exceptionnel pour penser un lien direct et une forme de connaturalité – restant sauve la différence d’essence – entre Dieu et le monde. Avec cette théorie, il devient en effet difficile de tenir que les créatures non humaines sont dépourvues de raison (a-logos), même si elles sont dépourvues d’intellect (νοῦς) et du libre choix (προαίρεσις). Il faudrait alors quitter l’approche hiérarchique qui considère l’être humain comme le sommet d’une pyramide, et accorder à toute créature une forme de spécificité dans son rapport unique à Dieu72.

On pourrait troisièmement s’inspirer de l’idée « d’interdépendance mutuelle » évoquée plus haut en la poussant jusqu’au bout. Une première étape, très bien marquée par Jean-Claude Larchet, consiste à reconnaître que l’être humain a besoin de la création non seulement pour exister dans sa corporéité, mais pour médiatiser sa relation à Dieu. Une seconde étape consisterait à élargir ce jeu de médiations réciproques en sortant du face à face entre l’être humain et le reste de la création : si le discours de Maxime, tout comme le discours biblique, est écrit par des humains pour des humains, il ne dit peut-être pas le tout des relations entre Dieu et le monde. Il possède en effet un caractère fondamentalement parénétique : s’adressant à des humains, il vise à les éduquer et à transformer leur manière de vivre. Il peine dès lors à identifier comment la création déploie sa louange même en l’absence de l’être humain ; comment d’autres médiations mutuelles peuvent se déployer à côté de celles qu’assure l’être humain comme jardinier et comme prêtre ; comment, dans une création où tout est lié, des fils se tendent qui unissent les créatures dans un réseau bien plus large et aux nœuds bien plus nombreux que nous n’avons coutume de l’envisager.

L’être humain peut bien être un médiateur et même un centre pour l’univers ; si les autres créatures sont de leur côté d’autres médiateurs et d’autres centres, il n’y a plus qu’un anthropocentrisme relatif, et non absolu ; inclusif, et non exclusif. Faut-il imaginer d’autres formes de médiation sacerdotale et d’unification dans l’univers, à côté de l’être humain ? Peu importe les images employées ; toujours est-il que la vision de Maxime peut inspirer des théologies où, dans l’unique médiation du Logos, naissent d’autres formes de médiation parmi les créatures. La médiation de l’être humain serait celle qu’il nous serait le plus facile de concevoir et elle contribuerait à nous remettre sur le droit chemin de notre vocation, mais elle nous ouvrirait à la possibilité de concevoir et de contempler d’autres formes de médiation autour de nous.

Nous avons bien conscience que ces pistes évoquées peuvent sembler fragiles et insuffisamment fondées. Elles montrent du moins que la pensée de Maxime offre des ressources pour la théologie, non comme un point d’équilibre parfait libre de tout anthropocentrisme, mais comme un point d’appui pour penser à frais nouveaux le rapport entre l’être humain et les autres créatures.

Notes de bas de page

  • 1 Pour la période précédant 2009, on peut se référer aux bibliographies exhaustives de P. Van Deun, « Maxime le Confesseur. État de la question et bibliographie exhaustive », Sacris Erudiri 38 (1998-1999), p. 485-573 et « Développements récents des recherches sur Maxime le Confesseur (1998-2009) », Sacris Erudiri 48 (2009), p. 97-167, dont les index ne présentent que deux travaux (sur plus de deux mille cinq cents) ayant trait à l’écologie : A. Quacquarelli, « L’ecologia nei riflessi del linguaggio simbolico dei Padri della Chiesa », Vetera Christianorum 28 (1991), p. 5-24, et surtout l’importante étude de R. Bordeianu, « Maximus and Ecology : The Relevance of Maximus the Confessor’s Theology of Creation for the Present Ecological Crisis », The Downside Review 127/447 (2009), p. 103-126. Depuis 2009, une dizaine d’études explorent cette question en s’appuyant principalement ou de manière importante sur Maxime le Confesseur : E. Brown Dewhurst, « The Cosmology of St Maximus the Confessor as a Basis for Ecological and Humanitarian Ethics », Theologicon 3 (2014), p. 126-140 ; N. Delicata, « Homo technologicus and the Recovery of a Universal Ethic : Maximus the Confessor and Romano Guardini », Scientia et Fides 6/2 (2018), p. 33-53 ; A. Louth, « Man and Cosmos in St. Maximus the Confessor », dans J. Chryssavgis, B.V. Foltz, Toward an Ecology of Transfiguration, Fordham University Press, 2013 ; D. Munteanu, « Cosmic Liturgy : The Theological Dignity of Creation as a Basis of an Orthodox Ecotheology », International Journal of Public Theology 4 (2010), p. 332-344 ; A. Nordlander, « Green Purpose : Teleology, Ecological Ethics, and the Recovery of Contemplation », Studies in Christian Ethics 34/1 (2021), p. 36-55 ; H. Prinz, « Recreation and Environmental Restoration : Ecological Readings of St. Maximus the Confessor », Wheaton Writing : A Journal of Academic Essays 4 (2019), p. 57-64 ; E. Theokritoff, « The Salvation of the World and Saving the Earth : An Orthodox Christian Approach », Worldviews 14/2-3 (2010), p. 141-156 ; Ead., « The Vision of St. Maximus the Confessor. That Creation May All Be One », dans J. Hart, The Wiley Blackwell Companion to Religion and Ecology, Wiley & S., 2017, p. 220-236. Voir aussi les études de P.M. Blowers (Maximus the Confessor : Jesus Christ and the transfiguration of the world, Oxford, O.U.P., 2016), T. Cattoi, (« Liturgy as Cosmic Transformation », dans P. Allen, N. Bronwen (éd.), The Oxford Handbook of Maximus the Confessor, Oxford, O.U.P., 2015, p. 414-43). Dans la littérature francophone, en revanche, aucune étude n’a été consacrée à ce thème. Néanmoins, outre les grandes monographies qui ont fait connaître les aspects centraux de la pensée de Maxime et fournissent de nombreux éléments qui ne demandent qu’à être mobilisés, plusieurs travaux se situant dans la tradition orthodoxe empruntent largement à la pensée du moine byzantin : M.M. Egger, La terre comme soi-même : repères pour une écospiritualité, Genève, Labor et Fides, 2012 ; J.-C. Larchet, Les fondements spirituels de la crise écologique, Genève, Éditions des Syrtes, 2018 ; voir aussi É. Ayroulet, « Le monde et l’homme, une opposition irréductible ? L’approche des Pères de l’Église », dans F. Revol, J.-M. Gueullette (éd.), Avec les créatures. Pour une approche chrétienne de l’écologie, Paris, Cerf, 2015, p. 75-96.

  • 2 Voir la critique fondatrice de L. White Jr, « The Historical Roots of Our Ecologic Crisis », Science 155/3767 (1967), p. 1203-1207, et la réponse indirecte du pape François dans Loué sois-tu ! Lettre encyclique du pape François sur la sauvegarde de la maison commune, Namur, Éditions jésuites, 2015, § 65-75.

  • 3 L. Thunberg, Microcosm and Mediator : The Theological Anthropology of Maximus the Confessor, Chicago, Open court, 19952.

  • 4 Un regard qui « rend égale » (equalize) la création à l’être humain en « élevant le statut du non-humain » (H. Prinz, « Recreation and Environmental Restoration », cité n. 1, p. 59).

  • 5 Plusieurs auteurs voient là une position équilibrée, qui honore les critiques de la deep ecology (en particulier celle selon laquelle le christianisme induirait une barrière ontologique séparant l’être humain du reste de la création, conçue comme la « nature ») sans tomber dans le panthéisme (ibid. ; R. Bordeianu, « Maximus and Ecology », cité n. 1, p. 108-109).

  • 6 Sur la notion de logoi, voir J.-C. Larchet, La divinisation de l’homme selon Saint Maxime le Confesseur, Paris, Cerf, 1996, p. 105-123.

  • 7 E. Theokritoff, « The Vision of St. Maximus the Confessor », cité n. 1, p. 226. Un manuel de référence en écothéologie comme celui de C. Deane-Drummond ne mentionne d’ailleurs Maxime qu’à ce sujet (Eco-theology, London, Darton, Longman and Todd, 2008, p. 61-63, où l’on trouve également une simple allusion à l’association entre Logos et Sophia).

  • 8 Maxime le Confesseur, Ambiguum 7 (PG 91, p. 1077-1080) ; voir p. ex. les analyses d’A. Riou, Le monde et l’Église selon Maxime le Confesseur, Paris, Beauchesne, 1973, p. 45-70 (auquel nous empruntons sa traduction en la modifiant) et d’A. Cooper, « Spiritual Anthropology in Ambiguum 7 » dans The Oxford Handbook of Maximus the Confessor (cité n. 1), p. 360-377.

  • 9 J.-C. Larchet, Les fondements spirituels de la crise écologique (cité n. 1), p. 35-38.

  • 10 Dans cet Ambiguum, Maxime commente l’affirmation de Grégoire de Nazianze selon laquelle « Nous sommes une portion de Dieu, découlant d’en haut ». Voir Grégoire de Nazianze, De l’amour des pauvres § 7 (PG 35, p. 858-910), dans A.G. Hamman (éd.), Riches et pauvres dans l’Église ancienne, Paris, DDB, 1982, p. 109 (nous modifions la traduction).

  • 11 Maxime le Confesseur, Ambigua, Paris, Éditions de l’Ancre, 1994, p. 135, suivi par J.-C. Larchet, Les fondements spirituels de la crise écologique (cité n. 1), p. 38.

  • 12 Voir J. Lollar, To See into the Life of Things : The Contemplation of Nature in Maximus the Confessor and his Predecessors, Turnhout, Brepols, 2013.

  • 13 Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios I, Paris, Cerf, 2010, p. 134-137.

  • 14 Question 51, p. 142-143.

  • 15 Question 61, p. 94-95.

  • 16 Mystagogie 2 (PG 69, p. 669) ; trad. française dans M.-L. Charpin-Ploix (éd.), Maxime le Confesseur. La Mystagogie, Paris, Migne, 2005, p. 88.

  • 17 Question 51, p. 142-145.

  • 18 J.-C. Larchet, Les fondements spirituels de la crise écologique (cité n. 1), p. 22. On aborde ici le thème des « énergies » divines, un terme théologique qui rend compte justement de la manière dont les créatures participent à quelque chose de ce que Dieu est, sans participer à son essence. Voir les analyses détaillées de V. Karayiannis, Maxime le Confesseur. Essence et énergies de Dieu, Paris, Beauchesne, 1993 et de P. Renczes, Agir de Dieu et liberté de l’homme : recherches sur l’anthropologie théologique de saint Maxime le Confesseur, Paris, Cerf, 2003.

  • 19 Question 51, p. 148-151.

  • 20 Ibid., p. 142-145.

  • 21 Ibid., p. 144-147.

  • 22 E. Theokritoff souligne le caractère partiel de toutes les images employées par Maxime, y compris celles empruntées à la liturgie : dans tous les cas, ce n’est pas la liturgie humaine, mais la liturgie céleste qui peut servir d’archétype (« The Vision of St. Maximus the Confessor », cité n. 1, p. 229-230).

  • 23 Le cas est un peu différent pour les tropoi que Maxime évoque dans la suite du paragraphe : il les reçoit également, mais comme des modèles à imiter après s’être lui-même engagé dans une démarche de conversion et d’ascèse.

  • 24 Ambiguum 7 (PG 91, p. 1092). Nous empruntons la traduction, en la modifiant, à É. Ayroulet, « Le monde et l’homme, une opposition irréductible ? » (cité n. 1), p. 90.

  • 25 Maxime le Confesseur, Ambiguum 41 (PG 91, p. 1304-1305), trad. R. Wakim inédite ; sur l’interprétation de ce passage, voir la bibliographie dans D. Costache, « Mapping Reality Within the Experience of Holiness », dans The Oxford Handbook of Maximus the Confessor (cité n. 1), p. 378-397.

  • 26 Pour Maxime, l’idéal à atteindre n’est pas l’absence totale de mouvement (comme le prétendaient certains disciples d’Origène, imaginant un terme au retour de la création vers son créateur) : il n’associe pas le mouvement au péché d’Adam et Ève, et ne semble pas envisager un état où la créature, déjà divinisée, cesserait son mouvement vers Dieu.

  • 27 É. Ayroulet, « Le monde et l’homme, une opposition irréductible ? » (cité n. 1), p. 92-93.

  • 28 Ambiguum 41 (PG 91, p. 1305-1308).

  • 29 « Ainsi l’âme sera pour le corps ce que Dieu est pour l’âme », affirme Maxime (Ambiguum 7, cité par É. Ayroulet, « Le monde et l’homme, une opposition irréductible ? », cité n. 1, p. 90). Le terme de « microtheos », quant à lui, est emprunté à la tradition orthodoxe contemporaine (voir M.M. Egger, La terre comme soi-même, cité n. 1, p. 199).

  • 30 On met souvent en avant Maxime comme l’un des tenants d’une vision « orientale » selon laquelle l’Incarnation était voulue de toute éternité par Dieu, indépendamment du péché (voir p. ex. J. et H. Bastaire, La Terre de gloire. Essai d’écologie parousiaque, Paris, Cerf, 2010, p. 37 ; E. Theokritoff, « The Salvation of the World and Saving the Earth », cité n. 1, p. 145).

  • 31 Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios I, p. 141.

  • 32 Voir les analyses précises de R. Bordeianu, « Maximus and Ecology » (cité n. 1), p. 112-114, qui distingue six manières différentes de concevoir cette solidarité entre la chute de l’être humain et le désordre du cosmos.

  • 33 Ibid., p. 111. : « L’instabilité que nous avons créée dans le monde se manifeste concrètement dans la crise écologique à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. »

  • 34 J.-C. Larchet, Les fondements spirituels de la crise écologique (cité n. 1), p. 66-69 : « Le monde créé n’est pas affecté dans son essence (son logos reste identique), mais dans son mode d’existence (son tropos n’est plus conforme à son logos). »

  • 35 E. Theokritoff, « The Vision of St. Maximus the Confessor » (cité n. 1), p. 225 : « Les “divisions” reflètent la manière dont l’univers est créé, mais la déviation de l’humanité par rapport à sa vocation signifie qu’elles sont solidifiées en fossés et oppositions, au lieu de devenir des différences au sein d’une unité. »

  • 36 Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios I, p. 135 (cf. Ps 48,13).

  • 37 A. Louth, « Man and Cosmos in St. Maximus the Confessor » (cité n. 1), p. 61 ; cf. E. Theokritoff, « The Vision of St. Maximus the Confessor » (cité n. 1), p. 225.

  • 38 Maxime le Confesseur, Ambiguum 41 (PG 91, p. 1308) ; trad. R. Wakim modifiée.

  • 39 Ibid.

  • 40 Ibid. (PG 91, p. 1309).

  • 41 Ibid. (PG 91, p. 1312).

  • 42 R. Bordeianu, « Maximus and Ecology » (cité n. 1), p. 112-113. Les italiques sont de l’A.

  • 43 E. Theokritoff, « Creation and Priesthood in Modern Orthodox Thinking », Journal for the Study of Religion, Nature and Culture 10/3 (2005), p. 360.

  • 44 R. Bordeianu, « Maximus and Ecology » (cité n. 1), p. 111-112.

  • 45 E. Brown Dewhurst, « The Cosmology of St Maximus the Confessor » (cité n. 1), p. 134.

  • 46 R. Bordeianu, « Maximus and Ecology » (cité n. 1), p. 112.

  • 47 Cf. A. Louth, « Man and Cosmos in St. Maximus the Confessor » (cité n. 1), p. 60.

  • 48 Comme le remarque E. Theokritoff, certaines images employées par Maxime dans l’Ambiguum 41 mettent en relief ce caractère passif et « impersonnel » de la médiation assurée par l’être humain : celui-ci est un « atelier de fabrication » (et non un artisan), un « point médiant » (et non un agent mobile) ou un « lien d’amitié » (et non un ami ou un amoureux) (« The Vision of St. Maximus the Confessor », cité n. 1, p. 225).

  • 49 R. Bordeianu, « Maximus and Ecology » (cité n. 1), p. 112.

  • 50 Ibid., p. 115. Une telle expression est peut-être moins vraie in abstracto que dans une perspective polémique : elle s’inscrit en réaction à d’autres manières de concevoir le cosmos, privé de sa relation à Dieu (l’A. évoque le « biocentrisme » et le « géocentrisme »). On peut d’ailleurs ajouter que, même dans une perspective croyante, une théologie (aussi bien une cosmologie qu’une sotériologie) qui se contenterait d’être théocentrique peinerait à rendre compte du rapport entre ce monde et son créateur et des médiations entre l’un et l’autre, au risque de tomber dans une simple juxtaposition entre la théologie et la cosmologie.

  • 51 J.-C. Larchet, Les fondements spirituels de la crise écologique (cité n. 1), p. 49.

  • 52 E. Theokritoff, « The Vision of St. Maximus the Confessor » (cité n. 1), p. 224.

  • 53 Ibid., p. 228., qui se réfère à l’Ambiguum 7 : « On dit en effet que toutes les créatures sont parfaitement enveloppées et tenues, selon l’essence et la naissance (γένεσις), par leurs logoi propres et par ceux des êtres qui sont autour d’elles au dehors » (PG 90, p. 1081, notre traduction).

  • 54 J.-C. Larchet, Les fondements spirituels de la crise écologique (cité n. 1), p. 50.

  • 55 E. Brown Dewhurst, « The Cosmology of St Maximus the Confessor » (cité n. 1), p. 135.

  • 56 R. Bordeianu, « Maximus and Ecology » (cité n. 1), p. 112.

  • 57 E. Brown Dewhurst, « The Cosmology of St Maximus the Confessor » (cité n. 1), p. 133. Il est intéressant de noter que cette médiation universelle s’étend même aux anges.

  • 58 Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios I, p. 171.

  • 59 E. Theokritoff, « The Salvation of the World and Saving the Earth » (cité n. 1), p. 144-145 ; cf. D. Costache, « Mapping Reality Within the Experience of Holiness » (cité n. 25).

  • 60 Ead., « Creation and Priesthood in Modern Orthodox Thinking » (cité n. 43), en particulier p. 356-359 ; cf. « The Vision of St. Maximus the Confessor » (cité n. 1), p. 225. Cf. D. Munteanu, « Cosmic Liturgy » (cité n. 1), p. 342, qui évoque la « potentialité ecclésiale » de toute créature.

  • 61 Sur la distinction entre les effets salvifiques de l’Incarnation (sur la nature humaine en général), du baptême (sur l’individu mais à titre encore inachevé) et de la vie vertueuse (où ces potentialités sont actualisées), voir par exemple J.-C. Larchet, « Introduction », dans Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios I, p. 54-56.

  • 62 Une telle lecture reconnaît qu’il y a des ambiguïtés et des tensions dans la pensée de Maxime. On a pu le voir avec l’usage du mot « intermédiaire » dans les textes cités plus haut : c’est à travers l’être humain ou en lui que la création peut offrir sa louange au créateur, même si ailleurs elle semble faire monter déjà sa propre louange sous les yeux de l’humanité émerveillée. Un paradoxe semblable apparaissait aussi dans le premier texte que nous avons cité : le même mot distinguer (συνδιακρίνω) était utilisé dans le même paragraphe, d’abord au sujet de la variété des créatures « séparées » par l’infinie différence des êtres, ensuite à propos de l’être humain « discernant » le logos de chaque être. D’un côté, une distinction apparemment immanente à la création ; de l’autre, une même distinction accomplie par l’être humain en tant que doué de raison.

  • 63 Ambiguum 41, cité ci-dessus.

  • 64 E. Theokritoff, « The Salvation of the World and Saving the Earth » (cité n. 1), p. 146.

  • 65 De ce fait, il conviendrait plus généralement de renoncer à voir dans l’être humain « un pont entre la terre et les cieux », comme l’exprime poétiquement M.-M. Egger (La terre comme soi-même, cité n. 1, p. 198) ou à s’appuyer sur la philosophie (Pascal) ou les sciences (principe anthropique) pour confirmer cette place centrale de l’humain dans la création, comme le fait A. Louth (« Man and Cosmos in St. Maximus the Confessor », cité n. 1, p. 66).

  • 66 E. Theokritoff, « The Salvation of the World and Saving the Earth » (cité n. 1), en écho aux thèses de John Zizioulas et de Kallistos Ware ; D. Munteanu¸ « Cosmic Liturgy » (cité n. 1), p. 335.

  • 67 E. Theokritoff, « The Salvation of the World and Saving the Earth » (cité n. 1), p. 146 ; « The Vision of St. Maximus the Confessor » (cité n. 1), p. 225. Pour une lecture de l’Ambiguum 45 qui souligne davantage les aspects positifs de la technique après le péché, voir N. Delicata, « Homo technologicus and the Recovery of a Universal Ethic » (cité n. 1), p. 33-53.

  • 68 « Nous avons vu précédemment que toutes les créatures sont objectivement reliées à Dieu (par leurs logoi et par la présence en elles des énergies divines), et qu’à la mesure de leur propre nature (“analogiquement”, comme disent les Pères grecs) elles témoignent de la présence de Dieu et même le louent d’une certaine façon. Mais Dieu voulait que cela s’accomplît dans un processus de conscience, d’amour et de liberté, ce dont ne disposent pas les créatures du monde sensible autres que l’homme. C’est pour cette raison que la médiation de l’homme est indispensable et que Dieu lui a confié ce rôle » (J.-C. Larchet, Les fondements spirituels de la crise écologique, cité n. 1, p. 49 ; nous soulignons). On observera avec intérêt la place limitée de l’amour, par rapport à l’ascèse ou à la contemplation, dans le cheminement spirituel (Id., « La vie spirituelle du chrétien », dans Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios I, p. 56-73).

  • 69 A. Nordlander, « Green Purpose » (cité n. 1), p. 45.

  • 70 Pape François, Loué sois-tu ! (cité n. 2), § 101-114.

  • 71 A. Nordlander parle alors de « considérer les créatures d’une manière non anthropocentrique, attentive à leur “essence intérieure” ou logos propre plutôt qu’à nos propres désirs et finalités pratiques » (« Green Purpose », cité n. 1, p. 52).

  • 72 Parmi les textes que nous avons lus, ceux d’E. Theokritoff cités ci-dessus (n. 59 et 60) vont le plus loin dans la critique d’une supériorité de l’être humain sur les autres créatures. Mais ils se situent au niveau de la pratique (de l’ethos ecclésial) et de la théologie sacramentaire ; à nos yeux, ils peinent à traiter l’obstacle fondamental touchant à la différence de nature entre l’être humain et le reste de la création.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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