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Pneumatologie, sciences et bouddhisme

À propos de deux ouvrages récents*

Jacques Scheuer s.j.
A. Yong, Pneumatology and the Christian-Buddhist Dialogue. Does the Spirit Blow through the Middle Way ?, coll. Studies in Systematic Theology 11, Leiden, Brill, 2012, 359 p., 131 €. ISBN 978-90-04-23117-7 ; The Cosmic Breath. Spirit and Nature in the Christianity-Buddhism-Science Trialogue, coll. Philosophical Studies in Science and Religion 4, Leiden, Brill, 2012, 366 p., 131 €. ISBN 978-90-04-20513-0

Que devient le message chrétien et que devient la théologie si, au lieu de se cantonner dans le monde de la Méditerranée et de l’Europe, ils se tournent en direction de l’Asie, de la pluralité des religions et plus précisément du bouddhisme ? Le pari d’Amos Yong, théologien pentecôtiste nord-américain d’origine malaisienne, est qu’une théologie trinitaire et davantage attentive au rôle de l’Esprit-Saint sera mieux armée pour répondre aux défis que présentent l’engagement de foi, la proclamation de l’évangile et le dialogue interreligieux. Son premier ouvrage s’articule en trois grandes sections consacrées à la présence de l’Esprit dans le monde, à son action, enfin à son absence.

En vue de traiter de la présence de l’Esprit-Saint à la création, l’auteur examine tout d’abord les rapports entre foi chrétienne et sciences au plan de la cosmologie et à celui de l’anthropologie, notamment des relations corps – esprit étudiées par les sciences cognitives. Dans un deuxième temps, dont les sciences ne sont pas absentes, la « conversation » entre la pensée chrétienne et le bouddhisme, ici représenté surtout par l’école philosophique de Kyoto, tourne autour des notions de vacuité et de co-production en dépendance. Cette double enquête permet de dégager une théologie pneumatologique et relationnelle de la création du monde (avec une relecture de Gn 1-2) et de l’être humain.

Les chapitres consacrés à l’action de l’Esprit-Saint se situent dans un tout autre registre. Ils exposent d’abord les conceptions et surtout les pratiques spirituelles des Pères du désert ainsi que la tradition de la Philocalie. Ce chemin de divinisation est alors comparé avec la voie ascétique du bouddhisme Theravâda telle qu’exposée par Buddhaghosa (v e s.) dans son traité classique « Le Chemin de purification » (Visuddhimagga). Cette analyse de deux voies de salut ou de libération, tant au plan des pratiques qu’à celui des fondements doctrinaux, soulève la question d’une théologie chrétienne de la pluralité religieuse : comment comprendre la présence et l’action de l’Esprit-Saint au sein des religions ? Ou, pour reprendre le sous-titre du livre, le souffle de l’Esprit-Saint parcourt-il la « Voie du Milieu » inaugurée par le Bouddha ?

La dernière section (« Satan et Mâra ») aborde un domaine relativement peu travaillé par la théologie, la missiologie et la pastorale, du moins dans le monde catholique : le combat contre le mal et les puissances des ténèbres. Il semble bien souvent que Dieu soit absent de notre monde alors que des forces antagonistes et peut-être démoniaques y sont actives. L’enquête se déroule ici davantage (mais pas exclusivement) au plan de formes populaires de la religion, qu’il s’agisse de croyances et de pratiques d’exorcisme et de guérison dans le bouddhisme du Sri Lanka ainsi que du Tibet ou de leurs équivalents dans des communautés pentecôtistes, principalement en Asie. L’enquête fait apparaître, de part et d’autre, un large éventail de conceptions démonologiques, des plus littérales et réalistes aux plus démythologisées ou rationalisées. L’auteur propose à partir de là quelques principes en vue d’un discernement des esprits ; il aborde avec prudence la question « l’Esprit-Saint est-il présent et actif dans les rituels bouddhiques d’exorcismes ? » avant de signaler celle du possible salut de Satan ou d’êtres démoniaques, dans une perspective qui s’inspirerait de l’apokatastasis d’Origène.

Dans la conclusion générale de son premier ouvrage, Amos Yong précise quelque peu sa position en matière de théologie chrétienne des religions, se faisant l’avocat d’une théologie dans laquelle s’équilibrent les dimensions christologique et pneumatologique, une théologie qui fasse également droit à la proclamation du message évangélique et au dialogue interreligieux.

Ambitieux et modeste, ce livre brasse une documentation considérable dans les divers domaines qu’il aborde. L’auteur se montre attentif à respecter le caractère spécifique des différentes disciplines qu’il enrôle au service de son projet : il ne s’agit pas de démontrer l’existence d’affirmations identiques mais de suggérer des parallèles ou des « résonances ». Le lecteur appréciera sa prudence dans les rapprochements entre sciences et théologie ainsi que dans les comparaisons entre bouddhisme et christianisme.

Sous le titre « Le Souffle cosmique », le second ouvrage reprend, développe et complète le traitement de certains thèmes abordés ou esquissés plus rapidement dans le premier. L’intention directrice demeure la même : manifester la fécondité d’une théologie pneumatologique tant pour les rapports sciences-foi que pour les relations interreligieuses, en particulier dans le dialogue entre bouddhisme et christianisme. Cet ouvrage procède également en trois parties. La première traite du débat entre théologie chrétienne et sciences, d’abord au plan de la cosmologie puis à celui de l’anthropologie. Convaincu qu’une théologie de l’Esprit-Saint favorise des conceptions plus dynamiques et moins dualisantes, Amos Yong, se référant aux théories scientifiques sur les champs (dans le sillage de Faraday et de Maxwell) et sur l’émergence de réalités systémiques de complexité croissante, tente notamment de pousser plus avant la réflexion de Pannenberg (en particulier dans le volume II de sa Théologie systématique 1) :

Je suggère que si la théorie de l’émergence tente de suivre les mouvements du souffle de Dieu depuis le chaos primordial et en direction de la complexité, la théorie systémique peut offrir une conception plus riche de l’esprit divin comme étant le champ qui enveloppe les différents niveaux ou ordres de la création. En combinant la théorie de l’émergence et celle des systèmes avec une relecture pneumatologique de Genèse 1, on peut faire progresser l’intuition de Pannenberg selon laquelle une théologie pneumatologique de la nature, développée en dialogue avec la théorie des champs, permet de dépasser une métaphysique de la substance, métaphysique dualiste et statique qui ne tient plus la route à notre époque.

(p. 70-71)

La deuxième partie aborde de même les rapports entre la pensée bouddhique et les sciences. C’est la catégorie de « vacuité » (shûnyatâ), davantage en honneur dans le Grand Véhicule, qui sert ici de fil rouge. S’inspirant en particulier de penseurs de l’école de Kyoto, l’auteur interprète cette notion de manière dynamique comme le processus de se vider de tout caractère substantiel propre : la vacuité n’est pas une chose ou un étant mais désigne pour ainsi dire le champ dans lequel chaque réalité particulière peut apparaître selon sa contingence et dans sa relation d’interdépendance avec toutes les autres. En ce qui concerne la cosmologie, Amos Yong recourt davantage à l’école Hwayan du bouddhisme chinois, tandis que pour les sciences du vivant et surtout celles de l’esprit, il se réfère aux colloques organisés entre moines tibétains (entre autres le Dalaï Lama) et savants occidentaux, dans le cadre des programmes « Mind and Life », colloques qui ont déjà abouti à la publication de plusieurs volumes.

La troisième et dernière partie peut alors aborder le dialogue triangulaire entre sciences, théologie chrétienne et pensée bouddhique. C’est désormais le théologien chrétien qui s’exprime comme tel, dans la méthode de sa démarche comme dans les contenus de sa réflexion. Mais il le fait en conversation avec des partenaires tels que le théologien jésuite américain joseph Bracken et le philosophe bouddhiste japonais Masao Abe. Son inspiration pneumatologique lui permet d’esquisser brièvement une réflexion neuve sur l’action créatrice et lui suggère concrètement des repères éthiques pour une activité humaine respectueuse de l’environnement.

Une évaluation rigoureuse de chacune des étapes de ces deux essais exigerait sans doute la coopération de toute une équipe multidisciplinaire. Avoir contribué à relancer les débats autour des questions de méthode ainsi que des enjeux philosophiques et théologiques abordés ne serait pas le moindre mérite de ces deux livres.

Notes de bas de page

  • * A. Yong, Pneumatology and the Christian-Buddhist Dialogue. Does the Spirit Blow through the Middle Way ?, coll. Studies in Systematic Theology 11, Leiden, Brill, 2012, 359 p., 131 €. ISBN 978-90-04-23117-7 ; The Cosmic Breath. Spirit and Nature in the Christianity-Buddhism-Science Trialogue, coll. Philosophical Studies in Science and Religion 4, Leiden, Brill, 2012, 366 p., 131 €. ISBN 978-90-04-20513-0.

  • 1 W. Pannenberg, Théologie systématique II, coll. Cogitatio fidei 279, Paris, Cerf, 2011, 635 p. La traduction française de ce volume a été présentée récemment par E. Tourpe dans NRT 134 (2012), p. 651-654.

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