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Réformer la papauté pour servir l’unité entre les Églises

Hervé Legrand op
Lorsque le pape François entreprend de réformer la Curie romaine et de revaloriser simultanément la collégialité épiscopale, il amorce du même coup une réforme de la papauté. La revitalisation de la corrélation traditionnelle entre le collège des évêques et la communion des Églises dispenserait la primauté romaine du gouvernement quotidien de toute l’Église — obstacle œcuménique considérable — et permettrait que son service soit mieux reconnu, comme le souhaitait déjà Jean-Paul II dans Ut unum sint.

Dès le début de son ministère, le pape François a annoncé une revalorisation de la collégialité épiscopale et pris des décisions sans équivoque pour réformer la Curie romaine. En mettant en œuvre ces requêtes exprimées par les cardinaux en pré-conclave, il ranime deux des desseins réformateurs de Vatican II, restés en déshérence : ni Paul VI ni Jean-Paul II n’avaient pu réformer la Curie en profondeur tandis que Jean-Paul II semble avoir donné la priorité à la bonne collaboration entre les évêques plus qu’à leur responsabilité structurelle au sein de l’Église entière1.

I Réforme de la papauté et unité des chrétiens

Réformer la Curie et revaloriser l’épiscopat, c’est aussi réformer la papauté et, du même coup, réactiver un autre grand dessein de Vatican II qui était de servir l’unité des chrétiens. Paul VI l’avait déjà constaté : « la papauté est l’obstacle le plus grave sur le chemin de l’œcuménisme2 ». Les papes récents ont réitéré « l’engagement œcuménique irréversible de l’Église catholique »3, mais sans entreprendre de réforme en ce sens. Dans La Joie de l’Évangile, après le rappel du souhait de Jean-Paul II de trouver « une forme d’exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle »4, le pape François constate : « nous avons peu avancé en ce sens. La papauté et les structures centrales de l’Église universelle ont besoin d’écouter l’appel à une conversion pastorale5 ». Puis il lie ces deux réformes :

Vatican II a affirmé que, « d’une manière analogue aux antiques Églises patriarcales, les conférences épiscopales peuvent contribuer de façons multiples et fécondes à ce que le sentiment collégial se réalise concrètement » (LG 23). Mais ce souhait ne s’est pas pleinement réalisé parce que n’a pas encore été suffisamment explicité un statut des conférences épiscopales qui les conçoive comme sujets d’attributions concrètes, y compris une certaine autorité doctrinale authentique6.

Lors du vote de Vatican II favorable à la collégialité, le futur cardinal Congar avait déjà nettement indiqué le lien étroit entre ces deux réformes :

Vatican II [vient] d’équilibrer Vatican I à une majorité qui n’est jamais descendue au dessous de 87 %, [… atteignant son but] rendre à l’épiscopat plus d’importance et d’initiative dans le régime concret de l’Église, actuellement dominé par un certain exercice de la primauté papale, celui qui comporte le système de la Curie et la centralisation romaine, [… système auquel] achoppent toutes les autres Églises qui se représentent le pouvoir papal comme absolutiste et monarchique7.

Cinquante ans plus tard, la réforme morale et administrative de la Curie est bien entamée. Et surtout un nouveau statut au sein de l’Église est recherché pour cet organisme qui a l’habitude de gouverner l’Église catholique et ses évêques au nom du pape jusque dans les moindres détails8. Sortir de ce qui se révèle comme une impasse œcuménique suppose de revenir à la vision traditionnelle de la communion ecclésiale comme communion d’Églises : « l’Église catholique une et unique existe dans et à partir des Églises particulières9 », comme l’a rappelé Vatican II. L’interruption accidentelle de Vatican I avait oblitéré cette perception, laissant « la papauté comme un tronc séparé de la vaste ecclésiologie qu’il avait projetée10 ». Dès lors, on a compris communément l’Église à partir du pape et l’épiscopat comme subordonné au pape et à la Curie. Dans une perspective de communion des Églises, il conviendrait pourtant que la Curie soit au service du pape et de l’épiscopat.

II La Curie au service du pape et des Églises locales

Organe central de gouvernement et de contrôle administratif, la Curie pourrait devenir une institution au service du pape et des Églises locales, leur rendant des comptes.

On trouve probablement une première idée de la façon dont le pape François voit la Curie actuelle en lisant son Discours au comité de coordination du CELAM :

L’Église est institution, mais quand elle s’érige en « centre », elle tombe dans le fonctionnalisme. […] Elle devient de plus en plus autoréférentielle et de moins en moins missionnaire. […] Elle finit par devenir une administration. [Au lieu de] servir et de faciliter la foi, elle s’en fait la contrôleuse11.

Selon le droit en vigueur, la Curie romaine est un « centre » car elle « traite habituellement les affaires de l’Église tout entière, au nom et sous l’autorité du Pontife suprême12 ». Dès lors, selon un gouverne ment conçu comme quotidien13, « quand la Curie agit, c’est le pape qui agit14 ». En son nom, elle exerce des fonctions disciplinaires à l’endroit des évêques locaux15. Depuis 25 ans, elle évoque à elle des questions qu’elle ne saurait résoudre adéquatement16, soit à un plan universel17, soit en respectant la théologie des Églises locales18. L’évêque diocésain serait considéré comme un « fonctionnaire papal », telle est la nouveauté canonique19. Vatican II avait pourtant corrigé Pie XII qui, en trois encycliques, enseignait que le pape communiquait leur juridiction aux évêques20 : le concile stipule qu’ils reçoivent leur charge de gouverner directement du Christ dans leur ordination (LG 26), pour être à la tête d’une portion et non d’une partie de l’Église (LG 23 et 28) et il demande de voir en eux « des vicaires et des légats de Jésus-Christ […] et non des vicaires du pontife romain » (LG 27). Dans le Code promulgué par Jean-Paul II, le pape reste pourtant le seul vicaire du Christ (c. 331) et l’ensemble de sa législation subordonne strictement chaque évêque et l’ensemble de l’épiscopat au pape. C’est paradoxal après la reconnaissance du collège des évêques (pape inclus) comme détenteur « du pouvoir suprême et plénier sur l’Église tout entière » (LG 22).

En attendant des réformes détaillées, deux mesures auraient une portée effective et pas seulement symbolique. La première consisterait à créer un poste de modérateur de la Curie, qui en serait le responsable immédiat, coupant ainsi son cordon ombilical avec le pape. À travers ce modérateur, seconde mesure, la Curie serait amenée à rendre des comptes non seulement au pape mais au collège des évêques, représenté, par exemple, par le conseil du synode des évêques auprès du pape, si cette institution était maintenue et rénovée21. L’actuel conseil des neuf cardinaux n’entre pas dans le schéma ecclésiologique évoqué22 qui améliorerait sensiblement la communication entre les évêques et la Curie ; et ces derniers se sentiraient respectés dans leurs responsabilités : notre Église en deviendrait moins universaliste et plus catholique. Le bénéfice œcuménique ne serait pas moindre : la primauté romaine tournerait ainsi le dos à « une figure à laquelle achoppent toutes les autres Églises chrétiennes », comme le remarquait Y. Congar.

III Corriger des trajectoires ecclésiologiques post-conciliaires

Expression de la communion des Églises, l’essor de la collégialité aurait une grande portée œcuménique en corrigeant certaines trajectoires ecclésiologiques post-conciliaires.

Dessiner les contours de l’essor envisagé de la collégialité dépasse les capacités de tout individu. Ici, on analysera seulement trois trajectoires canoniques révisables, qui l’ont bloquée notamment à partir de Communionis notio.

1 Dépasser l’affirmation de la priorité unilatérale de l’Église universelle en retrouvant la simultanéité de l’Église et des Églises

La recentralisation énergique menée à partir des années 1995 a pris appui sur l’idée, lancée par Communionis notio (1993), de « la priorité ontologique et chronologique de l’Église universelle sur les Églises particulières », car elle est leur mère à toutes :

Ontologiquement […] l’Église, une et unique […] précède la création, et donne naissance aux Églises particulières comme à ses propres filles ; elle s’exprime en elles, elle est mère et non produit des Églises particulières […] Manifestant son universalité dès son origine, elle a donné naissance aux diverses Églises locales comme à des réalisations particulières de l’Église une et unique23.

On y ajoute que le successeur de Pierre « appartient déjà à l’essence de toute Église particulière de l’intérieur24 », innovation doctrinale qui tend à faire de l’évêque de Rome une sorte d’évêque universel, ce que Pie IX refusait pourtant après Vatican I25. Les autres Églises chrétiennes ont toutes déploré ce document et le relais que lui a offert Dominus Iesus en 2000. L’ensemble des ecclésiologues catholiques26 s’accorde avec les réserves du Cardinal W. Kasper27 devant ces énoncés qui tournent le dos à l’ecclésiologie de communion amorcée à Vatican II. Comment penser, en effet, que l’Église puisse exister préalablement aux processus concrets (de confession de foi et sacramentels) qui la constituent et indépendamment d’eux ?

Ce point aveugle concernant la simultanéité de l’Église et des Églises a contribué à la dissociation entre le collège des évêques et la communion des Églises. Il est dès lors frappant que le pape François se présente constamment comme évêque de l’Église locale de Rome : comment dire plus clairement qu’il situe son ministère dans la communion des Églises ?

2 Remédier à la dissociation entre le collège des évêques et la communion des Églises

Apostolos suos 12 a justifié la dissociation, commencée auparavant, entre l’épiscopat et la présidence d’une Église réelle. Dans la perspective — que l’on vient de décrire — d’une priorité unilatérale accordée à l’Église universelle, on y enseigne que « le collège des évêques en tant qu’élément essentiel de l’Église universelle est une réalité antérieure au fait de présider à une Église » car « cela est évident pour tous, il y a de nombreux évêques qui ne sont pas à la tête d’une Église28 ».

Or, quand on dissocie le collège des évêques de la communion des Églises, l’épiscopat devient, selon la malheureuse expression de K. Rahner, « le haut personnel dirigeant de l’Église universelle »29. On appartiendrait au collège sans présider à une Église30, à titre individuel, pour le prestige ou comme récompense31, pourvu du titre d’un diocèse disparu et sans peuple32 ; ce qui est difficile à justifier33 et confirme les Églises de la Réforme dans leur refus d’une succession apostolique ainsi conçue. Le collège cesse alors d’être le canal de la communion des Églises tandis que la catholicité se dégrade en universalisme, comme le vocabulaire officiel l’enregistre déjà34. Si l’insistance du pape François sur son épiscopat romain se traduisait en réforme, on ordonnerait moins d’évêques sans diocèse et il irait de soi que le collège est le collège des évêques diocésains35, ce qui dissiperait les réserves orthodoxes envers la collégialité latine, coupant ses liens avec les Églises locales36.

3 Remédier à la dégradation des diocèses et des Églises régionales en circonscriptions administratives créées par la primauté

Les documents qui ont appuyé la recentralisation n’instaurent jamais les diocèses, ou les regroupements de diocèses, comme sujets de droit et d’initiative dans la communion de l’Église. Pour eux, les conférences des évêques sont des créations de la primauté37 et les patriarcats aussi38, à l’étonnement des historiens et des orthodoxes39. En même temps, on a involontairement dégradé le statut des diocèses par la multiplication des circonscriptions ecclésiastiques auxquelles on a conféré un statut équivalant en droit à celui des diocèses40. Un récent Dizionario di ecclesiologia41 en est sans doute influencé : l’entrée « diocèse » y est introuvable et le terme est absent de l’index analytique, alors que les « circonscriptions ecclésiastiques » y reçoivent trois entrées42. La nouvelle sociabilité en réseaux ne peut justifier une évolution contraire à Vatican II, pour lequel les diocèses sont non pas des parties mais des portions43 de l’Église, et pour lequel « l’Église catholique une et unique existe dans et à partir des diocèses ».

Le statut des conférences épiscopales a été érodé : Apostolos suos leur a retiré le magistère authentique que leur accordait encore le c. 753 et il attend d’elles qu’elles « veillent surtout à suivre le magistère de l’Église universelle et à le faire connaître opportunément au peuple qui leur est confié » (n. 21) ; bref, qu’elles soient en quelque sorte les relais de l’enseignement du Saint-Siège44, alors que le dernier paragraphe de LG 23 attendait d’elles de contribuer à l’inculturation de leurs Églises45. On pourrait renforcer leur statut en élargissant les modestes compétences actuelles qu’elles exercent dans un certain nombre de domaines, moyennant la recognitio romaine : formation du clergé, catéchèse, écoles et universités, œcuménisme. Mais probablement s’orientera-t-on vers des unités beaucoup plus grandes, dans la ligne des patriarcats, suggérée par LG 23, reprise avec faveur par J. Ratzinger46, et annoncée par le pape François47 : elles seront plus à l’abri des pressions politiques et les évêques y jouiront personnellement de plus de liberté.

IV Une réforme délicate à mettre en œuvre

Une réforme de la papauté est doctrinalement possible et œcuméniquement souhaitable. Elle est délicate à mettre en œuvre.

Œcuméniquement, les réformes envisagées sont requises, pas seulement souhaitables. L’interprétation maximaliste de Vatican I48 est infidèle aux explications données avant le vote aux Pères de Vatican I par Mgr Zinelli, car elle confond le type de plénitude de pouvoir reconnu au pape avec la plénitude de pouvoir dont traite le droit romain. En particulier, Vatican I, on l’oublie trop, n’enseigne pas que le pape doive exercer tout le pouvoir ecclésiastique à lui seul (seorsim), mais seulement quand les circonstances l’imposent pour sauvegarder le bien des diocèses49 et l’unité de l’Église.

Dans ce service de l’unité, voulu par le Seigneur et si précieux50, il s’impose de méditer la reprise par le Cardinal Ratzinger d’une réflexion de H. Dombois qui écrivait : « L’histoire nous apprend que l’unité de l’Église et l’Église unitaire se contredisent tellement qu’une Église unitaire ne saurait être le modèle de l’unité de l’Église51. » Le citant deux fois, il affirme pour son compte :

La centralisation actuelle de l’Église catholique ne découle pas de la charge de Pierre. Le droit ecclésial unitaire, la liturgie unitaire, l’attribution unitaire, fait par le centre romain, des sièges épiscopaux, toutes ces choses ne font pas nécessairement partie de la primauté en tant que telle52.

Il a développé cette perception à plusieurs reprises53, ce qui devrait rassurer ceux qu’inquiètent les réformes envisagées par le pape François, car le même Cardinal Ratzinger a également écrit : « Rome ne doit pas exiger de l’Orient, au sujet de la doctrine de la primauté, plus que ce qui a été formulé et vécu pendant le premier millénaire54. »

Renouer avec cette perspective ne sera possible qu’avec le concours de canonistes d’une grande culture théologique et historique. À cet égard, on regrettera le quasi-silence de Vatican II sur le droit canon qui reste généralement pratiqué de façon positiviste55. Parce qu’il n’a pas bénéficié des renouveaux biblique, liturgique, patristique et des premières avancées œcuméniques caractéristiques du Concile, le renouvellement de nos institutions se heurtera à des résistances plus canoniques que doctrinales.

Quand on ne sépare pas la collégialité de la synodalité56, on articule mieux le local et l’universel, l’unité et les différences. C’est aussi le problème des sociétés actuelles désemparées devant leurs divisions dans le cadre de la mondialisation. Les réformes envisagées rencontreront des résistances, demanderont des approfondissements spirituels et ne pourront qu’être progressives, mais si nous pouvons les faire, n’avons-nous pas le devoir de ne pas mettre d’obstacles non-nécessaires à la marche des disciples du Christ vers l’unité ? Ce serait pleinement dans la ligne d’Unitatis Redintegratio : pas une seule requête n’y est adressée aux chrétiens dont nous sommes séparés, mais c’est à nous catholiques d’examiner notre « fidélité à la volonté du Christ par rapport à son Église et d’entreprendre un effort soutenu de rénovation et de réforme »57.

Notes de bas de page

  • 1 Dans Apostolos suos, qui précise le statut canonique des conférences épiscopales, Jean-Paul II distingue, au n. 12, l’« affectus collegialis » (citation de LG 23), que les évêques exercent en conférence, de la collégialité effective qu’ils n’exercent qu’avec le pape pour l’Église universelle (Doc. cath. 95, 1998, p. 752). Dès lors la distinction entre collégialité « affective » et « effective » a connu du succès jusqu’au sein des synodes des évêques : cf. le Message du synode pour l’Afrique 11 (Doc. cath. 106, 2009, p. 1027) ou la Relatio du synode pour le Moyen-Orient (Cité du Vatican, 2010, p. 11). Affectus est ainsi traduit en anglais et en français par « affectif », ce qui dévalue la collégialité.

  • 2 Paul VI, Allocution au Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, AAS 59 (1967), p. 68.

  • 3 Jean-Paul II le déclare lors de la vie assemblée du COE à Vancouver (Doc. cath. 80, 1983, p. 865), puis à Genève au siège du COE (Doc. cath. 81, 1984, p. 704), enfin à Utrecht (Doc. cath. 82, 1985, p. 640) ; Benoît XVI le redit peu après son élection aux représentants des autres Églises (Doc. cath. 102, 2005, p. 550).

  • 4 Citation de l’encyclique sur l’œcuménisme Ut unum sint 95.

  • 5 François, La joie de l’Évangile 32.

  • 6 Ibid. C’est une claire annonce de la révision du motu proprio Apostolos suos (1998) par lequel Jean-Paul II avait réduit leurs compétences.

  • 7 Y. Congar, Le concile au jour le jour. Troisième session, Paris, Cerf, 1964, p. 44 et 37 ; ibid., 1963, p. 18. Dès l’année suivante, il tempérait cet optimisme : « Seuls l’avenir et la pratique diront ce que cette doctrine de la collégialité apportera tant aux possibilités du dialogue œcuménique qu’à l’équilibre des fonctions papale et épiscopale à l’intérieur de l’Église catholique. Ils diront également si l’amorce d’une théologie des Églises locales, contenue dans Lumen Gentium et reprise dans Ad Gentes, aura trouvé un écho dans la vie de l’Église, et avec quel impact œcuménique » (Id., Le concile au jour le jour. Quatrième session, Paris, Cerf, 1966, p. 134).

  • 8 Cette habitude est illustrée par la liste des 48 privilèges que Paul VI concède aux évêques, comportant « le pouvoir de conserver le Saint-Sacrement dans leur chapelle privée » ou encore « d’autoriser de pieuses femmes à laver pales et purificatoires même d’un premier lavage », AAS 56 (1964), p. 5-12.

  • 9 LG 23 : « In quibus et ex quibus una et unica Ecclesia catholica exsistit ». Ici, « Église particulière » signifie « diocèse », un terme que certains Pères tentèrent en vain d’éliminer car « d’origine impériale et de nature administrative » : 143 emplois de « diocèse/diocésain » sont demeurés pour 24 d’« Église particulière », dont seule la moitié désigne le diocèse ! Imposée par le Cardinal Felici comme définition du diocèse dans le Code de 1983 (un choix que la codification orientale refusa, cf. I. Zuzek, Nuntia 23, 1986, p. 4), cette option conceptuelle pesa lourd dans la controverse sur la « priorité » de l’Église universelle, témoin « l’évidence » qu’exprime le Cardinal Dulles : « La priorité ontologique de l’Église universelle me paraît aller de soi avec évidence, puisque le concept même d’Église particulière présuppose une Église universelle, à laquelle elle appartient, alors que le concept d’Église universelle n’implique pas qu’elle soit faite d’Églises particulières distinctes » (Inside The Vatican 20, 04/06/2001, p. 13). Adopter ce néologisme a eu pour effet, voulu ou non, d’oblitérer que le diocèse, selon Vatican II, est une portion et non une partie de l’Église. Les conséquences en sont analysées ci-dessous, en notre section III, 1.

  • 10 J. Ratzinger, « La collégialité épiscopale. Développement théologique », dans G. Baraúna (dir.), L’Église de Vatican II, Paris, 1965, t. III, p. 763.

  • 11 Doc. cath. 2512 (2013), p. 83.

  • 12 Cf. CIC, c. 360.

  • 13 Les cardinaux y sont censés « apporter leur concours au Pontife romain dans le gouvernement quotidien de l’Église entière (« cura cotidiana universae ecclesiae »), selon le c. 349.

  • 14 Cf. Code droit canon annoté, Paris, Cerf - Tardy, 1989, p. 250.

  • 15 L’attitude de bien des évêques dans les affaires de pédophilie du clergé en a montré la nécessité.

  • 16 Par exemple, selon Liturgiam authenticam 80, les traductions liturgiques des Conférences doivent être révisées à Rome, « un acte de gouvernement absolument nécessaire, en l’absence duquel l’acte de la conférence épiscopale est privé de toute valeur légale », AAS 93 (2001), p. 712. Mais c’est, note Mgr F. Hadisurmata (Indonésie), par « des personnes qui ne parlent ni ne comprennent nos langues » (Origins, 7 mai 1998, p. 773-774). Ainsi a-t-on exigé de traduire en japonais « et cum spiritu tuo » par un terme qui signifie « avec ton fantôme » (cf. D. Sala, « Giappone. Liturgia : l’atmosfera è cambiata ? », Il Regno-Attualità 10, 2014, p. 321).

  • 17 N’a-t-il pas fallu onze ans (1992-2002) et le concours de deux dicastères pour que la Curie règle, en quatre étapes, la question des petites filles souhaitant servir la messe comme leurs petits frères, et de façon universelle, au Québec comme au Pakistan ?

  • 18 Ainsi, que peuvent penser les orthodoxes du c. 1008, § 1 du CCEO ? Il énonce que « le Pontife Romain est l’administrateur et le dispensateur suprême de tous les biens temporels de l’Église », ce qu’on précise au § 2 : « Quant au droit de propriété des biens temporels de l’Église, c’est sous l’autorité suprême du Pontife romain qu’il appartient à la personne juridique qui les a légitimement acquis ». Le but visé aurait été atteint en fixant la valeur d’aliénation d’un bien, sans attribuer de telles prérogatives à la primauté de Pierre.

  • 19 G. Bier conclut ainsi sa thèse d’habilitation Die Rechtsstellung des Diözesanbischofs nach dem Codex Iuris Canonici von 1983, Würzburg, 2001, p. 376. Il y démontre que l’évêque est vis-à-vis du pape dans la position du vicaire général vis-à-vis de son évêque. Selon le c. 480, « le vicaire général et le vicaire épiscopal doivent rendre compte à l’évêque diocésain tant des principales affaires à traiter que de celles déjà traitées, et ils n’agiront jamais contre la volonté ou le sentiment de l’évêque diocésain ».

  • 20 Cf. Mystici Corporis, AAS 35 (1943), p. 211-212 ; Ad Sinarum Gentem, AAS 47(1955), p. 9 et Ad Apostolos Principis, AAS. 50 (1958), p. 618.

  • 21 Actuellement le synode n’est maître ni de sa périodicité, ni de son ordre du jour, ni de la publication de ses résolutions ni de sa composition (par exemple, le Synode spécial pour l’Amérique latine, en 1997, comportait seulement 136 membres élus par leurs pairs, les 161 autres étaient membres ex officio ou désignés par le pape). Il pourrait aisément devenir un organe plus représentatif de l’épiscopat sans prétendre être un organe de la collégialité universelle.

  • 22 Statutairement, c’est un conseil du pape : il n’est pas représentatif de l’épiscopat et ne reprend pas non plus pas la figure du consistoire comme mode de gouvernement. Rien n’empêcherait qu’il puisse devenir une instance permanente.

  • 23 Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre Communionis notio (28 mai 1992), n. 9.

  • 24 Ibid., n. 13.

  • 25 Cf. DZH 3112-3117.

  • 26 Cf. H. Legrand, « La théologie des Églises sœurs. Réflexions ecclésiologiques autour de la Déclaration de Balamand », Revue des sciences philosophiques et théologiques 88 (2004), p. 495-496 où j’ai listé une trentaine d’ecclésiologues écrivant dans les principales langues européennes : tous refusent de voir une priorité là où une simultanéité leur semble s’imposer. On leur ajoutera, par exemple, Mgr E. Correco, Ius et communio, Lugano, Casal Monferrato, 1997, I, p. 551 ; II, 712-718 et le Cardinal P. Eyt, « L’Église comme communion », NRT 115 (1993), p. 321-334 qui y discerne un « unilatéralisme ecclésiologique ».

  • 27 « La Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ne peut être comprise comme une aide pour la clarification de l’ecclésiologie de communion, mais on doit la comprendre comme son abandon [Verabschiedung] et comme une tentative de restauration théologique de la centralisation romaine », « Zur Theologie und Praxis des bischöflichen Amtes », dans W. Schreer, G. Steins (éd.), Auf neue Art Kirche sein, Munich, Kevelaer, 1999, p. 44. À la p. 43, il qualifie cette position de « renversement » (Umkehrung).

  • 28 Jean-Paul II, Lettre apostolique Apostolos suos (21 mai 1998), n. 12.

  • 29 K. Rahner, « De l’épiscopat » dans Églises chrétiennes et épiscopat, Paris - Tours, 1966, p. 209 (voir aussi p. 211 et 215).

  • 30 L’innovation est récente : à la veille de Vatican I, Pie IX créa une commission pour savoir si l’on devait inviter de tels évêques au Concile. On lui répondit « non qu’il le devait, mais qu’il le pouvait » (cf. Mansi 49, c. 492-493).

  • 31 Comment justifier autrement que le responsable de la bienfaisance du pape doive être évêque plutôt que diacre ? Ou qu’un religieux, promu cardinal, accède à l’épiscopat à 87 ans ?

  • 32 Quand on peut être évêque en soi, la tradition n’est plus comprise, qui faisait dire à saint Cyprien : « L’évêque est dans l’Église et l’Église dans l’évêque » (Lettre 66, 8). Le pape François la reprend quand il demande la prière du peuple avant de donner sa première bénédiction urbi et orbi, et surtout quand, dans son Allocution au CELAM à Rio, il déplore que les évêques collaborent si peu avec leurs conseils : « je crois que nous sommes très en retard à ce sujet » (Doc. cath. 2412, 2013, p. 79-84).

  • 33 Cf. J. Ratzinger, « La collégialité épiscopale. Développement théologique » (cité n. 10), p. 770 : « Au service de l’unité et de la communion entre son Église et les autres Églises épiscopales, notamment celle de Rome, l’évêque est au cœur de l’exigence fondamentale de communion voulue par le Seigneur, et qui n’obtient de légitimité intrinsèque qu’en étant réalisée dans cet esprit. […] Le sacrement [de l’ordre] ne se réduit pas à un don fait à un individu mais, de par son sens intrinsèque, il intègre à un “ordo”, c’est-à-dire au corps de ceux qui gouvernent ensemble l’Église par leur ministère. »

  • 34 Ainsi l’expression « Église catholique » est introuvable dans Communionis notio qui ne parle que de l’Église universelle (21 mentions).

  • 35 Actuellement 48 % des évêques catholiques sont sans siège : évêques émérites, auxiliaires, nonces, évêques de curie, etc. (notons au sujet de ces derniers que, selon l’Annuario Pontificio de 1952, la curie de Pie XII comprenait 14 évêques, cardinaux compris, et qu’en 2014, leur nombre a été multiplié par six). Ne conviendrait-il pas de reposer la question que Pie IX eut à trancher pour la tenue de Vatican I (cf. supra, n. 30) ? Ces chiffres conduisent déjà certains à conclure à l’impossibilité de tenir un concile œcuménique !

  • 36 N. Nissiotis (observateur à Vatican II) avait déjà noté : « Les Orthodoxes voient le signe d’un malentendu ecclésiologique dangereux [dans le fait] qu’un concile soumette à la discussion une conception de la collégialité qui n’est ni biblique ni historique et décide de l’adopter » (« Die Ekklesiologie des Zweiten Vatikanischen Konzils dans orthodoxer Sicht und ihre ökumenische Bedeutung », Kerygma und Dogma 10, 1964, p. 157-158).

  • 37 Cf. Apostolos suos 13.

  • 38 Selon le Code des Eglises orientales, le pape les « crée ou les supprime » (CCEO 57, § 1).

  • 39 Voir déjà les regrets officiels exprimés par les patriarcats de Constantinople et de Moscou devant l’abandon du titre de « patriarche d’Occident » par Benoît XVI (Istina 51, 2006, p. 11-18).

  • 40 On a multiplié les ordinariats (pour les militaires, pour les orientaux catholiques, pour les anciens anglicans, etc.) ainsi que les prélatures personnelles ou territoriales, qui ont la plupart du temps un évêque à leur tête.

  • 41 G. Calabrese, Ph. Goyret, O. F. Piazza (éd.), Dizionario di ecclesiologia, Città Nuova, Rome, 2011.

  • 42 L’excellent article Chiesa locale ne traite pas spécifiquement du diocèse.

  • 43 Avec la partie d’une auto, on ne va nulle part ; une portion de tarte, quelle qu’en soit la taille, en contient l’essence ! Est-ce par hasard que Communionis notio 9 cite Christus Dominus 6, unique texte conciliaire (de rédaction canonique) où les diocèses sont vus comme des parties de l’Église ?

  • 44 La recognitio de leur enseignement par la Curie veillera à ce que « la réponse doctrinale [des évêques] ne porte pas préjudice à des interventions du magistère universel, mais plutôt qu’elle les prépare » (Apostolos suos 21, in fine). Dans le même temps, le magistère de Jean-Paul II atteignait environ 5 000 pages à l’année, et jusqu’à 7 410 pages en 1988 — en plus de ce qui paraît aux AAS.

  • 45 On y mentionne « une discipline et un usage liturgique propres, un patrimoine théologique et spirituel », sans recours au terme d’inculturation, d’usage postérieur.

  • 46 J. Ratzinger, Le nouveau peuple de Dieu, Paris, Aubier Montaigne, 1971, p. 69.

  • 47 François, La Joie de l’Évangile 32.

  • 48 Voir à ce sujet J. M. R. Tillard, L’évêque de Rome, Paris, Cerf, 1981.

  • 49 Concrètement, quand un évêque ne remplit pas les devoirs requis par sa charge, ou s’il en est empêché, le pape a le droit et le devoir, non en sa qualité d’évêque du diocèse mais en celle de pape, d’ordonner tout ce qui est nécessaire pour l’administration du diocèse, cf. K. Mörsdorf, « Die Unmittelbarkeit der päpstlichen Primatialgewalt im Lichte des kanonischen Rechtes », dans J. Ratzinger, H. Fries, Einsicht und Glauben, Freiburg - Basel - Wien, 19632, p. 464-478. Cette immédiateté n’entraîne pas nécessairement la séparation avec l’Orient, si l’on veut bien reconnaître que nous avons vécu dans l’unité sur le fondement du concile de Sardique dans lequel le Saint-Siège acceptait de concevoir sa juridiction universelle sous la forme d’un pouvoir de cassation dans la communion des patriarcats (cf. H. Legrand, « Brève note sur le synode de Sardique et sur sa réception : Rome, instance d’appel ou de cassation ? », dans Comité mixte catholique-orthodoxe en France, La primauté romaine dans la communion des Églises, Paris, Cerf, 1988, p. 47-60 ; et si on note aussi que Vatican I assure que le statut des patriarcats ne peut être supprimé par un décret disciplinaire du pape (cf. Mansi 52, c. 1103 C).

  • 50 Cf. Communionis notio 8 : « L’histoire elle-même le démontre, quand une Église particulière a cherché à obtenir son autonomie en affaiblissant sa communion réelle avec l’Église universelle et son centre vital et visible, son unité interne s’est brisée et, en outre, elle s’est vue menacée de perdre sa liberté face à de multiples forces d’asservissement et d’exploitation [avec renvoi à Evangelii Nuntiandi 64, § 2] ».

  • 51 H. Dombois, « Geschichtliche Kirchenspaltung und Einheitsproblematik », Begegnung der Christen. Festschrift O. Karrer 19602, p. 395.

  • 52 J. Ratzinger, Le nouveau peuple de Dieu (cité n. 46), p. 68-69.

  • 53 Ibid., p. 124 : « L’Église s’édifie sur la base des nombreuses Églises locales » ; p. 126 : « les conférences épiscopales constituent une réalisation légitime de la collégialité dans la constitution de l’Église » ; et aussi p. 69 : « il serait souhaitable de voir, dans un avenir pas trop éloigné, les Églises d’Asie et d’Afrique devenir l’équivalent de patriarcats, sous ce nom ou sous tout autre. »

  • 54 Id., Les principes de la théologie catholique. Esquisse et matériaux, Paris, Téqui, 1985, p. 222 ; ce qu’il nuance, en 1987, en qualifiant de « fuite dans un univers artificiel » le fait d’exclure du dialogue « des décisions dogmatiques postérieures aux séparations » (Id., Église, œcuménisme et politique, Paris, Fayard, 1987, p. 115).

  • 55 Cf. H. Legrand, « Les enjeux ecclésiologiques de la codification du droit canonique. Quelques réflexions sur la portée de l’option choisie en 1917 », dans P. Arabeyre et B. Basdevant-Gaudemet, Les clercs et les princes, Paris, École des Chartes, 2013, p. 405-421. Paul VI n’a pas été entendu sur la réforme du Code : « Votre première préoccupation ne sera pas d’établir un ordre juridique calqué sur le droit civil » (Allocution au Congrès international de droit canonique du 17 septembre 1973, Doc. cath. 70, 1973, p. 804).

  • 56 Le pape François promeut autant la synodalité que la collégialité (voir supra, n. 32, sa déclaration au CELAM : « nous sommes très en retard »). Y remédier pourrait nous rapprocher des Églises de la Réforme.

  • 57 Unitatis redintegratio 4. — Nous avons présenté des analyses plus approfondies de la question traitée dans cet article sous le titre « Enjeux ecclésiologiques des réformes institutionnelles du pape François », dans Mgr Michel Dubost (éd.), Le grand tournant. L’an I de la révolution du pape François, Paris, Cerf, 2014, p. 185-210 et 218-231.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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