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Cet article s’interroge sur le « caractère » du diaconat. Après avoir décrit l’évolution du caractère dans la Tradition et chez saint Thomas, l’A. fait ressortir que « le sacrement est caractère », et que le ministère propre du diacre se situe toujours dans la perspective d’un service de la communauté, en même temps que d’une configuration au Christ-serviteur. C’est dans la dynamique de cette diaconie du Christ que le ministère diaconal prend son sens, et peut aussi s’incarner de manière originale dans une histoire de révélation et de salut.

Si la sacramentalité du diaconat doit être désormais affirmée sans détour, elle conduit à se poser la question du caractère. Celle-ci s’inscrit en stricte continuité avec la description des sacrements en tant que gestes qui expriment la fidélité de Dieu à son alliance de grâce et par lesquels il nous fait entrer dans sa communion de vie. Or, les sacrements ont d’abord été pratiqués avant de faire l’objet de théorisation. Aussi c’est la pratique sacramentelle de l’Église autant que la vie sacramentelle des chrétiens qui ont conduit à dégager de manière réflexive les effets de certains sacrements quant à une relative permanence dans la durée. C’est ainsi que la considération de l’incidence au plus profond de l’expérience croyante des baptisés des sacrements que l’on ne recevait qu’une fois, à savoir le baptême, la confirmation et l’ordination, a donné lieu à une approche métaphorique, celle de la sigillation ou du marquage et de sa conséquence, une empreinte, une marque, un caractère.

L’histoire de la théologie nous apprend qu’à partir de cette interprétation métaphorique de la pratique de ces trois sacrements s’est développée, surtout en Occident, une réflexion théologique sur le caractère du sacrement1. De ce point de vue, la doctrine du caractère est plutôt latine2. La tradition théologique occidentale attache à la réception du sacrement de l’ordre cet effet qu’est le caractère ; celui-ci marque l’ordonné et le fait participer à la mission de Jésus-Christ, à sa triple fonction, à ses tria munera — les trois fonctions prophétique, sacerdotale et royale. Le lecteur devine dès lors pourquoi la doctrine du caractère se doit de faire l’objet d’un traitement à part. Il s’agira de cerner la portée de cette doctrine et d’expliciter ce qu’elle dit de la sacramentalité de l’ordre dans son application au diaconat.

I Le caractère dans le magistère de l’Église

La sacramentalité du diaconat consisterait dans la transmission d’un caractère. Dans la théologie de ces derniers siècles, le caractère résultant du sacrement de l’ordre était en général qualifié de « sacerdotal ». On voit d’emblée la difficulté d’attribuer aux diacres un caractère… sacerdotal. Avant de rappeler à grands traits la doctrine du caractère et ses vicissitudes au Moyen-Âge, pour en dégager la portée éventuelle dans son application au caractère « diaconal », deux remarques peuvent être faites à partir du magistère de l’Église catholique dans ses rares définitions conciliaires du passé et dans le récent Catéchisme de l’Église catholique postérieur à Vatican II. Commençons par ce dernier.

La table analytique du Catéchisme de 1997 renvoie sous l’expression « caractère sacramentel » à celui de l’ordination « sacerdotale », sans mention explicite du diaconat alors que, parmi les articles concernant le sujet, celui traitant de l’ordination des diacres dit : « Les diacres participent d’une façon spéciale à la mission et à la grâce du Christ (cf. LG 41 ; AG 16). Le sacrement de l’Ordre les marque d’une empreinte (« caractère ») que nul ne peut faire disparaître et qui les configure au Christ qui s’est fait le « diacre », c’est-à-dire le serviteur de tous (cf. Mc 10,45 ; Lc 22,27 ; S. Polycarpe Ep. 5,2) » (CEC n° 1570). Au moment de traiter des effets du sacrement de l’ordre, le Catéchisme distingue, d’une part, le caractère « indélébile » (nos 1581-1584) et, de l’autre, la grâce du Saint-Esprit (nos 1585-1589)3. De celle-ci il dit qu’elle « configure au Christ Prêtre, Maître et Pasteur dont l’ordonné est constitué le ministre » (n° 1585)4.

Pour traiter du caractère indélébile lié à l’ordination diaconale, on pourrait bien sûr s’en tenir à le qualifier de « sacramentel » ou de « spirituel ». Dans le premier cas, rien n’est spécifié, alors que le caractère « spécial » de l’ordination des prêtres (PO 2a ; CEC n° 1563) a été qualifié par la théologie de « sacerdotal ». Dans le second cas, rien n’est précisé non plus dès lors que l’adjectif spirituel renvoie d’emblée à l’Esprit Saint agissant dans les sacrements — mais l’histoire de la théologie nous apprendra que cet adjectif a servi à désigner le rite sacramentel externe. On notera à cet égard que le magistère n’a jamais explicité la nature ou l’essence du caractère. En 1439, le concile de Florence dans son décret pour les Arméniens le décrit à la fois comme « spirituel et indélébile » et comme « distinctif », c’est-à-dire posant une distinction entre ceux qui en sont marqués et les autres (DS 1313 spirituale et indelebile quoddam signum a ceteris distinctivum).

Les Pères conciliaires de Trente ne se sont pas non plus proposé de définir l’essence ou la nature du caractère. Ils n’ont pas voulu non plus condamner aucune des opinions d’écoles. Ils réaffirment simplement que les trois sacrements du baptême, de la confirmation et de l’ordre impriment dans l’âme un caractère « c’est-à-dire un certain signe spirituel et indélébile » (signum quoddam spirituale et indelebile) tel qu’il ne peut être réitéré (DS 1609). C’est donc le fait du caractère sans distinction propre à chacun des trois sacrements, et le fait irréitérable qui fait l’objet d’une définition, sans préciser le lien de l’inamissibilité avec la non-réitération du sacrement au sens où quelqu’un qui a été ordonné ne pourra jamais être considéré comme ne l’ayant pas été5.

II L’élaboration progressive de la doctrine

Ces préalables étant faits, que nous dit la théologie sur le caractère ? À l’origine, le mot caractère (charactèr) signifie d’abord une empreinte, un signe imprimé, puis dans un sens dérivé l’instrument qui sert à sceller et enfin par extension quelque chose de caractéristique, voire l’aspect ou l’apparence extérieure. Le mot grec sphragis est souvent employé comme synonyme de charactèr : il signifie un sceau ou l’instrument qui sert au scellement comme signe d’authentification. Dans l’Antiquité, les scellements ou marques de caractère exprimaient une relation d’appartenance (esclave-maître, soldat-empereur, troupeau-berger).

Dans le Premier Testament, Isaïe fait allusion qu’aux temps messianiques, les élus seront marqués (Is 44,5). D’ailleurs, la marque semble être comme un signe de protection (Ex 13,9.16 ; cf. aussi le signe de Caïn comme moyen de protection, Gn 4,14-15). Dans les écrits néotestamentaires, la symbolique du sceau ou de la sigillation (sphragis) trouve d’abord son origine dans l’onction du Christ — effigie du Père (He 1,3) — qui la reçoit de « Dieu [qui l’]a marqué de son sceau » (Jn 6,27), puis dans ce qu’elle communique, l’Esprit Saint. Chez saint Paul, le baptême est mis en relation avec une sigillation (cf. 2 Co 2,22 ; Ep 1,13 ; 4,30), les chrétiens étant appelés à devenir conformes à l’image du Père (Rm 8,29, cf. Col 1,15). « En général, écrit Edward Schillebeeckx, le premier usage chrétien des mots sigillation et caractère est bien compris dans un sens spirituel, si bien même que la distinction entre la grâce et la réalité intérieure du charactèr n’est pas nette »6.

Très tôt le rite extérieur, le baptême lui-même comme acte cultuel, a été considéré comme une caractérisation, la sigillation extérieure de la foi intérieure (signaculum fidei). Chez saint Augustin, le caractère est la caractérisation rituelle externe lors du baptême par la confession trinitaire et la triple immersion qui l’accompagne. Le caractère est le sacrement externe (sacramentum externum) qui donne une consécration (consecratio) permanente, abstraction faite de la grâce. Quand il veut désigner l’effet permanent d’un sacrement, il parle aussi de « sacrement permanent » (sacramentum manens) ou d’ordination (ordinatio). Le caractère sacramentel est donc le rite externe dans lequel est invoquée la Trinité ; il s’agit en d’autres termes de l’expression visible et audible de la « foi de l’Église ».

En ce qui concerne son application à l’ordre, le caractère indélébile consiste dans l’accueil de l’ordonné dans l’ordo du ministère, l’ordinatio étant le rite externe qui produit cet effet. Pour saint Augustin, le sacrement à caractère ne donne pas seulement une grâce ; même si celle-ci n’est pas ou plus reçue, il reste quelque chose : le signum dominicum, à savoir le signe d’appartenance au Christ pour toujours. Avant lui, on ne distinguait pas la grâce reçue et la « marque » pour toujours. La doctrine de l’Antiquité conçoit le caractère comme le rite visible du sacrement, en l’occurrence de l’ordination par lequel quelqu’un est incorporé à un ordre assumant dès lors un ensemble de droits et de devoirs inhérents à cet ordre. Le caractère passe donc du rite qui situe à l’effet de celui-ci, à savoir l’appartenance à un ordre.

Au haut Moyen-Âge, Raban Maur par exemple (8e s.) distinguera la sanctificatio visible ou sacramentum-character au sens augustinien — de la sanctificatio invisible, à savoir la grâce. Plus tard, Pierre Lombard dans la foulée de saint Augustin parlera du character Christi pour désigner le rituel baptismal et considérera l’ordination comme un signe ou signation (signaculum) qu’il appelle le caractère spirituel (character spiritualis), synonyme dès lors du rite sacramentel externe. La doctrine du caractère sera influencée par la compréhension du concept de sacramentum7. La thématique du « sacrement permanent » (sacramentum manens) intervient alors pour dire la permanence du lien spirituel indissoluble entre Dieu et l’âme. D’où une certaine inflexion de sens : du caractère, à savoir le rite sacramentel externe, qui donne la grâce, on passe au caractère comme effet durable intérieur de ce rite sacramentel. La réflexion sur ce qu’est proprement le sacramentum interfère sur la compréhension du caractère : si autrefois le sacramentum était le caractère, désormais c’est le sacramentum manens qu’on appelle caractère.

Les théologiens de la moitié du 12e siècle vont cependant déplacer la notion de sacramentum comme signum externum vers une réalité mystique qu’ils appelleront « signe de la grâce » (signum gratiae) en tant que la grâce est opérée par le signe externe et nécessairement liée à lui. Comme l’a très judicieusement exprimé E. Schillebeeckx, « le glissement de la définition du sacrement a eu comme conséquence tout un chaos de concepts »8. Ce n’est point le lieu d’exposer la complexité de l’évolution des concepts et les vicissitudes doctrinales de l’époque. Au risque de trop simplifier, on retiendra que l’expression unum sacramentum englobait le sacramentum manens intérieur et le signum gratiae extérieur et que le caractère était un signum gratiae qui était de ce fait distinctivum, distinctif entre les fidèles incorporés à l’Église et les nonbaptisés (baptême et confirmation) ou entre les fidèles laïcs et les ordonnés (ordre). On ajoutera à cela que le caractère est, par voie de conséquence, configurativum, à savoir imprimé par le Christ dans l’âme, celle-ci redevenant conforme à la Trinité. Saint Albert le Grand et saint Bonaventure verront dans ce signum gratiae qu’est le caractère une disposition à la grâce (dispositio ad gratiam). Saint Thomas d’Aquin se tient dans la foulée de cette élaboration doctrinale. Son originalité sera cependant de la placer dans une toute autre lumière, à savoir le culte chrétien comme sacerdoce du Christ.

III La doctrine de saint Thomas d’Aquin

Saint Thomas part d’une analogie avec l’usage social et culturel des signes distinctifs, par exemple le marquage corporel au fer rouge : entre celui-ci et la marque sacramentelle, ce n’est pas tant le fait du signe lui-même (signum), mais sa raison d’être, son sens (significatum), qui est déterminant9. Dans la « caractérisation » faite à un être humain, ce qui compte c’est sa portée sociale face à autrui, devant les autres (coram societate). Socialement parlant, cette caractérisation extérieure atteste que l’individu est destiné à telle activité ou envoyé pour telle tâche. C’est là son signe distinctif (signum distinctivum) qui, publiquement, signifie d’abord que l’individu appartient à quelqu’un — à une divinité, à l’empereur — au service duquel il se met et duquel il reçoit protection. Le caractère connote donc appartenance, accréditation, service, protection. En termes actuels, sociologiquement parlant, la marque signifie un statut reçu et dès lors un rôle assigné — statut et rôle pour lesquels on est accrédité socialement.

Mais saint Thomas poursuit l’analogie en relation avec le fait que le signe est non seulement distinctif, mais « configuratif » (signum configurativum) en ce sens qu’il figure ou représente l’autorité à qui l’individu appartient, en l’occurrence le soldat est marqué à l’emblème de l’empereur. L’adjectif « configuratif » ne désigne pas purement et simplement, ni d’abord une ressemblance, mais une référence de qui on tient crédit et protection par le service pour lequel on est distingué des autres. Cette « configuration » trouve son sens — et sa finalité — dans la tâche confiée par l’autorité compétente10. En d’autres termes, c’est la mission confiée ou l’affectation à une tâche (deputatio) qui est le point de comparaison entre les usages culturels de marquage et le caractère sacramentel. C’est donc la signification (significatum) du marquage ou du caractère, sa finalité qui est décisive, à savoir « la nouvelle destination spirituelle que le Christ, dans et par la communauté cultuelle ecclésiale, donne à qui veut se soumettre à ce rituel »11.

Le sacrement marque et distingue qui le reçoit, il le « caractérise ». C’est le rite caractérisant du sacrement qui signifie d’une part en distinguant des « autres » — les infidèles, à savoir les non croyants pour le baptême et la confirmation ou les fidèles laïcs dans le cas de l’ordination — et, d’autre part, en référant à un « tiers » — Dieu qui introduit dans sa communion de vie et au culte auquel elle donne lieu, soit pour le sacerdoce commun par le baptême et la confirmation, soit par le service de ce sacerdoce ou ministère sacerdotal par l’ordination. Le caractère produit une nouvelle réalité spirituelle dans l’âme, qui est signifiée et réalisée par le rite. C’est dans ce sens qu’il est qualifié de spirituel (character spiritualis). Le caractère n’est pas une réalité intérieure à l’âme isolément du rite extérieur ; il est cette réalité intérieure produite autant que signifiée par le sacrement. Dans cette perspective, le caractère est une potestas, c’est-à-dire une aptitude ou autorisation à prendre part au culte12. Aussi osons-nous même dire avec force : le sacrement est caractère. L’erreur des théologiens ultérieurs sera précisément de séparer le caractère spirituel qu’ils appelleront « réalité ontologique » et le pouvoir cultuel qu’ils estimeront n’être qu’une « entité juridique ».

La théologie thomiste du caractère est ancrée dans la vie de l’Église, dans la réalité ecclésiale, dans le « culte chrétien »13. Celui-ci découle du sacerdoce du Christ, « l’unique médiateur entre Dieu et les hommes… qui s’est livré en rançon pour tous » (1 Tm 2,5-6 ; cf. Rm 5,6-8 ; 2 Co 5,14 ; Ep 5,2.25 ; He 13,12-13). Le Christ, Verbe de Dieu en qui habite la plénitude de la divinité (cf. Jn 1,1-18), se reçoit du Père auquel il se donne. Par son incarnation, sa pâque et sa résurrection, le don de son Esprit, il assume notre condition humaine et nous offre avec lui au Père pour nous introduire dans la communion trinitaire — pour que nous soyons « consacrés en vérité » (Jn 17,19). C’est ainsi que dans l’Esprit Saint le Christ porte les êtres humains à Dieu et Dieu aux êtres humains. Tel est son sacerdoce.

Pour saint Thomas, l’événement de salut se focalise dans le sacerdoce du Christ qui est comme la clé d’interprétation de la révélation salvifique de Dieu. Les sacrements sont la célébration des mysteria carnis Christi — des « mystères de la chair du Christ », à savoir du mystère de la révélation historique de Dieu —, de l’œuvre salvifique de Dieu par le Christ dans l’Esprit ; ils sont les actes mêmes du Christ dans et par son Église. Celle-ci n’offre pas « son » culte à Dieu comme dans les autres religions, mais elle offre au Père dans l’Esprit le culte du Christ, son oblation, son don jusqu’à l’extrême (cf. Jn 13,1), en union avec lui. C’est à cet effet que, par le baptême, tous les chrétiens sont rendus participants du sacerdoce du Christ dans et par son Église ; ils exercent ce sacerdoce commun au Christ (baptême et confirmation) au service duquel certains sont ordonnés (ordre).

Chez saint Thomas, le caractère est donc magistralement interprété en fonction du culte chrétien au sens fort du terme qui n’est pas un simple exercice religieux mais l’implication, l’engagement, l’offrande de notre humanité — existentiellement pour chacun et historiquement pour tous — par le Christ au Père dans l’Esprit. Cette précision est importante au moment où il nous faudra revenir sur la relation du diaconat aussi bien au sacerdoce commun qu’au ministère sacerdotal ou pastoral.

En vertu même de la deputatio ad cultum, à savoir de l’affectation au culte, les « caractérisations » que sont le baptême, la confirmation et l’ordre, tous trois selon leur finalité particulière, confèrent une participation au pouvoir cultuel et au sacerdoce du Christ. En bref, le caractère équivaut à une disposition interne au culte en fonction du sacrement reçu. Le caractère est un effet du sacerdoce du Christ configurant à celui-ci, c’est-à-dire se référant à celui-ci en tant qu’il est le Christ lui-même14. En tous les sacrements qui le confèrent, le caractère imprime non pas une ressemblance avec un aspect du Christ, mais bien une référence au Christ lui-même. Comme je l’ai déjà suggéré, c’est le sens qui me semble le plus proche du verbe configurare. Le caractère n’a pas sa fin en soi, mais il est toujours instrument pour quelque chose d’autre, car il est sacramentum et res du sacerdoce du Christ.

IV Le caractère du sacrement de l’ordre

En rapport avec le sacrement de l’ordre, on peut déjà dire que ce « signe » et « effet » de la grâce « marque », c’est-à-dire situe autrement l’ordonné par rapport à la communauté par une marque propre qui le dispose à la grâce et le fait participer ministériellement au sacerdoce du Christ, en tant que virtus instrumentalis, force instrumentale, le Christ étant la cause première dont les ministres sont les causes secondes ; ils sont des organes ou instruments subordonnés dans l’ordre des moyens de grâce. Les ordonnés sont ministres du culte eucharistique. Le fondement du sacerdoce ministériel est d’ailleurs la relation à l’eucharistie15.

Avec un tel développement théologique du culte chrétien et du sacerdoce du Christ, saint Thomas pourrait laisser croire qu’au delà de l’exercice du sacerdoce commun, il y va ici seulement du ministère sacerdotal. Il pourrait de ce fait sembler nous orienter dans une impasse puisque le diaconat n’est pas « pour le sacerdoce, mais pour le ministère » (LG 29a). Une correcte interprétation de cette formule devenue quasiment un slogan nous apprend cependant la référence du diaconat au ministère sacerdotal de l’évêque vis-à-vis de la communauté16. De plus, le sacerdoce du Christ est foncièrement de l’ordre du don de soi, de l’oblation, du sacrifice au sens profondément existentiel — au plus profond de l’être humain, anthropologiquement parlant —, comme au c œur de la destinée de l’humanité, historiquement parlant.

Certes, les diacres ne président pas l’action de grâce qu’est l’eucharistie, comme memoria Christi, actualisation du salut par le Christ dans l’Esprit, son action de grâce à laquelle se joint l’Église. Mais ils « assistent » l’évêque ou le prêtre dans une fonction liturgique. Leur rôle les associe à l’oblation de l’assemblée unie à son Seigneur par la présentation des oblats en même temps qu’il les implique dans la direction de la prière dite par l’évêque ou le prêtre du fait de leur fonction d’animateurs de la prière. Dans leur « jeu » liturgique, les diacres sont à la croisée du sacerdoce commun et du ministère sacerdotal ou pastoral17.

L’Aquinate n’a cependant pas oublié les diacres dans sa réflexion théologique sur le caractère. Pour lui, le sacrement de l’ordre est d’institution divine dans l’unité de ses différents degrés. Vu que le fondement du sacerdoce est la relation à l’eucharistie, l’épiscopat ne donne pas une nouvelle aptitude ou autorisation par rapport à celle-ci et, de ce fait, il n’est pas un sacrement et il n’imprimerait qu’un quasi-caractère18. L’épiscopat est cependant considéré comme « plénitude du sacerdoce (ministériel) » dont le presbytérat n’est qu’une participation dans l’unité du sacrement de l’ordre — un prêtre ordonné évêque ne reçoit pas un second et nouveau caractère, mais le caractère sacerdotal est intensifié jusqu’à sa plénitude. Comme le diaconat est d’institution divine, il est une participation diminuée au sacerdoce ministériel alors que les ordres mineurs sont une participation au diaconat19. Aux yeux de saint Thomas, les diacres participent à leur degré, pourrait-on dire, au sacerdoce du Christ, à la croisée du ministère sacerdotal et du sacerdoce commun pour que l’assemblée soit ce qu’elle doit être, une communauté sacerdotale. C’est à cet effet qu’ils sont ordonnés, c’est-à-dire envoyés à son service et distingués dans leur mission par rapport aux autres (par un signe distinctif, signum distinctivum) et référés à la source de leur mission (par un signe configuratif, signum configurativum) autant qu’au peuple de Dieu auquel ils sont destinés.

Comme le souligne D. Gonneaud20, le vocabulaire de saint Thomas est précis : à travers son sacerdoce, c’est directement au Christ que le caractère « configure ». Jamais Thomas ne dit qu’un caractère configurerait au Christ-Prêtre ; les seules distinctions qu’il pose parfois ne concernent pas des aspects de l’identité du Christ (prêtre, tête, serviteur, pasteur, etc.), mais bien des événements de la vie du Christ, des « mystères » au sens exact qu’il donne à ce terme (comme efficience propre de l’identité du Christ à travers ce qu’il a fait ou subi pour nous). Il y aurait en effet un risque à diversifier les caractères en les répartissant sur ces divers aspects du Christ. Ce serait réduire la portée sociale de la caractérisation inhérente à l’ordination, comme si le diacre, en l’occurrence, devenait une sorte de Christ serviteur à une moindre échelle, constitué directement dans son identité par une sorte de symétrie immédiate entre lui et le Christ-serviteur.

V La configuration au Christ

« La diversité des caractères sacramentels, écrit Didier Gonneaud, ne vient pas du côté du Christ : de ce point de vue, il n’y a qu’une seule et unique configuration. Elle se prend du côté de la finalité du caractère : en vue de quoi le baptisé, le confirmé, le diacre, le prêtre, l’évêque sont-ils “configurés” au Christ lui-même ? »21. C’est la question de la finalité : en vue de quoi quelqu’un est-il « configuré » au Christ par le sacrement de l’ordre ? On comprend à présent que le verbe configurer pourrait avoir ici le sens informatique actuel de « programmer un élément d’un système pour assurer son fonctionnement selon un certain mode »22.

Ces considérations nous rendent attentifs par rapport à l’usage indiscriminé du thème de la configuration qui ne se réduit pas à la ressemblance avec le Christ-serviteur. Ce thème est apparu dans la théologie récente du diaconat et dans certains documents magistériels23 — sans compter dans un certain discours courant sur les diacres. Il fait figure de « nouveauté » par rapport aux documents conciliaires. Il doit cependant être théologiquement critiqué. C’est en effet le danger présent du « sacramentalisme » en vogue qui surenchérit sur la qualité de signe, en l’occurrence du diacre signe du Christ serviteur24. Cette surenchère du signe peut avoir pour conséquence de glisser vers une pure considération de l’être au détriment du faire — une espèce d’ontologisme de mauvais aloi. Or, l’exercice du ministère nous incite à reconnaître qu’il y a comme une circularité entre l’être et le faire. Un autre danger menace plus subrepticement, c’est celui de l’identification, voire de la personnification25. La notion de sacrement implique toujours une distance par rapport à ce qui est signifié et réalisé, entre le sacramentum et la res ; il ne peut s’agir d’assimiler le ministre au Christ, dans une dépendance personnelle à lui antérieurement à la réalité ecclésiale, alors qu’il s’agit tout au plus d’une « représentation » (repraesentatio) qui doit cependant toujours honorer son ancrage ecclésial et la valeur de médiation de l’Église, Corps ecclésial du Christ26.

Outre le poids moral qu’elle fait peser sur l’individu — quel diacre pourrait soutenir une telle exigence de ressembler au Christ ? —, la configuration entendue comme ressemblance appuie certes la dimension christologique du diaconat. Elle fait cependant courir un double risque. Il y a, d’une part, le danger d’une exaltation de ces nouveaux serviteurs de l’Église faisant état de leur ordination pour se démarquer des autres ministres de l’Église. Il y a corrélativement, d’autre part, le risque d’une sous-estimation de l’approche pneumatologique de ce ministère dans la diversité et complémentarité des charismes et des services dans l’Église27. La vie de l’Église nous montre malheureusement des diacres arguant de cette configuration pour se situer par rapport aux laïcs en charge ecclésiale.

Très judicieusement, la Commission théologique internationale rappelle que ce vocabulaire de la « configuration », voire du « signe » a surgi tardivement dans la période post-conciliaire. La thématique se laisse deviner dans certains textes conciliaires quand on dit des diacres qu’ils sont « fortifiés par la grâce » (LG 29a, gratia sacramentali roborati) ou qu’ils « participent de manière particulière à la mission et à la grâce du souverain prêtre » (LG 41d, peculiari modo participes) ou encore qu’ils ont été « fortifiés par l’imposition des mains… afin qu’ils exercent plus efficacement leur ministère par la grâce sacramentelle du diaconat » (AG 16f, per impositionem manum corroborari)28. De toute évidence, ces textes sont extrêmement sobres : ils évoquent plutôt la force inhérente à la grâce du sacrement.

VI Fidélité de Dieu, irréitérabilité du sacrement, affectation au service

Le caractère des trois sacrements que sont le baptême, la confirmation et l’ordination, signifie leur irréversibilité, en raison de la fidélité de Dieu à son Église — une fidélité sans repentance, car Dieu ne reprend jamais ce qu’il a donné. Le caractère est inamissible, indélébile29. Le baptisé, le confirmé, l’ordonné, quels que soient leurs itinéraires futurs, garderont toujours en eux une disposition spéciale à recevoir la grâce pour eux-mêmes (baptême et confirmation) ou pour ceux à qui ils sont envoyés (ordre). Le caractère marque autant l’individu que la communauté à laquelle il appartient et qui est l’Église. Ce trait vise donc la pérennité de l’Église elle-même : c’est autant le sujet que l’Église, qui sont confirmés pour toujours par le caractère sacramentel. Aussi ce trait de pérennité doit-il être interprété non pas de manière ontologique, dans la ligne de l’individualisme, ni de manière fonctionnelle, dans une ligne seulement communautaire, mais de manière symbolique et sacramentelle, dans ce jeu de vis-à-vis où Dieu introduit l’être humain dans son alliance et qu’à la grâce du premier répond la foi du second. On voit ici, une fois de plus, l’implication directe de l’ecclésiologie dans la théologie sacramentaire. Celui qui a reçu le caractère, même s’il se ferme à la grâce ou la perd par le péché, reste marqué, indépendamment de sa foi ou de sa sainteté, d’un signe qui le dispose à la recevoir à nouveau pour lui-même, et à continuer à en être source pour les autres30.

Le sacrement de l’ordination confère ce que la tradition appelle le caractère, quel que soit le « degré » considéré à l’intérieur de ce sacrement complexe. Le caractère de l’ordre est aussi varié que ce sacrement lui-même. Il n’y a pas de raison d’y voir un trait proprement sacerdotal. On peut ainsi penser que le caractère conféré est propre à chacun des degrés considérés. Certes, Vatican II ne faisait aucune mention explicite du caractère sacramentel à propos du diaconat. Ce silence s’explique par la focalisation séculaire de la théologie des ministères sur le ministère sacerdotal ; il s’explique surtout par le fait récent d’une éventuelle réactivation du diaconat permanent.

Le dernier concile ne pouvait présenter une grande élaboration théologique sur le diaconat pour la simple raison que celui-ci n’avait pas encore été mis en œuvre. En revanche, quelques années plus tard, une fois acquise la possibilité de réactivation du diaconat, l’introduction du Motu proprio Sacrum diaconatus ordinem parlera en 1967 du « caractère indélébile » du diaconat. À plus forte raison après sa mise en œuvre, les documents du magistère évoqueront à leur tour le « ‘sceau’ ineffaçable qui configure au Christ ‘diacre’ »31, à savoir celui du caractère « qui corrobore la fidélité de Dieu à ses dons, implique la non-réitérabilité du sacrement et la stabilité durable dans le service ecclésial »32. La configuration des diacres est réalisée par « une effusion particulière de l’Esprit », disent les Normes de 1998 sur le diaconat. Leur configuration ne doit pas se réduire à la ressemblance avec le Christ — tout au plus peut-on la comprendre comme représentation sacramentelle avec lui33 — elle est plutôt référence au Christ, certes, mais aussi à l’Église34. À l’instar de l’évêque et des prêtres, les diacres sont ainsi désormais « liés au service » de leurs frères et sœurs dans la communauté ecclésiale leur rappelant que le don de Dieu est irrévocable, définitif35.

On pourrait dès lors appliquer mutatis mutandis aux diacres ce que Vatican II disait des prêtres : « Par leur vocation et leur ordination, ils sont d’une certaine manière mis à part au sein du peuple de Dieu ; mais ce n’est pas pour être séparés de ce peuple ni d’aucun homme quel qu’il soit ; c’est pour être totalement consacrés à l’œuvre à laquelle le Seigneur les appelle » (PO 3a). Le fait d’être « mis à part » pour le ministère renvoie à l’aspect distinctif du caractère (signum distinctivum) ; le fait d’être « totalement consacré » peut renvoyer à son aspect configuratif (signum configurativum). Aux diacres il faut appliquer la doctrine du caractère qui connote affectation au service, disposition à la grâce inhérente à l’ordination — celle de servir le Christ et l’Église —, distinction à cet effet par rapport aux autres fidèles, référence au Christ et à son Corps ecclésial, marque indélébile et donc irréitérable autant qu’irrévocable.

VII La diaconie du Christ pour conduire l’histoire à son achèvement

Il va sans dire que l’on ne parlera plus de caractère « sacerdotal » pour désigner indistinctement les ministres des trois ordres : sans doute convient-il de parler globalement de caractère « ministériel » puisque le concept de ministère devient le concept englobant pour le sacrement de l’ordre, sachant aussi que désormais le ministère ordonné ne peut plus simplement être défini par le « sacerdoce » ministériel. Pris dans la globalité des tria munera, le ministère ordonné est un ministère de la triple fonction prophétique, sacerdotale et royale du Christ et de son Corps ecclésial dont il est la tête. Pour le diaconat, on dira simplement que l’ordination diaconale confère le caractère… diaconal.

Mais la question est alors de savoir comment les diacres participent à la mission salvifique du Christ. L’élaboration thomiste de la doctrine du caractère reposait sur le sacerdoce du Christ et le culte chrétien. Aujourd’hui la révélation historique du salut dans le Christ par l’Esprit n’est plus interprétée uniquement en ces termes. Elle est souvent exprimée par les tria munera, la triple fonction du Christ et de son Église.

La mission du Christ, c’est d’abord le fait qu’il est envoyé par le Père, habité par l’Esprit. Selon ce mouvement de Dieu vers nous, le Christ, Verbe de Dieu, assume notre humanité promise à l’alliance pour la tourner vers le Père et la transformer par l’Esprit de sorte qu’elle participe pleinement à la communion qui lui est déjà offerte. Dans l’incarnation du Verbe, qui assume notre condition humaine, celle-ci se trouve divinisée, participant de la vie divine, vivant de la communion d’amour trinitaire.

Pour une sensibilité contemporaine, il s’agit de comprendre la mission du Christ comme l’inauguration au cœur de notre histoire des cieux nouveaux et de la terre nouvelle (Ap 21,1), comme l’irruption du Royaume de Dieu, comme l’offre gracieuse de l’alliance — réconciliation des êtres humains avec Dieu, entre eux et avec eux-mêmes, bref de cette « humanité-telle-que-Dieu-la-veut » (J.-M.R. Tillard). Il y a plusieurs modes et expressions du mystère du salut que saint Thomas résumait avec l’expression mysteria carnis Christi, l’événement salvifique de l’incarnation du Christ dans sa pâque rédemptrice et le don de son Esprit.

Il importe d’honorer une vision dynamique de l’irruption du Règne de Dieu dans notre histoire où, au cœur de celle-ci, l’Église est anticipation de ce qui est non seulement promis, mais déjà offert dans la révélation historique de Dieu par le Christ dans l’Esprit. Dans cette perspective dynamique, ce qui est décisif, ce n’est pas ce qui se joue dans l’Église, mais ce qui s’opère dans l’histoire où ne cesse d’advenir le Royaume. L’Église n’a pas sa fin en elle-même ; elle est pour le monde, tendue vers la manifestation plénière du Royaume de Dieu qui a commencé à se réaliser. L’Église atteste en elle l’œuvre salvifique du Christ qui réconcilie l’humanité par la croix et entraîne la création vers sa pleine réconciliation. Comme convocation divine de l’humanité à prendre part à la communion d’amour trinitaire, l’Église est déjà cette part d’humanité qui a pris forme comme peuple de Dieu, Corps du Christ, temple de l’Esprit Saint. L’Église dont le Christ est la tête est ainsi cette part d’humanité qui transite vers le Royaume, attestant en elle et pour tous ce à quoi l’humanité est définitivement promise, l’alliance avec Dieu. À cet égard, on appréciera ce que disent les Pères conciliaires de Vatican II sur « l’Église [qui] à la fois prie et travaille (simul orat et laborat) pour que la plénitude du monde entier passe dans le peuple de Dieu, le Corps du Seigneur, le temple de l’Esprit Saint, et que, dans le Christ, tête de tous, tout honneur et toute gloire soient rendus au Créateur et Père de l’univers » (LG 17 in fine).

* * *

On saisit dès lors mieux la mission du Christ qu’il opère dans et par son Église grâce à son Esprit, qui est à l’œuvre en elle et dans le monde. La mission du Corps ecclésial du Christ est de signifier et en même temps de réaliser le salut en cours, la réconciliation en route, la surabondance d’un amour déjà offert. Cela n’a été possible que parce qu’il s’est donné jusqu’à l’extrême. Selon la distinction d’Alain Grau, on pourrait dire que la mission du Christ s’opère sur un double versant, sa diaconie et son sacerdoce36. La diaconie du Christ se poursuit aujourd’hui là où, par son Esprit, se vit la logique du don parmi les êtres humains, notamment par la communauté ecclésiale sanctifiée pour faire la volonté du Père. En même temps, la diaconie se prolonge dans le sacerdoce du Christ auquel s’unit l’Église et par lequel l’humanité se tourne vers le Père, dans l’action de grâce pour le salut en cours — la réconciliation de ce monde « tel-que-Dieu-le-veut ».

J’ai insisté sur l’indispensable vision ternaire de l’histoire tendue vers le Royaume au cœur de laquelle l’Église annonce l’Évangile, célèbre son Seigneur et sert l’humanité. Un des enjeux du rétablissement du diaconat est en effet de mieux penser le rapport de l’Église au monde. Dans cette perspective, le caractère de l’ordination diaconale affecte celui qui la reçoit — dans le double sens du terme de toucher et de destiner — à la mission salvifique du Christ à l’œuvre aujourd’hui dans notre histoire (signum distinctivum). Il ne peut la vivre qu’en référence au Christ et à l’Église — au ministère ou service qu’il rend par elle au monde — pour conduire l’histoire vers son achèvement (signum configurativum). À cet égard, j’apprécie la formule de Mgr Albert Rouet quand il écrit que « l’ordination diaconale conforme une personne au service que le Christ rend à l’histoire des hommes, afin de la conduire à son achèvement »37. Le verbe conformer nous fait penser au mot latin configurare ; l’ordination rend conforme à l’œuvre du Christ. Or, celle-ci demande à être reconnue « au cœur de ce monde ».

La réception du diaconat fait participer à la diaconie du Christ, selon la logique du don jusqu’à l’extrême. Le diacre est marqué à cet effet ; son ordination le destine à l’œuvre de Dieu dans ce monde en train de le conduire à son achèvement. C’est pourquoi, selon cette logique du don, le diacre ouvre « l’Église au travail du Royaume dans l’histoire »38. C’est ainsi que prend forme au cœur de l’histoire, le peuple que Dieu convoque à l’alliance.

Notes de bas de page

  • 1 On se reportera à l’ouvrage d’ensemble sur la vision médiévale, à savoir celui de J. Galot, La nature du caractère sacramentel. Étude de théologie médiévale, coll. Museum Lessianum, Paris, DDB, 1957. Pour la doctrine de saint Thomas, on consultera le maître-livre de E. Schillebeeckx, L’économie sacramentelle du salut, Fribourg, Academic Press, 2004, p. 393-450 (original en néerlandais, De sacramentele heilseconomie, paru en 1952). Cf. aussi Mulders J., art. « Charakter, sakramentaler », dans Lexikon für Theologie und Kirche t. 2, Fribourg, Herder, 1958, col. 1020-1024 ; Fransen P., art. « Weihen, heilige », dans Sacramentum mundi 4, col. 1249-1293 ; Legrand H., « Caractère indélébile et théologie du ministère », dans Concilium 74 (1972) 63-70.

  • 2 Le Catéchisme de l’Église catholique (CEC) insinue que la doctrine du caractère n’est pas universelle quand il dit que « l’image du sceau (sphragis) a été utilisée dans certaines traditions théologiques pour exprimer le “caractère” ineffaçable imprimé par ces trois sacrements qui ne peuvent être réitérés » (n° 698).

  • 3 Sous ce titre concernant les effets du sacrement, dans le texte qui suit, le caractère est qualifié de « caractère spirituel indélébile » (en italique dans le texte, n° 1582) et dans le résumé de cette section de « caractère sacramentel indélébile… » (c’est moi qui souligne, n° 1597). On notera que parlant de l’ordination des prêtres le Catéchisme dit que le « sacerdoce des prêtres… est… conféré au moyen d’un sacrement particulier qui, par l’onction du Saint-Esprit, les marque d’un caractère spécial » (n° 1563 qui est une reprise littérale de PO 2a). Ce dernier texte se poursuit : « et [ce sacrement particulier] les configure ainsi au Christ-Prêtre pour les rendre capables d’agir au nom du Christ-Tête en personne » (ibid.).

  • 4 On note le lien entre la mention du caractère et le thème de la configuration, celui-ci étant cependant repris pour indiquer que « la grâce du Saint-Esprit propre à ce sacrement [de l’ordre] est celle d’une configuration au Christ Prêtre, Maître et Pasteur dont l’ordonné est constitué le ministre » (n° 1585).

  • 5 Concile de Trente, sess. 7, c. 9, signum quoddam spirituale et indelebile, unde ea [sacramenta] iterari non possunt (DS 1609) ; cf. aussi sess. 23, c. 4 (DS 1774). On notera cependant que le concile de Trente voulut défendre le ministère à l’encontre de la suppression de la distinction entre communauté et ministère soutenue par certains réformateurs. Cf. Legrand H., « La réalisation de l’Église en un lieu », dans Initiation à la pratique de la théologie, éd. B. Lauret et Fr. Refoulé, t. III, Paris, Cerf, 1983, p. 222-223 et 241-242.

  • 6 Schillebeeckx E., L’économie sacramentelle du salut (cité supra n. 1), p. 397.

  • 7 C’est ainsi par exemple que le Pape Innocent III, dans Maiores Ecclesiae causas (1201) reprend l’idée d’un caractère distinct de la grâce. Cela s’explique par la systématisation scolastique selon laquelle le caractère est sacramentum (signe et dès lors rite) et res (effet du rite) alors que la grâce est res tantum.

  • 8 Schillebeeckx E., L’économie sacramentelle du salut (cité supra n. 1), p., 400.

  • 9 Dans l’exemple du soldat, le marquage le distingue pour le combat et au combat : « charactere distinguitur aliquis ab alio per comparationem ad aliquem finem in quem ordinatur qui characterem accipit : sicut dictum est de charactere militari, quo in ordine ad pugnam distinguitur miles regis a milite hostis » (Thomas d’Aquin, S. Th. III 63, 3, ad 3m).

  • 10 Le caractère est en effet ce signe par lequel quelqu’un est marqué en tant que destiné à une fin : « character proprie est signaculum quoddam quo aliquid insignitur, ut ordinandum in aliquem finem » (Thomas d’Aquin, S. Th. III, 63, 3, resp.).

  • 11 Schillebeeckx E., L’économie sacramentelle du salut (cité supra n. 1), p. 411. L’auteur explicite en ces termes : « le sacrement lui-même, le signum externum, est un “signum distinctivum et configurativum”, un caractère par lequel in facie Ecclesiae, le baptisé, le confirmé, le prêtre ordonné, est réellement distingué, pour les autres membres de l’Église, des non-baptisés, des non-confirmés, des non-ordonnés ; ces trois rites sacramentels sont le témoignage visible de leur nouveau mandat » (p. 412).

  • 12 Cf. Thomas d’Aquin, In IV Sent., d. 4, q. 1, a. 2, sol. 1, ad 2.

  • 13 Pour saint Thomas, « l’activité spécifique de l’Église en tant que communauté cultuelle est une célébration ministérielle des actes cultuels propres du Christ par l’Église, de telle façon que le Christ lui-même est le ministre principal et le Grand Prêtre dans les actes symboliques sacramentellement cultuels de l’Église » (Schillebeeckx E., L’économie sacramentelle du salut [cité supra n. 1], p. 417).

  • 14 Les caractérisations sacramentelles — le « marquage » sacramentel que sont respectivement le baptême, la confirmation et l’ordre — ne sont rien d’autre que des participations au sacerdoce du Christ, participations dérivées du Christ lui-même : « sacramentales characteres, qui nihil aliud sunt quam quaedam participationes sacerdotii Christi, ab ipso Christo derivatae » (Thomas d’Aquin, S. Th. III 63, 3, resp.).

  • 15 Cf. Thomas d’Aquin, In IV Sent., d. 24, q. 2, a. 1, sol. 2, a 1, ad 3 et ad 5 ; a. 2, sol. Cf. Schillebeeckx E., L’économie sacramentelle du salut (cité supra n. 1), p. 433.

  • 16 Cf. Borras A. – Pottier B., La grâce du diaconat. Questions actuelles autour du diaconat latin, coll. La part-Dieu 2, Bruxelles, Lessius, 1998, p. 148-149.

  • 17 Cf. de Cagny O., « Le diacre dans la liturgie romaine : serviteur de l’évêque, serviteur du peuple chrétien », dans Communio 26/2 (2001) 53-63.

  • 18 Cf. Thomas d’Aquin, In IV Sent. d. 24, q. 3, a. 2, sol. 2. Dans son maître-livre publié en néerlandais en 1952, donc avant Vatican II et dans un contexte de renouveau de l’ecclésiologie avec des Chenu et Congar, E. Schillebeeckx discute la position de saint Thomas et considère que les modernes iraient plutôt dans le sens de l’affirmation de la sacramentalité de l’épiscopat (cf. Schillebeeckx E., L’économie sacramentelle du salut [cité supra n. 1], p. 433-434).

  • 19 Cf. Thomas d’Aquin, In IV Sent., d. 24, q. 2, a. 1, sol. 1, ad 2 ; sol. 2, ad 2. Cf. Schillebeeckx E., L’économie sacramentelle du salut [cité supra n 1], p. 434 : « cette conception explique de façon cohérente la validité, même si elles ne sont pas permises, des ordinations “per saltus”, puisqu’une ordination supérieure comprend en plénitude ce qu’une ordination participée ne possède que “coarctato” ».

  • 20 Gonneaud D., « La sacramentalité du ministère diaconal », dans RTL 36 (2005) 11.

  • 21 Ibid. p. 12.

  • 22 Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique de la langue française, Paris, 1993, p. 438.

  • 23 Cf. Congrégation pour l’Éducation catholique, « Normes fondamentales pour la formation des diacres permanents » (ratio fundamentalis institutionis diaconorum permanentium), dans Doc. Cath. 2181 (95, 1998) 409-424 ; ici, n° 5 (p. 409), où le diacre est dit être configuré au « Christ, Seigneur et serviteur », et, de ce fait, considéré comme le « signe spécifique du Christ serviteur ».

  • 24 Je reprends l’expression à Robert Scholtus qui l’utilise à la suite de Patrick Royannais pour stigmatiser une approche du prêtre usant à l’excès du mot signe pour dire son identité, en l’occurrence signe du Christ-Tête (Scholtus R., « Parlez-nous des prêtres », dans Études 340 [2005] 646). Patrick Royannais oppose sacramentalisme à fonctionnalisme (cf. Royannais P., « Spécificité de la vocation des prêtres », dans Prêtres diocésains [oct. 2000] 342).

  • 25 Jean-Paul II a affirmé le 16 mars 1985 qu’« à son degré, le diacre personnifie le Christ serviteur du Père, en participant à la triple fonction du sacrement de l’Ordre » (Insegnamenti VIII/1, 649, cité par la Commission Théologique Internationale, « Le diaconat. Évolution et perspectives », dans Doc. Cath. 2284 [100, 2003] 97).

  • 26 Il y a certes la res, diraient les anciens, qu’il réalise — la grâce qu’il confère —, mais il demeure sacramentum qui signifie ce qui n’est pas encore pleinement donné : l’eucharistie, par exemple, est actualisation du mystère du salut, mais elle n’est pas une représentation ou une répétition du sacrifice de la croix.

  • 27 Le thème de la configuration des diacres au Christ-serviteur pourrait nous jouer les mêmes mauvais tours que cet autre thème de l’alter Christus, issu de la théologie tridentine et de la spiritualité de l’école française du 17e siècle. Le prêtre comme « autre Christ » s’inscrivait dans une vision sacrale du prêtre comme un être au-dessus de l’Église dans une sorte de quasi-identité avec le Christ. Cf. Castellucci E., « L’identità del presbitero in prospettiva cristologica ed ecclesiologica », dans Seminarium 30 (1990) 120-121.

  • 28 Cf. Comm. Théol. Intern., « Le diaconat » (cité supra n. 25), p. 86.

  • 29 Même s’ils peuvent être reproduits, les autres sacrements induisent aussi une certaine permanence : le mariage engage à l’indissolubilité, la confession introduit un nouveau rapport du présent au passé, l’extrême-onction peut préparer au grand passage qui est unique, l’eucharistie invite à durer dans l’état de grâce requis pour sa réception.

  • 30 Cf. Nocke F.-J., dans Schneider Th., Handbuch der Dogmatik, t. II, Düsseldorf, Patmos, 1992, p. 203.

  • 31 Cf. CEC n° 1570 ; le n° 1121 traite du caractère en général, c’est-à-dire pour les trois sacrements en question, « par lequel le chrétien participe au sacerdoce du Christ et fait partie de l’Église selon des états et des fonctions diverses ».

  • 32 Congrégation pour le Clergé, « Directoire pour le ministère et la vie des diacres permanents », dans Doc. Cath. 2181 (95, 1998), p. 425-447, n° 21 et 28.

  • 33 Les Normes de 1998 (citées supra n. 23) parlent du Christ « Seigneur et Serviteur de tous » dont « le diacre est dans l’Église un signe sacramentel spécifique du Christ serviteur » (n° 5.7).

  • 34 Ce que le n° 1121 du CEC souligne pour le caractère en général : « … la configuration au Christ et à l’Église, réalisée par l’Esprit, est indélébile (cf. concile de Trente DS 1609) ». Il ajoute : « elle demeure pour toujours dans le chrétien comme disposition positive pour la grâce, comme promesse et garantie de la protection divine et comme vocation au culte divin et au service de l’Église » (ibid.).

  • 35 Cf. p. ex. Moingt J., « Nature du sacerdoce ministériel », dans Recherches de science religieuse 58 (1970) 256-264 ; Legrand H., « Caractère indélébile et théologie du ministère », dans Concilium 74 (1972) 63-70 ; Schillebeeckx E., Plaidoyer pour le peuple de Dieu, Paris, Cerf, 1987, p. 212-225 et 259-261.

  • 36 Cf. Grau A., « “Diaconie du Christ” », dans Communio 26/2 (2001) 48-49.

  • 37 Rouet A., « Vers une théologie du diaconat », dans Études 400 (2004) 798.

  • 38 Ibid.

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