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Un profil spirituel de Mgr Christophe Munzihirwa Mwene Ngabu

Gauthier Malulu Lock
À travers sa vie et sa mort tragique (1996), Mgr Christophe Munzihirwa sj, archevêque de Bukavu (R.D. Congo) a marqué les gens. Ceux qui l’ont connu témoignent que sa vie était un signe visible de l’amour propre aux disciples du Christ : être au milieu des frères comme celui qui sert (Lc 22,27). Cette étude voudrait justement faire connaître son « profil spirituel » qui comprend trois grandes composantes, à savoir la prière, la simplicité de vie et la promotion des valeurs libératrices de l’homme.

Introduction

Dans un recueil publié en mémoire de l’assassinat de Mgr Christophe Munzihirwa, le père André Cnockaert sj prédisait à propos de lui : « Même si, dans les circonstances, plusieurs aspects de sa personnalité, de ses paroles, de ses gestes, restent incompris ; même si aujourd’hui nous sommes accablés en nous rendant compte que nous l’avons perdu à un moment où on avait encore un grand besoin de lui, l’avenir lui fera justice »1. L’intérêt croissant pour sa vie, pour son engagement, pour son témoignage et pour son martyre n’est-il pas un signe avant-coureur de l’accomplissement de la prophétie du père Cnockaert ?2 En se ralliant à cette longue liste des témoignages, notre présente étude veut brosser une personnalité spirituelle de Mgr Christophe Munzihirwa, mais avant d’aborder notre matière, nous allons explorer « le mystère du nom ».

I Le nom comme l’expression d’une mission spécifique au sein de la société : Christophe Munzihirwa Mwene Ngabu alias Mzee Muhudumu3

En Afrique, nous le savons, le nom n’est pas totalement innocent à la destinée de la personne qui le porte. Il est souvent indicateur d’une mission spécifique dans la société. Décodifions le nom : Christophe Munzihirwa Mwene Ngabu alias Mzee Muhudumu.

« Munzihirwa » dans la langue Shi de la République Démocratique du Congo signifie le « chef » ; « Mwene ngabo » veut dire le « fils du peuple », c’est-à-dire du terroir. Certainement, le contexte de la société actuelle dans laquelle le chef conçoit sa tâche comme l’exercice de la domination sur les autres à la manière du monde, obligea Mgr Munzihirwa à se surnommer : « Muhudumu », « Mzee ». Il nous semble que ces deux ajouts à son nom propre dévoilent sa vraie identité telle qu’il l’a conçue et l’a vécue. C’est son nom en terme d’« élection », au sens chrétien du terme4.

« Mzee » en langue swahili veut dire le « vieux », l’« ancien ». Mgr Munzihirwa aimait se faire appeler ainsi. Être vieux ou être reconnu comme tel en Afrique est une dignité qu’on mérite ; et elle implique une grande responsabilité, car le vieux est un exemple (un modèle) de vie et de vertu. Celui-ci veille, à la manière d’une sentinelle, sur le groupe (clan, tribu, village, etc.) et s’occupe de l’accueil et de la protection de l’étranger et de tout le monde5. Ce n’est pas par excès des mots que lors de son intronisation à la tête de l’archidiocèse de Bukavu, Mgr Munzihirwa a défini sa charge en ces termes : « Je suis une Sentinelle ici à Bukavu ». Les années de son épiscopat montrèrent effectivement qu’il était le vieux qui veillait sur le troupeau de Dieu. Mais un veilleur qui veille dans la docilité totale à Yhwh qui seul soutient la cité (Ps 127).

« Muhudumu » en langue swahili signifie « Serviteur ». Tel est le genre du chef que Munzihirwa a voulu être. Il signait ainsi ses lettres et ses documents : « Mzee Munzihirwa, Serviteur de l’Église qui est à Bukavu », et parfois il ajoutait même « Serviteur inutile de Bukavu ».

Cette décodification du nom facilite, à notre avis, la bonne compréhension de la vie et de la mort de Mgr Christophe Munzihirwa. Elle nous permettra aussi de saisir son profil spirituel.

II Un profil spirituel de Mzee Munzihirwa

La spiritualité est d’abord une vie ; elle est l’expérience de la vie dans l’Esprit. En tant que telle, elle suppose des points fermes, érigés en conviction, qui servent de repères et qui orientent toute la vie et tout l’engagement. Mzee Munzihirwa avait des racines sûres dans sa vie. Il était d’abord un chrétien et alors, un jésuite, un prêtre, un religieux et un évêque. En tant que Jésuite, il est passé par le creuset des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola6. Les traits de cette expérience spirituelle caractériseront à jamais sa vie et son agir. C’est cette expérience de Jésus qui constituait le roc sur lequel il avait bâti son existence. Nous ne pouvons que considérer la voie ignatienne comme une clé pour saisir sa personnalité spirituelle.

Les notes de son journal intime, ainsi que les témoignages des personnes qui l’ont connu, concordent pour décrire la personnalité spirituelle de cet homme de Dieu. Tous, en effet, sont unanimes pour reconnaître que sa vie est l’histoire d’un témoignage à Jésus-Christ. Son profil spirituel peut se résumer en ces trois traits caractéristiques d’un disciple du Christ : Prière (en particulier, l’Eucharistie et l’amitié avec la Vierge Marie), pauvreté (ou la simplicité de vie, en tant qu’une vertu solide) et engagement pour les valeurs qui libèrent l’homme (la charité, la paix, la justice et la vérité).

1. Mzee, un homme de prière : Monseigneur Munzihirwa était un homme de prière dont le centre était l’Eucharistie. Il avait une grande considération pour le saint Sacrifice. Les témoins disent qu’il lui arrivait de célébrer jusqu’à cinq fois par jour. La toute première Messe qui se célébrait aux petites heures, il se la réservait. Durant la journée, il en célébrait d’autres pour les communautés qui la lui demandaient. Avec grande fidélité, il célébrait aussi en semaine la Messe de 18 heures dans la chapelle de la communauté jésuite du collège de Bukavu. Le dimanche, il présidait toujours la Messe pour les jeunes dans la chapelle du collège jésuite Alfajiri à Bukavu7.

Il était aussi très fidèle à son oraison quotidienne. Il avait déjà écrit dans son journal que « la Méditation c’est l’acte de chercher et goûter Dieu. De la contemplation vient le désir d’être avec Dieu. La proximité et la communion avec Dieu doit pénétrer la vie dans les contacts avec les frères »8.

En ce qui concerne sa vie dévotionnelle, on retient, entre autres, sa grande dévotion à la Mère de Jésus. Dans la vie chrétienne, le sensus fidelium l’atteste, l’amour maternel de la Vierge Marie nous est donné comme un héritage du Seigneur lui-même. Aussi, Mzee Munzihirwa faisait-il des colloques avec Notre Dame. Citons, par exemple, cette offrande datée du 1er janvier 1993 à 12 heures 30 : « Vierge Marie, mère de Jésus et ma mère, entre tes mains je mets mon corps en lambeau pour l’Église de Kasongo et l’Église du Zaïre. Paix pour ce pays »9. À l’instar du disciple que Jésus aimait, il vivait donc cette filiation spirituelle avec la Mère de Jésus, propre aux amis et disciples du Christ.

2. Mzee, un disciple du Christ pauvre : à la fin de la contemplation ignatienne de l’Incarnation (Ex. Spir. n° 101), il est conseillé à l’exercitant de faire un colloque avec les Personnes divines, avec le Verbe éternel incarné, demandant le nécessaire afin de le suivre et de l’imiter davantage. L’expérience de la rencontre avec Jésus dans son abaissement avait fortement marqué Mzee Munzihirwa. Il avait voulu dès lors « suivre » de près et « imiter » vraiment le Verbe incarné, dans une simplicité de vie qui sautait aux yeux. « Il était un homme pauvre ! ». C’était un fait indiscutable pour tous ceux qui l’avaient rencontré. En aucune manière, le fait d’être évêque n’a été, pour lui, un moyen de s’enrichir ou d’enrichir sa propre famille. C’était un service. Il avait seulement deux chemises et deux pantalons, qu’il lavait lui-même et qu’il étalait pour le séchage10.

Il y a des faits qui semblent à première vue anodins mais qui disent beaucoup sur son sens de la sequela et de l’imitatio du Christ pauvre. Un de ses collaborateurs écrit : « Un jour, il entra dans mon bureau avec un billet de 5 NZ [nouveau zaïre, la monnaie zaïroise d’alors, de valeur dérisoire] en poche, alors que j’avais ce jour-là un peu plus que cela. La poche de sa vieille chemise était très transparente. Ayant constaté que j’avais vu son argent, il me dit avec humour qu’il se déplaçait toujours avec toute sa fortune. De temps en temps, je remarquais que le froid l’obligeait à porter deux pantalons. Souvent, par mégarde peut-être, celui de l’intérieur se laissait voir ». Le même témoin ajoute qu’« il ne voulait pas qu’on baisât sa main ou qu’on s’agenouillât à son passage. « Avec humour, nous nous disions au bureau que c’est son chauffeur qu’on croirait évêque à sa place. Je ne le vis jamais avec une calotte à la tête. Il ne la portait qu’à la Messe. Il n’avait que l’anneau épiscopal et la croisette qui faisait penser à un prélat »11.

3. Mzee, un prophète de la vérité et de la charité : sa passion pour le Christ, le Verbe incarné, ne pouvait que le conduire à la passion pour l’humanité et, plus particulièrement, pour les pauvres. « Nous les chrétiens, écrivait-il, trois jours avant son assassinat, sachons que notre plus grande arme c’est la charité envers tout homme et la prière au Christ en passant par Notre Dame du Rosaire. Et que la Vierge Marie, la reine de la paix et Notre Mère intercède pour nous »12. Il s’était engagé à inculquer les valeurs de l’Évangile (notamment la paix et l’amour) au cœur des bourreaux et des victimes dans cette région ensanglantée de l’Afrique.

Pour Mgr Munzihirwa, le bien commun et le salut du peuple passaient avant tout le reste. Et c’est au nom de ces valeurs suprêmes qu’à l’instar du Christ, il demeurait totalement libre à l’égard des autorités irresponsables et de la communauté internationale indifférente. Il jugeait sévèrement leur comportement et les fustigeait au nom de la Loi de Dieu. « C’est, somme toute, cette indépendance et cette liberté d’expression qui l’exposaient à la surveillance et à la malveillance des uns, à la vindicte des autres. Ce n’est donc pas au nom de quelque idéologie politicienne que Mgr Munzihirwa est mort. Il est mort au nom et à cause de la charité »13. Mzee Munzihirwa était un véritable homme de prière et d’action, mort à lui-même, mais totalement donné pour la cause de la multitude.

Conclusion

Nous avons reconnu les signes des temps qui annoncent une réception du témoignage de la vie de cet homme de Dieu. La véritable reconnaissance, nous en sommes conscients, n’adviendra que lorsque les chrétiens d’Afrique auront pris à bras le corps ce qui constituait le cheval de batail de cet homme de Dieu : l’amour fraternel, la paix et la justice en Afrique, la démocratie et la bonne gouvernance, l’éducation pour tous, la libération du continent noir, etc. Au lieu de rester uniquement au niveau de son riche engagement social chrétien — et pour comprendre ce même engagement — il nous a semblé opportun de scruter les profondeurs spirituelles de ce témoin de l’Évangile. Aussi, partant de son nom d’élection, nous avons relu ses notes personnelles ainsi que les témoignages sur sa vie. Nous en sommes arrivés à cerner ce qui constitue son profil spirituel : un homme de prière épris de la vertu solide de la pauvreté et un prophète enraciné dans les valeurs de l’Évangile.

Mgr Christophe Munzihirwa est passé dans l’histoire de l’Église africaine comme un témoin et un martyr de Jésus Christ. Sa vie, sa mort et sa pensée inviteront certainement des générations de chrétiens africains à s’engager sans aucune crainte pour la cause de l’amour fraternel, de la paix, de la justice et du développement. Il restera certainement pour bon nombre de personnes un modèle d’imitation du Christ. Mgr Christophe Munzihirwa Mwene Ngabu est passé du « vieux sage (Mzee) » qu’il était sur la terre à l’ancêtre africain dans l’au-delà. Il sera compté parmi les aînés africains dans la foi, un martyr.

Notes de bas de page

  • 1 Cnockaert A. sj, In Memoriam Monseigneur Christophe Munzihirwa, s.j. Archevêque de Bukavu. Serviteur et Témoin, Bukavu, éd. Loyola, 1997, p. (cité désormais In Memoriam…).

  • 2 Nous pensons aux études récentes : Delville A., « Monseigneur Christophe Munzihirwa, dix ans déjà », dans L’Africain 227 (2007) 14-15 ; Tshikendwa Gh., « Notre responsabilité pour la paix. Réflexions autour de la pensée de Mgr Christophe Munzihirwa, S.J. », dans Congo-Afrique 409 (2006) 396-407 ; Kitumaini J.-M.V., « L’agir socio-politique de Mgr Christophe Munzihirwa à Bukavu (1994-1996, R.D. Congo) », dans NRT 126 (2004) 204-217.

  • 3 Mgr Christophe Munzihirwa est né dans la paroisse de Burhule à Lukumbo (R.D. Congo) en 1926. Il était prêtre jésuite, puis évêque de l’archidiocèse de Bukavu où il fut assassiné dans la nuit du 29 octobre 1996 par « les troupes de l’AFDL regroupant divers mouvements d’opposition au régime du Président Mobutu et des troupes étrangères essentiellement rwandaises » ; cf. Kitumaini J.-M.V., « L’agir socio-politique… » (cité supra n. 2), p. 205.

  • 4 Pour se faire une idée sur l’élection selon les Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola, nous renvoyons aux études de Boisvert M., « Fiches d’expérience spirituelle pour l’accompagnement des Exercices faits dans la vie courante », dans Cahier de Spiritualité Ignatienne – Suppléments 9/10 (1982) 185.

  • 5 Les témoignages révèlent que Mzee jouait bien ce rôle même envers les pauvres réfugiés venus du Rwanda, alors en belligérance avec le Congo. De Kinshasa où il se trouvait, il envoya ce message fort à ses chrétiens : « Les nouvelles de Bukavu m’attristent et je proteste de tout mon être contre les agissements ignobles. Les réfugiés sont nos frères, et l’Évangile nous dit qu’en toutes circonstances nous devons traiter notre frère comme nous aimerions être traités nous-mêmes par lui » (Devulder Th., « Au service du serviteur de l’Église de Bukavu », dans In Memoriam…, p. 22).

  • 6 Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, tr. Éd. Gueydan, coll. Christus 61, Paris, DBB, 1986.

  • 7 Cf. In Memoriam…, p. 17.

  • 8 Cf. ses notes personnelles datées du 27 février 1992, dans In Memoriam…, p. 44.

  • 9 Ibid. p. 19.

  • 10 Cf. Meo E., « A tre anni dal martirio di Munzihirwa il Romero dell’Africa », dans Mons. Christophe Munzihirwa, Martire della Speranza, éd. Assoc. Solidarietà Muungabo, Vicomero, 1999, p. 2 (nous traduisons).

  • 11 Kajemba A., dans In Memoriam…, p. 23.

  • 12 Munzihirwa Chr., Note personnelle du 27 octobre 1996, dans In Memoriam…, p. 43.

  • 13 Metena S.-P., dans In Memoriam…, p. 15.

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