Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Une loi qu’on ne peut saisir ?

Remarques sur la loi nouvelle dans l’Évangile de Jean

Jean-Marie Carrière s.j.
La Loi de Moïse entretient un rapport marqué avec l’écriture, dans la tradition biblique comme dans les cultures environnantes. Dans l’Évangile de Jean, la loi nouvelle du Christ apparaît aussi liée à l’écriture, comme en témoigne l’épisode de la femme adultère en Jn 8 ; cependant, comme une écriture dont le contenu n’est pas saisissable. Serait-ce là un caractère de la loi nouvelle du Christ ? Il convient d’examiner les passages relatifs au commandement nouveau aux chapitres 13 et 15, pour pouvoir interpréter théologiquement ce fait.

Dans l’Évangile selon Jean, Jésus pose une loi nouvelle, il laisse à ses disciples et amis un commandement nouveau (voir au moins Jn 13,34 ; 15,12). Il semble bien clair que ce commandement nouveau a pour contenu l’amour mutuel. Ainsi la loi ancienne — c’est-à-dire la loi de Moïse — semble devoir modifier sa position de référence, alors qu’apparaît cette nouvelle loi qui n’aurait qu’un seul et unique commandement, celui de l’agapè.

On pourrait souhaiter nuancer un tel schéma de pensée, pour faire davantage droit à la manière dont l’Évangile de Jean traite la difficile question du rapport entre la loi nouvelle du Christ et la loi de Moïse. Dans ce but, nous essayerons de répondre à deux questions : dans l’Évangile de Jean, la loi nouvelle du Christ modifie-t-elle la fonction de la loi, telle qu’on peut la voir à l’œuvre à propos de la loi de Moïse ? Qu’en est-il du contenu de la loi nouvelle ? Nous nous proposons de prendre comme point de départ le rapport entre loi et écriture (1), en remontant à la conception biblique de la loi, telle qu’elle se donne à comprendre à travers les caractères de la loi de Moïse. Il faut avoir cet arrière-plan à l’esprit, pour lire l’épisode johannique où Jésus tente de désamorcer la condamnation de la femme adultère sur la base de la loi de Moïse, en Jn 8 (2) : car il y est bien question d’écriture. D’une écriture dont le contenu n’est pas explicité par l’auteur johannique : se pose, alors, la question du contenu de la loi du Christ, ce qui invite à relire de près les passages du quatrième Évangile où il est question du commandement nouveau (3). Il apparaîtra ainsi comment, avec ses caractéristiques propres, la loi nouvelle du Christ porte à son achèvement la loi de Moïse.

I La loi comme écriture

La loi possède un rapport marqué avec l’écriture1. Dans la tradition biblique, on entend nettement ce fait déjà chez Isaïe, au viiie siècle, lorsque celui-ci critique les fonctionnaires royaux responsables de la loi :

Malheur à ceux qui gravent des lois malfaisantes et, quand ils écrivent, mettent par écrit la misère.

(Is 10,1)

Le verbe écrire est ici mis en parallèle avec le verbe graver (sur une pierre, un monument), l’action de graver sur la pierre étant un fait culturel ancien qui caractérise la promulgation de la loi. La plupart des lois du Proche-Orient Ancien, à commencer par le Code d’Hammurabi (xviiie siècle av. J.-C.), sont gravées sur des stèles de pierre. Le fait que la loi soit ainsi inscrite physiquement sur un support durable lui assure deux qualités : d’une part, elle est posée pour un temps long, plus précisément, elle est difficilement modifiable ; d’autre part, elle a caractère public ; on peut donc parler de l’inscription sur une stèle — qui est un acte d’écriture — comme de l’acte de promulgation de la loi.

Même si, du point de vue de l’histoire rédactionnelle, il faut être prudent à caractériser le viiie siècle biblique comme commencement de l’activité littéraire en Israël2, la citation d’Isaïe ci-dessus signale la prise en compte du fait d’écrire à cette époque. Il est vraisemblable que les scribes, maîtres de l’écriture dans l’entourage du roi, ne « gravaient » pas les lois sur des stèles, mais ils l’écrivaient sur des supports sans doute moins durables. Ce qui est intéressant, c’est le fait que l’acte d’écrire paraît être, autour du viiie siècle, objet d’une attention particulière, quant à son effet et à sa fonction — non sans lien avec l’élaboration de la loi au niveau de l’« État ». De fait, écrire n’est pas seulement « graver », c’est aussi construire une forme, une disposition. David Wright a tenté de montrer combien le Code de l’Alliance avait élaboré une écriture construite sur la disposition du Code d’Hammurabi3, pour l’imiter et pour en détourner les principes. La relation entre la loi et l’écriture n’est pas seulement « physique » (pour la promulgation), mais tient aussi à la fonction et aux effets de l’acte d’écrire.

La relation entre loi et écriture évolue dans l’histoire d’Israël, et apparaît particulièrement pensée et réfléchie dans les deux grands ensembles législatifs que sont le Deutéronome et le récit du don de la loi au Sinaï. Examinons l’Exode avant le Deutéronome, puisque c’est dans cette disposition canonique que le lecteur rencontre la conception du rapport loi-écriture, à l’intérieur de la conception biblique de la loi. On pourrait dire que le rapport entre loi et écriture apparaît comme narrativement constaté quant au moment du Sinaï (Exode), et comme réflexivement marqué quant au moment des plaines de Moab (Deutéronome).

Après le récit de la théophanie au Sinaï (Ex 19) et l’énoncé des Dix Paroles et de la loi sous la forme du Code de l’alliance (Ex 20-23), la narration du premier moment du Sinaï s’achève par la « conclusion de l’alliance » (Ex 24). Laquelle est rapportée selon l’articulation de deux points de vue : sur la montagne, la présence mutuelle avec Dieu et le repas (24,1-2.9-11), en bas de la montagne, les actions de Moïse (v. 3-8). Moïse énonce au peuple les paroles de YhwH et les règles, et obtient l’accord du peuple tout entier à celles-ci. Alors Moïse écrit « toutes les paroles de YhwH » (v. 3), ce qui permettra de faire de l’acte de lecture de cet écrit le moment constitutif de l’alliance (v. 7). Après la mention du repas d’alliance (selon le second point de vue), YhwH fait monter Moïse à nouveau sur la montagne, où il restera quarante jours et quarante nuits, pendant lesquels YhwH lui donnera « les tables de pierre, la loi et le commandement que j’ai écrits » (v. 12). L’écriture de la loi est donc tant le fait de Dieu, sur la montagne, que le fait de Moïse, au bas de la montagne. Il ne s’agit certes pas de la même écriture, et c’est ce que permet de préciser le second moment du Sinaï (Ex 32-34) ; juste avant le récit du veau d’or, le séjour de Moïse sur la montagne, commandé en 24,12, s’achève par une précision importante :

Ayant achevé de parler avec Moïse sur le mont Sinaï, il lui donna les deux tables de la charte, tables de pierre, écrites du doigt de Dieu.

(Ex 31,18)

Le contenu de l’écriture divine, c’est la « charte », et la modalité de cette écriture, c’est une écriture avec le « doigt de Dieu », sur des tables de pierre — ce qui renvoie clairement au modèle de l’inscription royale de la loi sur la pierre. La suite du récit confirmera ces indications, que les tables de pierre sont écrites des deux côtés (32,15), que YhwH y a écrit « les paroles » (34,1), que ces paroles ne sont autres que « les paroles de l’alliance, les Dix Paroles » (34,28)4. Quant à l’écriture de Moïse, elle a pour contenu l’ensemble des « paroles » par lesquelles est conclue l’alliance (34,27, cf. 24,3).

Dans le moment du Sinaï, la loi est écrite à une certaine distance de la représentation de la loi gravée sur la pierre. L’inscription sur la pierre est le fait de Dieu lui-même, avec « son doigt », et elle concerne la charte de l’alliance, les Dix Paroles. La loi est aussi écrite par Moïse — plutôt en rapport avec un livre (Ex 24,7) —, et elle concerne la diversité des dispositions juridiques et législatives. Ce modèle est repris et repensé par le Deutéronome, selon le moment des plaines de Moab.

Les discours de Moïse aux plaines de Moab rappellent les événements du Sinaï-Horeb, et confirment le modèle du rapport entre loi et écriture qu’on y a trouvé : c’est YhwH lui-même qui écrivit les Dix Paroles sur les tables de pierre (Dt 4,13 ; 10,2.4), les tables furent écrites « du doigt de Dieu » (9,10). Dans le récit de Dt 5 qui raconte à nouveau le don de la loi au Sinaï, la distinction est faite entre les Dix Paroles écrites sur deux tables de pierre (5,22) et la loi dans l’ensemble de ses prescriptions (« les lois et les coutumes », 5,31, cf. 12,1). Après l’énoncé au peuple des Dix Paroles, sans intermédiaire, YhwH n’a pas « continué à parler » (5,22) à tout le peuple. C’est Moïse seul qui entendra l’ensemble des prescriptions de la loi (5,31) et qui l’écrira dans un livre, comme il sera précisé lors des conclusions d’alliance de la fin du livre : 28,58.61 ; 29,19… et surtout 31,245. Ce verset marque la fin de l’écriture de la loi par Moïse, sans que soit indiqué dans le Deutéronome le moment où Moïse commence à écrire la loi dans un livre. Ce qui permet à la stratégie du livre de noter : que la loi est écrite aussi « sur les poteaux de la maison et sur les portes » (6,9 et 11,20) ; que la loi écrite dans un livre est reçue par le roi (17,18) ; que la loi sera inscrite/gravée sur des pierres préparées à cet effet et qui seront placées à l’entrée de la terre où entre le peuple (27,3.8), la lecture du texte gravé faisant office de condition pour entrer dans cette terre6.

Le rapport entre loi et écriture est un fait culturel partagé par Israël avec les cultures du Proche-Orient Ancien. Comme tel, il est pensé par Israël lorsque celui-ci réfléchit au statut de la loi, et notamment lorsqu’il explicite la représentation qu’il se fait de la loi de Moïse qui régit sa vie. S’il n’oublie jamais que la loi résulte en premier lieu d’une énonciation divine, la loi de Moïse qu’il a entre les mains, relue lors de la célébration de l’alliance, est le résultat d’une écriture, un texte. Une écriture et un texte où sont distingués deux sujets écrivant : le texte de la charte, les Dix Paroles, est écrit par YhwH lui-même, de son « doigt », et il est inscrit/gravé sur la pierre ; le texte des prescriptions de la loi est écrit par Moïse, dans un livre.

II « Il écrivait du doigt sur le sol » (Jn 8,6)

La péricope de la femme adultère au chapitre 8 de l’Évangile de Jean7 est très connue, point n’est besoin d’en reprendre une analyse détaillée8. Nous en donnerons les principales articulations, en fonction de ce que nous cherchons ici : c’est l’unique moment de la vie de Jésus où celui-ci est montré en train d’écrire quelque chose.

Les moments de la narration sont faciles à distinguer. (a) Un cadre d’ensemble (v. 1-2), tout d’abord : tôt le matin — lorsque la lumière a dissipé les ténèbres de la nuit (cf. 8,12) — Jésus rejoint le Temple et, assis, enseigne tout le peuple. (b) Un mouvement dans la foule, sans doute bruyant, vient interrompre l’enseignement (v. 3-6a) : un groupe de scribes et de Pharisiens amènent une femme jusqu’à Jésus, au milieu du cercle des auditeurs ; ils l’exposent devant Jésus et devant tout le peuple, et proclament haut et fort son méfait d’adultère ; ils attendent — non sans une intention masquée — un jugement de la part de Jésus, sinon une condamnation qui s’appuie sur la loi de Moïse. (c) Jésus a quitté son siège et se baisse, pour écrire sur le sol (v. 6b). (d) Scribes et Pharisiens insistent pour obtenir une réponse à leur question (v. 7). Jésus se relève alors et leur répond. (e) Puis, il se baisse à nouveau pour écrire sur le sol (v. 8). (f) À la réponse de Jésus, scribes et Pharisiens quittent la scène et, peu à peu, Jésus se retrouve seul, devant la femme toujours au milieu (v. 9). (g) Jésus se relève à nouveau et engage un échange avec la femme (v. 10-11)9.

La disposition des moments successifs de l’histoire présente une certaine symétrie. Au début (a) et à la fin (g), Jésus parle : à tout le peuple, qu’il enseigne, à la femme, pour un échange ; il parle aussi au milieu (d) au groupe des scribes et des Pharisiens, une seule phrase. Au début, Jésus parle assis, comme il convient à un enseignant, à un maître — ainsi que l’interpelle le groupe des scribes et Pharisiens (v. 4) ; à la fin, on peut supposer que Jésus parle debout, se plaçant au même niveau que la femme ; il s’agit d’une conversation. De même, au milieu, Jésus se redresse, pour répondre debout au groupe qui l’interroge, lui-même sans doute debout. Entre ces moments où Jésus parle, le groupe des scribes et des Pharisiens arrivent (b), puis repartent (f) ; enfin, entre l’arrivée du groupe des scribes et Pharisiens et leur départ, le narrateur décrit Jésus baissé vers le sol, où il écrit — silencieux, sans paroles (c, e). Ce silence et cette écriture encadrent la réponse que Jésus donne, debout, à ceux qui l’interrogent au sujet de la loi de Moïse applicable à cette femme (d).

Si l’on porte attention aux postures corporelles des personnages, que le narrateur note avec précision, le récit, plutôt que disposé symétriquement comme on vient de le voir, semble orienté vers sa fin : Jésus est d’abord assis ; la femme est exposée debout au milieu, par le groupe des scribes et des Pharisiens sans doute debout ; Jésus se baisse, puis il se redresse, puis de nouveau il se baisse ; une fois le groupe parti, Jésus se redresse, pour parler avec la femme, seule, au milieu, sans doute debout. Il est étonnant que le narrateur signale deux fois (v. 3.9) la position de la femme « au milieu » : au v. 3, il est clair qu’elle est au milieu du cercle des scribes et des Pharisiens, mais, au v. 9, ceux-ci s’étant retirés, on ne voit pas bien « au milieu » de quel cercle elle se tient10. Lorsque le groupe s’est disloqué, elle occupe une position solitaire, ce que souligne Jésus en lui adressant la parole « où sont-ils ? » ; la mise en scène du procès s’est disloquée, et le procès n’a pas trouvé d’issue. La femme a été libérée du cercle qui l’enfermait au v. 3. C’est ce que Jésus fait et dit qui obtient cette libération. La femme est doublement libérée : d’abord, de ce que la loi impose à son sujet, et c’est la réponse de Jésus aux scribes et aux Pharisiens, encadrée par les deux actions d’écrire, qui manifeste cette libération (le récit est symétrique autour de cette parole de Jésus) ; et, ensuite, d’autre chose, encore à déterminer, dont elle est libérée par l’échange avec Jésus à la fin (le récit est orienté vers cet échange).

« Et toi, donc, que dis-tu ? » (v. 5). Comment chacun se positionne-t-il par rapport à la loi de Moïse dans le récit ?

La femme est coupable d’un crime passible de la peine de mort. Le crime d’adultère est clairement défini dans le Code du Deutéronome, en Dt 22,22-29. Le verbe utilisé par les scribes et les Pharisiens pour caractériser le crime reprend le terme du Décalogue (Dt 5,17lxx), dont les trois lois de Dt 22 explicitent les considérants : homme marié couchant avec une femme mariée, homme couchant avec une jeune femme vierge fiancée (dans la ville ou dans la campagne), homme couchant avec une jeune femme vierge non fiancée. Dans le récit de Jn 8, on ne sait à laquelle de ces trois situations correspond l’acte de la femme, sinon qu’on est en ville ; mais la caractérisation de l’acte est claire, comme l’indiquent scribes et Pharisiens lorsqu’ils précisent : en autophôrô (v. 4).

Scribes et Pharisiens se tiennent donc absolument dans les prescriptions de la loi de Moïse : le fait est avéré, la chose est bien établie (en autophôrô), le crime a été commis par la femme ; la peine de mort est applicable, et l’exécution s’opère par lapidation (v. 5). Ces deux précisions renvoient en fait à une autre loi du Code du Deutéronome, à savoir Dt 17,2-7 qui traite de la qualité de la procédure judiciaire. Le crime évoqué dans cette unité n’est pas celui d’adultère, mais celui d’idolâtrie ; mais l’impact principal de cette prescription en Dt 17 est d’établir les conditions indispensables pour l’énoncé d’un jugement qui entraîne la peine de mort : enquête pour établir le fait, et rôle des témoins11. Scribes et Pharisiens apparaissent alors être concrètement dans la position de témoins dans un procès.

C’est précisément sur ce fait — qu’ils sont dans le rôle de témoins — que Jésus va leur répondre (v. 7). Sa phrase « qu’il soit le premier à lui lancer la pierre » cite textuellement Dt 17,7 : « la main des témoins sera la première pour le faire mourir ». Répondant ainsi, Jésus se situe lui aussi dans la ligne de la loi de Moïse, mais il déplace le point de vue et porte l’attention sur la position dans laquelle se sont mis ceux qui l’interrogent. Il n’est donc pas question de se demander s’il convient ou non de lapider une personne coupable d’adultère, la loi de Moïse est claire à ce sujet, et il n’y a aucune raison de ne pas l’appliquer. Par contre, dans le procès en cours, le rôle des témoins assumé par les scribes et les Pharisiens doit être examiné, et il le sera, conformément à Dt 17, par le fait que les témoins devront être les premiers à lancer les pierres. En fait, ils parlent non comme des témoins, mais comme des accusateurs — l’intention qui les anime, tant vis-à-vis de la femme que vis-à-vis de Jésus, est soulignée par le narrateur au v. 6 ; et perçue clairement par Jésus au début de l’échange avec la femme : « personne ne t’a condamnée ? » (v. 10) Or le témoin qui accuse, même à juste titre, et tend à obtenir une exécution capitale, donc qui accuse pour condamner, dévoie la parole et devient passible d’une peine, qui peut aller jusqu’à la peine de mort (Dt 5,20 ; voir Dt 19,15-21). Ce qui n’est pas droit dans la parole des scribes et des Pharisiens, et que Jésus met en évidence, c’est le dévoiement de la parole du témoin en parole qui accuse et condamne. Nous pouvons alors entendre dans la première partie de la phrase de Jésus : « celui qui n’a pas péché » non tant une allusion au crime d’adultère (y aurait-il tant de coupables d’adultère dans Jérusalem ?), mais bien plutôt une allusion au dévoiement de la parole du témoin (ce qui est le fait de tous dans le groupe, et dont ils prennent conscience, en quittant la scène l’un après l’autre).

On remarque habituellement, non sans une pointe critique, l’absence dans le récit du partenaire de la femme coupable d’adultère. De fait, la loi de Dt 22 stipule la peine capitale pour l’homme et pour la femme. Point n’est besoin de trouver des raisons à l’absence de ce partenaire. Il est plus intéressant de remarquer une autre absence, qui n’est pas de peu d’importance, celle du mari de la femme adultère. Car, dans cette affaire, c’est en fait lui la partie lésée par le crime commis. Son absence est donc remarquable, d’autant plus que c’est lui, le mari bafoué, qui détient la possibilité de délier la femme de sa faute. On le sait d’expérience courante, dans ces situations d’adultère, la chose la plus difficile sera que le mari puisse ne pas condamner son épouse, sinon lui pardonner. Or, c’est précisément la position que prend Jésus vis-à-vis de la femme, à la fin du récit : « moi non plus, je ne te condamne pas » (v. 11). À la fin du récit, Jésus se tient symboliquement dans la position de l’époux, qui ne condamne pas, qui pardonne peut-être, en tout cas qui ré-ouvre l’avenir : « va, et à partir de maintenant ne pèche plus ». Ce « à partir de maintenant » signale l’acte du pardon, c’est-à-dire, selon les réflexions de Hannah Arendt12, l’acte qui délivre de l’irréversibilité de l’acte commis, sans pour autant l’effacer, de sorte qu’il ne pèse plus sur la relation. On peut noter que le verbe « pécher », ici au v. 11 comme plus haut au v. 7, renvoie à la position dans l’ordre de la relation, autant qu’à l’acte délictueux.

À la fin du récit, il faut relever le parcours des positions que Jésus occupe. Au début, Jésus est dans la position du maître enseignant, sans doute commentant la loi de Moïse à l’instar des scribes et des Pharisiens, et à la fin du récit, il est dans la position de l’époux véritable, celui qui ne condamne pas et pardonne à l’épouse adultère13. De l’une à l’autre, Jésus passe par une position médiane, sinon médiatrice : celui qui, baissé, écrit sur le sol.

La question qui vient d’emblée est évidemment : qu’est-ce que Jésus écrit ? Sans doute une bonne question, même si le narrateur ne donne guère de moyens d’y répondre !

Examinons les détails. Au v. 6, Jésus : 1) avec son doigt ; 2) écrit ; 3) sur la terre / le sol. « Écrire » n’est pas tout à fait une bonne traduction de katagraphô, qui peut signifier « graver », comme l’indique son usage dans la lxx en Ex 32,15lxx à propos des tables de pierre, ou en Os 8,12lxx à propos de lois, sans doute gravées, qui semblent d’origine étrangère. Ces trois détails renvoient donc clairement à la représentation de YhwH écrivant de son doigt la charte des Dix Paroles sur les tables de pierre, que nous avons notée plus haut. Au v. 8, la description du narrateur est simplifiée, l’adverbe palin renvoyant à la description du v. 6.

Il est donc tout à fait clair que Jésus écrit quelque chose de l’ordre de la loi, peut-être du niveau de la charte des Dix Paroles. Quant au rapport à la loi, donc, le mouvement du récit ne va pas dans le sens d’une suppression, ou d’une absence de loi, ni d’un rejet de la loi, comme si c’était la position de Jésus face à la situation de la femme, et à sa propre situation d’accusé (v. 6). Il y a bien une loi, et sans doute une loi nouvelle. Le fait à souligner ici est que nous n’avons pas accès au texte ou au contenu de cette loi. Il y a bien une loi, puisqu’il y a une écriture, mais le texte nous échappe.

Cette notation est à articuler à l’ensemble du récit. La loi de Moïse, elle, est une écriture dont le texte est à disposition des personnages du récit, tant du groupe des scribes et des Pharisiens que de Jésus lui-même, comme on l’a vu. Comme écriture dont le texte est « lisible », il est possible de s’y rapporter, sinon de s’en saisir. Et, précisément, il y a manière et manière de s’en saisir. Le groupe des scribes et des Pharisiens se saisit du texte écrit de la loi de Moïse pour accuser, et dans l’intention de condamner. Jésus, quant à lui, saisit l’écriture de la loi de Moïse pour défaire le cercle de fer de cette accusation.

Tel est le point que l’on peut retenir de ce récit. Parce qu’elle est écriture produisant un texte lisible, la loi fait courir un risque qui lui est inhérent14 : se saisir de l’écrit pour accuser et pour condamner. Par contraste, la loi nouvelle que Jésus écrit sur le sol, tout en restant écriture, libère de ce risque en ce que son texte n’est pas saisissable. Plus encore, si Jésus écrit une loi nouvelle, à l’instar de YhwH lui-même, la non-lisibilité et la non-saisissabilité de cet écrit autorise à prendre une initiative, à poser une action libre au-delà du cercle du texte de la loi15 : ici, le pardon, qui ouvre l’avenir.

III Le commandement nouveau

Que la loi nouvelle du Christ possède un texte qui n’est ni lisible ni saisissable constitue-t-il une suggestion de l’Évangile johannique ? La question vient tout de suite buter sur la mémoire que nous avons du commandement nouveau, à savoir le commandement de l’amour mutuel, qui serait clairement explicité en Jn 13,34 :

Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.

commandement à nouveau mentionné en 15,12.17 :

Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres.

Nous nous proposons, en ce troisième temps, d’ouvrir une possibilité, celle d’une traduction différente de celle couramment admise pour ces trois versets, à savoir en prenant en compte la valeur finale de hina ; nous ne cherchons pas à prouver qu’il faut traduire autrement ces versets, mais seulement à montrer que cela est possible. Cette possibilité pointe à nouveau vers le caractère insaisissable de la loi nouvelle. Il nous faudra évaluer les effets de sens ouverts par cette possibilité.

L’Évangile johannique emploie volontiers un vocabulaire caractéristique du Deutéronome pour parler du rapport à la loi : « garder » (par exemple : 14,24 ; 15,10), « mettre en pratique » (par exemple : 15,14). Les deux substantifs « commandement » et « parole » (l’un et l’autre au singulier comme au pluriel) relèvent aussi du lexique du Deutéronome pour indiquer le contenu de la loi.

Pour ce qui concerne le verbe « commander », la première occurrence se trouve dans l’épisode de la femme adultère (8,5) et est relative aux prescriptions de la loi de Moïse. En 14,31, le Christ affirme son amour du Père, qui se révèle dans le fait qu’il agit selon ce que le Père lui a prescrit, sans que le contenu de cette prescription soit explicité. Le verbe apparaît ensuite en 15,14 où, ici aussi, le Christ souligne la relation entre la pratique des prescriptions (que lui-même donne) et l’amitié entre lui et ses disciples ; le Christ affirme nettement qu’il prescrit, et donc qu’il pose une loi, sans qu’ici le contenu de ces prescriptions soit indiqué. Enfin, le verbe est utilisé en 15,17, verset sur lequel nous allons revenir.

Quant aux dix occurrences du substantif « commandement », la première en 10,18 fait référence au commandement reçu du Père, sans qu’il soit explicité, et il en sera de même en 12,49.50, la seconde occurrence (v. 50) permettant de comprendre comment le fait d’obéir au commandement du Père est porteur de vie éternelle. En 11,57, il est question des « ordres » donnés par les grands-prêtres. Nous reviendrons sur le v. 13,34. En 14,15, le Christ mentionne « ses » commandements (au pluriel), sans indiquer le contenu de ces prescriptions, mais en soulignant le lien entre l’amour et le fait de « garder » les commandements du Christ. Ce qui est à nouveau affirmé en 14,21, et en 15,10, où ce rapport entre observance du commandement et amour est le même entre le Christ et ses disciples, qu’entre le Christ et le Père. Dernière occurrence, 15,12, sur laquelle nous allons revenir.

Ce rapide repérage16 met tout d’abord en évidence le lien entre l’amour et le fait de « garder » ou de « mettre en pratique » le commandement. Il en ressort qu’il y a clairement un commandement nouveau donné par Jésus à ses disciples. Pour les occurrences relevées, le contenu du ou des commandements n’est pas explicité, sinon peut-être dans les trois versets 13,34 ; 15,12.17 vers la traduction desquels nous nous tournons maintenant.

Les traductions courantes de ces versets montrent clairement que la phrase « aimez-vous les uns les autres » constitue le contenu du commandement nouveau. Pour cela, elles choisissent de comprendre la conjonction hina comme explicative, et utilisent donc dans la traduction la ponctuation de deux points et d’une ouverture de guillemets. Ce choix, qui n’est généralement pas contesté, s’impose-t-il absolument, à tout le moins est-ce le seul possible ?

Il est intéressant de commencer par relire la note de Zumstein17 sur la difficile construction syntaxique de 13,34. « Le premier hina est vraisemblablement epexégétique » ; le second peut avoir « un sens strictement final », ou bien « reprendre la première proposition en hina » et avoir donc une valeur epexégétique. La position choisie par l’auteur est que hina introduit le contenu du commandement nouveau, non sans une prudence certaine à propos de hina (sinon une hésitation : « vraisemblablement », « peut être », cf. la dernière phrase : « hina suivi du subjonctif peut être une façon d’exprimer l’impératif »).

Pour la majorité des grammaires et des dictionnaires, la conjonction hina introduit le plus souvent une subordonnée à valeur finale, avec le verbe de la phrase au subjonctif (le verbe aimer est au subjonctif dans les trois versets que nous étudions). Friberg18 signale cependant que la conjonction peut introduire une phrase explicative après un démonstratif, comme en 15,13. Pour Thayer19, la force de valeur finale de la conjonction hina diminue avec l’évolution de la langue classique, et tend à l’expression de la signification plus que de la finalité (purport > purpose) ; il cite comme exemples nos deux versets 13,34 et 15,17. La conjonction n’indique pas seulement la finalité mais aussi le résultat voulu. Une valeur faible de hina en advient alors à dénoter quelque chose que quelqu’un souhaite voir être fait par un autre20. On comprend assez bien la valeur éventuellement explicative de hina après un verbe de volition, de souhait ou de commandement, si tant est que le vouloir qui est manifesté suppose une finalité, que quelque chose soit fait ou advienne.

Deux traductions sont donc possibles pour nos versets :

Pour 13,34 :

Je vous donne un commandement nouveau afin que vous vous aimiez les uns les autres ; comme je vous ai aimés afin que vous vous aimiez les uns les autres.

Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres ; comme je vous ai aimés : aimez-vous les uns les autres.

Pour 15,12 :

Tel est le commandement qui est mien afin que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés.

Tel est le commandement qui est mien : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés.

Pour 15,17 :

Ces choses je vous commande afin que vous vous aimiez les uns les autres.

Ces choses je vous commande : que vous vous aimiez les uns les autres.

La première proposition de traduction considère la valeur de finalité de la conjonction hina, la seconde sa fonction explicitative. Dans le second cas, la conjonction permet de manifester le contenu du commandement, dans le premier cas ce contenu reste non explicite, la phrase indiquant la finalité du (don du) commandement. Ce que nous voulons suggérer ici, c’est que les secondes propositions ne s’imposent pas absolument, et que les premières sont possibles. Quatre brèves remarques vont aider à le percevoir.

  1. Sur les trente occurrences de hina en Jn 13-16 (soit 26 en-dehors de nos trois versets), vingt ont clairement valeur de finalité, dont trois une nuance plutôt de modalité où la finalité n’est pas absente (« si bien que » : 13,2 ; 14,3.13). Trois sont en lien avec « l’heure » (13,1 ; 16,2.32), nous n’entrons pas dans leur interprétation. Trois ont sans doute une valeur explicative (15,8.13 ; 16,7 : où l’on aurait pu s’attendre à un hoti, plutôt qu’à un hina). L’usage de hina est de manière dominante à valeur de finalité, ce qui se comprend assez bien dans le contexte du dernier repas, où l’on est tourné vers ce qui va advenir.

  2. Après le verbe « parler/dire », tous les usages de hina sont à valeur finale : (13,18) ; 13,19 ; 14,29 ; 15,11 ; 16,1 ; 16,4 ; 16,33. Jésus parle, afin que… En 15,17, après le verbe « commander », la valeur est plutôt finale, le verbe ayant déjà un complément d’objet (« ces choses »).

  3. L’écriture johannique emploie fréquemment les tournures adéquates pour indiquer le contenu d’un « parler/dire », voir 13,6s ; 13,12s ; 13,21s ; 14,5s ; 14,8s…

  4. Il faut dire un mot sur les démonstratifs (« ces choses », « cela », « cette »). En Jn 13-16, une petite dizaine d’emplois au neutre pluriel (« ces choses ») renvoient aux choses dites par Jésus (sauf en 15,21 ; 16,3 où il est question des persécutions), de manière remarquable plutôt dans le chapitre 16, à l’approche de la fin du discours. Cinq emplois sont suivis par hina (15,11.17 ; 16,1.4.33). La situation est semblable pour l’emploi au neutre singulier. Les démonstratifs renvoient aux paroles de Jésus dans leur ensemble, voire d’ailleurs peut-être aux actes de Jésus21.

Ces remarques permettent donc de considérer comme possible que la valeur de hina dans nos trois versets soit de finalité. Une traduction possible serait donc :

Je vous donne un commandement nouveau afin que vous vous aimiez les uns les autres ; comme je vous ai aimés afin que vous vous aimiez les uns les autres.

(13,34)

Ces choses je vous commande afin que vous vous aimiez les uns les autres.

(15,17)

La traduction possible pour 13,34 fait sens avec la parole de Jésus qui suit en 13,35 : le signe (« à cela ») pour être disciple de Jésus est l’amour mutuel, qui témoigne de la pratique du commandement nouveau sans qu’il soit nécessaire que celui-ci ait été explicité.

Portons attention, enfin, à 15,12, dont la traduction pourrait être :

Tel est le commandement qui est mien afin que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés.

En 15,10, Jésus parle de ses commandements (au pluriel), dont l’observation permet de demeurer dans l’amour, comme Jésus demeure dans l’amour du Père en gardant les commandements de celui-ci. En 15,11, Jésus fait allusion à ses paroles (« ces choses que je vous ai dites ») et indique en vue de quoi il les a dites, pour la joie des disciples. On pourrait être tenté de rapprocher les paroles dites par Jésus en 15,11 et les commandements siens de 15,10 — au sens où les commandements ne sont autres que les paroles de Jésus. En 15,12, fait remarquable, il n’y a plus qu’un commandement, dont la finalité est l’amour mutuel. En faisant sans doute allusion à la mort du Christ sur la Croix, 15,13 pose l’amour du Christ pour les siens non seulement comme le fondement de leur existence (v. 12b) mais aussi comme un exemple22, comme ce fut le cas au chapitre 13.

Il est assez clair en effet que l’amour du Christ pour ses disciples, tel qu’il se révèle dans ces « discours d’adieu23 », constitue l’archè et a pour telos l’amour des disciples entre eux. Le Christ a montré l’exemple, ouvert le chemin, afin que ou de telle sorte que les disciples puissent à leur tour le parcourir.

Nous avons voulu suggérer que la traduction de hina avec valeur de finalité est possible dans les trois versets considérés. Selon cette possibilité, le commandement nouveau ne serait de fait pas explicité quant à son contenu, ce qui nous rapproche de la perspective suggérée après la lecture de l’épisode de la femme adultère. D’une part, il est tout à fait clair que le Christ a laissé un commandement nouveau, qu’avec lui et à partir de lui, il y a une loi nouvelle, distincte de la loi de Moïse. D’autre part, le commandement nouveau n’est pas explicité, il n’est point saisissable. Cependant, sa visée est bien précisée : l’agapè parmi ceux qui l’observent et le gardent.

Conclusion

Il est possible que l’Évangile de Jean suggère que la loi nouvelle du Christ ne nous offre pas de texte saisissable. La finalité de l’agapè est clairement mise en évidence, mais le contenu de la loi resterait insaisissable. Ce serait là l’un24 des aspects de la stratégie johannique qui situe la loi du Christ par rapport à la loi de Moïse.

La loi de Moïse procède d’une énonciation divine, et est reçue par le peuple d’Israël sous la forme d’une écriture : écriture divine des Dix Paroles sur les tables de pierre, écriture mosaïque des prescriptions dans un livre. L’épisode de la femme adultère met en évidence l’un des risques inhérents à ce rapport entre loi et écriture. Parce qu’elle est écriture, la loi peut être « saisie » pour accuser et condamner. Le fait que la loi du Christ soit une écriture sans contenu la dégage de ce risque inhérent à la loi. Et ouvre la capacité d’une initiative non enfermée dans le cercle de la loi, à savoir le pardon que l’« époux » Jésus offre à la femme coupable d’adultère.

Par la manière dont Jn 8 décrit Jésus écrivant, la loi du Christ apparaît être du niveau des Dix Paroles, du niveau de la charte de la loi. Deux traits caractérisent cette loi nouvelle : elle s’unifie en un seul commandement, ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’une loi détaillée dans une multiplicité de commandements, ou de prescriptions25. Et elle est « nouvelle », ce qui précise la manière dont elle se distingue de la loi de Moïse26. En plus d’être une loi qui déjoue le risque lié à son rapport à une écriture, la loi du Christ porte à achèvement la loi de Moïse, comme en témoigne le fait que celui qui l’observe et la met en pratique ouvre le règne de l’agapè27.

Mais comment garder et mettre en pratique une loi dont le contenu n’est pas explicité ? Les Évangiles synoptiques, comme Matthieu et Luc, ont disposé dans leur écriture le contenu de la loi du Christ, selon la représentation du don de la loi sur la montagne. Serait-ce que l’Évangile de Jean suggère une remontée de la loi écrite à l’énonciation divine qui la porte ? Une opposition entre oralité et écriture ? Nous ne le pensons pas. Il nous semble que si le contenu de la loi du Christ n’est pas explicité, dans l’Évangile de Jean, par une écriture, c’est parce que ce contenu n’est autre que tout ce que Jésus a fait et dit, les signes et les paroles28. Car Jésus est pour l’Évangile de Jean le logos divin fait chair : il est l’énonciation divine de la loi et de la prophétie faite chair, et non point faite écriture ! L’auteur johannique, en maintenant insaisissable le contenu de la loi du Christ, n’opèrerait pas une remontée vers l’oralité de la parole divine, bien plutôt il en révèlerait l’achèvement dans l’incarnation de cette parole. La loi du Christ a pour contenu la parole faite chair, et, comme toute vie humaine, demeure insaisissable ! C’est là sa force libératrice.

Notes de bas de page

  • 1 Une réflexion sur le rapport entre la loi et l’écriture, au-delà du cadre de la tradition biblique, est développée par J. Goody, La logique de l’écriture. Aux origines des sociétés humaines, dans le chap. « La lettre de la loi », Paris, Armand Colin, 1986, p. 133-169.

  • 2 M. Richelle, Guide pour l’exégèse de l’Ancien Testament. Méthodes, exemples et instruments de travail, coll. Interprétation, Vaux-sur-Seine, Édifac - Excelsis, 2012, p. 286.

  • 3 D.P. Wright, Inventing God’s Law. How the Covenant Code of the Bible Used and Revised the Laws of Hammurabi, Oxford, Oxford University Press, 2009.

  • 4 On peut hésiter quelque peu sur celui qui écrit les Dix Paroles ; la syntaxe reste ambiguë, et Moïse pourrait bien être le sujet du verbe écrire au v. 28 ; cependant, après l’énoncé des commandements, l’unité conclusive des v. 27-28 donne l’initiative à YhwH ; que ce soit lui qui écrive les Dix Paroles est aussi davantage dans la logique de 31,18 et de 34,1.

  • 5 Sur la conception et la stratégie du Deutéronome quant au livre et à l’écrit, voir J.-P. Sonnet, The Book within the Book. Writing in Deuteronomy, Biblical Interpretation Series 14, Leiden, Brill, 1997. Sur le fait d’écrire le droit, voir J.-M. Carrière, Théorie du politique dans le Deutéronome. Analyse des unités, des structures et des concepts de Dt 16,18-18,22, Österreichische Bibel Studien 18, Frankfurt, Peter Lang, 2001, p. 329-34.

  • 6 Cf. Id., « La catégorie d’alliance à la fin du Deutéronome », dans O. Artus, J. Ferry (dir.), L’identité dans l’Écriture. Hommage au professeur Jacques Briend, Lectio Divina 228, Paris, Cerf, 2009, p. 61-83.

  • 7 Que cette péricope ne soit pas johannique fait l’objet d’un assez bon consensus (voir B.M. Metzger, A Textual Commentary on the Greek New Testament, New York, United Bible Societies, 1994), même s’il est parfois contesté (voir le point sur la recherche dans C. Keith, « Recent and Previous Research on the Pericope Adulterae [John 7,53-8,11] », CBR 6, 2008, p. 377-404). L’histoire de la tradition de la péricope a été étudiée en lien avec le matériel lucanien par K.R. Hughes, « The Lukan Special Material and the Tradition History of the Pericope Adulterae », NT 55 (2013), p. 232-251.

  • 8 Nous nous permettons de renvoyer aux commentaires : Brown (1970), Talbert (1992), Marrow (1995), Léon-Dufour (1996), Simoens (1997), Moloney (2005), Neyrey (2007).

  • 9 Cette disposition est proche de celle que donne Y. Simoens, Selon Jean, 1. Une traduction, coll. IÉT 17, Bruxelles, IÉT, 1997, p. 40-41.

  • 10 L’hypothèse la plus simple est qu’elle se trouve au milieu de « tout le peuple » (v. 2) ; mais elle n’y est pas « seule », il y a Jésus parlant avec elle.

  • 11 Pour une analyse de Dt 17,2-7, voir J.-M. Carrière, Théorie du politique (cité n. 5), p. 110-119. (Une autre allusion à ces prescriptions s’entend un peu plus loin dans le chap. 8, au v. 17.)

  • 12 H. Arendt, La condition de l’homme moderne, coll. Agora-Pocket, Paris, Calmann-Lévy, 1983, p. 301-310.

  • 13 Ce genre de parcours n’est pas inhabituel dans l’Évangile de Jean, particulièrement de telle sorte que Jésus rejoigne une position d’époux symbolique. À Cana (Jn 2), Jésus passe de la position de « fils de sa mère », à celle de serviteur avec les serviteurs, puis finalement à la position d’époux véritable de la noce, celui qui garde le bon vin jusqu’à la fin. Au puits de Jacob (Jn 4), Jésus passe de la position de « juif » à la position du 7e époux, l’époux symbolique véridique.

  • 14 Il s’agit de l’un des risques inhérents à la loi comme écriture, celui dont il est question ici dans ce récit. Les lettres pauliniennes mettent en évidence les autres risques inhérents à la loi comme écriture : le fait qu’elle puisse être considérée tout entière comme écriture des malédictions (Ga, mais aussi He), le fait qu’il est impossible d’obéir à la totalité de ses commandements (Jc). On parle bien de « risques », qui caractérisent les problèmes autour de la loi comme écriture, sans pour autant disqualifier le fait de la loi, laquelle est à tout le moins nécessaire, comme pédagogue (Ga).

  • 15 Nous avons employé plusieurs fois l’image du cercle, notamment à partir de la double mention de la position de la femme « au milieu ». Nous employons maintenant cette image pour la loi elle-même, ce qui n’est pas inhabituel : la loi est comme un cercle autour de l’humain, c’est « l’enclos » du livre de Job par exemple (Jb 1,10, dans l’accusation du Satan !) Comme telle, elle l’enserre, et elle le protège, fonction positive de la loi. À notre avis, à l’instar du livre de Job, une question par rapport à la loi est de savoir s’il est possible pour l’homme de se risquer à une action, libre et responsable, qui surgisse au-delà de l’enclos de la loi ; c’est à notre avis le cas pour Job, et évidemment le cas pour Jésus ici. En tant qu’enclos qui protège, la loi ne doit pas être comme une prison pour la libre action de l’humain. En d’autres termes, cela vaut sans doute la peine, lorsque l’occasion se présente, de se risquer à agir au-delà de la « lettre » écrite de la loi ; ce qu’autorise clairement le fait que la loi nouvelle n’offre pas de « lettre » lisible.

  • 16 Nous devons la plupart de ces remarques à Erwan Chauty, sj, et nous l’en remercions.

  • 17 J. Zumstein, L’Évangile selon saint Jean (13-21), Commentaire du Nouveau Testament IVb, Labor et Fides, Genève, 2007, p. 46-47, n. 5. L’auteur indique par ailleurs dans son commentaire que le petit ensemble des v. 34-35 pourrait être considéré comme la conclusion de la narration du dernier repas. Le « commandement nouveau » s’entendrait bien dans ce cadre, non sans lien avec le geste du lavement des pieds.

  • 18 B. Friberg, T. Friberg, N.F. Miller, Analytical Greek Lexicon, Trafford Publishing, 2005, p. 141-145.

  • 19 J.H. Thayer, Greek-English Lexicon of the New Testament, Edinburgh, T&T Clark, 1951, p. 302s.

  • 20 L’exemple est pris en Mc 5,23. Littéralement : « (Jaïre) lui dit : ma fille est à toute extrémité, hina venant tu poses les mains pour elle, hina qu’elle soit sauvée et vive » : le premier hina explicite ce que Jaïre attend de Jésus, le second est tout simplement final.

  • 21 On pense évidemment au lavement des pieds (en position initiale, sinon archétypale, de l’ensemble Jn 13-16) que Jésus qualifie d’exemple (13,15) : il faut sans doute trouver là le référent des comme dans les discours. Voir Y. Simoens, Selon Jean (cité n. 9).

  • 22 Cf. J. Zumstein, L’Évangile selon saint Jean (13-21) (cité n. 17), p. 108.

  • 23 À travers les deux « exemples » du lavement des pieds et de la mort en Croix, non moins qu’en les paroles du Christ.

  • 24 Et non point toute la stratégie johannique sur le rapport entre la loi du Christ et celle de Moïse. Les discussions et débats de Jésus sur la loi de Moïse seraient aussi à prendre en compte, notamment au chap. 6 et dans la section des polémiques à Jérusalem (chap. 7 à 10). Sur le chap. 6, voir les analyses fort utiles de J.-N. Aletti, « Le discours sur le pain de vie. La fonction des citations de l’Ancien Testament », RSR 62-2 (1974). Sur le chap. 7, voir Y. Simoens, Selon Jean (cité n. 9).

  • 25 Nous pourrions deviner là la manière johannique de « reprendre » la discussion sur l’unité et l’essentiel de la loi de Moïse, comme on la trouve dans les Évangiles synoptiques, en Mt 22,34-40 ; Mc 12,28-31 ; Lc 10,25-28. De plus, cette discussion met en avant l’importance de l’amour.

  • 26 En deux endroits des Écritures, une question est posée quant à l’alliance du Sinaï (et donc de la loi de Moïse). En Dt 28,69, l’alliance conclue aux plaines de Moab est dite « outre/à part celle conclue à l’Horeb » ; malgré son nom, le livre du Deutéronome ne parle pas d’une seconde alliance, il considère l’alliance comme une seule, mais sans doute en deux temps. En Jr 31,31-34, est attendue une « alliance nouvelle, pas comme celle conclue avec les pères » ; Jérémie attend une alliance — et une loi — radicalement nouvelle. C’est cette seconde position qui est suivie par les auteurs du Nouveau Testament.

  • 27 Nous n’oublions pas cependant que la question de l’accomplissement de la loi de Moïse reçoit sa réponse dans l’Évangile de Jean au moment de la Croix (Jn 19).

  • 28 Telle serait la portée du « comme » en Jn 13-16. Le contenu de la loi du Christ, c’est lui-même agissant, parlant, aimant.

newsletter


la revue


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80