Beauté, bonté, vérité chez Hans Urs von Balthasar

M. Saint-Pierre
Théologie - Recenseur : Albert Chapelle s.j.
L'intégration christologique et trinitaire des transcendantaux dans la Trilogie, tel est le thème de cette thèse préparée à Bruxelles, Francfort et Venasque, avant d'être défendue au Canada. L'ouvrage offre cinq voies d'accès à ce haut massif balthasarien.
La première, «Métaphysique et musique», n'est pas la moins suggestive. Elle étudie le premier ouvrage de B. Die Entwicklung der musikalischen Idee (p. 25). À la manière de C. Dumont, traducteur de 7 tomes de la Trilogie et réviseur des autres traductions de cette thèse, l'A. montre la genèse et la forme toujours musicale de B. comme de tant de philosophes épris de la conception éthique et divinatoire de la musique. La Gestalt, la forme musicale, offre un modèle de l'intégration métaphysique et théologique des transcendantaux. Pour illustrer ce propos central de son interprétation, l'A. montre les enracinements goethéens de l'oeuvre de B. et son affinité avec l'esthétique de Chr. von Ehrenfels. Il explicite allusions et citations, même parcimonieuses, pour mettre en lumière la méthode «phénoménologique» et «morphologique» qui permet à B. de laisser contempler l'amour enveloppant, de la gloire trinitaire du Crucifié, la création et l'histoire.
Après avoir exploré le point d'origine de cette compréhension symphonique des transcendantaux, l'A. présente (p. 111-183) l'ensemble du cheminement littéraire qui, de 1925 à 1988, prépare et justifie la structure de la Trilogie balthasarienne. Il en dégage l'accord à l'enseigne de «l'être interprété comme amour» (Löser, 1975). La troisième voie d'accès entend montrer la nécessité de «dépasser» l'esprit «systématique» pour accéder à l'intelligence de la Trilogie. Non que l'oeuvre balthasarienne soit dépourvue de principe organisateur ou d'articulation interne, mais la logique de son mouvement n'est ni linéaire ni formelle; elle est d'ordre esthétique et moral. Ces riches pages (p. 185-232) renvoient aux meilleurs connaisseurs - éventuellement critiques (Biser) de l'oeuvre balthasarienne -, aux interprètes les plus sensibles à la beauté, à la liberté, à l'harmonie d'une écriture nourrie de l'incompréhensibilité du mystère qu'elle exprime et réjouie des insondables profondeurs de la lumière qui s'y révèle. Les références à Claudel et à Blondel peuvent paraître latérales, la méfiance à l'égard de Hegel trop refoulée (cf. p. 349), l'idée d'une «Tétralogie» audacieuse. Le lecteur n'en est pas moins ingénieusement disposé à goûter la doctrine des transcendantaux de la Trilogie.
Un commentaire original et précis des deuxième (Seuil) et troisième (Sanctuaire) chapitres de l'Épilogue en fournit une vision d'ensemble. Il «justifie la valeur théologique de la question philosophique des transcendantaux» (p. 233). Si l'être se montre, se donne et se dit, c'est qu'il est don de la beauté, de l'amour et de la lumière. La doctrine thomiste de l'analogie de l'être et de la distinctio realis est ici intégrée dans une métaphysique musicale expressive de la toute liberté de la révélation biblique de la Gloire. Car la Gloire est (le) transcendantal théologique qui suscite le mouvement théocentrique de l'intelligence et de la foi. Elle est figure et éclat, elle a l'évidence de la beauté, la gratuité de l'amour: elle rayonne du visage du Crucifié. Les références à Platon et à Bonaventure, à Thomas d'Aquin et à Soloviev attestent la prégnance de cette transcendantalité du beau et de la gloire.
Le passage de l'Esthétique théologique à la Dramatique divine est bien dessiné (p. 276-282). Le développement sur la «liberté comme transcendantal théologique» (p. 282-292) et l'évocation de plusieurs «ontologies trinitaires» (Gerken, Moock et Hemmerle) indiquent la «dimension existentielle» (p. 300) des transcendantaux dans l'expérience authentique de l'amour.
Les pages sur les transcendantaux dans Theologik sont très structurées et éclairantes. «Le noyau de l'être consiste dans l'amour et sa mise en évidence comme essence et existence n'a d'autre raison que la grâce sans raison» (TVM 234, cité p. 309). Cette formule balthasarienne condense la logique dont Blondel avait discerné l'originalité dans son Principe élémentaire d'une logique de la vie morale. La circumincession - l'unité (cf. p. 313) - des transcendantaux inséparables, mais distincts et déterminés (cf. p. 316), est acte et événement, avènement du mystère de l'être, image dans la dissimilitude de l'unité dans la différence trinitaire (p. 318-322). Le Christ est plénitude des transcendantaux et révélation parfaite du mystère trinitaire: l'intégration christologique des transcendantaux n'est pas seulement en acte analogie de l'être, elle est «catalogie de la Gloire dans l'événement définitif de la croix». Tel est le «point de jonction» essentiel pour la «compréhension la plus centrale de la pensée balthasarienne» (p. 324).
La cinquième voie ouverte par l'A. nous conduit à une «évaluation esthétique et autocritique de l'ensemble de l'oeuvre» balthasarienne (p. 331), «ontologie trinitaire de l'amour» (p. 328). L'A. suggère huit domaines de recherche sur les auteurs à étudier pour «vérifier» l'oeuvre de B.: Platon, Thomas d'Aquin, A. von Speyr, Siewerth, Ulrich, Rahner.
Sa conclusion évoque l'Enfant éternel, révélation de la Trinité. Elle invite le lecteur à «embrasser selon le regard de l'enfant le projet théologique de B. grâce à la voie royale que sont les transcendantaux» (p. 351).
Cette thèse constitue une introduction dans l'univers musical et littéraire de B. Elle présuppose la métaphysique de l'être et, comme B., ignore impavidement la critique kantienne. Elle fait saisir sur le vif la reductio in mysterium, l'élan de la foi théologale qui s'emmembre de raison dans la contemplation de l'amour trinitaire et crucifié. A partir d'un moment décisif, elle laisse deviner le mouvement d'intégration caractéristique de la Révélation chrétienne, de la foi catholique et de la théologie de la Gloire. - A. Chapelle, S.J.

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