Confrontations avec la mort. La philosophie contemporaine et la question de la mort
Bernard N. SchumacherPhilosophie - Recenseur : Hubert Thomas
Pour cela, il importe au départ de bien préciser les termes employés, le concept de «mort» recouvrant des réalités très diverses. Prenons le cas de la réflexion de Scheler. Celui-ci développe l'idée d'une connaissance intuitive de la mort dont on ne peut cependant pas tirer une saisie de l'essence de la mort. En fait, Scheler ne fait pas référence à l'état de mort mais parle de la mortalité, ce qui ne supprime pas le défi épicurien. Heidegger, de son côté, pose, comme Épicure, que la mort en tant qu'état de mort, est extraterritoriale au sujet. Mais, se fondant sur une certaine analyse ontologique du Dasein, il découvre qu'avec sa mort, le sujet est mis dans sa possibilité la plus extrême et la plus propre. Et c'est précisément en assumant cette extrême possibilité que le Dasein humain trouve sa liberté. L'A. fait la critique de cette philosophie heideggerienne. À la suite de Sartre, il souligne que ma mort ne signe pas ma liberté mais qu'elle «me tombe dessus» et, comme telle, ne peut pas octroyer de sens à ma vie. B.Sch. fait toutefois remarquer que Sartre lit mal Heidegger qui distingue nettement une analyse ontique et une analyse ontologique de la mort.
Heidegger aussi bien que Sartre, mais différemment, n'ont pas considéré la mort d'un être cher comme relevante pour une phénoménologie de la mort. Prenant acte de cette déficience, faut-il dire qu'une analyse fondée sur l'amour a de quoi offrir une phénoménologie de la mort?
Tout en ne cessant au long de son exposé de montrer l'insuffisance d'une thanatologie qui ne prend pas en compte la mort d'autrui dans sa réflexion, l'A. souligne que celle-ci ne nous donne pas l'expérience même de l'état de mort. Avec Levinas notamment, il faut reconnaître que la mort nous échappe radicalement et nous conduit à la démaîtrise. Dés lors pourrait-on y voir un mal? Faut-il donner raison à Épicure? B.Sch. ne le pense pas: la mort est un mal parce qu'elle est une privation de l'existence et l'on ne peut pas arguer du fait qu'un sujet non existant devrait alors être dit privé de son existence. La mort est une destruction du sujet déjà existant, tandis qu'un sujet non existant ne peut être privé de son existence.
Cette étude d'une belle venue, solidement informée et argumentée, se tient rigoureusement et volontairement hors des problématiques de l'éthique ou celles de la survie. Comme telle, elle honore la rationalité en montrant que celle-ci ne doit pas cesser d'«élargir l'espace de sa tente». La mort donne à penser. - H. Thomas osb