Des personnages en quête d'auteur. Une histoire de la charité

Matthieu Rouillé d'Orfeuil
Théologie - Recenseur : Alphonse Borras

L’A. part de la création par la parole en tant qu’elle est reçue dans la Genèse comme une métaphore capable de rendre compte de la relation du créateur à sa créature humaine. Sa réflexion se répartit en trois parties. La 1re partie est intitulée « Dieu et son œuvre » (p. 21-82). Dans ce monde, c’est l’être humain qui est l’instance de la parole prononcée et entendue au cœur de laquelle il est et demeure une question. Son intériorité extrinsèque donne lieu à l’intersubjectivité par sa capacité d’énoncer au-delà de l’observable ce qu’on ne voit pas, voire ce dont on n’a pas l’expérience (la mort, Dieu, etc.). L’être humain constitue le « réel » comme monde – cosmos organisé par un logos – en même temps qu’il y est institué ; le réel lui est donné par ce rapport ternaire entre Dieu, lui-même et la parole.

L’être humain est capable de dire ce qui est, ce qui n’est pas, mais aussi ce qu’il ne faut pas – en vertu de son intériorité habitée par une présence et au seuil d’extériorité de cette intériorité : celle-ci est devenue sanctuaire et l’extériorité charité fraternelle. La réalité personnelle de l’humain se comprend en tant qu’y subsiste sa relation d’origine, image de son créateur, qui le constitue par un « mot d’amour » dans une réciprocité avec lui et l’échange des charités humaines (p. 79). Tout être humain est convoqué à cette relation fraternelle charitable pour que tout soit charité (cf. p. 81 ; c’est ainsi que s’éclaire le sous-titre de l’ouvrage).

La 2e partie « l’homme et son œuvre » (p. 83-187) offre une théologie éthique fondamentale – de l’ontologie à la morale et vice versa – où le primat de la charité manifeste l’être. Dans cette perspective, l’A. fonde une doctrine de l’être sur l’agir et relève les caractéristiques d’une éthique de la charité proprement chrétienne en passant en revue quelques vertus chrétiennes.

La 3e partie « Le Christ – Dieu et homme – et son œuvre » (p. 189-298) ouvre un parcours particulièrement revigorant à partir de la christologie pour conduire à la sotériologie dans leur déploiement dans le corps ecclésial du Christ, les baptisés « se réjouissant avec lui de sa joie de les avoir sauvés » (cf. p. 197). Tout part de la parole créatrice de la charité divine – dans son intime altérité – qui nous a créés pour être aimés, pour nous aimer – témoins que nous sommes de ce que le Père aime le Fils.

C’est l’histoire de cette charité qu’est l’être qui se décline au cœur de notre intériorité et dans notre être-au-monde (monde), par une parole venue nous rejoindre par les prophètes (texte), incarnée dans notre nature humaine assumée par la personnalité trinitaire (chair) déployant par le corps ecclésial sa vitalité organique collective (assemblée) et se dotant par l’eucharistie d’une activité sacramentelle rejoignant l’intime, pour la multitude (sacrifice).

Cette déclinaison reflète le pur amour de l’échange divin (lien trinitaire) auquel vient « s’adjoindre, par création, tout homme dont la raison d’être est l’aimer » (p. 250). Cette histoire – par laquelle Dieu commente la charité qu’il est lui-même – éclaire le devoir d’annonce de l’Église, son souci du salut de la multitude. Cette histoire dont la première parole énoncée fut de Dieu seul débouchera sur le cri conjoint de Dieu et de l’homme, de l’Esprit et de l’Épouse, pour appeler le Dieu-homme : « Viens, Seigneur Jésus » (Ap 22,20).

Le parcours de cette « histoire de la charité » sera sans doute ardu pour le lecteur. Mais celui-ci sortira enrichi de la pensée de l’A. dont il appréciera les filiations philosophiques (J.-L. Marion), théologiques (Augustin d’Hippone, Thomas d’Aquin, M. Bellet) et spirituelles (Julienne de Norwich). Je suis resté ébloui par le chapitre sur le sacrifice (p. 217-233). Chacun tirera, à sa mesure, un immense profit de cet ouvrage. Celui-ci lui permettra de revisiter ses acquis philosophiques et théologiques grâce à cette ontologie de la parole où « l’être se révèle, à qui sait l’entendre, comme un projet d’amour où l’homme se réconcilie avec lui-même, avec ses frères et avec Dieu ». — A. Borras

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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