Des ressources pour guérir. Comprendre et évaluer quelques nouvelles thérapies

Pascal Ide
Psychologie - Recenseur : Jean Burton s.j.
On sait combien, depuis la vague dite du «Nouvel Âge» avec son cortège de recherches d'«épanouissement», de «quête du Soi authentique» ou du déploiement «spirituel» en harmonie avec l'«Énergie», sinon cosmique, au moins de notre mère Gaia (pour n'évoquer que quelques titres de nombreuses revues), nous sommes confrontés à un changement culturel profond. Le monde religieux et chrétien en particulier (avec l'influence d'origine protestante et anglo-saxonne de la «cure d'âme»), n'est pas en reste. Il cherche, avec plus ou moins de clairvoyance, en proposant des démarches thérapeutiques «psycho-spirituelles» à intégrer, selon son horizon propre qui est celui du Salut, cette perspective de la santé, de sa vigueur et de sa «connivence» avec la sainteté de l'existence sauvée. On pourrait dire que l'on se trouve devant ce que l'on a appelé l'impératif psychique catégorique du xxie s.: «le bonheur à tout prix». D'où vient cette déréliction de notre siècle et cette exigence de la félicité ici et maintenant? Cette ignorance feinte ou voulue d'une culpabilité qui, faute d'une symbolisation, se subjectivise profondément? Bref, d'où vient cette occultation (si souvent cynique, ludique…) du tragique de la vie?
Ce n'est pas le lieu d'en débattre. Le livre que nous avons en main n'est pas ironique, encore moins cynique, devant la souffrance de chacun de nous et devant cette aspiration au bonheur qui trop souvent ignore son origine et a perdu son Orient (Ch. Delsol éclaire ce point). On aura compris combien les résultats du travail du p. P. Ide rassemblés ici sont importants. Non seulement par l'ampleur de l'enquête, la quasi exhaustivité, nous semble-t-il, des sources (9 pages d'index des auteurs avec ± 600 noms), bref, le caractère encyclopédique de l'évaluation proposée. L'A. témoigne en plus de son expérimentation personnelle en la matière. Cette exigence éthique ne nous étonnera pas au vu des compétences en ces matières (médecine, pédagogie, psychologie, philosophie, théologie spirituelle) attestées par de nombreux ouvrages que les familiers de son travail ont toujours appréciés. En l'occurrence, les plus remarquables de ces qualités, pour le lecteur «innocent» que nous sommes, sont la clarté pédagogique dans l'exposition, la pénétration de l'analyse (adossée à une référence continue, donc unifiée, à la psychologie rationnelle et à la morale issues de la philosophie aristotélicienne développée dans la théologie de Th. d'Aquin) et donc sa capacité d'évaluation des dites techniques thérapeutiques au regard d'une anthropologie et d'une philosophie de référence. L'objectif de cette démarche étant l'évaluation de la pertinence ou non de ces aides à la personne souffrante en perspective de vie éthique et chrétienne. Pour mémoire, citons les thérapies investiguées (pour la plupart dites «brèves» en développant, si besoin, les acrostiches peu familiers): Hypnose eriksonienne, EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocesing), Cohérence cardiaque, EFT (Emotional Freedom Technique ou Therapy), Tipi (Technique d'identification sensorielle des peurs inconscientes), CNV (Communication Non Violente) et enfin le Kaizen (ou «des petits pas»). «Cinq méthodes proprement psychothérapeutiques et deux instruments que je qualifierais d'éthiques car ils font appel à la liberté (la CNV et la voie du Kaizen)» (p. 30).
Notre intention n'est pas de reprendre chaque démarche ou technique thérapeutique. Il est pourtant utile de détailler le canevas suivi dans chacun des cas et que l'A. présente lui-même en vue du discernement nécessaire. En introduction, on trouve un ou plusieurs exemples. Présentation de la méthode: histoire, découverte et développement; principes théoriques qui la fondent; mises en oeuvre concrètes: les techniques; indications thérapeutiques. Interprétation de la méthode: gnostique; rationnelle (c'est-à-dire philosophique); chrétienne (c'est-à-dire théologique). Enfin un très important dossier de sources: bibliographie et webographie. Notons qu'en raison de la suspicion dont elle a été l'objet en milieu ecclésiastique (comme il en avait été pour la psychanalyse 50 ans plus tôt - voir le tableau en p. 480) l'hypnose eriksonienne réclame un chap. de 100 pages. Les autres se partagent le reste du volume en laissant 74 pages pour le dernier chap.: les thérapies de la ressource, et la brève conclusion, illustrés de tableaux comparatifs très suggestifs et qui signent l'expertise pédagogique de notre auteur.
Ses pages de conclusion sont d'une importance capitale. Il s'agit en effet de bien s'entendre à propos de la «ressource» et corrélativement, en amont, du sens donné aux «blessures». Ici, les questions deviennent cruciales: «La blessure, un pli irréversible» (p. 422)? La «ressource» exigera tout autant l'analyse de sa nature et surtout de son autonomie, de sa capacité optimiste (Rogers) d'«auto-restauration». La perspective de psychologie rationnelle thomasienne de la «puissance - acte» et des «facultés de l'âme» est ici déterminante. Il faudra donc faire confiance à la bonté de la création, source première et fondamentale, sans négliger les limites internes qui la handicapent en raison d'une histoire où la liberté humaine n'a pas été à la hauteur de la grâce qui lui était faite dès l'origine. Mais nous entrons en théologie. Une vision intégrale de l'existence humaine sera de première nécessité pour éviter tout pélagianisme béat autant qu'un jansénisme désespéré. L'A. nous conduit avec sûreté entre Charybde et Scylla, ce que ne peuvent pas toujours réaliser des «méthodes» peu ou pas assez critiques sur leurs anthropologies «cachées». La conclusion fait bien apparaître, par une comparaison judicieuse, cette vague optimiste du «développement personnel» faisant suite à ce que l'on peut reconnaître comme l'époque (passée?) du pessimisme freudien. Nous l'évoquions d'entrée de jeu au début de cette lecture: oublier le tragique de l'existence contingente et faillible pour fonder toute restauration plénière d'un «self» innocent ne respecterait pas, en régime chrétien, un Berger qui meurt pour ses brebis qu'Il connaît en particulier et qui reconnaissent sa Voix, sa Voie. Il faudra toujours penser santé (physique, psychique, relationnelle, morale) et salut en interaction nécessaire où les influences réciproques seront délicates à situer. Si on se garde de nier le vieil adage reconnaissant que «la grâce… « suppose, exhausse, exauce »… la nature» on n'en conclura pas que le Royaume est de ce monde au point de naturaliser l'Esprit en technique de bien-être. Notre lecture, trop succincte et déjà trop longue, ne vise qu'à inviter à méditer cela. Le travail que nous avons lu et apprécié nous aidera certainement au risque de nous inviter parfois à le confronter à des horizons différents. - J. Burton sj

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