Docteur, ai-je le droit de vivre encore un peu ? L’euthanasie et le suicide assisté démasqué

Tugdual Derville
Morale et droit - Recenseur : Alain Mattheeuws s.j.

Tugdual Derville est un époux et père de famille, engagé depuis des années au service d’une culture de la vie. Il est co-initiateur du Courant pour une écologie humaine, fondateur d’« À bras ouverts » et membre correspondant de l’Académie pontificale pour la vie. Son œuvre littéraire est celle d’un essayiste, à la fois profondément enraciné dans la réalité sociale et désireux d’offrir ses réflexions fondamentales sur la vie et la mort de l’homme en société. Il avait déjà étudié avec précision en 2012 les enjeux de « La bataille de l’euthanasie » dans plusieurs situations individuelles. À présent, sous la forme d’une supplication rigoureuse, il nous rend vigilants aux débats des prochaines étapes de la loi sur l’euthanasie en France. Le chemin de sa réflexion est très pédagogique : il nous semble décisif pour éclairer la conscience de tout homme de bonne volonté. Sa réflexion est inspirée mais ne se fonde pas d’abord sur des arguments religieux.

Dans la première partie, trois mobiles abusifs sont mis en évidence et dénoncés face aux partisans de l’euthanasie. En effet, pour ceux-ci il s’agit de mourir « sans souffrir », de trépasser « dans la dignité », de choisir « librement » sa mort. Ces étapes marquent aussi l’évolution des débats actuels et la manière dont il convient de discuter aujourd’hui. Depuis des années, le défi de la souffrance est vigoureusement affronté par les soins palliatifs qui apaisent de nombreuses angoisses des patients et parfois leurs désirs d’euthanasie. D’autre part, le mot « dignité » est devenu ambigu et lourd d’arrière-pensées dans une société de plus en plus individuelle et subjective. Pourtant « l’être humain, (est) digne par essence » (p. 40), mais si la dignité est à « géométrie variable » (p. 40), elle n’aura plus de contenu. « Contrairement à ce qu’ils avancent, les promoteurs de la mort dans une dignité qu’ils jugent personnelle contribuent à transmettre le message que certaines vies ne valent pas d’être vécues » (p. 46). Même la liberté, qui est un des fondements de la République, se réduit à l’appréhension individuelle du sujet en fin de vie ou de ceux qui votent des lois en son nom. En fait la défense de la liberté vise à rester « debout », « en bonne et parfaite santé », à nier la mort prochaine et toute vulnérabilité de l’être humain qui ne se souvient plus des conditions de sa naissance (p. 51). Paradoxalement, la demande de l’euthanasie est une « voleuse de liberté » : elle « vole le temps restant à vivre (p. 70).

Dans la deuxième partie, l’A. discerne trois promesses biaisées : les soins palliatifs comme monnaie d’échange, la garantie d’un encadrement rigoureux, l’assurance d’une clause de conscience. Les soins palliatifs ne sont pas encore assez développés en France (cf. définition de la HAS, p .81) et la confusion avec l’euthanasie risque de briser leur sens et leur développement. Certains changent les objectifs et les conditions des « soins palliatifs » afin qu’ils deviennent finalement, par la sédation finale, le suicide assisté et l’euthanasie, le contraire de ce qu’ils sont : un accompagnement interpersonnel, médical qui procure aux malades un temps paisible pour se préparer à partir au milieu de leurs familiers. En changeant le sens d’un vrai accompagnement de fin de vie, l’euthanasie devient respectable et rejoint en somme, de manière totalement inappropriée, un acte qui respecte la dignité de celui qui souffre. Or « Donner la mort n’est pas un soin » (p. 95). L’euthanasie dans ce cas devient le soin palliatif « le plus efficace » mais le plus éloigné moralement d’un soin !

Les quelques données concernant le cadre approprié nous montrent que l’argument, souvent employé quand on traite d’actes transgressifs, ne tient pas la route dans la pratique et s’évanouit le plus souvent devant les impératifs économiques et de décision rapide. La clause de conscience est certainement un socle pour le respect du travail et de la vie de nombreux praticiens. Cependant il y a bien des moyens de la contourner et d’imprimer une pression telle à ceux qui s’opposent à l’euthanasie, qu’ils éprouvent beaucoup de difficultés à la vivre. De plus, si la clause de conscience ne peut plus être appliquée à la personnalité juridique d’une institution, toute personne qui travaille dans cette institution et qui s’oppose à une loi favorable à l’euthanasie se verra pénalisée, marginalisée et culpabilisée.

La dernière partie s’attache à critiquer des idées reçues qui ont toutes tendances à banaliser ou à individualiser une fin de vie provoquée et même le suicide. En fait, les Français ne deviennent-ils pas favorables à l’euthanasie ? Des enquêtes semblent l’attester, des livres Suicide, mode d’emploi ont paru (A. Moreau) mais l’acte euthanasique lui-même, quand il concerne la personne elle-même ou l’entourage n’est pas désiré si ardemment. Par ailleurs, le suicide assisté n’est-il pas un « moindre mal » puisqu’il est accompagné ? Ce n’est pas au médecin à le qualifier moralement ! Et la complicité avec un tel acte est entière.

Par ailleurs, on dit souvent que ce « droit à l’euthanasie » ne lèse personne : cette dernière affirmation liée au ressort individualiste de ceux qui désirent poser l’acte ou qui sont pétris de notre culture peu relationnelle, est souvent contredit par la réalité. L’être humain est toujours dans un tissu relationnel. S’il en vient à désirer mourir, il oublie parfois que son geste aura un impact rationnel et affectif sur son entourage et sur la société dans laquelle il vit (p. 66). L’euthanasie apparaît comme un « droit » subjectif qui peut blesser le désir de vivre de l’entourage ou plus largement. En fait, elle n’est pas un droit et qui pourrait l’accorder ? Un médecin, un familier, une loi civile ? Nous ne sommes pas tous « éligibles au suicide » (p. 184). Ainsi convient-il de chercher des chemins non pas pour « aider à mourir » mais « aider à vivre ». Là se trouve la noblesse de l’homme.

Non, le suicide assisté n’est pas neutre (p. 171). Non, l’euthanasie recherchée n’est pas non plus une belle et bonne mort : elle est toujours une blessure pour tous au goût de la vie. Oui, la sédation terminale n’est pas toujours exempte d’ambiguïtés diverses. Oui, tout être humain est créé pour la vie et son premier droit est de vivre (parfois encore un peu, titre le livre !) pour toucher l’essentiel de son être. Faire preuve d’humanité, c’est protéger et prendre soin des plus faibles et de ceux dont les souffrances et la mort sont lourdes à rencontrer. La réflexion de l’A. démasque les idéologies actuelles et les faux arguments, mais elle n’est pas un plaidoyer militant : elle est recherche et dialogue sur un acte humain décisif, peu banal, déterminant de la vie de tout homme : sa mort et les conditions de son départ vers d’autres cieux. — A.Mt.

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