Éthique de la liberté. Tomes I et II

Jacques Ellul
Morale et droit - Recenseur : Marie-Jeanne Coutagne

Jacques Ellul (1912-1994) avait coutume de dire qu’il était né à Bordeaux, par hasard. Il a pourtant choisi d’y passer sa carrière universitaire. Chargé de cours aux Facultés de Droit en 1937, révoqué par le gouvernement de Vichy, il participa à la Résistance de 1941 à 1944, à la vie politique de 1944 à 1947. Le Droit ne fut pas sa seule spécialité, ce qui le passionnait était la sociologie dans la société technicienne moderne, et l’éthique chrétienne. Intéressé à l’écologie bien avant beaucoup d’autres, sa réflexion apparaît aujourd’hui de plus en plus nécessaire autant dans le domaine de l’analyse sociale que dans celui de la théologie (réformée), sa lucidité exigeante offre un chemin dans le chaos actuel des idées.

Son Éthique de la liberté, au départ composée de 2 tomes, est rééditée ici en un seul volume : il s’agit de sa grande œuvre dans laquelle il pousse au plus loin la logique du message évangélique. L’Éthique de la liberté vise non pas à résoudre des problèmes mais à aider à mieux les poser dans la confrontation du texte biblique toujours à interroger et à comprendre : pour Jacques Ellul, la liberté est la vie chrétienne même. Certes, nous ne savons plus vraiment ce que peut être l’esclavage (même s’il y a encore bien des libérations à opérer) : du coup certains textes, de l’AT comme du NT– ceux de l’apôtre Paul en particulier –, risquent de ne pas apparaître aussi percutants qu’ils le sont en réalité. Le chrétien, libéré par Jésus-Christ de toutes les puissances qui l’asservissent (État, Argent, Technique…), a reçu le pouvoir de devenir enfant de Dieu, c.-à-d. d’être un homme sans convoitise, qui vit la gratuité, et exerce son éminente responsabilité avec joie. Car la liberté chrétienne est cette liberté orientée par l’amour, celle de Dieu, qu’il s’agit de glorifier, et du prochain, qu’il s’agit de servir.

C’est pourquoi Ellul situe l’Éthique de la liberté dans un vaste ensemble dans lequel il voulait réinterpréter les vertus théologales aujourd’hui. Pour lui, la liberté est le visage éthique de l’espérance. Dieu est le libérateur ; à partir de là, l’homme est autorisé à espérer, d’où le combat inévitable de l’homme avec Dieu, le combat de Jacob, qui est aussi le nôtre, au cours duquel nous découvrons que toute nécessité et tout destin sont enfin abolis. Car la victoire du Christ, pourtant complète, ne nous enferme pas dans une situation de déjà fait. En triomphant de la mort, Jésus-Christ lève la plus décisive des fatalités (p. 21). D’où, après ces fortes affirmations, la place pour une suite d’analyses souvent originales, qui permettent non seulement de croiser les textes de Marx, qu’Ellul connaît bien, mais surtout d’engager un dialogue acéré mais très vivifiant avec certaines pages de Kierkegaard (p. 140s ; 397s) ou de Ricœur. Ellul ne cache pas sa dette envers Karl Barth (on appréciera p. ex. les pages concernant la prise de conscience, condition de toute liberté) mais entend garder toute sa vigilance. Enfin la référence luthérienne est explicite et directe dans nombre de chapitres, particulièrement dans celui qui traite de « l’œuvre et les Œuvres » (p. 514s). D’où l’injonction « Soyez des hommes » (p. 532s) qui suppose que nous ayons à tracer notre chemin personnel sans avoir à refaire celui de quiconque, dans l’acceptation des limites de notre propre vie, écho aux dernières pages de D. Bonhoeffer ! Voilà la « riche liberté » qui nous est donnée (p. 534). Un livre essentiel à méditer autant qu’à discuter. — M.-J. Coutagne

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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