Disons-le d'entrée de jeu: un beau livre, comme on aime en
découvrir.Tisserant fut considéré comme un rustre par les uns,
comme un Mazarin machiavélique par les autres. Même si le
personnage fut haut en couleurs, doté d'un tempérament pas toujours
commode et fort peu romain, mais droit, l'A. en donne une
biographie toute en nuances et loin d'être tributaire de ces deux
visions trop légendaires, ayant pu, avec sa compétence habituelle,
profiter d'archives scrutées de manière systématique pour la
première fois. Les dates de l'existence de Tisserant l'attestent:
il a traversé presque un siècle d'histoire générale comme
d'histoire de l'Église, marquées par bien des changements. Lorrain
d'origine, né à une époque où la revanche était si attendue du côté
de l'Hexagone, sans que lui-même ait jamais fait preuve d'un
nationalisme exacerbé, il a, pourrait-on dire, tout connu. Enfant
prodige, passionné de mathématiques qu'il aurait aimé enseigner, il
fut pourtant dirigé vers l'orientalisme. Et authentique savant il
fut. Principalement au service de la Bibliothèque Vaticane dans un
premier temps, dont il finit par devenir une figure majeure en
particulier grâce à ses talents d'organisation et plus encore par
sa capacité à moderniser l'institution selon les critères
anglo-saxons (plus tard, il sera cardinal Archiviste et
bibliothécaire de la Sainte-Église): il savait ce qu'était le
travail de recherche et quelle intendance ce travail requérait.
Vivement apprécié de Pie XI, le voilà créé cardinal en 1936 (il
sera sacré évêque l'année suivante) et placé à la tête de la
Congrégation orientale en tant que Secrétaire jusqu'en 1959; il s'y
montra partisan d'une politique respectueuse des traits propres aux
communautés ecclésiales de sa juridiction. Au fil des années, les
charges vont s'accumuler: doyen du Sacré-Collège et Préfet de la
Cérémoniale (1951), Bibliothécaire et Archiviste de la
Sainte-Église (1957), Camerlingue (1958), Grand-Maître de l'Ordre
de Malte (1960), évêque de Porto et Santa Rufina dont il s'occupa
activement (il ne fut pas qu'un haut fonctionnaire de la Curie mais
aussi un prêtre, fort imprégné de la spiritualité de François de
Sales), membre du conseil de présidence de Vatican II, sans oublier
son élection à l'Académie française (1961). Ce furent là autant de
postes qui le mirent sur le devant de la scène, sans pour autant
faire de lui l'un des plus puissants personnages du gouvernement
central de l'Église (il ne fut d'ailleurs pas toujours bien en cour
auprès des successeurs de Pie XI et n'était pas directement associé
aux grandes décisions de l'Église), et qui lui permirent de voir et
d'apprécier les grands courants de son temps (fascisme, nazisme,
antisémitisme, révolution nationale, décolonisation, etc., qui
n'entraient pas dans ses catégories). Un de ses succès majeurs: la
présidence de la Commission biblique à partir de 1938. Tisserant
n'avait guère été tourmenté par le modernisme au cours de ses
études le préparant à l'ordination sacerdotale; il retrouva le
phénomène ou du moins ses suites, d'ailleurs non négligeables, à la
tête de cette commission et joua un rôle majeur dans le processus
d'ouverture sous le pontificat de Pie XII, qui devait voir
principalement la publication de Divino afflante Spiritu
(1943).S'il fut foncièrement partisan de l'aggiornamento mis en
branle par Vatican II, il éprouva quelque amertume lorsqu'il dut
appliquer à lui-même le retrait imposé par le même concile aux
titulaires de certaines charges en raison de l'âge. Le lecteur sera
sans doute étonné de ne pas trouver une de ces bibliographies
traditionnelles autant qu'interminables et désespérantes; qu'il se
rassure: les notes suffisent amplement à montrer que le travail est
solidement documenté. Le seul regret que je me permettrais de
formuler est de n'avoir pas suffisamment présenté bon nombre de
personnages qui interviennent tout au long du récit: la rédaction
de brèves notices biographiques est certes fastidieuse, mais elle
me semble souvent profitable. Mais qu'est ce regret en regard d'un
livre qui fait découvrir un grand homme savamment replacé dans son
époque? - B. Joassart sj