Hans Urs von Balthasar 1905-1988

Vincent Holzer
Théologie - Recenseur : Emmanuel Tourpe
Dans un style «aux éclats», contrastant avec la claire rigueur du récent opus d'Étienne Vetö (voir ci-dessous), cet ouvrage de l'un de ses meilleurs spécialistes français n'est en aucun cas une introduction: il y aurait un grand malentendu malgré les apparences trompeuses d'un plan pédagogique (formation de l'oeuvre p. 25s, contenu dramatique p. 131s, questions en débats p. 219s) à vouloir découvrir le grand théologien suisse à travers ce difficile volume. Bien au contraire il s'agit d'un livre destiné à un public de vrais connaisseurs, à qui pour ainsi dire l'A. veut communiquer un bilan actualisé de son interprétation. Vingt ans après sa thèse qui avait fait date, V. Holzer nous présente ainsi l'état donné de sa lecture balthasarienne: à partir de quel point de vue englobant il le comprend désormais, quelles inflexions lui semblent nécessaires, et dans quelle(s) direction(s) il lui semble utile de mener les recherches ultérieures. Il n'est donc pas étonnant que l'A. se cite lui-même assez souvent, cherchant néanmoins aussi à établir un dialogue avec la Forschung allemande contemporaine.
Plusieurs lignes sont ainsi esquissées, sans qu'il soit toujours possible de les synthétiser ou même de les discerner avec netteté. N'en retenons que quelques-unes qui nous paraissent dominer l'ouvrage. La première option tient à la compréhension croissante du rôle de la philosophie dans une oeuvre balthasarienne dont on a souvent sous-estimé à la fois les présupposés, mais aussi les résultats d'ordre métaphysique en général: rôle de la polarité, du rythme, dimension de l'analogia entis, fonction centrale de la distinctio realis, ontologie de l'amour et même trinitaire, personnalisme dialogique, par exemple. L'A. souligne en particulier et à bon escient le lien entre ontologie et christologie qui est au coeur du dispositif balthasarien. Ces déterminations, que V. Holzer met en lumière en particulier et à raison par rapport à Hegel, sont d'un poids considérable, bien plus en tous cas que ce qui a été reconnu jusqu'ici dans la littérature francophone. Dans ce domaine, Holzer voit juste et loin; s'il ne mesure pas assez l'influence de Hans André sur la conception balthasarienne de la nature et des sciences, il voit avec précision l'influence de Siewerth, Przywara ou Guardini dans une oeuvre que l'on ne saurait réduire à un barthisme catholique et qui a pour fondations philosophiques solides une Apokalypse der deutschen Seele bien trop négligée.
Par rapport à une certaine réduction de la lecture balthasarienne à une «esthétique» de la figure, V. Holzer a également raison de rappeler dans sa seconde partie («Theatrum Dei») le caractère central de la Dramatique, qui est le véritable axe central de la pensée du théologien suisse - et explique d'ailleurs, soit dit en passant, son rapport complexe à Blondel. Ce faisant, V. Holzer rapproche l'interprétation francophone des travaux germano-¬phones qui ont vu depuis longtemps cette dimension nodale de l'action divine trinitaire, mais aussi de la théologie du samedi saint, dans l'oeuvre du théologien suisse. C'est à partir de ce site dramatique qu'est à relire la théologie de la Gloire chez Balthasar. C'est d'ailleurs l'occasion pour Holzer de critiquer, d'une façon certes encore un peu hésitante, le conflit chez Balthasar entre une intention purement économique et la surdétermination par le thème de l'amour englobant (cf. p. 154-155; 168; 169, etc.): l'essence resterait la clé secrète d'une théologie prétendue des Personnes. On n'est pas loin ici des remarques formulées également par Vetö dans l'ouvrage déjà cité.
Une dernière caractéristique propre à cet ouvrage tient à son insistance sur la «simplicité», au caractère de synthèse et de souplesse à la fois, qui informe la méthode de Balthasar jusque dans sa compréhension de la «Gloire». Cette intention de «simplicité», Einfalt, qui évite la fragmentation des points de vue et opère le lien entre christologie et doctrine de Dieu a peut-être échappé par contre à Vetö qui n'insiste pas à suffisance sur la dialectique à l'oeuvre dans la pensée de Balthasar dont Holzer se montre très averti.
Il y a bien d'autres aspects de grande valeur dans ce rude ouvrage, comme par exemple un passionnant dossier sur la rencontre avec Barth. Au lecteur de se plonger avec patience et ténacité dans ce bilan, difficultueux mais brillant, de l'interprétation que Holzer fait de Balthasar - dont le principal bénéfice consiste à rapprocher considérablement les travaux allemands de la recherche française. - E. Tourpe

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